Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…
Bonjour,
Non, je ne suis pas du tout opposé au tutoiement. Bien au contraire.
Merci, je me permets de subtilement transformer les questions…
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)
Quand j'étais petit, je rêvais de devenir footballeur professionnel. J'étais d'ailleurs fier que mes initiales (mon 2ème prénom est Paul) soit celles d'un de mes joueurs préférés : Jean-Pierre Papin !
Puis, mes rêves se sont tournés vers plus de conviction (ouf !) et mon parcours m'a emmené vers une formation d'animateur-médiateur.
C'est ainsi que j'ai travaillé comme animateur jeunesse (pré-ados, ados, jeunes adultes) pendant une quinzaine d'années. Pendant ces années, j'ai beaucoup utilisé le jeu comme outil de médiation sociale, comme lieu de vivre ensemble par excellence. Le jeu est pour tous en général et pour les ados en particulier l'occasion d'expérimenter des postures sociales différentes de celles que l'on prend d'habitude (rôle de leader, d'aidant, de « souffre douleur », etc). Quand on joue, les cartes sont rebattues (c'est le cas de le dire) et de nouvelles compétences, de nouveaux rapports de force ou de nouvelles complémentarités se dévoilent.
Puis vers 35 ans, j'ai senti que je commençais à être usé de mon métier d'animateur, que j'étais un peu moins bon, que j'y croyais moins. Dans le même temps, la passion de la création de jeux prenait de plus en plus de place. J'ai donc décidé de me donner à fond dans cette passion et j'ai arrêté mon travail d'animateur.
Aujourd'hui, 5 ans plus tard, je suis devenu ludicaire et auteur de jeux.
Ah oui, je dois dire aussi que je vis avec une femme formidablement complexe et pertinente et les 3 enfants les plus sympas de l'univers.
J'ai 40 ans et je dirais que mes qualités sont tournées autour de l'intégrité et de la justice. Si j'en crois mes proches. Rien que ça !
Peux-tu en quelques mots nous parler de ton métier de ludicaire ?
Ludicaire est un métier passionnant. C'est comme un libraire mais pour le jeu. Nous sommes des conseillers, des initiateurs, nous cherchons à trouver le jeu qui correspond à la demande ou au profil des joueurs. A priori, comme pour le livre, il y a chaussure pour n'importe quel pied. D'autant que les propositions ludiques sont de plus en plus nombreuses et surtout de plus en plus variées. Mais contrairement au livre, l'activité n'est pas solitaire, elle fait même « société » alors il faut enquêter également sur les autres personnes qui sont susceptibles de jouer avec. Pas toujours facile mais tellement gratifiant quand on voit revenir un client tout sourire qui nous explique le beau temps de jeu qu'il a passé.
Je suis ludicaire depuis un peu plus de 3 ans chez Spoutlink à Romans sur Isère (26) et c'est vraiment très complémentaire à mon activité d'auteur de jeux. Je me tiens à peu près à jour sur les sorties, les tendances, je découvre la diversité des publics intéressés par le jeu, je perçois les communications des éditeurs et distributeurs, etc.
Tout un tas de choses qui me donne du grain à moudre lorsqu'il s'agit de présenter un jeu à des éditeurs potentiellement intéressés.
Enfant, quel joueur étais-tu et quels étaient alors tes jeux de chevet et quels sont-ils aujourd’hui? N’as-tu jamais cessé de jouer ou un jeu en particulier t’a-t-il fait irrémédiablement basculer dans le jeu de société « moderne » ?
Tout de suite, me vient en tête mon papa. C'est et ça a toujours été depuis ma plus tendre enfance un joueur de cartes chevronné.
Tarot, canasta, belote, il aime pousser la carte... Et je dois dire qu'il m'a transmis cela. J'ai donc d'abord été un joueur de cartes. En famille, nous jouions beaucoup, surtout en vacances, au barbu, un jeu de pli avec des objectifs différents suivant les manches.
Un peu plus tard, j'ai découvert les jeux de plateau notamment grâce à Heroquest, Space Crusade, Intrigues à Venise.
Puis au lycée, j'ai obtenu mon bac Magic the Gathering avec mention !
