La vie d’Hermann est réglée comme une horloge. Chaque jour (ou presque) il est à sa table de dessin. Je pense qu’il mourra en dessinant, comme Tardi. Devenir éditeur d’Hermann c’est aussi se replonger dans mes jeunes années passées à lire «Comanche», «Les tours du Bois-Maury» ou «Jeremiah». Il réalise alors deux livres par an. En 4 ans, je publierai 4 nouveaux tomes de «Jeremiah» et un Aire Libre !
8 pages par mois, qu’il accroche à des pinces à linge sur un fil en face de son bureau, que je viens chercher à la fin du mois. J’habite près de chez lui. Le planning d’Hermann est réglé lui aussi. Une fois les pages finies, il consacre une semaine à faire la couverture, celle de la version luxe, des dessins pour de nouvelles éditions et des commandes de collectionneurs. Puis, il s’attelle à l’écriture du suivant (s’il le réalise lui-même). Au bout d’une semaine, générale-ment, il commence à le dessiner ! Yves H., son fils, est le seul scénariste avec qui il travaille désormais ; car, au-delà de la complicité familiale, Yves connait le fonctionnement de son père et s’y adapte : il lui écrit un scénario très précis où tout est noté : car Hermann lit le scénario au fur et à mesure de son avancée, page après page, pour garder la surprise. Cela oblige son fils à tout anticiper, un exercice complexe ! La page en cours est faite case après case, à même le bloc de feuilles aquarelle A3. Éventuellement, il a un petit storyboard de la taille d’un timbre poste parfois, mais on sent qu’il maitrise tous les codes du récit. Sébastien Goethals m’a mon-tré récemment les anachronismes qu’il avait placé dans le dernier «Comanche», dont un tou-riste japonais, avec l’absolue certitude qu’en le calant hors du champ de l’action, personne ne le verrait (son scénariste compris). Et pourtant, un fois qu’on le sait on ne voit que lui…
Je ne lui ai fait que deux remarques, l’une sur une transition peu claire où il rajouta un texte, l’autre en lui signalant une case de transition où la voiture qui sort du garage est vraiment ra-tée. Il en a convenu et m’a dit : «je ferai mieux la prochaine fois!». Il savait que le lecteur ne s’attarderait qu’un quart de seconde sur cette case muette !
Un jour, avant les vacances de noël, je lui commande une couverture de «Jeremiah», Strike, pour une réédition. Nous sommes dans la semaine où il les fait ! Je la récupèrerai après les va-cances. Le 25 décembre au matin, alors que je suis avec ma famille en train de déballer les ca-deaux, on sonne à la porte. C’est Hermann qui m’apporte la couverture. «Je l’ai fini hier alors je suis venu te la déposer ! Euh… joyeux noël !». Bon, hélas, ce n’était pas un cadeau !
par Sébastien Gnaedig