1990, était donc l’effervescence aux Humanos. Il fallait rééditer une partie du catalogue «Image-Passions» de Dargaud et en priorité les ouvrages d’Enki Bilal : les deux premiers à paraître sous le logo Humanos, «La foire aux immortels et «La femme piège», les deux premiers ouvrages de «La trilogie Nikopol» alors que Bilal est en train de dessiner le troisième tome, «Froid équateur».
Ceci est un post un peu technique. Nous sommes dans un temps sans ordinateur : pour imprimer les livres, pas de fichiers, mais des films. Un film par couleur (jaune, magenta, cyan et noir). Et lors du transfert du catalogue Dargaud nous récupérons une masse impressionnante d’enveloppes dans lesquelles sont rangés les films des albums. Mais parfois il y a plusieurs enveloppes pour le même titre… alors lequel prendre ?
Pour «La femme piège» c’est mauvais pioche. Je vais au calage chez l’imprimeur des deux tomes de la trilogie. Pour «La femme piège» si certaines pages sortent très bien, d’autres restent un peu trop pales… Je n’ose arrêter la machine car je n’ai pas de solutions miracles, j’imprime donc une version un peu «light» du livre. Il faut cependant reconnaître que dans les différentes éditions de ce livre chez Dargaud, les couleurs varient pas mal aussi !
Bon, de retour aux Humanos, je montre le tirage à Guy Vidal, son éditeur, qui propose d’aller le montrer à l’auteur.
Ce dernier n’est pas très content c’est le moins qu’on puisse dire, d’autant qu’il me montre alors les originaux de son livre… ce sont ses pages préférées alors et la différence est notable ! … Je lui propose alors un deal : on laisse passer ce premier tirage mais on repart des originaux pour rattraper les pages qui ont posées problème. Bilal accepte et il me propose de revenir deux jours après le temps de les sélectionner et les retoucher… car oui, il en a profité pour faire quelques rajouts et ce, sur les pages magnifiques de scènes d’intérieur de ce livre.
Il me confie les pages et pour la petite histoire… jeune godelureau que je suis, je prends le métro avec… j’en frissonne rétrospectivement encore aujourd’hui !
Pour finir avec la gravure : Enki Bilal est un auteur qui utilise des couleurs très franches, «hors gamme quadri» (c’est-à-dire qui sortent du spectre couleur du jaune, magenta, cyan) en tout cas qui sont très difficiles à reproduire. Il a adopté un parti pris que j’ai souvent conseillé ensuite aux auteurs ; quand on vient avec les épreuves couleurs qui montrent le résultat du scanner, il ne regarde jamais dans un premier temps les originaux. Si avec l’épreuve (on disait cromalin à l’époque) il retrouve son atmosphère, il valide sans comparer. Il le fait seulement en cas de doute. Et c’est le bon conseil à suivre !
Dernière anecdote pour la route : parfois les enveloppes de films ont révélé des trésors: ainsi Philippe Druillet nous a dit qu’avec la réédition de «Délirius» des Humanos il avait pour la première fois retrouvé ses couleurs !
Moralité : pour les collectionneurs, la première édition n’est pas forcément la plus belle !
par Sébastien Gnaedig