Quand j'arrive en 1990 aux Humanos, la maison est en pleine effervescence. Dargaud, racheté en 1988 par le groupe Média- Participations, vient de vendre son catalogue 'Images-Passion' pour des raisons idéologiques… Dans ce catalogue, Bilal, Christin, Druillet, Cabanes, Goetzinger et bien d'autres arrivent aux Humanos, accompagnés dans les bagages par leur éditeur, Guy Vidal, ancien rédacteur en chef de Pilote.
Il faut alors lancer de nombreuses rééditions et particulièrement l'entièreté des ouvrages d'Enki Bilal…
J'ai eu la chance de côtoyer cet éditeur chevronné, amical et particulièrement indulgent à mon égard. À l'époque, je pouvais être assez 'passionné' sur le choix des livres publiés: j'allais alors dans son bureau pour râler parfois sur l'intérêt de publier certains ouvrages (c'est un euphémisme…). Il m'accueillait toujours avec un petit sourire en coin, interrompait ce qu'il était en train de faire, pour m'expliquer patiemment, les raisons de ces choix (au lieu de m'envoyer bouler).
Une des choses que j'ai apprise avec lui : la bienveillance à l'égard des auteurs avec qui il travaillait. 'Aucun auteur ne peut produire que des chefs-d'œuvre' m'a t-il expliqué, 'et parfois, il faut savoir accepter des histoires moins intéressantes pour permettre à cet auteur de se remettre en selle, car il doit aussi gagner sa vie…'.
Des paroles qui sont restées gravées dans ma mémoire et que j'essaie d'appliquer encore aujourd'hui, même si je ne suis pas d'accord avec lui de publier des récits que l'on juge trop faibles d'un auteur car cela finira par lui porter préjudice… mais il faut dire qu'à l'époque, le nombre de parutions n'était pas le même…
Nous avons continué de nous voir jusqu'à sa mort, survenue beaucoup trop tôt, en 2002… Trois ans après son arrivée aux Humanos, il repartait chez Dargaud, où il créa la collection 'Poisson Pilote' pour publier les nouveaux talents qu'il pressentait être les grands auteurs de demain : Lewis Trondheim, Manu Larcenet, Joann Sfar et bien d'autres… car il restait un éditeur curieux et attentif de ce qui se passait…
Merci à lui.
par Sébastien Gnaedig