Bonjour et merci de vous reprêter au petit jeu de l’entretien…
Lors de l’interview que vous nous aviez accordé il y a près de cinq ans on se tutoyait… une objection pour qu’on continue sur ce mode ?
Non.
Merci à toi…
C’était il y a un lustre donc, presque une éternité… C’était avant le Grand Confinement… Comment l’as-tu vécu en tant qu’artiste et en tant que citoyen ?
Au quotidien, ça n’a pas changé grand-chose. Je travaille habituellement chez moi et j’ai l’espace nécessaire. Mes enfants sont grands et autonomes dans leurs études, la maison est assez spacieuse et je suis à la campagne… Je n’étais pas le plus à plaindre. Le principal souci, c’est que le premier tome de Lord Harold est sorti peu de temps avant le premier confinement, les fermetures des librairies et la suppression des festivals. Une période un peu délicate pour lancer une nouvelle série (chez un nouvel éditeur).
Le second tome des jubilatoires Les Enquêtes de Lord Harold, douzième du nom vient de paraître sur les étals… A cette occasion, tu retrouves Philippe Charlot avec qui vous avez signé la saga intimiste du ou le fantastique … Qu’est ce qui t’a séduit dans le scénario de cette nouvelle série et pourquoi aimez-vous tant travailler avec ce scénariste ?
Sur cette série, c’est moi qui ai amené l’idée de départ. « Le cimetière des Innocents » venait de s’arrêter et on a réfléchi ensemble à un nouveau projet. Je lui ai proposé une idée qui me trottait dans la tête depuis quelques temps : un jeune lord anglais qui décide d’intégrer un commissariat dans un quartier sordide.
D’où venait cette étrange idée qui apporte ce savoureux décalage à l’histoire ?
Il y a pas mal de temps, j’ai pensé dessiner une histoire dans laquelle une petite fille de bonne famille menait des enquêtes dans un quartier inquiétant. Je jouais déjà sur le décalage. Dans ces enquêtes, elle devait être aidée par un jeune policier idéaliste, passionné, comme elle, par les intrigues policières.
Le projet n’a jamais abouti mais j’ai toujours gardé en tête l’idée de ce personnage de jeune policier en me disant que cela simplifierait les choses si c’était lui le personnage principal. Il a gardé son côté idéaliste, son amour des enquêtes et il a hérité de la situation sociale de la petite fille.
La mise en image de ce scénario victorien a-t-elle nécessité de longues recherches iconographiques ? As-tu un ouvrage à conseiller à un lecteur désireux d’en apprendre plus sur cette époque ?
Cela n’a pas été très compliqué pour moi parce que c’est un univers sur lequel j’ai déjà travaillé avec « Miss Endicott » et « La légende du changeling ». J’avais donc déjà pas mal de documentations. Je peux conseiller la lecture des romans de Conan Doyle et de Dickens. C’est un bon point de départ.
L’ère victorienne est-elle une période historique que tu affectionnes particulièrement ? Quelles sont tes références graphiques (films, gravures, photos, tableaux…) en la matière ?
Au niveau bd, j’ai beaucoup été influencé par le Peter pan de Régis Loisel. Pour le reste, j’ai acheté deux trois bouquins sur la société anglaise à cette époque et j’ai pas mal chercher sur internet.
Comment as-tu travaillé l’apparence des personnages ? Celle d’Harold s’est-elle rapidement imposée ou notre policeman est-il passé par plusieurs étapes avant de revêtir l’apparence que l’on connaît ?
Ça fait pas mal de temps que j’avais l’idée de ce personnage qui me trottait dans la tête. Et j’avais également une idée assez précise de son aspect physique. Je n’ai donc pas dû chercher très longtemps.
Généralement une première image des personnages vient à l’esprit lors de la première lecture du scénario. Ensuite, je fais quelques croquis de recherche pour concrétiser cette image initiale. Et puis, comme je dessine des storyboards assez précis, j’en profite pour peaufiner l’apparence des personnages.
Pourquoi était-il nécessaire de faire se dérouler l'histoire dans un quartier imaginaire de Londres dont le nom est clairement un clin d’œil au Whitechapel de Jack l'Eventreur?
En fait, on voulait éviter d’utiliser le nom de Whitechapel parce que, dans l’imaginaire collectif, ce quartier est irrémédiablement lié à Jack l’éventreur. Et nous voulions à tout prix éviter d’évoquer ce personnage trop sinistre pour une bd « grand public » et humoristique comme Lord Harold.
Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
Les personnages les plus agréables à dessiner son ceux qui n’apparaissent qu’une fois. On peut se laisser aller en créant leur visage sans se préoccuper de savoir comment le redessiner, plus loin, dans une autre position. Et c’est, bien entendu, plus drôle de dessiner les « méchants ».
Comment s’est organisé votre travail à six mains sur l’album ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de ton travail ?
Nous avons, en premier lieu, discuté, avec Philippe, des grandes lignes de l’histoire, des personnages, du cadre, et de la tonalité de l’ensemble. Ensuite, il a écrit le scénario proprement dit : découpage des séquences, dialogues, description de l’action… Par paquet de huit pages environ.
Sur cette base, j’ai fait un premier storyboard, rapide, sur un format A5. Puis un second, plus détaillé sur un calque A4. A chaque fois, je lui envoie pour qu’il les valide puis, je dessine la planche au crayon avant de l’encrer à la plume et au pinceau.
Après une ultime relecture par Philippe, j’envoie le tout à l’éditeur. La mise en couleur par Simon Canthelou se fait sur base de quelques indications principalement liées au scénario : jour ou nuit, ambiance inquiétante ou plutôt détendue, couleur d’uniforme, météo clémente ou ciel couvert… Pour le reste, je lui laisse une totale liberté. Une fois que la couleur est achevée, avec le scénariste, nous demandons parfois quelques corrections. Ensuite, c’est à l’éditeur de bosser.
Quelle étape te procure le plus de plaisir ?
Le storyboard. C’est là que tout se joue. Que la bd se crée. Et puis, ça reste un brouillon donc pas de stress.
A propos de storyboard, ceux des Enquêtes d’Harold sont totalement différents de ceux de Communards par exemple… Pourquoi ce changement ?
En fait, c’est plutôt ceux de « Communardes » qui étaient différents de ceux que je dessine habituellement. Pour Lord Harold, je travaille exactement comme sur mes autres séries depuis « La légende du Changeling ». Pour « Communardes », le scénariste voulait un dessin différent de ce que j’avais l’habitude de faire. J’ai donc commencé par changer ma méthode de travail sur le storyboard.
Comment as-tu composé la couverture si dynamique de ce second opus ? D’autres versions avaient-elles été envisagé ?
J’ai repris une des scènes dynamiques contenues dans l’album. Je voulais que le personnage soit en mouvement pour bien souligner que c’est une bd d’action. Ensuite, j’ai fait de nombreux croquis que j’ai présenté à l’éditrice. Le choix final se fait avec elle.
Couverture, Work In Progress
La scène de poursuite sur les toits des masures de Blackchurch est tout juste époustouflante… Comment l’as-tu abordé et comment as-tu fait pour la rendre si dynamique ?
Pour ce type de scène, le scénariste me laisse une liberté totale. Je gère le nombre de case, leur taille et leur forme. Cette absence de contrainte peut jouer sur le dynamisme d’une séquence. Après, à moi de jouer avec la composition des cases, les angles de vue, Les perspectives… A force de dessiner, on finit par comprendre quelques trucs.
Quelle séquence de l’album as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
Les scènes d’extérieur, dans les vieilles rues crasseuses. Celles où interviennent les voyous de Blackchurch avec leurs tronches pas possibles. Et puis, quand il faut dessiner le « mouvement » comme, par exemple, la scène de poursuite sur les toits.
Dans quelle ambiance sonore travailles-tu généralement ? Silence monacal ? Radio ? Musique de circonstance ?
Je travail dans un silence total lorsque je dois réfléchir donc lors de l’étape du storyboard. Après ça, la majorité des problèmes sont résolus, je peux donc mettre de la musique ou la radio.
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
La série
Derry Girls sur Netflix.
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
un personnage de BD : Averel Dalton (suggestion de mon fils)
un personnage mythologique : Poséidon
un personnage de roman : Sherlock Holmes
une chanson : La mer (Trenet)
un instrument de musique : Un trombone
un jeu de société : Casse tête chinois
une découverte scientifique : Le vaccin anti Covid (souvent en retard)
une recette culinaire : Choucroute
une pâtisserie : un truc bien lourd.
une ville : New York
une qualité : perfectionniste
un défaut : perfectionniste
un monument : La tour Eiffel
une boisson : La bière
un proverbe : Pierre qui roule n’amasse pas mousse (c’est le seul qui me vient à l’esprit).
Il a de l’humour ton fils
Un dernier mot pour la postérité ?
Quand est-ce qu’on mange ? (bien lourd, je vous disais).
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !