Chapitre 32 : Blutch
30 ans d’édition, par Sébastien Gnaedig


Je rencontre Blutch grâce à Philippe Dupuy avec qui il partage alors un atelier. J’aime son tra-vail depuis son premier livre, «Waldo’s bar», et c’est aux Humanos que nous évoquons l’idée d’une collaboration. Son envie d’alors est de faire une série «comme Monsieur Jean», mais à sa manière, sur un quotidien légèrement décalé… Mon passage chez Dupuis transformera cette idée de série en récit unique : «Vitesse moderne». Je considère ce livre comme un de ses meil-leurs. La scène d’ouverture, où un Merce Cunningham vieillissant danse à côté de Lola, est l’une des scènes les plus bouleversantes que j’ai édité. Cette capacité à dessiner les corps est magique. Je me souviens aussi que la scène d’Omar Sharif dans le métro avait choqué le vieux correcteur de Dupuis… Le choc des cultures ! Blutch souhaite le faire en couleur et fera plu-sieurs essais avant de confier celle-ci à Ruby.

Pas de scénario à proprement parler avec lui. Des notes, des bouts de phrases, de dessins, citations éparses remplissent des feuilles de carnet et seront son guide tout au long de sa réalisation. À ce stade, on échange sur la mise en forme du récit. À une de mes questions, Blutch peut alors rester un long moment sans rien dire, pour essayer de formuler le plus claire-ment sa réponse. C’est avec le découpage que l’histoire va trouver son rythme.
Blutch sera parmi les premiers à me suivre chez Futuropolis dont il inaugurera, avec «C’était le bonheur», la relance en 2005. Un livre inabouti, mais où il aura cherché de nouvelles formes de narration. Il poursuivra cette recherche plus loin encore avec «La beauté». Après ce livre, alors qu’il en prend le contrepied avec une histoire en noir et blanc sous forme de strips très travail-lés, Blutch connaît un passage à vide. J’ai connu plusieurs fois ce moment où un auteur bloque sur un projet au point de ne plus pouvoir avancer. Il n’y a rien de pire et, honnêtement, en tant qu’éditeur on est souvent impuissant… surtout quand cette panne créative dure long-temps.

S’obstiner, recommencer au début, changer de projet ? Ce n’est pas si simple… C’est dans une proposition qu’il juge sans pression qu’il va trouver sa porte de sortie : une histoire courte sur le cinéma pour Pilote qui renaît de ses cendres le temps d’un numéro annuel. Malheureusement pour moi, ce sera une sortie sans retour et cela donnera finalement «Pour en finir avec le cinéma», où il me demandera d’ailleurs d’y inclure les pages du projet abandonné…
La création n’est pas un long fleuve tranquille…
par Sébastien Gnaedig