Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…
Pas de problème, on peut se tutoyer.
Merci à toi !
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)
Là je renvoie sur mes éléments de facilement trouvables sur le net, cela me fera gagner du temps.
Pour les passions, je lis, je suis un bon consommateur de cinéma, de toute période, de tous styles. J'ai fait un peu de musique dans un groupe mais je n'ai plus le temps. Le temps, c'est le problème quand on fait de la BD et qu'on a une vie de famille, on n'en a pas beaucoup. Je fais du sport également, entrainement de badminton chaque semaine, hors période covid, évidement.
Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?
Enfant je lisais surtout des BDs, en tous cas jusqu'à l'adolescence. J'ai été en quelque sorte initié à la BD franco-belge par un oncle qui était graphiste et photographe, et qui en était un grand fan depuis tout petit lui aussi. La BD et les images en général ont donc pris beaucoup d'importance dans ma vie de petit garçon. Donc : Tintin, Spirou, lucky lucke, Gaston etc… tous les classiques dans un premier temps.
Puis Pif aussi, beaucoup. Plus tard au collège, j'ai été voir du côté de Pilote, Mézière, Moebius, Druillet entre-autre, ainsi que les comics US. L'arrivée d'Akira en fascicules a été un sacré choc également. Avec le recul je m'aperçois que j'ai eu beaucoup de chance d'avoir été ado dans les années 80, tant pour le cinéma (notamment de genre) que pour la BD.
A quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité ta vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
L'idée n'a pas vraiment germé d'un coup. Dans les années 80, il était encore difficilement concevable d'envisager la BD de façon pro dans le cycle scolaire. Il n'y avait pas d'école, en tout cas pas en France, hormis un département aux Beaux-Arts d'Angoulême. L'idée était plutôt de faire une école d'Art et de voir ce qui en découlerait, ce que j'ai fait d'ailleurs. A cette période, le cinéma m'intéressait beaucoup, j'en ai fait pas mal aux Beaux-Arts d'Angers et j'aurais pu tout aussi bien basculer de ce côté-là.
Toutefois une rencontre avec Mézières à 18 ans et ses encouragements m'ont quand même mis la puce à l'oreille. En faire un métier devenait possible à condition de cravacher pas mal, mais c'était quand même assez flou. C'est sans doute resté dans un coin de ma tête et le hasard a voulu qu'un atelier de BD se monte sur Angers à la fin de mes études. J'y suis passé deux ou trois fois et j'ai fini par y avoir une table de travail. Ça a commencé comme ça. Le reste c'est du boulot, tous les jours jusqu'à ce que le premier contrat arrive, assez rapidement par chance pour moi, il en faut un peu aussi. Mais d'une manière assez curieuse, presque tous les membres de cet atelier naissant ont signé en l'espace de deux ou trois ans leur premier album, ce qui est assez spectaculaire d'autant que nous formions un groupe assez hétéroclite avec des personnes venus de différents horizons.
Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Le plus dur, c'est de pouvoir exister sur le long terme. Chaque projet monté ne trouve pas forcément preneur, loin de là. Il faut toujours se remettre en question, ne jamais se reposer sur ses acquis ou sur un succès du moment. Accepter de se mettre en danger, c'est nécessaire, ça veut dire évoluer sans cesse, sinon c'est la stagnation puis l'ennui puis plus rien. Les périodes de vaches maigres ne sont pas toujours faciles à gérer est à accepter. Beaucoup abandonnent pour cette raison, ce qui est parfaitement compréhensible. Mais ça vaut le coup de s'accrocher.
La plus grande joie c'est de boucler un album et de le voir en librairie quelque temps plus tard. C'est la récompense de mois, parfois d'années de travail, que l'on peut dès lors partager avec des lecteurs.
Comment as-tu rencontré Peter Dillon, narrateur et personnage central de votre dernier album ?
Ma première idée était de faire un album sur l'expédition Lapérouse, une aventure que j'avais découverte en 2008 en regardant une série de documentaires relatant les recherches de l'association Salomon qui avait organisé plusieurs campagnes de fouille à Vanikoro, l'ile au bord de laquelle les bateaux de Lapérouse ont sombré.