Enfin jeune adulte, j'ai fait du jeu de rôle et du poker avec les copains.
Aujourd'hui, j'aime les jeux qui peuvent être un pont entre moi et mon entourage. Par exemple, j'aime beaucoup la série Unlock ! parce que ma femme les aime aussi ! J'aime beaucoup Flamme rouge parce que quand je joue avec mon père je me revois enfant suivre le tour de France avec lui. Tout dernièrement, j'ai beaucoup aimé Micro Macro parce que c'est un super temps de complicité avec ma fille de 8 ans.
Es-tu plutôt ameritrash, eurogame, LIdJA ?
J'aurai du mal à choisir entre ces grandes familles. Je dirai à priori plutôt eurogame même si je ne suis pas très enclin à jouer à des jeux trop complexes. Mais sans conviction, cette catégorisation ne me parle pas vraiment.
J'aime surtout les jeux qui me surprennent. Les jeux où tu te dis : ouahou, j'ai envie d'en refaire une tout de suite pour découvrir cela plus intensément.
Quand je réfléchis aux jeux que j'ai tout particulièrement aimé je pense à des jeux tel que Hanabi, Witness, The Mind, Sneaky Cards, The Crew.
Ils ont en commun d'être des jeux avec un matériel plutôt simple, d'être des jeux coopératifs mais surtout de proposer une expérience de jeu nouvelle...
Quel jeu conseillerais-tu à des amis désireux de découvrir les joies du jeu de société ?
Très difficile de répondre à cette question. Tout dépend de l'ami.
En tant que ludicaire, j'aime bien posé des questions à mes clients avant de les conseiller : Avec qui compte-t-il jouer ? A-t-il déjà joué ? Est ce qu'elle aime se raconter des histoires ? Ont-ils envie de se confronter l'un l'autre ou au contraire de s'allier ? Quel temps de jeu ? Etc.
Tout un tas de questions pour tenter de mieux connaître la personne et lui proposer le jeu qui lui plaira. Parce que dans le jeu comme dans le cinéma ou la littérature, il y en a pour tous les goûts !
Pour ma part, à mes vieux amis qui ne jouent pas beaucoup, j'ai trouvé ce que j'aime jouer avec eux. Des jeux qui tiennent sur plusieurs soirées et qui font le lien d'une soirée à l'autre. En 2019, on a ainsi fait le tour de France avec Flamme Rouge. Cette année, nous avons décidé de faire toutes les missions de The Crew. En plus, ils apprécient de ne pas avoir toujours de nouvelles règles à apprendre.
Comment est née l’envie de créer ton premier jeu ? Le faire éditer a-t-il relevé du parcours de combattant ?
Cette envie m'est d'abord un peu tombé dessus par hasard. Puis les choses sont arrivées vraiment petit à petit. J'ai vécu tout plein d'étapes avant de me dire que je voulais que le jeu soit édité.
J'ai eu l'idée d'un jeu début janvier 2013 en rentrant de vacances à la montagne. Sans trop savoir pourquoi j'ai eu l'idée du thème et de la manière dont les choses s'imbriqueraient, c'était Kréo (devenu Kréus ensuite), mon premier jeu sorti en mars 2016. Entre les deux, il y a eu de nombreux tests avec mon entourage, des parties sans cesse répétées dans ma tête, des rencontres pertinentes, des démos en salon ludique, des premières rencontres d'éditeurs, des rencontres d'auteurs déjà confirmés, etc.
En février 2015, je participe à mon premier FIJ de Cannes avec l'intention de trouver un éditeur pour mon jeu. Après quelques rendez-vous prévus, je croise par hasard la route de mon futur éditeur. Je lui montre mon jeu et à la fin de la partie : il me dit : « je ne vois aucune raison de ne pas éditer ce jeu ».
On peut donc dire que cela m'a pris du temps, il m'a fallu être persévérant mais les choses sont arrivées dans l'ordre et plutôt de manière fluide.
Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ? Peut-on d’ailleurs parler de métier ?
Chouette question. C'est assez rare de poser aussi la question positivement.
