Chapitre 39 : David Prudhomme
Prendre un projet, c’est un pari. Pour se décider, un éditeur doit se projeter dans l’œuvre à venir avec, comme indices, une note d’intention, un synopsis, quelques planches et parfois un découpage plus avancé (voire le scénario mais ce n’est plus forcément le cas).
Bien sur, cette décision se conclue souvent à la suite des discussions avec l’auteur.
Avec David Prudhomme, il faut accepter que le projet final ne ressemblera pas à ce qu’il a présenté initialement tant il modifie, retouche, reprend son travail tout au long de sa réalisation, changeant de forme, parfois de style, de rythme au gré de ses réflexions. Les premières pages présentées sont rarement gardées au final.
La première fois que je vais chez lui voir les pages de «La marie en plastique» qu’il réalise avec Pascal Rabaté, David prend une boite à chaussures dans laquelle sont rangées les cases de ses premières planches. Il les dispose alors par terre pour former un montage de celles-ci. Après que je les ai lues, il modifie alors l’ordre des cases pour m’en proposer une autre version !
Alors qu’il est à la moitié de «Rébétiko», il me signale qu’avec le rythme en 3 bandes, son récit s’étire plus qu’il ne le devrait et qu’il ne finira jamais dans le nombre de pages prévu. Pendant plusieurs semaines, il va alors remonter 45 pages en 4 bandes ; un long travail car les pages ainsi remontées ne sont plus homothétiques et il faut alors compléter ou couper les cases existantes…
Cette réflexion sur le montage, il la poussera jusqu’à l’extrême en me proposant, le jour de l’envoi imprimeur de «La traversée du Louvre», d’intervertir des séquences !
Cette volonté d’être le plus juste possible s’applique à tous les compartiments de la création. Ce dessinateur virtuose aime alterner réalisme et gros nez avec le même souci de l’observation des gens pour éviter tout maniérisme. Cela peut le conduire aussi à vouloir changer le style de son récit en court de route…
Enfin, il aime jouer avec les codes de la bande dessinée, en expérimenter ses limites, comme il le fera avec le récit de son camarade Jef Hautot dans «Mort & vif».
Avec «Vive la marée», il va pousser plus loin la collaboration graphique avec la complicité de Pascal Rabaté qui n’est pas le dernier à vouloir expérimenter. Écrire et dessiner un récit à 4 mains, ce n’est pas nouveau, j’ai même travaillé avec plusieurs tandems. Mais ici chaque auteur suit des personnages de l’histoire en gardant son style personnel tout en donnant à l’ensemble un tout cohérent. C’est en travaillant face à face, en se passant les planches, que le récit prendra toute sa dimension !
Actuellement, il prépare un récit important sur son enfance, intitulé sobrement «La base». J’avoue ne pas encore être très sûr de la forme finale qu’il prendra :)
par Sébastien Gnaedig