Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Bonjour, et pas de quoi.
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…
T'as pas intérêt à me dire vous, ça fait vieux.
Partageant entièrement ton point de vue sur le sujet, je cède volontiers à la menace…
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)
Homme (majoritairement), 1m83 (sans le chapeau), blond (tendance gris), 20 ans (depuis 25 ans), classe moyenne, nul en maths, nul en physique-chimie, ancien mauvais élève, jusqu'à ce qu'on me laisse (enfin) me diriger vers une section littéraire, puis vers le dessin. Bac philo, une année de Fac d'Arts Plastiques à Paris, puis 4 années aux Beaux-Arts d'Angoulême, suivies d'une formation en images 3D au CNBDI, d'un stage de 3 mois à Miami en tant que travailleur clandestin, d'une année de webdesign dans une entreprise de jeux vidéos à Paris, avant de me foutre (enfin) mon propre pied au cul pour m'obliger à tenter ma chance en bande dessinée, grâce à une année de chômage.
Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?
J'ai appris à lire avec la bande dessinée. Je n'ai lu que ça jusqu'à 13 ou 14 ans. J'ai commencé par la collection paternelle (les classiques franco-belges, de Lucky Luke à Blueberry, en passant par Hermann ou Pratt, avec une nette préférence pour Franquin et Goscinny), insisté avec la collection du grand frère et de son meilleur ami (F'murr, Moebius, Cosey, Loisel, Titans, Strange et Marvel), saupoudré le tout avec les découvertes des bibliothèques municipales (Andreas, Tardi, Bernet, Yann et Conrad, Vatine, Mignola, Wendling), avant de me prendre dans la gueule l'Histoire de la Bande Dessinée au grand complet, aux Beaux-Arts d'Angoulême (Caniff, Seakles, McCay, Schultz, Herriman, Munoz, Sampayo, Breccia, Quino, Watterson, Chris Ware, Mazzuchelli, De Crecy, Toppi, Otomo, Miyazaki, Shirow, et j'en passe...).
Après je suis resté un peu trauma pendant un an ou deux, le temps de digérer.
Et aujourd'hui je lis surtout des romans, vu que je fais de la bande dessinée 10 à 12 heures par jour.
A quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité votre vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
Je crois que j'en ai toujours eu l'envie. J'ai fait mes premiers albums sur du papier quadrillé, à 9 ou 10 ans. Des histoires de 20 à 30 pages, reliées à la main. Comme j'étais fan des séries franco-belges ayant eu plusieurs dessinateurs, je changeais de nom d'un album sur l'autre, et j'essayais de modifier ma façon de dessiner, pour faire croire à une reprise.
Et si un auteur m'a particulièrement incité, c'est Franquin. Parce que j'adorais vraiment son boulot, et parce qu'à 13 ans, de passage à Bruxelles avec mes parents, je suis tombé par hasard sur la librairie Schlirf, avec en vitrine le gros bouquin (que j'ai toujours) d'entretiens avec Numa Sadoul, « Et Franquin créa Lagaffe », qui est devenu ma bible. J'ai claqué tout mon argent de poche pour l'acheter, et je l'ai lu des dizaines de fois, avec la pile des albums de Franquin à côté, pour pouvoir suivre les commentaires case par case, en bouffant des Choco-BN.
Le parcours du combattant a surtout été de devoir d'abord passer mon Bac, avant de pouvoir me lancer dans le dessin. Après, c'était très dur aussi, mais quand il s'agit de bande dessinée, je suis capable d'endurer beaucoup plus de choses que quand il s'agit de trouver la solution d'une équation à trois inconnues.
Ça s'est tout de même corsé aux Beaux-Arts parce que mon niveau en entrant était assez médiocre. Il a fallu bosser énormément, et comme je venais de quitter papa-maman, j'avais plutôt envie de faire plein de grosses bêtises.
Ensuite ça s'est vraiment corsé quand il a fallu en vivre, et là, ça fait bientôt 20 ans que j'essaie, et je commence à peine à y arriver (un peu).
Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ? Comment définirais-tu le métier d’auteur?
La grande joie, c'est de réussir à finir un album, et de l'avoir dans les mains. La grande difficulté arrive juste après : c'est de se rendre compte qu'il est plein de défauts, et qu'il faut tout recommencer.
L'autre grande joie, c'est d'entendre un auteur dont on admire le travail dire du bien du vôtre.
Et enfin de rencontrer les lecteurs, et de se rendre compte qu'on a réussi à leur transmettre des émotions.
Mais la plus grande difficulté, c'est le choix de vie. C'est d'accepter de voir ses amis évoluer financièrement, fonder une famille, s'acheter une voiture, une maison, pendant que vous en êtes encore à essayer de remplir un bête frigo, et d'acheter votre matériel de travail. J'ai 45 ans, et je viens seulement de pouvoir acheter un atelier... de 4 m2. Une demie chambre de bonne que j'ai entièrement rénovée, pour pouvoir y bosser.
Depuis 20 ans, je devais louer (une fortune) mon espace de travail. Je me suis fait virer 6 fois, suite à un changement de proprio, ou autre. Parfois en plein bouclage d'album. Et quand vous ne pouvez plus bosser, par manque d'un espace de travail, vous n'encaissez plus rien, et vous rentrez dans un cycle infernal.
Un auteur n'a pas de chômage, aucune indemnité, il est payé à la page, et il doit payer son matériel. Pas de page, pas de thune. Pas de thune, pas de page.
Ce genre de sacrifice, en début de carrière, on les encaisse relativement facilement, parce qu'on est jeune, et surtout parce qu'on aime ce qu'on fait. Mais au bout de 20 ans, ça devient compliqué. Et on redoute de voir débarquer les problèmes de santé. La vieillesse. L'incapacité. Parce qu'à moins d'avoir connu un franc succès (ce qui n'est pas mon cas), on n'a jamais gagné de quoi mettre du fric de côté, ni pour la retraite, ni pour la santé. Et que le statut d'auteur, à l'heure actuelle, il ne protège pas de grand-chose.
#NOUVEAUCONTACT_, ton dernier album, vient de paraître sur les étals. Comment est née cette histoire délicieusement satyrique qui pointe les travers des réseaux sociaux et de la société du spectacle…
À force d'aller sur Facebook tous les matins pour alimenter ma page pro, et de voir les gens s’entre-tuer, s'insulter, se haïr, tous bien planqué derrière leur écran. Sur les réseaux, les gens ont le même comportement qu'en voiture : ils se croient à l'abri de leur pare-brise, et laissent leurs pulsions prendre le dessus.
Beaucoup de gens ont dit que Doug, mon personnage, était misanthrope. Je ne crois pas. Il est anthropophobe, peut-être. Mais les vrais misanthropes, ce sont ceux qui pensent que l'être humain doit vivre comme eux, avoir la même opinion, ou qu'il n'est bon qu'à être insulté.
Le pire, c'est de voir des gens éduqués, des instits, des profs, adhérer à cette interdiction de penser, à ce manichéisme ambiant, qui fait que les gens se mettent tous à réfléchir comme des piles électriques, avec un pôle + et un pôle -, deux faces : j'aime ou j'aime pas.
Même les causes les plus justes finissent en appel au lynchage, en effet de meute. C'est désespérant, parce que ça décrédibilise complètement les discours.
En plus, comme dans les autres médias, tout est mis en scène. Tout est scénarisé. Prenez le réchauffement climatique : lors de la dernière canicule, il s'est soldé par une course aux plus hautes températures. Chaque ouragan est présenté comme « le pire ouragan depuis 50 ans », chaque incendie comme « le pire incendie de tous les temps ». Entre deux, on va au cinoche pour voir « le meilleur film de l'année ».
Si les fake news sont un tel problème à l'heure actuelle, c'est peut-être avant tout parce que les vraies nouvelles sont elles-même présentées de façon racoleuse, quasi fictionnelle. Tout doit avoir le plus d'impact possible. Si on transforme la réalité en fiction, alors la fiction n'est plus identifiable.
Et si l'intelligence artificielle semble menaçante aujourd'hui, c'est avant tout parce que la connerie humaine atteint des sommets.
Quel(s) rapport(s) entretiens-tu avec lesdits réseaux sociaux ?
Le même qu'avec Internet au sens large. C'est une idée magnifique, qui est en train de devenir une énorme poubelle, de par ce que les gens font d'elle. La télé a eu droit au même sort. Et là, je n'accuse pas (seulement) les « hauts responsables ». Bien sûr, il y a des intérêts économique et politique. Mais nous sommes tous responsables de la manière dont nous utilisons ces outils. Parce que nous sommes tous créateurs de contenus. Et parce que c'est le verdict du public qui tranche. Le public a droit de vie ou de mort sur les contenus.
Du coup je ne passe pas une journée sans avoir envie de me déconnecter définitivement. Je l'aurais fait depuis belle lurette à titre personnel. Mais à titre professionnel, je suis bien obligé d'avouer qu'Internet est une fenêtre fantastique. Un lien direct avec mes lecteurs. Une possibilité de sortir du « format de l'édition », et de sortir un peu du « marché de l'édition », en offrant des dessins, sans aucune contrepartie. Il y a aussi le financement participatif, qui permet d'offrir au public la possibilité de sélectionner des projets, de faire vivre des initiatives qui n'auraient pas pu voir le jour par les voies « officielles ».
Pour un projet comme « Le Voyage d'Abel », par exemple, qui, avant de paraître à nouveau en mars 2020 dans la collection Grand Angle, à été édité à compte d'auteur, avec un tirage à 1000 exemplaire, Internet à été une opportunité fantastique, afin de le faire connaître aux libraires, et au public. Et de le rentabiliser, donc de le faire vivre.
J'essaie donc de me concentrer sur ces bons côtés. Mais c'est dur.
Parce que se retrouver tous les matins face aux pires catastrophes, et face à la bêtise humaine, c'est un coup à finir dépressif. À perdre toute envie d'aller de l'avant. Tout optimisme.
Pourquoi Lisa Sivan et vous aviez-vous opté pour un financement participatif pour le Voyage d’Abel ? Et pourquoi avoir choisi de passer par un éditeur « classique » plutôt que de poursuivre l’aventure de l’auto-édition pour sa réédition (qui m’a permis de découvrir cette histoire subtilement bouleversante) ?
Nous n'avons pas fait de financement participatif. Nous avons édité le bouquin nous-même, entièrement à nos frais. (ndlr : oups
)
Nous avions présenté le projet à plusieurs éditeurs, et aucun n'en avait voulu. Et pour la première fois de ma vie, j'ai eu envie de désobéir. De ne pas laisser les éditeurs décider. J'aimais l'histoire d'Isabelle, j'ai donc mis 5 ans à la dessiner, sur mes (rares) temps de pause. Ensuite on a trouvé un imprimeur, une chef de fabrication, Brigitte Bourgeas, qui nous a accompagné sur tout le processus. Nous avons opté pour un tirage limité à 1000 exemplaires, parce que nous n'avions ni l'argent pour faire plus ni l'espace de stockage pour accueillir des palettes entières de bouquins. Le but était de les stocker dans un grenier prêté par des amis et de les vendre sur les festivals, lors des dédicaces en librairies et sur Internet. Quitte à y passer 10 ans.
Mon libraire de quartier, Laurent, de la librairie Bulles de Salon Daguerre, a été le premier à jouer le jeu.
Puis Jérémie, de la librairie BDFlash Chartres, m'a invité pour le tome 3 des Brigades du Temps, et a acheté Le Voyage d'Abel. Le lendemain, l'album était dans ses coups de cœur. Un troisième libraire, Matthieu, de la librairie Lumière d'août à Rouen, a fait de même. Tous appartenaient au réseau CanalBD, d'autres libraires ont commencé à s'y intéresser, et de fil en aiguilles, ont soutenu l'album. Les sites spécialisés s'y sont intéressé à leur tour, et l'album a fini par être chroniqué partout, de BDGest à ActuaBD, en passant par Zoo et Sud-Ouest.
Isabelle a même décroché le BDGest Art du meilleur premier scénario.
Un lecteur est venu en renfort pour les envois postaux. Et de nombreux lecteurs ont commandé sur le site que j'avais conçu pour l'occasion, sans même feuilleter l'album.
Résultat, en six mois, les deux tiers du tirage étaient épuisés. On a du calmer un peu le jeu ensuite, faute de temps, mais en deux ans, c'était plié.
Par contre ça a été un travail de fou furieux, un plein temps, pour répondre aux commandes, emballer, transporter, et dédicacer.
Quand l'album a été épuisé, la question de la réédition s'est posée, du fait que les commandes continuaient. Et aussi parce que, de tous ms albums, c'est celui qui a eu les meilleurs retours des lecteurs, avec « Jamais ».
Mais repartir sur 1000 exemplaires à compte d'auteur, c'était rempiler pour un an de travail à plein temps. Et risquer de perdre la mise. Étant engagé sur d'autres projets, je ne pouvais plus assurer.
Mais pas question de laisser crever cette histoire.
Entre temps, j'avais rencontré Olivier Sulpice et Hervé Richez, de Bamboo et Grand Angle, signé trois albums chez eux, testé le sérieux et l'honnêteté de la boîte, et vu leur travail . Pour la première fois en 15 ans, j'avais confiance en mon éditeur. Et carte blanche en terme de création.
Quand Olivier m'a reparlé du Voyage d'Abel, la solution s'est présentée toute seule.
Et on a bien fait, l'album de Grand Angle est magnifique. Et il est à présent disponible dans toutes les librairies
Ce qui est d'autant plus frustrant, parce qu'il est sorti juste avant le confinement, et qu'il risque de passer à la trappe. C'est un coup dur. Après avoir dû porter le projet seul(e)s, on réussit enfin à le faire éditer, et tout se casse la gueule. Ça fait vraiment chier.
Le boulot d'Isabelle mérite mieux que ça.
Indéniablement… est un album absolument bouleversant dont nous recommandons chaudement la lecture!
Revenons-en à #NouveauContact : comment as-tu élaboré celles des principaux protagonistes de l’album ? Doug est-il passé par plusieurs stades avant de revêtir l’apparence que l’on sait ?
En général, je fais très peu de recherches. Quelques-unes pour le, ou les personnages principaux, et le reste vient au fil des pages. Pour cet album-là, j'ai poussé un peu plus, parce qu'il s'agit d'un grand trombinoscope, beaucoup de personnages apparaissent, parfois sur une seule case, avec un seul dialogue, et sans action, donc le seul intérêt graphique résidait dans les « tronches ». Chaque figurant devait avoir une gueule, un look, et dégager un sentiment de déjà-vu. Qu'on ait l'impression de l'avoir déjà croisé dans la rue. Ou au bistrot.
Dans ces cas-là, je m'inspire des crobards que je fais régulièrement, en sortant du métro, le matin, pour me chauffer les mains. Des alignements de trognes, qui sont un peu l'équivalent des gammes pour un pianiste, et qui me servent ensuite de boîte à outils.
Je cherche à trouver des visage qui dégagent une idée, une personnalité.
Le militaire, par exemple, qui dégage dès la première apparition cet ensemble de rigueur, de fatigue et de soucis. Il a la tête d'un mec qui a cessé de rire à 5 ans, et son premier dialogue, c'est : « J'ai l'air drôle ? ». Le type est planté d'entrée de jeu.
L’apparence de la créature s’est-elle imposée d’emblée ou différentes bestioles se sont-elles succédées avant l’heureuse élue ?
Au début, j'ai pensé à une créature impressionnante, type Godzilla, King Kong, ou autre Alien. Un truc qui fasse peur. Et puis en faisant les recherches, je me suis rendu compte, d'une part, que je suis incapable, graphiquement parlant, de faire du premier degré sur ce genre de chose, parce que je n'y crois pas, je trouve ça vite ridicule, et que, d'autre part, le défi de faire croire à cette créature serait plus amusant si visuellement, elle n'était pas crédible une seule seconde. Ça renforçait aussi l'analogie avec les fake news. Un monstre complètement ridicule apparaît, et ce sont les réactions des gens, et des médias, qui vont le rendre crédible.
Du coup j'ai repensé aux monstres de Miyazaki, ou de Franquin, et j'ai pondu cet espèce de truc, mi-méduse, mi-capote géante. Je lui ai collé des milliers de tentacules à la place des traditionnelles écailles, sachant que dans le scénario originel, la créature n'apparaissait qu'une fois en début d'album. La fin était beaucoup moins spectaculaire.
C'est en arrivant à la page 50 que je me suis dit « Quand même, c'est un peu con, tu as une histoire de monstre, alors pourquoi ne pas faire un vrai final à la King-Kong ? ». Du coup j'ai entièrement réécrit et redécoupé les 15 dernières pages, et là, j'ai regretté d'avoir mis des centaines de tentacules, parce qu'il a fallu les dessiner sur de nombreuses cases.
Et j'ai eu l'idée des drones, que j'aime beaucoup, parce que là, c'est du King-Kong pur jus, mais revisité, avec un discours différent, puisque ce sont les civils qui foutent le bordel.
Comment as-tu travaillé sur cet album ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de sa réalisation ?
La première étape est celle du scénario, écrit case par case, dialogue par dialogue, de bout en bout, avant d'être présenté à l'éditeur. Je déteste signer sur un simple projet. Une idée peut-être bonne au départ et ne déboucher que sur un scénario moyen à l'arrivée. J'ai pas mal souffert de ça en bossant avec des scénaristes. C'est dur de savoir si l'écriture sera à la hauteur de l'idée de départ.
J'ai besoin de savoir où je vais, d'une mécanique bien en place. Je ne suis pas là pour me surprendre moi, mais pour surprendre le lecteur.
Ensuite, il y a le découpage, qui, chez moi, tient plus du crayonné. Là encore, je fais tout l'album. Ce qui me permet de le faire lire au directeur de collection, et parfois à un lecteur (ou une lectrice) référent. Ce qui permet de débusquer les éventuel problèmes de lisibilité, de compréhension, d'affiner les dialogues, de les rendre le plus incisifs possible. C'est un étapes durant laquelle il ne faut pas hésiter à tailler dans le gras, à supprimer, à simplifier, pour avoir le résultat le plus « tendu » possible. C'est à cette étape que je fixe quasiment tous les éléments important, actions, dialogues, cadrages, points de vue, décors, visages, vis-à-vis, doubles-pages, etc...
Une fois le découpage terminé, il ne reste plus que le boulot d'enluminure, chiant au possible. Reprendre tout au crayon, encrer, gommer le crayon.
Exceptionnellement, sur #NouveauContact, la seconde moitié de l'album a été encré par informatique, sur une vieille tablette Wacom. Je me suis en effet rendu compte, vu le nombre de protagonistes, et les mouvements de foule, qu'il m'aurait fallu travailler sur des très grands formats pour pouvoir encrer tous les détails. Ce qui, dans un atelier de 4m2, pose un problème pratique.
Ensuite vient l'étape des couleurs, qui est à nouveau plus intéressante, parce qu'elle est à nouveau narrative. Les ambiances, les lumières, les dominantes, vont permettre de lier toutes les actions dans le temps, ou de ménager au contraire des chocs graphique, des ellipses, ou des transitions plus brutales. J'aime beaucoup la mise en couleur. La couleur est un élément de mise en scène, pas une simple colorisation.
Quelle étape te procures le plus de plaisir ?
L'écriture, et surtout le découpage. C'est là que je (me) raconte l'histoire. Je suis en totale immersion, au point de garder la sensation d'avoir « vécu » l'histoire, d'avoir partagé l'aventure. Comme lorsqu'on lit un bon bouquin. On en garde des souvenir très « réels ». Et puis c'est là que je fixe les dialogues, et j'adore bosser les dialogues.
Le découpage, c'est le moment où, parfois, les personnages vont me surprendre, se mettre à vivre par eux-même. Ils vont m' « imposer » un dialogue, une action, une idée à laquelle je n'avais pas pensé, mais qui coule de source. Qui devient une évidence, compte-tenu du caractère du personnage.
Serait-il possible, pour une planche donnée, de visualiser ces différentes étapes ?
Oui, excepté pour l'étape du crayonné définitif, qui disparaît à l'encrage, et dont je ne conserve quasiment jamais la trace : scanner tout l'album avant de l'encrer prendrait trop de temps.
(En pièces jointes)
Dans quel environnement sonore travailles tu généralement ? Silence monacale ? Radio ? Musique de circonstance ?
Tout dépend de l'étape. Lors de l'écriture, le silence, ou alors une musique classique, sans parole, pour ne pas parasiter le cerveau. Et pas trop « flamboyante », pour éviter de se prendre au sérieux, ou d'avoir l'impression d'écrire le prochain prix Nobel.
Idem au moment du découpage, je suis trop dans le « langage » pour pouvoir écouter des mots. J'ai plus besoin d'une sorte de ragga, à l'indienne, une basse continue, une musique carnatique. Pour me mettre dans une légère « transe ».
Au moment du dessin et de l'encrage, par contre, j'alterne entre le silence, la radio (France Culture principalement), tout type de musique (de Vivaldi à Pergolese, en passant par Bashung ou Eminem), et des livres audios, qui me permettent de rattraper mon retard, et de « lire » les classiques. Je peux parfaitement suivre une conversation ou une histoire en dessinant. C'est même plutôt agréable, en terme de concentration.
Et puis comme disait ma grand-mère, « ça me fait une présence ».
Peux-tu nous dire quelques mots sur tes projets présents et à venir ?
En ce moment, je suis confiné, comme tout le monde, mais j'ai de la chance : je dessine les grands espaces. Je réalise un western contemporain, un faux western, donc, mais avec une partie de western pur jus. L'histoire est plus une réflexion amusée sur l'univers du western, et sur l'Amérique actuelle. Une sorte de ré-appropriation du mythe, sur fond de randonnée touristique, qui se finit en chasse à l'homme. C'est un boulot énorme, un album de 74 pages, très riche en décors (et en nombre de cases), avec un ton qui passe du contemplatif à l'action pure. Un western psychologique sur fond de road-trip qui dégénère, au détour de 3 grands parcs nationaux : Monument Valley, Grand Canyon et Death Valley.
Comment vis-tu le confinement dû à cette cochonnerie de virus qui sévit de par le monde ?
Comme tout le monde, je pense : je suis partagé entre sidération, sensation de vivre une période complètement irrationnelle et surréaliste, peur du lendemain, de l'avenir plus lointain, mais avec l'envie furieuse de sortir et de vivre. Ajoutons à ça un sacré manque de photosynthèse, et un besoin viscéral de présence animale : ma compagne et moi sommes enfermés dans un petit appartement, à Paris, sans jardin... Je ne peux même plus me rendre à mon atelier, ni accéder à mon scanner ou à ma table lumineuse. J'ai donc été obligé de changer de méthode de travail, faute de pouvoir utiliser mon matériel habituel, et donc d'opter pour un encrage 100% numérique. Coup de chance, j'avais entièrement crayonné l'album avant le confinement, et scanné le crayonné, ce qui m'a évité le chômage technique, qui, pour le coup, m'aurait rendu complètement fou.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Je suis déjà confiné, si je commence à m'entretenir avec moi-même, je suis bon pour la camisole.
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
un personnage de BD: On va faire un portrait spécial confinement... En ce moment, Corto Maltese.
un personnage mythologique: Ulysse.
un personnage de roman: Robinson Crusoé.
une chanson: On the road again.
un instrument de musique: Le vent.
un jeu de société: La méditation.
une découverte scientifique : Un vaccin.
une recette culinaire: Un rouleau de printemps à la campagne.
une pâtisserie: Une corne de Gazelle dans le désert.
une ville: Bodie, une ville fantôme du far west californien. Ou Rhyolite, au Nevada. Une ville sans flic, sans voiture et sans voisin.
une qualité : La patience...
un défaut: La colère.
un monument: La connerie humaine.
une boisson: Le café.
un proverbe : En mai, fais ce qu'il te plaît.
Un dernier mot pour la postérité ?
Vers l'Infini, et au delà.
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Merci à toi.
On rappelle qu’on peut trouver l’excellent #NOUVEAUCONTACT_ et aussi l’intimiste et bouleversant Voyage d’Abel dans toutes les bonnes crémeries