Ce qui me fait vraiment plaisir dans ce métier, c'est de voir se concrétiser, se diffuser tes intentions de jeu. Par exemple, de voir sur un salon des joueurs découvrir ton jeu et qu'à la fin de la partie, il y a un regard, un échange qui t'indiquent qu'ils ont aimé, qu'ils semblent avoir compris ce que tu voulais leur faire vivre et qui te remercient.
C'est aussi la relation de travail avec le co-auteur, l'éditeur, l'illustrateur, le graphiste. C'est le partenariat indispensable entre tous ces acteurs. De nouvelles amitiés se sont tissées dans cette relation.
Concernant les difficultés du métier, elles sont essentiellement financières puisque nous n'avons aucune garantie lorsque nous travaillons à un nouveau jeu. Il y a même de forte chance que le jeu, le concept sur lequel nous travaillons n'aille jamais jusqu'à l'édition. Dans d'autres disciplines créatives, il existe des conventions pour garantir un minimum un accompagnement financier. Je pense ici aux intermittents du spectacle qui, s'ils font suffisamment de cachets, peuvent le reste de l'année se consacrer pleinement à la création pure.
Nous avons également un déficit de légitimité. Ce n'est d'ailleurs pas anodin que tu t'interroges sur le fait qu'auteur de jeux soit un métier ou non. Pour moi, c'est évidemment un métier. Mais comme beaucoup de métiers créatifs, on peut l'exercer complètement ou en faire un hobby, ou plus fréquemment encore en faire un mix entre les deux. Mais ça n'en reste pas moins un métier.
Nous avons un déficit de légitimité auprès de notre public, c'est en train de se transformer du fait de l'apparition des noms des auteurs sur les boites de jeux, sur le fait d'interview comme celle-ci, du fait des rencontres sur de plus en plus de salons ludiques, etc.
Le déficit de légitimité est aussi a déploré parfois du côté de nos partenaires (boutiques, éditeurs, distributeurs). Par exemple, dans le dernier catalogue Asmodee, il n'y a pas le nom des auteurs dans le descriptif des jeux de leur catalogue. C'est assez dommage car ce catalogue est assez largement diffusé auprès de nombreux nouveaux joueurs en devenir.
Heureusement de plus en plus d'acteurs y sont sensibles et travaillent à une meilleure reconnaissance de l'auteur de jeux. Je pense au Groupement des boutiques ludiques, au réseau des cafés ludiques qui sont des partenaires de la Société des Auteurs de Jeux qui militent quotidiennement pour la reconnaissance de l'auteur.
Nous avons enfin un déficit de légitimité auprès de nos institutions. Le jeu n'est pas encore reconnu comme une œuvre de l'esprit mais plutôt comme une suite d'instruction plus proche du montage d'un meuble Ikéa. C'est assez rageant car c'est à des milliers d'années de notre démarche d'auteur, de notre investissement, de nos intentions.
Comment est née la Marche du Crabe, jeu coopératif inspiré de la bande dessinée éponyme du talentueux et éclectique Arthur De Pins ?
C'est une belle histoire.
Je travaille depuis quelques années maintenant sur divers projets avec Florent Toscano des Jeux Opla.
Il y a 2 ans environ, au détour d'une conversation, il me dit qu'il aimerait beaucoup, et cela depuis des années, adapter
La marche du crabe. Mais m'avoue-t-il, il n'a pas réussi à trouver quelque chose de satisfaisant. De mon côté, j'avais beaucoup aimé la BD. Et j'aime beaucoup aussi travailler avec lui. Alors je me dis : allez, je relis la BD pour voir si ça m'inspire. J'ai donc relu la trilogie très rapidement. Et à la première lecture, au milieu du tome 1, lorsque nos deux héros s'entraident en se portant alternativement, paf !, j'ai immédiatement vu le jeu. Un jeu de déplacement coopératif où chacun ne contrôle qu'une direction. Trop cool, un jeu de confiance et d'entraide, une aubaine ! Ensuite s'en est suivi une foultitude de tests, de prototypages, d'échange, etc. Et après avoir remporté le prix spécial du jury à Ludix 2018, Florent m'appelle et me dit « tu me remontres ce jeu ?». Et juste après on a signé ! On a donc contacté Arthur de Pins puis son éditeur pour convenir d'une licence. On a ensuite énormément travaillé le mode campagne pour en faire un jeu évolutif et très largement rejouable. On a travaillé également l'ergonomie du jeu pour que ce soit à la fois fluide pour le joueur et composé uniquement de cartes pour satisfaire aux contraintes éditoriales d'un jeu fait exclusivement en France. Et puis on a bien sûr travaillé avec Arthur pour les illustrations.