Puis voyant que je n'arrivais pas à trouver un angle suffisamment original sur ce sujet qui avait déjà été abondamment traité, j'ai mis le projet de côté pour le reprendre en 2016, suite à un voyage en Polynésie. En revoyant les films à nouveaux, j'ai remarqué qu'on faisait mention de Dillon comme le premier découvreur de Vanikoro, chose qui m'avait échappée au premier visionnage. Puis j'ai découvert son journal de bord, une vraie mine d'or ! Je tenais mon sujet et je me suis lancé dans l'écriture d'un scénario qui m'a demandé beaucoup « d'élagage » par rapport au matériau de base, tellement ce dernier était riche en péripéties. Cela c'est fait en plusieurs étapes, y compris avec le concours d'un éditeur qui finalement n'a pas signé l'album en définitive.
Vous quittez Sanson, lignée de bourreaux, pour un autre récit historique écartelé entre le XVIII et le XIXeme siècle… D’où vous vient cette passion pour l’Histoire en général et cette période en particulier ?
Cet enchainement est un hasard de calendrier. Avec les Sanson, je traitais mon premier sujet historique. Ça n'était pas un choix volontaire de ma part : c'est l'éditeur qui m’ a fait rencontrer Patrick Mallet pour nous proposer une collaboration autour des Sanson, un scénario que Patrick avait écrit et qui cherchait un dessinateur.
Cependant le fait de travailler sur ce sujet historique, c'est ce qui m'a poussé à écrire Dillon fin 2016 alors que j'avais dessiné une cinquantaine de pages des Sanson. Je me suis dit que je pouvais le faire. Aborder de l'historique ne me faisait plus peur, alors qu'auparavant, ça n'était pas ce qui me passionnait le plus en BD, alors que j'adore l'Histoire par ailleurs. C'est paradoxal.
Pour en revenir à la période, elle ne me passionne pas plus qu'une autre. Ce qui compte c'est de raconter une bonne histoire et une fois qu'on se plonge dans la documentation nécessaire à l'élaboration du scénario ou des dessins, il y a toujours des choses passionnantes à découvrir, quelle que soit l'époque. C'est un des avantages de ce métier, on découvre sans cesse de nouvelles choses.
Quelles furent vos principales sources documentaires pour composer ce récit d’aventure historique et romanesque ? Si vous deviez conseiller un ouvrage aux lecteurs désireux d’en apprendre davantage sur ce capitaine ou sur le sort de l’expédition Lapérouse, quel serait-il ?
La source majeure c'est bien sûr le récit de Dillon lui-même tiré de son journal de bord. Un concentré d'aventure, une véritable épopée dont je n'ai raconté qu'une petite partie dans mon album. J'aurai encore de quoi en tirer deux ou trois histoires.
Pour les personnes désirant découvrir l'expédition Lapérouse d'une façon plus large, le mieux est de se procurer le Mystère Lapérouse, un livre retraçant les recherches de l'association Salomon édité à l'occasion de l'exposition Lapérouse qui avait eu lieu en 2008 au Musée de la Marine à Paris. Un très beau livre, plus facile à se procurer, est sorti également chez Glénat en 2019 (pup pour mon éditeur) de Bernard Jimenez qui se nomme simplement L'Expéditon Lapérouse.
A partir de quelle « matière » as-tu élaboré l’apparence de tes personnages ? As-tu rapidement trouvé « ton » Dillon ? Lequel as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
Le personnage le plus proche de son double réel est celui du matelot Martin Bushard, l'ami de Dillon. Pour lui je me suis basé sur une gravure qui m'a tout de suite donné le personnage de papier. De même pour les Lesseps oncle et neveu, assez fidèles aux différents portraits que l'on trouve facilement. Le plus amusant c'est Louis XVI que j'ai repris trait pour trait de ma série précédente, Les Sanson, ce qui crée un lien entre ces deux histoires.
