Chapitre 27 : Le Photographe
30 ans d’édition, par Sébastien Gnaedig
C’est avec «Les olives noires», série qu’il réalise avec son complice Joann Sfar, que je commence à tra-vailler avec Emmanuel Guibert. Elle met en scène un petit garçon de 10 ans, Gamaliel, à Jérusalem à la période du Christ. C’est l’une des séries les plus réalistes de Joann et le tandem qu’il forme avec Emma-nuel fait merveille. 3 tomes paraîtront à la suite, avant que l’aventure du Photographe n’accapare Emma-nuel. J’aimerai bien qu’ils reprennent cette série un jour…
Emmanuel nous présente «Le photographe» (à Claude Gendrot et moi) à sa manière : il lit l’intégralité du premier volume à haute voix, en prenant toutes les intonations des différents protagonistes. Nous sommes sous le charme. C’est le récit d’une mission clandestine de MSF en Afghanistan, dirigée par une femme hors du commun, Juliette, qui vient en aide aux populations civiles. Didier Lefèvre est photographe et il part avec eux pour témoigner des conditions difficiles de ces missions. Si l’histoire est une évidence, sa mise en forme va s’avérer plus complexe.
Car Emmanuel souhaite intégrer au récit les pho-tos de Didier et surtout ses planches-contact pour raconter ce qui se passe au moment de la prise de vue, ce qui déclenche la photo ou ce qui se passe quand Didier n’a pu photographier. Sa crainte de voir son dessin concurrencer les photos le pousse dans un premier temps à envisager un dessin «patate» qu’il abandonnera rapidement ! Frédéric Lemercier va jouer un rôle essentiel de préparation et de montage des différents éléments avant de mettre en couleur les dessins d’Emmanuel. Et pourtant, cette complexité s’évanouit à la lecture finale de ce récit d’une fluidité remarquable. Le livre est un succès immédiat et devient un clas-sique instantané. Le montage des dessins et des photos ne pose un souci à personne tant l’évidence est là.
Ce livre est une expérience inoubliable dans la rencontre avec un homme remarquable, Didier Lefevre (ainsi que toute l’équipe des médecins de MSF, Juliette en tête). Emmanuel a su le faire vivre magnifi-quement dans ce livre.
Nous fêterons ensemble en janvier 2007 leur Essentiel à Angoulême que Didier était venu chercher et qu’il avait tenu à partager avec nous après notre départ chez Futuropolis. Le lendemain nous apprenions sa mort, brutale, à 49 ans… Didier me manque. J’ai dans mon bureau une photo du Photographe représentant deux enfants, un petit garçon qui regarde l’objectif sous l’œil de sa sœur. Didier raconte qu’après cette photo, ce petit garçon meurt. Dans les moments difficiles, je regarde cette photo pour relativiser mes con-trariétés…
par Sébastien Gnaedig