Bonjour et merci de vous (re)prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…
Comme je crois déjà vous l'avoir dit lors d'une interview à propos de l'héritage du Diable, je suis pour le zouzoiement.
On va opter pour le tutoiement pour des raisons zévidentes…
A quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité ta vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
J'ai tout d'abords décidé de devenir dessinateur. C'était en CM1. J'avais d'abords voulu faire cosmonaute et puis après dessinateur. A l'époque, j'étais fan de Yannick qui dessinait Hercule et de Pierre Tranchand (qui signe aujourd'hui Pica). Tous deux travaillaient dans Pif. Quand j'ai réussi à m'acheter Spirou, j'ai été fasciné par les auteurs qui allaient rejoindre la collection Repérages (Berthet, Franck Pé, Geerts, Dodier...) et Tome et Janry.
A 22 ans, j'ai réussi à intégrer l'école de BD à Angoulême qui ne dispensait pas un enseignement de qualité mais qui réunissait des jeunes dessinateurs très talentueux. C'est là que j'ai compris que je n'avais pas le niveau graphique. Ma réaction a été de me tourner vers le scénario. 4 ans plus tard, je signais mon 1er contrat.
Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ? Comment définiriez-vous le métier de scénariste ?
Pour moi, le métier de scénariste consiste à inventer histoire touchante ET à la raconter de manière inintéressante. Maintenant, y arriver tient du miracle. Quand on commence une histoire, on veut toujours faire la meilleure et puis arrive les difficultés à savoir les idées trop prévisibles où trop convenus, les transitions qui ne fonctionnent pas, les longueurs... Avec du métier et du travail, on arrive à corriger ça mais c'est souvent difficile à vivre parce qu'on voudrait faire mieux. Et puis parfois tout s’imbrique parfaitement. Si seulement je connaissais la recette. En fait, le plus dur quand on écrit une histoire, c'est qu'on ne sait jamais si on arrivera à en écrire une autre après. Goscinny à qui l'on doit tant de chefs d’œuvres était lui aussi sujet à ce doute, c'est dire !
Quelles sont tes références en matière de western, que ce soit au cinéma ou en BD?
J'adore les westerns classiques, John Ford et Howard Hawks en tête. Rio Bravo et l'homme qui tua Liberty Valence restent pour moi des œuvres parfaites. Il y a aussi La chevauchée des bannis, une série B d'André de Toth que je trouve remarquable. Pour ce qui est des titres plus récents, j'ai beaucoup aimé Séraphim Falls et le remake de 3h15 pour Yuma. J'ai revu hier soir Impitoyable qui est également fantastique.
En BD, j'admire évidemment
Bluebbery et
Commanche qui sont des summums indépassables. J'ai adoré Le
Lucky Luke de Mathieu Bonhomme et prends beaucoup de plaisir à lire
Undertaker. Je conseille aussi les
Tex géant édité à l'époque par Semic. Les couvertures sont laides à mourir (tiens si on sortait un truc génial mais avec une couv' super moche!!!). Je n'ai lu que ceux dessinés par Colin Wilson, Bernet et Ortiz mais c'est du pur bonheur à lire.
Que ce soit en BD ou en film, tu as indéniablement bon goût ! L’Homme qui tua Liberty Valence est un petit chef d’œuvre méconnu des jeunes générations… Dans un sens Jusqu’au dernier ne parle-t-il pas aussi de cette transition complexe entre l’ouest sauvage et l’époque « moderne » ?
Exactement. Les périodes de transitions sont toujours propices aux histoires. Ici, le train représente l'arrivée de la modernité en opposition avec le monde archaïque des cow-boys. On sent que ces derniers n'ont pas la capacité à s'adapter à ce changement. Historiquement, la plupart ont sombré dans l'alcoolisme ou le banditisme après avoir perdu leur emploi à cause du train qui permettais de convoyer bien plus facilement le bétail.
Parmi les films que tu cites, nuls western spaghettis… Tu ne te comptes pas parmi les fans des films de Leone ?
Je m'y suis évidemment replongé avant de démarrer l'écriture de « Jusqu'au dernier » et j'avoue ne pas y avoir retrouvé la magie des films de Ford et de Hawks. J'apprécie quand même « il était une fois l'Amérique ». Pour moi, le western classique à quelque chose de Shakespearien contrairement au western Spaghettis qui se moque un peu de cet aspect-là.
Si tu ne devais retenir qu’un album de Blueberry et de Comanche (oui, je sais, c’est cruel)… Quels seraient-ils ?
Pour Commanche, c'est indéniablement « Le ciel est rouge sur Laramie » qui est remarquable. Concernant Bluberry, j'adore le général Tête jaune pour le script. Niveau dessin, ça va faire hurler, mais j'ai toujours trouvé » Arizona love » sublime.