Pour Dillon, j'avais un petit portrait, mais dont je ne me suis à peine servi. J'ai gardé les favoris sur les joues, mais c'est tout. Il semblait brun en réalité, mais j'ai tout de suite écarté cette option pour éviter un lien trop évident avec Corto Maltese. Je voulais créer un personnage qui m'est propre pour qu'il devienne un héros de BD que j'aurais plaisir à animer. Par contre j’ai gardé sa stature réelle, un vrai colosse. Les cheveux roux, c'est juste une question de force iconique d'image. Je voulais qu'il en impose dans les pages de manière immédiate au lecteur. Dans sa gestuelle et son allure, j'avais en tête le Russel Crowe de Master & Commander et aussi Samuel Le Bihan dans le Pacte des Loups. C'est un peu un mélange des deux et c'est bien sûr le personnage que j'ai préféré animer, tout le récit étant bâti autour de lui. Je me suis également fait plaisir sur les différentes tribus indigènes dont les ressources en terme d'iconographie sont, par ailleurs, assez abondantes.
Concrètement, du scénario à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de ton travail sur l’album ? Quels outils utilises-tu pour élaborer tes planches ?
J'écris d'abord un premier traitement d'une quinzaine de pages qui raconte l'histoire de A à Z, sans dialogue ni détails particuliers. C'est la charpente du récit. Plusieurs versions sont nécessaires avant d'arriver au texte définitif. Puis je passe au découpage dialogué, c'est déjà de la mise en scène. Souvent j'écris dans un cahier sur la page de gauche et sur celle de droite je fais de minuscules croquis de mise en scène dessinée.
Puis je passe au découpage dessiné plus abouti. C'est un mélange de rough et de crayonné poussé. C'est ce qui me sert après de base pour l'encrage. Cet album a été entièrement élaboré en numérique sur le logiciel Clip Studio Paint. De fait, je peux passer directement d'un crayonné à peine esquissé parfois à l'encrage. C'est l'étape que préfère, dessiner au noir directement quand c'est possible.
Peux-tu nous parler de ton approche de la couleur que j’ai trouvée particulièrement subtile ?
Je pratique la couleur en BD depuis longtemps, avant même d'avoir signé mon premier album au dessin. Mon approche a évolué dans la technique, mais elle est restée la même pour ce qui est du sens. Pour moi la couleur en BD doit avant tout être narrative et supporter le dessin sans le contrarier. C'est un équilibre assez difficile à trouver surtout quand on travaille pour un autre dessinateur, ce qui n'est pas le cas ici.
C'est donc une couleur numérique entièrement en à-plat avec très peu d'ombres portées. C'est une alternance de demi- teintes essentiellement pour les intérieurs et les nuits, sauf la séquence entre Dillon et sa femme, et au contraire de couleurs très franches pour les extérieurs et les séquences de songes de Dillon. Il n'y a pas de dimension naturaliste mais plutôt une tentative de recherche d'un pouvoir évocateur. Pas facile à définir clairement. Je voulais aussi me rapprocher d'un aspect sérigraphie que j'apprécie particulièrement.
Peter Dillon, Work in Progress
Quelle étape te procure le plus de plaisir ?
Comme je le disais plus haut, le dessin au noir me plait beaucoup. Ça c'est pour la partie appliquée du travail. Mais je crois que ce que je préfère c'est l'étape de la mise scène. Quels choix de cadrages, quelles formes de cases, combien dans la page etc. Comment tout ça va s'articuler pour arriver à bâtir un récit solide qui soit agréable à lire sans buter tout le temps sur des détails qui entravent la lecture. D’une manière générale j'essaie de faire en sorte que le dessin s'efface au profit de l'histoire. Difficile paradoxe à gérer pour un dessinateur mais je pense d'une manière générale que le dépouillement est préférable à la surenchère et au bruit graphique. Mais c'est un point de vue personnel qui n'engage que moi.
Peux-tu revenir sur la genèse de la somptueuse couverture de l’album ? S’est-elle rapidement imposée ou en existe-t-il différentes versions ?
La couverture c'est presque ce que j'ai fait en premier, mais c'est un hasard. Il se trouve que lorsque j'envoie des dossiers aux éditeurs, je fais toujours une couverture de dossier pour attirer l'œil, qu'on est envie de savoir ce qu'il y a derrière. Il se trouve que celle-ci a tellement plu à l'éditeur qu'il m'a demandé si on pouvait s'en servir comme couverture de l'album.
