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Entretien avec Sébastien Viozat
interview accordée aux SdI en octobre 2020


Bonjour et merci de te prêter au petit jeu de l’entretien…

Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

Je m’appelle Sébastien Viozat – aka El Dudo – scénariste de BD, 47 ans. J’ai suivi un parcours pro dans l’informatique (je travaille toujours en agence, d’ailleurs). Mes passions sont très geeks, entre BD, jeux vidéo et cinoche. Pour les comptes offshore, je contacte mon banquier et je reviens vers vous bientôt. 😊

Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?
Oui clairement. Le premier livre que j’ai acheté avec mon argent de poche était un album des Tuniques Bleues. Je lisais également beaucoup de Conan et autres BD US « qui font peur » comme « Il est minuit l’heure des sorcières » ou « la maison du mystère ». Les bouquins de King, puis de Lovecraft, n’étaient pas loin non plus.

A quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité ta vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
J’ai un passé de rôliste, depuis mes 10 ans, avec beaucoup d’écriture de scénarios. J’imagine que ça a créé un terrain fertile pour la BD. Mais c’est une visite à la Fondation Miro de Barcelone qui créé le déclic, la soif immense de créer. Faisant l’état des lieux de mes compétences artistiques et de mes envies, la question est vite réglée : ce sera la bande dessinée. C’était en 2001. Ma première BD sort en 2006… 6 ans pour apprendre l’écriture BD et sortir un bouquin, je m’en sors plutôt bien. 😊

Le Cercle de Providence, recherche de personnage : les ados © Anne-Catherine Ott / Sébastien ViozatComment es-tu tombé dans la marmite du JdR ? Quels étaient tes jeux de prédilection ?
Je passais beaucoup de temps avec deux de mes cousins passionnés de jeux. Ils m’ont fait découvrir Méga (JdR du magazine « Jeux & Stratégie »), puis D&D et enfin l’Appel de Cthulhu. Ces 2 derniers sont encore aujourd’hui mes JdR de prédilection. Je rajoute Hawkmoon en prime. 😊

Quels sont tes meilleurs et tes pires souvenirs de JdR ?
Mon meilleur souvenir reste ces parties bien flippantes de l’Appel de Cthulhu, que j’étais le seul à « masteuriser » dans mon groupe. On jouait dans le noir avec des bougies et la musique de Prince des Ténèbres de Carpenter en fond. Je me faisais un malin plaisir à travailler mes « jump scares ». 😊

Mon pire souvenir est une partie de Cthulhu lors d’un tournoi où j’étais joueur. Le MdJ n’en avait strictement rien à faire de la partie : chaque fois qu’on prenait trop de temps à réfléchir, il allait draguer la fille au bar, puis revenait en soupirant. Une vraie purge cette partie !

Ecrit-on des scénarios de BD comme on écrit des scénarios de Jeu de Rôle ?
Non pas du tout. Un scénario de JdR est composé d’un decorum très travaillé et d’une trame d’histoire. Les héros peuvent en sortir aisément. Un scénario de BD a une histoire fixe, des dialogues et une mise en scène. Quelque chose de beaucoup plus borné. Reste l’inspiration qui peut naitre d’une manière identique. Et le goût de l’écriture créative. C’est tout.

Sans indiscrétion, pourquoi El Dudo ?
En 2001 et après, je surfais beaucoup sur les forums d’auteurices, comme le Café Salé. J’avais besoin d’un pseudo, car mon patron de l’époque me « googlisait » régulièrement (enfin, me « altavistait » à l’époque) pour voir si je ne faisais pas autre chose pendant mes journées de boulot. J’ai donc pris « El Dudo », en référence à « The Big Lebowski ».
Le Cercle de Providence, l'atelier d'Atonia © Anne-Catherine Ott / Sébastien Viozat
Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Ecrire et co-construire un livre, puis tenir ce bouquin entre ses mains un an après, ça n’a pas de prix. Parfois je rame dans l’écriture et ça pique un peu, mais in fine c’est toujours du bonheur en barre. J’aurais bien aimé réduire mon temps de travail en agence (style un mi-temps) pour écrire plus. Mais vivre de la BD quand on est un auteur à mon petit niveau est injouable. Frustrant… C’est la vie.

Le Cercle de Providence, recherche de personnage : les adultes © Anne-Catherine Ott / Sébastien ViozatLe Cercle de Providence vient de paraître sur les étals… Quand donc as-tu rencontré l’œuvre tentaculaire et dérangeante de H.P. Lovecraft ? Qu’est ce qui t’a séduit dans les récits horrifiques du Maître de Providence ?
J’ai découvert Lovecraft via le jeu de rôle L’Appel de Cthulhu. Ca a été le coup de foudre immédiat. Je me suis rué sur les bouquins. J’avoue m’être un peu forcé à les lire, car le style de Lovecraft n’est pas franchement fluide pour un ado. Mais cette façon de suggérer l’horreur, l’indicible, l’invisible… je n’avais jamais lu ça ailleurs. Je suis devenu fan très rapidement, passant des heures à écrire des scénarios de l’AdC.

As-tu gardé des traces de tes créations rôlistiques ?
Oh oui, la plupart de mes scénarios doivent être remisés chez mes parents dans un carton au grenier. Mais à part un ou deux scénarios particulièrement chiadés, la plupart n’était pas top du tout. Ce n’est pas une grande perte. 😊

Quel nouvelle ou roman conseillerais-tu à un lecteur désireux de découvrir le mythe de Cthulhu ?
L’Appel de Cthulhu est un bon début. C’est court, très vite lu, et ça permet de voir si on pulsionne ou pas. Dans la foulée, L’Affaire Charles Dexter Ward, incontournable. Puis La Couleur tombée du Ciel et Les Montagnes Hallucinées. smiley

Le Cercle de Providence, page 1 du dosier © Anne-Catherine Ott / Sébastien ViozatUn bon programme plein de tentacules smiley
Comment définirais-tu l’horreur lovecraftienne ?

Une terreur sourde, lente, impalpable et suggérée. Quelque chose qui ronge la raison petit à petit. Et le panthéon de divinités infernales et de minions dégueux le plus merveilleux que je connaisse.

Peux-tu en quelques mots nous présenter la nouvelle série que tu signes avec Anne-Catherine Ott au dessin et Gabriel Amalric aux couleurs… D’ailleurs, comment vous êtes-vous rencontré ?
Anne-Catherine et moi nous connaissons de l’époque Ankama, quand je bossais sur Tortuga et elle sur Havre, avec Isabelle Bauthian au scénario. Nous avons tenté il y a quelques années un projet Lovecraft tous les deux, mais ça n’a pas marché. Par contre, notre collaboration a été riche et passionnante : on savait qu’on travaillerait un jour sur un « truc de Cthulhu ». Gabriel est arrivé après, recruté par Anne-Catherine en direct.

Le Cercle de Providence raconte l’histoire d’un groupe de 3 lycéens qui enquête sur la renaissance d’un culte oublié à Providence, et qui cherche à éviter l’apocalypse cthulhienne. On joue beaucoup sur les rapports entre les héros, leur lien avec leur vie réelle, et sur les codes classiques de Lovecraft. Ce premier bouquin est (très) librement inspiré de l’Appel de Cthulhu. Bonne lecture ! 😊

Transposer la mécanique des récits horrifiques de Lovecraft presqu’un siècle après l’époque à laquelle ils sont censés de dérouler a-t-il été chose facile ?
Oui ce n’est pas très compliqué, surtout si on évite les enquêtes policières et qu’on reste bien sur l’aventure d’un ou plusieurs « détective(s) amateur(s) ». Une seule complexité : la technologie online. Aujourd’hui on trouve tout sur Internet et on communique vite avec nos téléphones, là où il fallait rester des heures à la bibliothèque ou attendre patiemment le facteur. Et puis c’est bizarre ce monde moderne où personne ne connait Lovecraft… comme celui de Walking Dead où Romero n’existe pas.

Comment as-tu élaboré les principaux personnages de l’album ? Ta pratique du JdR influence-t-elle la façon dont tu construis tes personnages ?
Nope pas vraiment, ce n’est pas la même chose. La psychologie et le vécu des perso de BD sont bien plus profonds et développés que dans un JdR, qui va plus se concentrer sur les compétences et les attributs. La psychologie est souvent développée in vivo par le joueur au fil des parties.
Pour les persos de l’album, j’ai juste recasté ceux de la nouvelle, et ajouté Howard. 😊

Le Cercle de Providence, page test © Anne-Catherine Ott / Sébastien ViozatQuel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
Le duo Francis / Howard, que j’ai traité comme un duo de « buddy movie ». Leurs dialogues étaient truculents à écrire.

Concrètement, comment s’est organisé votre travail à six mains sur l’album ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de sa réalisation ?
Oh comme d’habitude. Découpage, puis story-board, puis encrage, puis couleurs. La seule différence – fortement appréciable – c’est qu’Anne-Catherine ne voulait pas de découpage case à case, mais page à page, pour avoir plus de liberté dans la mise en page. Et quand on voit la qualité du résultat, c’était une très bonne idée ! 😊

En combien d’album est prévu Le Cercle de Providence ?
Aucune idée. On espère au minimum trois. Chaque album se termine, donc on n’a pas trop de soucis avec la quantité.

As-tu d’autres projets sur le grill ?
Oui plein, mais chuuuuut 😊

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
La Bombe en BD et Cobra Kaï en série

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Tu as déjà posé beaucoup trop de questions 😊 😊

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Le Cercle de Providence, Francis © Anne-Catherine Ott / Sébastien ViozatSi tu étais…

un personnage de BD: Le Méta-baron
un personnage mythologique: Bacchus
un personnage de roman: Le baron Arkonnen
une chanson: « Sad but true » de Metallica
un instrument de musique: Une bombarde
un jeu de société: Dominion
une découverte scientifique: le fil à couper le beurre
une recette culinaire: une pizza 4 fromages
une pâtisserie: un truc avec plein de chocolat
une ville: Saint-Etienne
une qualité: la paresse
un défaut: la gourmandise
un monument: la tour de Pise
une boisson: une bonne bière belge
un proverbe: ne remets jamais à demain ce que tu peux faire après demain

Un dernier mot pour la postérité ?
Ftaghn !

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Le Korrigan