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Entretien avec Christian De Metter
interview accordée aux SdI en février 2020


Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien et de nous consacrer une partie de votre temps si précieux !

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? (âge, passions, études, parcours …)

Je n’ai pas vraiment fait d'études de dessin, juste une école de pub, pour faire plaisir aux parents, école que j'ai quittée avant la fin du cursus pour travailler dans la presse rock comme dessinateur puis, à la fin, « directeur artistique » ou plus exactement « concepteur graphique » car je n'assumais pas le terme « directeur artistique ». Faut dire que j'avais commencé à dessiner pour eux à 17 ans, avant l'école de pub, puis j'étais devenu maquettiste et enfin « concepteur graphique » vers 19 ou 20. Un peu jeune pour assumer le terme !
Puis je pars faire mon service. A mon retour, les magazines ont coulés, je me retrouve au chômage et suit une longue période de galère. C'est là que je commence « Emma »...
Ma passion, c’est la musique. Dès que je peux je joue et surtout, compose. Guitare, piano, mandoline, basse, etc. Quand je déprime, je fais de la musique et ça passe (rires).

Christian De Metter et son Grand-PèreEnfant, quel lecteur étiez-vous et quels étaient vos auteurs de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?
Je n’ai été un gros lecteur qu’après le bac. Avant je lisais de temps en temps mais assez rarement finalement. Il y avait eu « L’ile au trésor » de Stevenson, quelques « clubs des cinq » quand j’étais gamin, quelques « Agatha Christie » et Jules Verne ado. Guère plus. Je lisais un peu de bande dessinée mais pas beaucoup plus. Le « journal de Mickey » ou « Pif gadget », quelques « Lucky Luke » que l’on avait avec les stations essences, ça parlera aux plus âgés ! Ado, j’ai découvert « Gaston Lagaffe » et le dessin génial de Franquin. J’ai eu une courte période « Tintin » également. Mais je ne me destinais nullement à ce moment- là à la bande dessinée.

A quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité votre vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
Je me savais trop peu rigoureux et précis dans mon dessin pour m’imaginer réaliser un album. De plus, je ne savais pas que j’avais des histoires en moi. Vers la fin des années 80 un ami m’a fait découvrir des auteurs anglo-saxons tels que Bill Sienkiewicz, Kent Williams ou Georges Pratt. Et une fenêtre s’est ouverte dans ma tête ! Je découvrais que l’on pouvait faire de la bande dessinée sans passer par le cerné noir et blanc à la plume et qu’on pouvait peindre directement. Et là je me suis senti plus attiré que jamais par ce médium. Je me suis lancé dans une bande dessinée en couleur directe comme on dit, sans scénario, une avancée au jour le jour, sans plan, et qui a trouvé un éditeur 10 ans plus tard, en grande partie grâce à ce même ami. Frédéric Poincelet pour ne pas le nommer.

Emma, couverture de l'intégrale © De MetterBeaucoup de vos lecteurs se demandent si vous faites par ailleurs de la peinture ?
J’en ai fait, je n’en fais plus mais je compte y retourner un jour. C’est un vrai but aujourd’hui car cela me manque de plus en plus. Il faut que je trouve le temps et aussi l’espace et peut-être aussi quoi dire ou comment le dire en peinture. Bref, je ne suis peut-être pas tout à fait prêt.

Quels sont vos maîtres en bd et en peinture ?
Il y en a beaucoup qui m’ont profondément marqué. Eugène Carrière, E. Manet, J.M. Basquiat, Lucian Freud, E. Degas, Cornelius Baba, G. Klimt, E. Schiele, K. Williams, Dave McKean, A. Breccia, etc. Plein en fait et en même temps je suis très sélectif.

Quelles sont pour vous les grandes joies et les grandes difficultés du métier?
La phase d’écriture peut être assez jouissive. Ce moment où les personnages prennent vie et vous échappent parfois est un moment assez unique. Les difficultés sont plus liées à la longueur de la réalisation d’une bande dessinée. Il y a toujours un moment de ras le bol un peu après le milieu du bouquin en ce qui me concerne, mais en approchant de la fin l’énergie revient souvent. Je suis quelqu’un qui a beaucoup d’idées en même temps et donc, lorsque je dessine une histoire j’en ai souvent 3 ou 4 autres en tête et j’ai hâte de m’y mettre. Aujourd’hui j’ai une trentaine de projets potentiels dont trois voire quatre assez avancés et un nouveau vient de s’incruster il y a deux mois. Et il occupe pas mal mes pensées. Mais je sais que j’ai d’abord 2 tomes de « Nobody » à faire et au moins un gros projet, également en terme de pagination.

Avez-vous eu des difficultés à imposer votre style, très pictural, à vos débuts?
Je ne me suis pas posé ces questions. J’ai d’abord fait mon truc dans mon coin, cette première bande dessinée qui est restée 10 ans dans mes cartons, c’était « Emma », et à partir du moment où un éditeur m’a accepté je n’ai pas eu de difficultés à signer d’autres projets. Pour les éditeurs je devais répondre à une envie ou une attente je suppose. Une case à remplir peut-être pour certains. Du point de vue des auteurs j’ai très vite senti une curiosité et aussi une forme de respect de la part de ceux que j’ai été amené à côtoyer. Beaucoup sont venus me dire que la couleur directe les tentait, mais qu’ils n’osaient pas. Je les ai tous encouragés, bien sûr, à tenter au moins l’expérience. Côté lecteur j’ai, je crois, eu assez vite un petit noyau de lecteurs fidèles, pas immense, mais des gens qui suivaient tous mes travaux. Je crois que ce noyau est toujours là. Bien sûr, avec les adaptations de « Shutter Island » de Denis Lehane et « Au revoir là-haut » de Pierre Lemaitre, j’ai touché un public plus large mais qui ne suit pas forcément tout ce que je fais.
quatre adaptations littéraire signée par Christian De Metter
Vous avez réalisé de nombreuses adaptations : « Figurec » de Fab Caro, « Shutter Island » de Dennis Lehane, « Scarface » d’Armitage Trail, « Piège nuptial » de Douglas Kennedy et bien sûr les deux premiers tomes de la trilogie de Pierre Lemaître : « Au revoir là-haut » et « Couleurs de l’incendie ». Que pensez-vous de la condescendance avec laquelle on regarde parfois ce travail d’adaptation dans le milieu de la bande dessinée ?
Je m’y suis habitué. Je suis toujours étonné que l’on me propose des tables rondes ou des interviews ayant pour thème « l’adaptation en bande dessinée d’œuvres littéraires ». C’est un peu le mono thème. Il semblerait que l’on doive toujours prouver notre légitimité artistique. Et je me répète un peu mais j’ai à chaque fois cet exemple dont je me sers : je ne crois pas que l’on demande à Clint Eastwood d’expliquer comment on passe d’un livre à un film ni s’il n’a pas peur d’amoindrir ou d’altérer l’œuvre littéraire en la portant à l’écran. Une grande partie des films que l’on voit sont des adaptations et en interview on parle de l’histoire, des personnages de ce que cela raconte, et du fond, du second niveau de lecture. J’aimerais qu’on arrive à ce stade aussi dans la bande dessinée mais il me semble que c’est peu fréquent !

Du roman à l'écranTrois de vos adaptations en bande dessinée ont devancé l’adaptation des romans au cinéma .... Est-ce que les réalisateurs (Martin Scorsese pour « Shutter Island », Albert Dupontel pour « Au revoir là-haut » et Clovis Cornillac pour « Couleurs de l’incendie ») ont lu vos albums ? S’en sont-ils même inspirés ?
Aucune idée. Mes éditeurs ont envoyé les bandes dessinées dès leur sortie aux différentes productions. Pour monsieur Cornillac, je ne sais pas si les équipes de rue de sèvres lui ont envoyé. J’imagine que oui. Mais c’est tout ce que je peux dire.

Etes-vous vous aussi inspiré par le cinéma et la télévision ? Je pense par exemple à votre dernière série « Nobody » qui se décline en « saisons » et en « épisodes » ?
Planche de Nobody, Saison 1 © De MetterOui bien sûr. Je crois que je fais de la bande dessinée parce que je me fais mon propre cinéma, mais sans les contraintes. Celles de devoir budgéter et financer le projet, devoir diriger des acteurs… cela me semble impossible pour moi. La série « NObody » est venue d’un besoin d’avoir toujours plus de pages pour m’exprimer mais sans changer d’univers pictural, d’où un découpage en tomes ou épisodes. Ça me permet de sortir un album ou deux par an. Ce format en plusieurs tomes oblige à être rigoureux sur le rythme de l’histoire et j’aime ça mais cela permet aussi de jouer plus librement sur l’écriture. Liberté et cadre c’est exactement ce dont j’ai besoin. La notion de saison vient du fait que je travaille sur des thèmes depuis… depuis ma première histoire en fait. Cela m’oblige à garder le cap quand j’écris. « L’identité » et la « vérité » sont les thèmes principaux de « NObody ». Ce sont des thèmes où je peux exprimer toutes mes nuances de gris, car je me sens assez peu manichéen, pas très noir ou blanc.

Quel exercice préférez-vous : l’adaptation ou la création d’un récit original ?
Les deux mon capitaine ! En fait non. J’ai une préférence pour la création tout de même mais j’aime bien de temps en temps l’adaptation car là, je sais que l’histoire et les persos fonctionnent. Ca enlève une crainte. Et puis défendre ou mettre en images les histoires et les personnages d’autres artistes est toujours enrichissant. Mais vous remarquerez que les thématiques sont rarement éloignées des miennes…

Portrait de Pierre Lemaitre et de Christian De Metter © Isabelle FranciosaPierre Lemaître avait participé à l’adaptation d’ « Au revoir là-haut » à vos côtés. Pourquoi n’avez-vous pas reformé votre tandem cette fois ?
De simples problèmes d’emploi du temps. Pierre était pris par l’écriture du scénario de « Couleurs de l’incendie » pour le cinéma ainsi que de son nouveau roman qui est donc sorti depuis (« Miroir de nos peines »). Il ne se voyait pas faire en parallèle le scénario du film et aussi une version en bande dessinée qui devait être forcément différente. De quoi se faire des entorses du cerveau ! Il m’a donc proposé de m’y coller seul. Je le remercie d’ailleurs de cette confiance qu’il a bien voulu m’accorder.

Avez-vous eu des retours de sa part sur votre lecture de son roman ?
Il m’a confirmé que nos deux versions étaient très différentes et il trouvait mes personnages formidables. Leur représentation, je veux dire.

Le roman fait plus de 500p. Votre one-shot comporte 160p et parvient à restituer moult détails du récit source. Y a-t-il cependant des éléments que vous auriez voulu inclure et auxquels vous avez dû renoncer ?
Forcement j’aurais aimé développer un peu plus certains personnages comme Vlady ou Paul ou encore la Galinato. Mais globalement les choix que j’ai faits m’ont satisfait assez vite et j’ai eu peu de regrets sur ce que j’avais décidé de ne pas utiliser. Et puis j’avais aussi opté pour une fin assez différente du roman ce qui m’a amené à développer certains personnages différemment.

Quel personnage vous a donné le plus de fil à retordre? Lequel avez-vous au contraire pris le plus de plaisir à mettre en scène?
Mon Dupré est assez différent du Dupré de Pierre. C’est le personnage qui était le bras droit de Pradelle, le salaud d’ « Au revoir là-haut ». C’est un personnage que j’aime bien. J’avais proposé à Pierre à l’époque un Dupré plus sec, plus taiseux que le sien et d’une certaine manière plus droit, avec une sorte de code d’honneur. Il le voyait plus rond, plus râblé, moustachu et peut-être plus cynique. J’ai bien aimé le retrouver et mettre en scène cette relation avec Madeleine. Une relation simple et délicate avec pas mal de non-dits. Et finalement, ça collait bien avec ma version de Dupré.
des personnages qui vieillissent
Madeleine dans Au-revoir là-haut © De Metter Dupré dans Au-revoir là-haut © De Metter
les retrouvailles Dupré et Madeleine dans Couleurs de l'Incendie,  © De Metter


Couleur de l'Incendie, Paul et Madeleine © De MetterLe petit Paul a été forcément un peu plus compliqué. C’est un enfant et il vit un drame immense. Il est aussi dans un fauteuil roulant. Et puis j’ai mis de côté toute une partie de son évolution que l’on trouve dans le roman. C’était certainement le personnage le moins simple de tous.
Madeleine est celle qui évolue le plus tout au long de l’histoire. Elle est bien sûr la plus intéressante car il faut montrer ses évolutions de manières subtiles.

« Couleurs de l’incendie » commençait par un morceau de bravoure : la description de l’enterrement du grand père (avec une présentation satirique de l’assistance) et la défenestration du petit Paul plutôt dans un style grand-guignol. Vous choisissez de concentrer cet épisode et de pratiquer l’ellipse : Pour quelles raisons ? Vous aviez fait le tour des enterrements dans « Figurec » ? (rires)
Je veux toujours capter le lecteur dès les premières pages. Qu’il sache où et à peu près quand l’histoire se situe et que très vite il n’ait plus envie de fermer le livre. Il faut que la première scène soit efficace. Le problème que j’ai rencontré avec cette scène était de mettre en image un drame horrible. Le côté grand guignol passe très bien en littérature mais représenté en images… Je ne me sentais pas de dessiner le corps d’un enfant chutant, rebondissant et s’écrasant sur un cercueil. Peut-être si mon style de dessin était différent… En optant pour m’arrêter sur l’enfant en plein vol, ça me permettait aussi de faire un écho à la bande dessinée « Au revoir là-haut », comme une histoire familiale qui se répète, une sorte de malédiction.
d'Au revoir là-haut à Couleur de l'Incendie © De Metter

Vous avez dit au moment de « Rouge comme la neige » que vous n’aimiez pas les histoires de vengeance or, dans « Couleurs de l’incendie » c’est le moteur de l’intrigue ! Vous avez changé d’avis (rires) ?
Couleur de l'Incendie, planche 17 © De MetterNon (rires). Ça a été un problème dans un premier temps. Après, il n’y avait pas comme dans beaucoup de films américains cette manière de présenter le héros ou l’héroïne en victime absolue pour justifier ensuite un déchainement de violence souvent gratuite, cette manière de faire qui, selon moi, flirte un peu avec une forme de propagande. Ce n’est qu’un avis personnel. Dans « Couleur de l’incendie », on est plus dans un « Comte de Monte-Cristo » où les salauds payent à hauteur de leurs saloperies, à travers la ruine ou le déshonneur. Et c’est aussi pourquoi j’ai voulu ajouter cette notion de justice en finissant l’histoire dans un tribunal.

Quelles techniques utilisez-vous : traditionnelles ou numériques ?
Pour ce livre je suis passé entièrement au numérique. Pour des raisons de confort physique et de rapidité. J’ai enchainé les tendinites ces dernières années. Je travaillais debout à ma table, peut-être pas très droit et j’étais épuisé en fin de journée. Je n’ai plus ces problèmes avec le numérique.

Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de la réalisation?
Un découpage texte scène à scène d’abord qui me donne le rythme et un nombre de pages assez précis. Je vois si je dois encore couper ou si je peux ajouter des scènes. J’affine ensuite avec les dialogues puis je passe au découpage dessiné.

Quelle étape vous procure le plus de plaisir ?
Chacune est plaisante tant que les choses se mettent en place. Il y a des moments plus compliqués mais qui sont dû au fait que c’est un livre de 160 pages et que je ne le fais pas en deux ou trois ans mais en un an.

Serait-il possible, pour une planche donnée, d’en visualiser les différentes étapes afin de mieux comprendre votre façon de travailler ?
Je ne garde pas ces étapes mais elles sont assez classiques. Crayonné basique, crayonné affiné sur un nouveau calque, encore un calque pour la plume, etc. Tout cela en numérique dans ce cas mais exactement comme si c’était sur du papier.

dans les coulisses de l’album
Couleur de l'Incendie, le synopsis © De Metter Synopsis de Couleur de l'Incendie © De Metter
Couleur de l'Incendie, crayonné © De Metter Couleur de l'Incendie, crayonné © De Metter


Couleur de l'Incendie, esquisse de la couverture définitive © De MetterQuand on regarde l’ensemble de votre œuvre, on remarque qu’il s’agit souvent d’histoires sombres voire torturées (tout particulièrement vos scénarii originaux : « Le Curé », « l’œil était dans la tombe » et votre série « NObody »). Vous éprouvez une prédilection pour le côté noir de la nature humaine ?
Oui, le noir est mon univers, c’est vrai. J’aime me poser des questions sur notre monde souvent à travers le parcours d’un personnage cassé. Les notions d’identité, de vérité sont omniprésentes dans mon travail au niveau des personnages mais aussi de nos sociétés. C’est ce qui m’intéresse à questionner mais c’est aussi un univers qui correspond à mon dessin. Après, est-ce que mon dessin est ainsi à cause des histoires que je veux raconter ou est-ce l’inverse ?

Allez-vous réaliser l’adaptation du troisième tome des « enfants du désastre » de Pierre Lemaître : « Miroir de nos peines » qui vient de paraître ?
Ce n’est pas encore à l’ordre du jour.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos autres projets ?
Je vais finir les « NObody » (il en reste deux). Quant au reste, il est encore un peu tôt pour en parler. Il devrait y avoir un lancement officiel d’un projet en mai.

Merci encore une fois d’avoir pris le temps de nous répondre ! Et à nouveau félicitations pour ce magnifique album. Ça donne très envie de découvrir les prochains !
Couleur de l'Incendie © De Metter
bd.otaku