Un super projet qui a coché toutes les cases de mon plaisir personnel : un thème inspirant, un concept ludique au service de la relation de confiance, un éditeur ami, un illustrateur de talent... et un début de succès commercial.
Créé avec Jean-Philippe Sahut, ton dernier jeu, ¬Roméo & Juliette, vient de paraître sur les étals… Comment est née l’idée de concevoir un jeu inspiré du chef d’œuvre de William Shakespeare ?
Là encore une belle histoire.
Avec Jean-Phi, on a l'habitude de se voir régulièrement autour de nos prototypes de jeu, notamment avec l'éditeur « Game Flow » et Davy qui tient la boutique Chez Yoda à Saint Jean en Royans (26).
Lors de l'une de ces sessions, en 2017, Jean-Phi et moi on se dit qu'on aimerait bien travailler ensemble sur un projet. Je lui parle alors de mon envie de faire un jeu coopératif exclusivement 2 joueurs. Je lui dis qu'à ma connaissance il n'en existe pas spécifiquement pour 2 joueurs.
On se prend donc rendez-vous chez lui à Grenoble la semaine suivante.
Sur le trajet pour me rendre chez lui, je m'interroge sur le thème par excellence pour ce genre de jeu. C'est là que je pense à l'amour et à Roméo et Juliette.
Quoi de mieux que ce décor connu de tous où les héros doivent « jouer » de toute leur inventivité pour se rencontrer tout en évitant que leurs familles n'en soient témoins et s'entre-déchirent !
Le thème sert tellement bien la tension ludique d'un coopératif à 2 !
Quel effet cela fait-il de voir son jeu sublimé par une édition éblouissante ? Avez-vous été associé à son élaboration ? Comment est née l’idée audacieuse de la boîte se dépliant pour former ce magnifique plateau ?
Le jeu a effectivement un effet waouh lorsqu'on l'ouvre pour la première fois. Sans doute même aussi les fois suivantes.
C'est vraiment plaisant de voir qu'un éditeur travaille autant le jeu que nous.
Nous avons signé avec l'éditeur, Sylex, fin 2017. Et depuis nous n'avons cessé de le travailler avec eux sur son ergonomie, son concept ludique, sa rejouabilité, etc. C'est très satisfaisant de pouvoir travailler main dans la main avec son éditeur. Le processus a été long, parfois cela nous a semblé ne jamais se terminer, mais « le jeu » en valait la chandelle.
Concernant l'idée audacieuse de la boite se dépliant, c'est également une belle histoire.
En fait, j'ai fait se rencontrer Pierre Steenebruggen, l'éditeur, et Benjamin Treilhou, un graphiste free lance qui se trouve être un ami de longue date et qui avait déjà accompagné graphiquement mes deux premiers jeux Kréus et Check.
Je les fais se rencontrer parce que Pierre pensait qu'il serait sans doute pertinent de faire appel à un graphiste extérieur pour l'accompagner sur la finalisation du jeu.
Benjamin nous fait une première proposition de mise en place du jeu qui ne nous emballent pas avec une forme hexagonale qui ne reflète pas la dualité du jeu. Il revient avec une seconde proposition complètement ouf de se servir de la boite pour planter le décor !
Quoi de mieux (encore une fois;) qu'une boite / coffret où en l'ouvrant simplement on rentre déjà dans l'histoire pour parler d'histoire d'amour impossible !
Lorsque nous avons découvert le jeu nous avons été bluffés par la façon dont chacun de ses rouages sert la thématique tout étant ludiquement aussi captivant que pertinent… Quel est votre secret ? Comment se sont élaborés les différentes mécaniques du jeu ?
