Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…
Aucune restriction, je ferai également de mon mieux pour ne pas parler de moi à la troisième personne du singulier.
Merci… à toi… Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)
Denis Sauvage, 54 ans malheureusement, depuis toujours instituteur car je préfère ce terme à professeur des écoles. Les passions, j’en ai beaucoup, jouer bien entendu, mais aussi peindre, m’escrimer avec une épée ou encore et surtout passer du temps avec ma femme et nos quatre filles. Du temps pour faire tout cela, par contre, j’en ai un peu moins.
Le jeu occupe-t-il une grande place dans votre pédagogie ?
C’est primordial. Je mets en place des ateliers en début d’après-midi où les élèvent découvrent divers jeux de société présentés comme modernes. Qu’ils soient coopératifs ou non, le jeu est un excellent moment de partage et d’apprentissage.
Enfant, quel joueur étais-tu ? Quels étaient alors tes jeux de chevet et quels sont-ils aujourd’hui? N’as-tu jamais cessé de jouer ou un jeu en particulier t’a-t-il fait irrémédiablement basculer dans le jeu de société « moderne » ?
Beaucoup de petits soldats ont défilé et affronté d’autres petits soldats dans ma chambre d’enfant. Ensuite j’ai de délicieux souvenirs des dimanches après-midi jeux avec mes parents où l’on jouait à «Escape from Colditz».
Comment est née ta passion pour l’histoire ? Le fait de porter le même nom que l’historiographe de Henri II a-t-il pesé dans la balance ?
Difficile de répondre à cela, j’ai toujours aimé cela étant plus jeune. J’avais dans ma chambre d’énormes dictionnaires d’événements historiques et j’adorais les parcourir. Pour la petite histoire, je suis né un 18 juin. Les amateurs de l’épopée impériale souriront à ce clin d’œil.
Waterloo, morne pleine…
Comment es-tu tombé dans la marmite du wargame ? Quels étaient alors tes wargames de chevet ?
Là aussi, ma mémoire me fait défaut mais je crois bien que la marmite était en fait une revue, Jeux & Stratégie que je parcourais avec délice. Y étaient référencées des wargames que j’ai commandés auprès de mes parents. Les premiers à débarquer dans ma chambre furent les « 4 dernières batailles de Napoléon » et « Okinawa ». Que des merveilleux souvenirs.
Si tu devais expliquer en quelques mots ce qu’est le wargame à ma grand-mère que lui dirais-tu ?
Que jouer à la guerre ce n’est pas forcément être un va-t’en guerre. Je n’ai personnellement jamais tenu une arme – sauf mon épée à l’escrime - même si j’ai fait mon service militaire, au titre de la coopération.
De quand date les premiers wargames ?
J’ai dû débuter à l’âge de 10 ou 11 ans et tout de suite dans mon sujet de prédilection, le napoléonien !
Hormis Napoléon, quels stratèges sont de ceux qui t’inspirent ?
Plus que des stratèges, il y a des périodes ou des situations stratégiques qui m’attirent. J’aime bien les affrontements médiévaux même si les grands affrontements sont rares. Je termine actuellement un nouveau jeu sur Saladin avec les batailles de Hattin et d’Arsouf.
D’où vient ta passion pour Napoléon ? Pourquoi est-il une figure incontournable du jeu d’histoire ?
Comme je viens de le préciser, je ne pense pas être passionné de Napoléon mais plutôt par l’épopée de cette période, parfaitement retranscrite dans le roman de Patrick Rambaud, « La bataille ». Son parcours tragique, avec les nombreuses victoires puis le déclin inexorable, confèrent de multiples situations stratégiques passionnantes pour les amateurs.
Quel sacré roman ! Le style de cet écrivain est absolument savoureux…
D’où venait d’après toi la supériorité militaire de la Grande Armée ?
De sa mobilité principalement. De parvenir à être plus nombreux que l’adversaire lors de la bataille décisive. C’est ce qu’elle est parvenue à faire en 1805 et 1806 à Ulm et Iéna avant le début d’une effroyable guerre d’attrition à partir de 1807.
Quand et comment a germé l’idée de développer Napoléon 1806 qui rendait le wargame accessible au plus grand nombre ? Quelles étaient alors tes idées directrices lors de sa conception ?
La courbe du wargame actuel est présentée comme étant à l’image de celle de Napoléon, glorieuse à la fin du XXe siècle et déclinante actuellement. Je ne suis pas du tout d’accord avec cette analyse. Je pense que le wargame a toutes ses lettres de noblesse pour attirer les joueurs de plateau actuels qui sont confrontés à des jeux de plus en plus complexes. La ligne directrice du projet était de voir apparaître Napoléon 1806 dans les rayons des boutiques de jeux de société. Pour cela il fallait rompre avec l’identité austère du wargame et épouser les critères des jeux de plateau : dynamique, attrayant visuellement et disposant de règles claires. Dès le départ le temps de jeu a été fixé à 2 heures maximum. La conception a découlé de ces choix primordiaux initiaux.
Peux-tu en quelques mots expliciter la mécanique de Napoléon 1807 ? Existe-t-il de grosses différences entre ces règles et celles de Napoléon 1806 ?
Les fondements de la série sont l’incertitude et l’impossibilité de déplacer son armée comme des pièces d’échec aux valeurs connues. Tout combat ou marche forcée entraînera de la fatigue et il faudra reposer la troupe.
J’ai voulu également simuler la dispersion nécessaire pour faire avancer l’ensemble de ses forces et son regroupement pour la bataille. Il est très difficile de déplacer une pile importante de pions et une certaine maîtrise sera nécessaire pour coordonner ses déplacements.
Les règles sont identiques entre les deux jeux à 95%, seules les variables météorologiques (apparition de la neige en 1807) et la nécessité de mener des sièges en Pologne entraînent des adaptations.
Certains mécanismes ont-ils été écartés en court de développement pour privilégier la fluidité des parties ?
Ce fut le plus gros travail mené par Julien, le développeur du jeu. Ecrémer le superflu pour ne garder que le cœur du système. Cette expérience fut très enrichissante personnellement. Il faut savoir se remettre en cause et accepter les remarques pour améliorer le jeu.
Comment votre jeu a-t-il été reçu dans le milieu des wargamers ?
Là, il faudra leur demander. J’espère en tous cas qu’il est vécu comme une véritable promotion de notre passion auprès du plus grand nombre.
Pourquoi avoir choisi l’option d’un financement participatif pour l’édition de Napoléon 1806 et 1807 ? Comment avez-vous conçu cette campagne (de financement ) ?
Pour 1806, j’ai fait appel au ban et à l’arrière ban, copains, famille pour m’aider et ils ont bien financé un tiers du projet car je n’avais aucun fond pour me lancer. Je ne cesse de les remercier pour cela. La somme récoltée a permis à 1806 de voir le jour. Tout naturellement, 1807 est venu ensuite sans faire appel à cette aide participative. Shakos est passé d’embryon à nourrisson.
Peux-tu nous parler en quelques mots de Shakos, maison d’édition que tu as fondée avec Julien Busson, ami et partenaire de jeu ?
Shakos c’est une aventure entre deux copains frustrés de voir leur passion s’étioler. On avait envie de faire des wargames que l’on aurait aimé trouver ailleurs que dans des boutiques excessivement spécialisées. Ce fut une longue et lente maturation mais le résultat est pour l’instant plus que satisfaisant puisque nos jeux sont distribués en France par Pixie. C’est une véritable marque de confiance. On espère poursuivre dans cette voie.
Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier d’auteur ?
Personnellement c’est de voir un enfant jouer avec l’un de ses parents à 1806 ou un couple s’affronter sur 1807 lors des divers salons où Shakos fut présent. C’était mon plus grand souhait dès le départ et pour cela j’ai été grandement récompensé.
Le côté sombre du métier d’auteur, la relecture pour débusquer les coquilles des livrets de règles. Mais quelle corvée !
Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents à venir ?
En 2021 j’espère que Saladin verra le jour dont j’ai parlé juste avant et le prototype de Napoléon 1815 est déjà sur ma table. Plus j’y joue et plus je me demande comment Napoléon a pu envisager l’emporter !
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Une BD, « Shangrila » qui reflète parfaitement la dérive de notre monde actuel et un jeu de plateau Pax Pamir, innovant et dynamique.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Non.
Un dernier mot pour la postérité ?
Jouer c’est pour moi un moteur quotidien, cela me rend heureux. J’espère faire partager ce bonheur avec mes jeux.
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé ! Et aussi (et surtout !) pour ces heures de jeux à revivre les campagnes Napoléonienne !