Un film ou un album en particulier vous a-t-il donnée l’envie d’écrire Jusqu’au dernier avec l’incroyable Paul Gastine avec qui vous aviez déjà travaillé sur le superbe Héritage du Diable ?
En fait, c'est le fait que mon épouse travaille avec des enfants handicapés qui m'a donné l'envie de traiter de ce sujet dans un western. Après, j'avais aussi en tête le livre Des souris et des hommes de Steinbeck. Le fait de faire encercler un village par une bande de hors la loi peut aussi venir de Rio Bravo.
L’écriture du scénario a-t-elle nécessité de longues recherches documentaires ? Quel ouvrage conseilleriez-vous à un lecteur désireux d’en apprendre plus sur cette époque charnière qui marque le crépuscule des cowboys ?
J'ai eu assez de mal à trouver de la documentation sur le métier de cow-boy qui, étonnamment, est peu traité. Le plus difficile fut la recherche de visuel sur Abilène la ville où embarquait le bétail. Là, on avait une unique photo. De son côté, Paul a passé beaucoup de temps sur l'habillement des cow-boys qu'il voulait réaliste et non pas tiré de la vision Hollywood en avait. Il y a quelque mois, (et donc après la fin de l'album), je suis tombé sur un ouvrage autoédité qui m'aurait bien servi, à savoir Cowboys de Yvon-Marie Bost.
Comment est née la trame de Jusqu'au dernier ?
J'avais 2 idées distinctes en tête. La 1ere idée était de mettre en scène un enfant handicapé dans l'univers viril des cow-boys. La seconde de faire entourer un village par des outlaws. Mais il leur fallait une raison. C'est là que j'ai pensé que ça pouvait être la mort du jeune handicapé. Ses amis reviennent avec 20 hommes et donnent 24h au village pour leur livrer l'homme qui a tué Bennett. Et comme, je n'aime pas les histoires trop simples, j'ai décidé que l'assassin était un enfant de 12 ans. A partir de là, on implique le lecteur. Et lui qu'aurait-il fait ? Aurait-il livré l'enfant ou pris le risque de faire tuer tout le village ?
Comment élabores-tu généralement les personnages de tes récits ? A partir de quelle « matière » Paul Gastine leur a-t-il donné leur apparence ?
Comme je sais que Paul ne veut dessiner que des personnages qui le touchent, j'en discute énormément avec lui en amont de l'album. C'est uniquement quand je sens qu'il a accroché à leurs caractères que je commence à développer une trame. Pour les construire, je pars souvent d'une anecdote que j'ai vu ou entendu et qui m'a touché. Si celle-ci est intéressante ou surprenant, elle pourra caractériser le personnage en un minimum de place (et Dieu sait si on a peu de place en BD). A partir de là, j'essaie de construire une personnalité au héros et surtout je réfléchis à ce qui leur manque et à ce qu'il souhaite. J'y réfléchis vraiment jusqu'à que je trouve vrai, c'est à dire que leurs logiques de pensée m'apparaissent naturelle. Pour Russell notre vieux cow-boy par exemple, sa logique est facile à comprendre. A la base, il ne veut pas acheter un ranch mais le fait pour assurer un avenir à Benett, son fils adoptif. Quand ce dernier meurt, Russell n'a plus aucun intérêt pour la vie de sédentaire qu'il projetait. Dit comme ça, inventer un personnage crédible peu paraître simple mais en réalité, cela prend du temps. C'est peut-être pour ça que j'écris peu de script.
Concrètement, comment s’est organisé votre travail à quatre mains sur cet album ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de sa réalisation ?
Je présente toujours les personnages à Paul en 1er car c'est ça qui l’intéresse. Si je vois qu'il accroche, on les affine ensemble. Ensuite, je développe la trame du récit. Mais là encore, je recueille souvent les impressions de Paul. Il faut vraiment que le récit lui corresponde. Une fois le script terminé, l'éditeur nous donne son impression et nous retouchons à nouveau le script à partir de ces indications. Paul attaque storyboard une série de 4 à 5 pages que nous retravaillons ensemble. Paul finalise ensuite les pages, et cela jusqu'à la fin de l'album. Une fois l'album terminé, nous relisons et affinons tous ensemble (éditeur compris) les dialogues et vérifions que tout est bien compréhensible. A partir de là, quelques membres des éditions Bamboo (dont le big boss) relisent l'album. Là encore, cela peut donner lieu à des modifications. Comme tu le vois, le processus de création dure tout l'album.
Serait-il possible, pour une planche donnée, de visualiser ces différentes étapes afin de mieux comprendre comment fonctionne votre duo?
Désolé mais j'ai tout jeté...
Pour le lecteur, découvrir le formidable travail de Paul Gastine est un véritable régal pour les mirettes… Que ressent-on en tant que scénariste quand on voit son scénario mis en scène avec une telle virtuosité ?
Je ressens la même chose que vous et je fais très attention à ne pas m'habituer à ce bonheur. Le plus formidable chez Paul, c'est son talent à faire jouer ses personnages avec une justesse absolue, ce qui me permet d'écrire des scènes remplies d'émotions.
Jusqu’au dernier a fait l’objet d’une somptueuse édition avec un dos toilé rehaussé d’un dossier graphique de dix pages… A quel moment a-t-il été décidé d’offrir aux lecteurs cette élégante et néanmoins abordable édition ?
Je pense que cela s'est décidé au moment où l'équipe des représentants de chez Bamboo ont commencé à montrer les pages aux libraires. Les représentants ont vraiment fait remonter à l'éditeur qu'il se passait quelque chose d’inhabituel quand ils présentaient les pages aux libraires. Et là, l'éditeur à eu une idée de génie, imprimer un tirage de luxe bien en amont de la sortie de l'album et en offrir 500 exemplaires aux libraires afin qu'ils puissent lire l'album bien avant sa sortie. Comme la plupart ont apprécies l'album, ils l'ont montrés à leurs clients en amont de la sortie officielle, ce qui a créé un réel buzz autours de notre livre. Je pense que c'est pour ça que l'album a cartonné le jour même de sa sortie. A ce que j'en sais, les 3000 exemplaires de l'éditions luxe sont partis le 1er week-end de sa sortie, du jamais vu chez Bamboo Grand Angle.
Au fil de tes albums, tu as exploré une multitude de genres très différents… Vers quels horizons ta plume va-t-elle nous conduire prochainement ? En d’autres termes, peux-tu nous parler de tes projets présents et à venir ? As-tu envie d’écrire un autre western ?
La bonne nouvelle, c'est que Paul a tellement aimé dessine du western qu'il m'en a demandé un autre. L'album s'appellera « A l'ombre des géants » et offrira au lecteur un règlement de compte familial dans les montagnes enneigées du Montana. J'ai vu les premières pages, c'est sublime, encore plus que sur « Jusqu'au dernier », c'est dire et à titre personnel, je trouve le script meilleur que celui de « Jusqu'au dernier ». Ensuite, avec Paul, nous nous attaquerons au mythe de Robin des Bois. Au début, c'était une demande de mon ami Joël Parnotte mais malheureusement, le projet n'a pas abouti. Paul, à qui j'avais raconté l'histoire, m'a demandé à récupérer le script. Il a raison car je pense qu'on y trouve les meilleures idées que j'ai eu de toute ma carrière.
Pour le reste, je suis en ce moment sur « L'or du bout monde », un album écrit à partir d'une incroyable rencontre avec Philippe Esnos, un véritable chasseur de trésor. Les 2 volumes de cette histoire seront mis en image par Xavier Delaporte avec qui j'avais déjà réalisé le 2eme tome de la série concept « La Lignée ». J'ai également écrit une comédie romantique intitulée « Les petits riens qui changent tout » . C'est un feel good book dessiné par Alain Janolle avec qui j'ai le plaisir de travailler pour la 1er fois.
Enfin, je termine le script d'une histoire que j'espère touchante et qui met en scène deux enfants au milieu des années 80. J'espère la confier à un dessinateur surdoué qui n'a encore jamais fait d'album. Mais mon plus gros projet en ce moment est ma participation à la future école de dessin animé que va ouvrir le réalisateur Sylvain Chomet (les triplettes de Belleville » à Bayeux. Paul doit y enseigner le dessin et moi le scénario. Tous les renseignements sont sur
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
En BD, l'album
Charlotte, impératrice de Fabien Nury et Mathieu Bonhomme m'a scotché. C'est un bijou d'écriture qui vous montre combien le chemin pour être bon est encore long. J'ai également pris une claque d'écriture en découvrant la saison 1 de
Fargo. Là aussi, c'est parfait. Respect !
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
un personnage de BD: Broussaille
un personnage mythologique: Hervé Richez
un personnage de roman: Arsène Lupin
une chanson: Money, money
un instrument de musique: Le biniou
un jeu de société: La vallée des mammouth
une découverte scientifique : La vie extra-terrestre
une recette culinaire: Le filet mignon, mais mieux cuit que quand c'est moi qui le prépare.
une pâtisserie: Le framboisier
une ville: Dieppe
une qualité : La gentillesse
un défaut: L'inattention
un monument: La fontaine de Trévi
une boisson: La moresque (Ricard + orgeat)
un proverbe : La roue qui tourne tournera du philosophe Franck Ribery
Un grand merci, tout d’abord pour le temps que tu nous as accordé et ensuite pour ce somptueux album !