Déjà merci pour ces super chouettes retours. Ça fait vraiment plaisir de se sentir compris dans nos intentions de jeu. Effectivement cette adéquation entre le thème et la règle du jeu (ou mécaniques de jeu) ont été pour moi le point central du développement.
Il était super important de respecter l’œuvre tant celle-ci est imposante. Mais si l'histoire de Roméo et Juliette est si universelle, c'est parce qu'elle est avant tout symbolique, dans le paroxysme. La force de la créativité ludique réside à mon sens dans le symbolique, quand ce que l'on fait en jouant symbolise des enjeux, des actions, des valeurs plus grandes. On avait donc la matière idéale pour être en synergie avec le thème.
Je crois que si nous avons réussi ce liant c'est parce que nous nous sommes toujours dit que nous aurions nos réponses de règle dans l'histoire même de Roméo et Juliette. Par exemple, nous avions au départ un jeu un peu trop facile dans sa réussite et nous avons cherché un nouveau personnage pour rendre plus difficile la victoire. L'allégorie de la haine nous est rapidement apparue comme une évidence tant l'histoire de Roméo et Juliette est une lutte entre l'amour et la haine au sein même de chaque protagoniste ! La Haine est présente de partout dans la pièce, comme si elle était un personnage à part entière.
Au niveau de la méthode, nous avons eu très rapidement (après 2 jours de travail) les lieux, les personnages. Ça, ça n'a pas bougé. Ensuite, nous avons retravaillé les déplacements pour les rendre plus faciles à comprendre, plus répétitifs (ce qui est une bonne chose ici car cela donne un rythme au jeu, à la pièce). Puis, nous avons énormément travaillé le tour de jeu et en partie la phase 2 au niveau de la communication. Pour finir, nous avons beaucoup travaillé les événements et les scénarios en étroite collaboration avec notre éditeur.
Entre le projet présenté à Sylex édition et la version éditée, la mécanique du jeu a-t-elle connu de nombreuses modifications ?
J'aime montrer à mes éditeurs des versions de mes jeux en cours d'élaboration. Je crois que c'est vrai aussi pour Jean-Phi. Il est important d'avoir en ligne de mire bien clairement nos intentions d'auteurs mais tout ne peut pas se finaliser rapidement. Il est toujours nécessaire de faire de très nombreux tests, de prendre du recul, d'avoir des avis différents, etc.
Nous avons donc montré le jeu plutôt rapidement, quelque chose comme 2 mois après le début de la création. C'était à Paris est Ludique 2017. Plusieurs éditeurs ont été intéressés, nous avons gardé le contact avec certains et au fur et à mesure de leurs retours nous avons fait des améliorations de notre prototype. C'est Sylex qui s'est montré le plus intéressé et au bout de quelques mois et échanges, nous avons convenu ensemble de signer le jeu.
Ensuite nous avons travaillé encore 2 ans et demi dessus avec des phases plus intenses, d'autres moins. Nous avons donc connu de nombreuses modifications de mécanique tout au long du processus mais nous avons conservé quasi intacte la base du jeu plantée dès les premiers jours : l'amour triomphant de la haine, les lieux, les personnages chaperons, les joueurs jouant les héros malheureux de l'histoire.
Qu’est-ce qui t’intéresse dans les mécaniques coopératives ?
C'est vrai que je me suis fait une spécialité des jeux coopératifs.
Au départ, ça vient de mes valeurs familiales, de mon travail en éducation populaire, de mes convictions. Je pense foncièrement qu'il est plus développant, plus émancipateur de créer des univers positifs, de belles choses que des œuvres sombres, froides, ou tristes. Ce que l'on crée influe sur le monde, au moins notre monde.
J'ai donc assez naturellement imaginé mes jeux dans des univers coopératifs.
Il se trouve qu'en plus dans ce domaine, il existe encore de nombreuses portes à ouvrir. L'innovation est plutôt dans les jeux coopératifs qui ont été beaucoup moins pensés, poncés que les jeux compétitifs. Et comme j'aime chercher, innover, c'était aussi assez naturel.
Enfin, je trouve intéressant de proposer aux joueurs des façons de rentrer en relation positivement. Imaginer que l'autre peut m'apporter quelque chose, c'est déjà lui donner de l'importance.
Imaginer des jeux où les joueurs doivent avoir confiance en l'autre me procurent un grand plaisir parce que je crois que c'est le sens de notre vie en commun.
Avec quel auteur ou quel illustrateur rêverais-tu de travailler ?
Encore une fois, je ne vais pas tout à fait répondre à la question, parce que je ne crois pas avoir vraiment d'auteur ou d'illustrateur avec qui je rêverais de travailler.
J'ai beaucoup d'admiration pour le travail d'Antoine Bauza, qui est l'auteur qui m'a le plus inspiré, mais je ne sais pas si ce serait pertinent pour lui ou pour moi de bosser ensemble.
Travailler avec un co-auteur, c'est une rencontre, une alchimie, quelque chose qui se passe en terme de valeurs ou de sensibilité du moins.
Je suis néanmoins très très heureux de pouvoir travailler actuellement avec des auteurs avec qui je n'avais encore jamais travaillé comme Juan Rodriguez, Romaric Galonnier, Baptiste Laurent, Fabien Riffaud ou Julien Griffon.
Par contre, j'ai régulièrement en tête un éditeur avec qui j'aimerai tout particulièrement travaillé.
Ça a été le cas par exemple avec les jeux Opla. Depuis mes débuts dans le milieu, je dis à Florent qu'un de mes rêves d'auteur serait d'avoir un jeu édité chez lui. Alors là, avec 2, je suis aux anges. D'autant qu'un 3e semble se profiler.
Actuellement, j'aimerai beaucoup signé un jeu chez les Game Flow, éditeur grenoblois notamment de l'excellent cycle de livres jeux « Ma première aventure ». J'ai quelque chose chez eux actuellement... Je croise les doigts pour que ça aille au bout. C'est des copains qui ont monté leur boite à peu prêt en même temps que je devenais auteur. On est rentré dans le milieu un peu côte à côte. Ça fait des années qu'on se suit dans nos sorties. Ça serait une jolie récompense que d'avoir un projet de jeu en commun !
Peux-tu nous dire quelques mots sur tes projets présents et à venir ?
Je travaille actuellement sur 2 projets avec Juan Rodriguez dont un qui devrait voir le jour chez les jeux Opla en 2022 :
Dans la lignée d'un [kosmopoli:t], il s'agit d'un jeu « documentaire », c'est à dire un jeu qui prend racine d'un travail de recherche et qui sert le propos tout en étant grand public, dynamique.
Ici, le projet ludique s'appelle pour l'instant « Watt !? » et s'inscrit dans le « scénario Négawatt », un projet de transformation nationale de l'énergie pour faire court. Nous sommes en lien étroit avec un designer énergétique et cerise sur le gâteau nous travaillons également en parallèle de la création d'un spectacle vivant (musique et danse) sur le même thème. La démarche est passionnante et le projet assez dingue !
Plus globalement, je pense que cette approche « documentaire » est très pertinente car le jeu est un magnifique outil symbolique pour faire vivre, toucher du doigt, des réalités complexes à des publics variés. À mon sens, c'est un vecteur de sensibilisation très pertinent.
Mais c'est un vaste débat que cette question de l'utilité d'un jeu...
Par ailleurs , je finalise un autre projet ludique au long cours avec les Ludonautes qui devrait sortir début 2022. Il s'agit d'un jeu post apocalyptique avec comme règle principale un système de draft à double bande. Le jeu s'appelle « Précognition » (ce n'est pas forcément le nom définitif). J'aime beaucoup l'idée mécanique de base, j'aime beaucoup travaillé avec Cédric, et le projet semble prendre une belle tournure finale.
Mais je ne sais pas trop où je vais parce que c'est pour moi un projet atypique dans un univers sombre et compétitif... Cela dit on travaille à une version coopérative (:) qui pourrait fonctionner et la version par équipe est plutôt savoureuse !
Sinon, concernant les projets sur lesquels j'ai déjà travaillés et finalisés, j'ai 4 jeux qui devraient sortir en 2021 si tout va bien.
Le premier en tout début d'année s'appelle Ronchonchon. Il s'agit d'un jeu coopératif pour enfants co créés avec Corentin Lebrat et Boris Courtot sur le thème de la communication non-violente. C'est également un projet ludique sur commande puisque nous sommes en partenariat avec Zazimut, l'association autour de la chanteuse Zaz et que le projet émane au départ d'une classe de CM2 de l'école alternative des Amanins.
Le second et troisième projets devraient être des Dream On thématiques. Dream On est un jeu que j'ai créé avec Alexandre Droit en 2017. Tout de suite, nous avons vu dans sa proposition ludique qu'il était possible et pertinent de le décliner sous des thèmes plus tranchés, notamment plus adultes. C'est ainsi que notre éditeur, CMON, a souhaité en faire un Dream On coquin qui devrait sortir sur le premier trimestre 2021. C'est ainsi que de notre côté, Alex et moi avons souhaité faire un Dream On Polar qui devrait sortir en fin d'année 2021.
Le dernier projet mérite encore davantage le conditionnel concernant sa date de sortie que nous espérons pour fin 2021. Il s'agit d'une extension de [kosmopoli:t]. A l'intérieur de cette extension, il devrait y avoir un module pour jouer avec les plus jeunes, un autre pour repousser les limites du service express, un 3ème intitulé « sommelier » et toujours plus de langues à découvrir !
J'ai enfin d'autres projets de création mais qui n'en sont pas encore au stand de l'édition alors... alors on en parlera une prochaine fois.
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Avec le confinement je me suis remis à lire un peu et dernièrement j'ai beaucoup apprécié le romans « Sirius » de Stéphane Servant. C'est un très beau message d'espoir dans un univers sombre.
D'ailleurs j'attaque tout juste son dernier roman « Félines » qui semble bien différent mais tout aussi captivant.
Inspiré par la culture manga de mes enfants, j'ai également été happé par le manga « The Promised Neverland » (16 tomes actuellement) et nous avons attaqué avec mes deux plus jeunes enfants la série anime à rallonge « One Piece » qu'on adore vraiment tous les 3.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Je ne sais pas.
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imagi-naire…
Si tu étais… ou plutôt ce qui me plaît, me parle
un personnage de BD: Nausicaa parce qu'elle est pure, idéale et qu'elle va toujours au bout de ses valeurs
un personnage mythologique: David (contre Goliath) parce que j'adore que les petits gagnent contre les gros dans les histoires. Ça nous permet de continuer à croire que c'est toujours possible.
un personnage de roman: Harry Potter, je suis fan de la série qui me fait toujours instantanément revenir en enfance:)
une chanson: « les gens qui doutent » d'Anne Sylvestre qui a un écho tout particulier dans notre ambiance moderne où la maîtrise et l'assurance sont les maîtres mots.
un instrument de musique: le piano, c'est trop classe. Un jour je m'y mettrai...
un jeu de société: the Mind qui est d'une pureté incroyable et exactement là où j'attends le jeu de société : une rencontre sensible, surprenante et grand public.
un mécanisme de jeu de société : le draft, parce que je trouve cela fascinant
une découverte scientifique : la maladie de l'accumulation... ça n'a pas encore été prouvé scientifiquement mais tous nos spécimens d'ultra riches nous le prouvent !
une recette culinaire: la ratatouille (il paraît que je me défends)
une pâtisserie: la « pasteis de Belém », une pâtisserie portugaise, spécialité de Lisbonne. Rare, petite, fondante, une institution à Lisbonne... Hum !
une ville: Romans sur Isère, ma ville actuelle, que je sens populaire, associative et écologique.
une qualité : l'enthousiasme, car c'est si important !
un défaut: un manque de mémoire manifeste
un monument: le Palais Idéal du facteur Cheval (pas loin de chez moi), symbole de l'abnégation. J'aime beaucoup et pour le coup j'ai souvenir de ma première visite, enfant, où j'avais été très impressionné et fasciné.
une boisson: la triple Karmeliet, servie en pression à mon bar à jeux de prédilection « le fou de la dame » ! Vivement !
un proverbe: évidemment : « tout seul on va plus vite mais ensemble on va plus loin ! »
Un dernier mot pour la postérité ?
Merci pour la qualité de cet entretien. Et la place laissée au développement des idées.
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !