Chapitre 26 : Jean-Pierre Gibrat
30 ans d’édition, par Sébastien Gnaedig
J’ai découvert Gibrat avec Goudard (et sa parisienne !), chronique d’adolescence tendre et drôle, écrite par Jacky Berroyer. Je le perds un peu de vue jusqu’au «Sursis» qui le révèle sur le tard au grand public avec un récit personnel.
Quand j’arrive chez Dupuis, il travaille sur une «suite», «Le vol du corbeau». À ma grande surprise je découvre un auteur qui doute beaucoup. Pourtant, à la maitrise du dessin, incontes-table, j’apprécie surtout son écriture, précise et très imagée, qui donne vie à ses personnages. Jean-Pierre a un lien très fort avec Claude Gendrot et, de fait, nous sommes deux éditeurs à le suivre. Car, situation inédite, je reprends le suivi d’auteurs qui ont travaillé de longues années avec lui et Claude n’est pas parti ! Pour ma part, cela ne me gène pas, bien au contraire… Nous avons depuis inversé les rôles chez Futuropolis avec la même facilité.
Je me souviens de la première fois où Gibrat est venu nous apporter des pages. Nous les regardons devant lui tous les deux et je le sens en train de nous surveiller, guettant nos réactions ! Au moindre doute ou réflexion de notre part, il regarde alors sa page et la met de côté. Il repart avec, pour la retoucher, parfois pour une broutille.
Jean-Pierre rejoindra Futuropolis avec Claude pour son grand œuvre, «Matteo». Avec le temps, et malgré le succès, Jean-Pierre continue de reprendre sans cesse son travail pour l’améliorer… Claude a un rôle essentiel dans cet échange permanent (miracle de la technique, Gibrat aime envoyer ses derniers textes par texto quand il ne les lui lis pas au téléphone). Je me souviens d’un bouclage d’un «Matteo» un peu tendu dans les délais… où Jean-Pierre, venant livrer ses dernières pages, était venu avec son matériel «au cas où». Il est resté deux jours en-tiers dans mon bureau à faire des dernières retouches, reprenant même certaines pages déjà scannées à la vue des épreuves. Avec son pinceau «un poil», je l’ai vu remettre un éclat de bleu dans l’œil d’Amélie pour le rendre plus profond.
Le doute me semble la marque des «grands»… ceux qui, malgré les années, continuent de se poser des questions sur leur art et continuent de chercher à s’améliorer. Jean-Pierre Gibrat est à ce titre un «très» grand !
par Sébastien Gnaedig