Chapitre 20 : Alexandro Jodorowsky
30 ans d’édition, par Sébastien Gnaedig
Juin 1999. Nous sommes avec Jodorowsky à la Cité des sciences de La Villette pour le lance-ment de sa nouvelle série, «Megalex», avec au dessin (enfin l’hallucinante 3D), Fred Beltran. Fabrice Giger, le directeur, profite de ce moment pour lui annoncer son départ pour les États-Unis afin de développer le business autour d’internet et ma nomination en tant que directeur général. Je ne suis pas proche de Jodo : Bruno Lecigne est son éditeur en titre depuis long-temps et Fabrice s’occupe du reste. Bien entendu, en tant que directeur éditorial, je gère les plannings, la fabrication et nous avons travaillé ensemble. J’ai même l’été précédent, en l’absence de Bruno et Fabrice, été chez Mœbius pour lui refuser la couverture du 3e tome du «Cœur couronné»… En réalité Mœbius avait repris un dessin de l’intérieur sans intérêt et je l’ai convaincu de faire un portrait pour faire écho aux deux couvertures précédentes, ce qu’il a fini par faire (c’est toujours pas sa meilleure couverture
.
La carrière de Jodorowsky connait un second souffle. Après le succès de «La caste des Méta-Barons» avec le regretté Juan Gimenez, Les Humanos ont lancé «Juan Solo» (avec Bess), «Les Technopères» (avec Janjetov et Beltran), «Après l’Incal» avec Mœbius et les couleurs de l’indispensable Beltran, et il vient de signer «Bouncer» avec Boucq. «Megalex», qui sort ce jour-là, est un projet ancien, «La guerre de Megamex» qu’Otomo devait dessiner ! Je me sou-viens de son passage au bureau au début des années 90 avec toute une délégation.
Quand Giger annonce que je lui succède, Jodorowsky se tourne alors vers moi et plante ses yeux dans les miens. Il me dit alors avec son accent chilien qu’il a toujours (cela dit, s’il écrit en espagnol, je l’ai vu corriger une virgule dans une traduction française) : «Ma, Sébastien, on ne se connait pas bien. Yé serai dans ton bureau demain à 10 heures pour faire connaissance !».
Le lendemain à 10 heures il est en face de moi. Je lui dis très simplement : «Alexandro, tu es certainement l’auteur le plus important des Humanos, nous avons beaucoup de projets en-semble, je suis là pour m’occuper de toi». Alexandro me regarde et me dit : «Sébastien, j’entame ma décennie la plou créatrice, nous allons faire de belles choses ensemble !». Il vient d’avoir 70 ans.
Quelque temps plus tard, Lors d’un diner anniversaire avec l’ensemble de «ses» dessinateurs, il me tirera les cartes. Sa capacité à saisir le caractère des gens sur la base de quelques réponses simples était assez impressionnante. Je crois qu’à 91 ans maintenant, Alexandro est resté tou-jours aussi vif… Un personnage !
par Sébastien Gnaedig