Je quitte les Humanos pour les éditions Dupuis. Après le décès de Philippe Vandooren, le directeur éditorial, son adjoint, Claude Gendrot, le remplace. Il faut donc quelqu’un pour reprendre les collections «ado-adultes» de Dupuis qu’il gérait : Aire Libre et Repérages, et développer ce secteur que les éditions souhaitent investir.
Arriver chez Dupuis a forcément un goût d’enfance. Franquin, Morris, Peyo, Jijé mais aussi «Gil Jourdan», «Les tuniques bleues», «Buck Danny» (si…) ont été mes compagnons quotidiens.
Et puis, à la fin de années 70, j’ai découvert dans Spirou une nouvelle génération, qui alors révolutionne en douceur le journal. Je dis en douceur, même si les hauts de pages de Yann & Conrad ont fait grincer les dents de bien des auteurs ; mais Hislaire, Le Gall, Frank, Dodier, Makyo et les autres, qui arrivent juste après Wasterlain, proposent des séries qui renouvellent le journal dans leurs thématiques mais ne sont pas en opposition avec leurs glorieux ainés. Ce que la génération suivante ne fera pas forcément avec eux.
«Bidouille et Violette», «Broussaille», «JKJ Bloche», «Théodore Poussin», «Docteur Poche», deviennent mes séries de prédilection et me font passer sensiblement vers des bandes dessinées plus adultes.
Je découvre que le Marcinelle de mon enfance est en fait la banlieue de Charleroi et qu’elle n’a rien d’exotique ! Mais, en reprenant la collection Repérages, je deviens l’éditeur de certains de ces auteurs qui m’ont fait rêver; justement, Frank reprend «Broussaille» qu’il avait un temps délaissé pour «Zoo». Ce sera «Un faune sur l’épaule». «Les baleines publiques», première bd écolo que j’ai découverte, reste un incontournable.
Alain Dodier continue de manière métronomique à animer son personnage-double, «Jérôme K. Jérôme Bloche». Avec cette série, on a l’impression de retrouver un vieux copain qu’on aurait quitté quelques mois plus tôt. Sans esbrouffe, les histoires sont fluides, et le dessin est d’une lisibilité et d’une précision impressionnante. Dodier m’initiera à sa technique du repérage photo !
Je retrouve avec plaisir Frank Le Gall, croisé chez Delcourt le temps d’un ouvrage pour devenir l’éditeur de « Théodore Poussin», cette série au ton très littéraire qui me fascine depuis le tome 1. Frank, cependant, commence ce qui devait être son premier récit dans la collection Aire libre, «Mary Jane». Nous ne savons pas à ce moment-là que cette histoire paraîtra 20 ans plus tard chez Futuropolis avec Damien Cuvillier au dessin ! Les méandres de la création !
par Sébastien Gnaedig