Sur l'aspect graphique, j'avais repéré que je pouvais aisément fondre la gravure représentant l'île de Vanikoro avec notamment l'épaule de mon personnage de Dillon. Ça me plaisait beaucoup parce que l'image de couverture n'est pas seulement une « jolie » illustration, mais elle véhicule aussi un sens qui montre l'obsession de Dillon pour cette île, au point qu'il en est presque prisonnier. C'est une valeur ajoutée dont il ne faut pas se priver. Ça vient sans doute de mon passé de graphiste, j'ai fait pas mal d'affiches à une période.
Dans quelle ambiance sonore travailles-tu généralement ? Silence monacal ? Musique de circonstance ? Radio ?
Généralement j'écoute la radio, souvent des podcasts d'émissions. Assez peu de musique. Je travaille seul dans mon atelier, mais de toute façon quand on est absorbé par son travail on fait le vide facilement. J'ai une certaine facilité pour de concentration même au milieu du bruit. Il m'arrive parfois d'aller travailler en atelier histoire de prendre l'air et de partager un peu avec les copains ou bien pour plancher sur des boulots communs d'expo ou de communication, mais je suis plus productif quand je travaille seul. Question de caractère.
Peux-tu nous te parler de tes projets présents et à venir ?
A l'heure où je réponds à cette interview, je suis en bouclage d'un album qui s'est monté en financement participatif via le label Komics Initiative. Ça s'appelle Parias. Je suis en charge de la partie graphique ; un ami, Tony Emeriau, en a écrit l'histoire. Ça se situe dans un Paris de fin dix-neuvième imaginaire dont l'esthétique peut s'apparenter au steampunk, mais pas du tout baroque. Quelque chose de plus sec et de plus brut. Plus brutal aussi. On suit donc les Parias, une équipe de personnages aux étranges pouvoirs et, en quelque sorte, mis au ban de la société. Ils sont réunis par un vieil infirme assez antipathique bénéficiant de moyens colossaux afin de leurs faire accomplir ses moindres volontés. Dans quel but, mystère, mais ce que je puis dire c'est que les aiguilles jouent un rôle important dans cette histoire. Sotie fin Mai 2021 si tout va bien.
J'ai plusieurs autres projets en préparation, mais pas suffisamment avancés ou bien en cours de signature et dont je ne peux rien dévoiler pour l'instant.
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Je ne parlerais pas de mes lectures, car je lis beaucoup « utile », c'est à dire que je projette plus au moins souvent d'en tirer quelque chose pour en faire un projet. Côté ciné, j'ai récemment revu plusieurs films de Julien Duvivier, dont
Marie Octobre et
Voici le temps des assassins qui sont tous deux formidables. Deux vraies leçons de mise en scène, des films d'une noirceur terrible, surtout le second.
Le décès récent de Bertrand Tavernier m'incite à me replonger dans sa filmographie, j'aimerais bien revoir
La passion Béatrice, un film qu'on cite peu mais qui m'avait beaucoup marqué adolescent et que je n'ai pas revu depuis sa sortie.
Je suis assez fan de l'émission de Fabrice Drouelle
Affaires Sensibles sur France Inter, tout comme je l'étais de
Rendez-vous avec X de Patrick Pesnot. Il y a actuellement sur Netflix un cycle Chaplin ce qui m'a permis de découvrir un de ses films que je ne connaissais pas,
Le Cirque. Merveilleux.
Par contre la version présentée du
la Ruée vers l'Or est assez décevante car agrémentée d'un commentaire en voix off de Chaplin lui-même qui décrit l'action et cherche à faire parler ses personnages, ce qui enlève toute la magie au film qui, par ailleurs, est formidable, notamment dans sa noirceur.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Vous pouvez répéter la question ?
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
un personnage de BD : Théodore Poussin.
un personnage mythologique : Cassandre.
un personnage de roman: Angelo Pardi (Le hussard sur le toit).
une chanson: Paint it black. (The Rolling Stones).
un instrument de musique: La batterie.
un jeu de société: Les dames.
une découverte scientifique : Le télescope.
une recette culinaire: Les encornets farcis.
une pâtisserie: La tarte au citron.
une ville: Berlin.
une qualité: l'obstination.
un défaut: l'inconstance.
un monument: Un Moai de l'ile de Pâque.
une boisson: La vodka Martini.
un proverbe: Tout vient à point à qui sait attendre.
Un dernier mot pour la postérité ?
Ça sera pire avant d'être mieux.
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !