Haut de page.

Entretien avec Christophe Bec
interview accordée aux SdI en avril 2021


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…

Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…

Je suis farouchement opposé au non tutoiement. Enfin, ça dépend des circonstances, dans notre milieu, entre auteurs, on a l’habitude de se tutoyer, mais je me souviens que face à de grands auteurs que j’ai pu croiser, je n’ai pas pu faire autrement que les vouvoyer, tant j’avais de respect pour leur carrière.

Merci à toi smiley

Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

L’an prochain j’aurai 30 ans de métier, à la joie de certains, au désarroi d’autres. Je me considère autodidacte, même si je suis passé par l’école de BD d’Angoulême au début des années 90. Mais comme j’avais déjà signé un premier album, les professeurs m’ont peu vu au cours du cursus de 3 années. J’ai pourtant obtenu mon diplôme (sans mention). Passionné par la BD évidemment, mais aussi le Cinéma et les grands prédateurs, dont je suis un ardent défenseur. Je soutiens les caïmans, mais pas les îles.
Seigneur de la Jungle, recherche : Tarzan © Stevan Subic
Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?
Après avoir vécu quelques temps au Maroc, j’ai habité un petit village aveyronnais où il y avait bien plus de vaches que de librairies, donc difficile d’avoir un contact avec la BD. Le miracle s’est pourtant produit via un bibliobus itinérant, et grâce à mon père qui ramenait parfois quelques BD à la maison, il lisait Pilote. Au départ c’était les classiques : Corentin, Tintin, Astérix (j’ai découvert ce dernier alité, malade), Guy Lefranc… Puis j’ai eu plusieurs chocs grâce à William Vance, le premier album que j’ai acheté avec mes propres sous était un Bob Morane, ensuite j’ai découvert Bruno Brazil et Bruce J. Hawker, une véritable claque graphique, c’est certainement l’auteur qui m’a donné envie de faire ce métier.

A quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité ta vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
La vocation est venue assez tôt, à l’âge de 11-12 ans je pense, ça s’est précisé vers les 15 ans, avec la création de fanzines, avec mon frère Guilhem (qui aujourd’hui est dessinateur de BD), dont un qui avait été nommé au festival d’Angoulême. Après Vance, c’est la découverte de grands dessinateurs réalistes comme Jean Giraud, Paul Gillon, Victor de la Fuente, Jordi Bernet… qui ont renforcé cette envie de devenir auteur de BD, et ont commencé à forger mon « style » (si tant est que j’en ai un), en tout cas qui m’ont fortement influencé.

Me faire publier a finalement été assez rapide, puisque en 1992 Mourad Boudjellal des éditions Soleil me propose un premier contrat d’édition alors que je n’étais âgé que de 22 ans. Je n’écrivais pas encore mes histoires, comme c’est souvent le cas, un jeune auteur est plus rapidement mûr niveau dessin que scénario. Mes trois premiers albums ont pourtant été des bides, donc oui, ça n’a pas été un parcours simple, ça ne l’est d’ailleurs toujours pas malgré les apparences.

Seigneur de la Jungle, rough © Stevan SubicTu as commencé comme dessinateur avant de signer de nombreux scénarios que d’autres ont mis en image… Est-ce le dessin ou l’envie de raconter des histoires qui t’a donné envie de faire de la BD ?
C’est les deux. On ne peut pas dissocier les deux. Et pourtant ils sont souvent dissociés, comme dans ces critiques qui fleurissent partout sur le Net ou dans les journaux, avec une note pour le dessin et une pour le scénario. C’est une imbécilité et une aberration absolue. Une bonne BD est justement ce qu’il y a entre les deux, ce truc impalpable qui se situe à la lisière.

Quand tu te lances dans l’écriture d’un scénario, sais-tu déjà si tu vas le dessiner ou le confier à un autre ?
Il existe tous les cas de figure, même si évidemment je préfère savoir qui sera le dessinateur, ça permet d’échanger, et de mon côté d’adapter mon écriture au dessin.

Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Il n’y a qu’une grande joie, qu’un livre trouve son lectorat, le reste c’est de la guignolade. Les difficultés sont nombreuses, dans la relation avec les dessinateurs parfois, mais j’ai heureusement la chance d’avoir noué des collaborations solides avec certains dessinateurs, comme Stefano Raffaele avec qui j’ai fait de nombreux albums, mais aussi Ennio Bufi, le dessinateur de Carthago, et bien d’autres… Les relations avec les éditeurs peuvent aussi être compliquées, étrangement elles se simplifient quand on commence à avoir du succès. Et enfin, les lecteurs, sans qui ont ne serait rien, mais qui ont parfois la dent-dure.

Seigneur de la Jungle, encrage © Stevan SubicOn croit parfois avoir fait un bon album, et il se fait démonter. Parfois on pensait avoir loupé le coup, et c’est celui-là qui se vend. En fait c’est un métier fait d’irrationnel, et c’est ce qui est fantastique. Difficile mais fantastique. Il offre surtout une énorme liberté, pour avoir un peu travaillé dans le domaine du Cinéma et de la TV, c’est extraordinaire la marge de manœuvre que l’on a en BD, on peut vraiment concrétiser sa vision, pour peu qu’on s’en donne les moyens ou qu’il y ait cette alchimie tant recherchée avec un dessinateur. Et surtout les choses deviennent vite concrètes, le livre existe souvent dans un laps de temps relativement court.

Peux-tu en quelques mots nous parler de ton expérience dans le milieu du cinéma ?
Petite expérience. La réalisation de deux courts-métrages « Frenchboy » et « Escape », deux autres qui ne se sont pas tournés, « Le Jardinier » et « Les Tourbières Noires », tout cela en vue d’un long-métrage, qui ne s’est pas fait non plus. De nombreuses options signées, parfois très ambitieuses comme « Sanctuaire » par Alex Proyas pour le Cinéma ou « Prométhée » par le scénariste de « Band of Brothers » en série TV internationale à très gros budget. D’autres projets Cinéma ou TV comme « Under », « Pandémonium », « Sunlight », « Le Meilleur Job du Monde », etc. mais rien n’a jamais abouti ! Je crois qu’il y a un projet de série TV « Sanctuaire » qui a démarré, j’ai un peu écrit pour la TV et le Cinéma, pas de très bonnes expériences, on est trop dépendant des financiers et des producteurs, on n’a pas du tout la même liberté qu’en BD où les choses se concrétisent assez vite, l’album existe rapidement, contrairement à l’audiovisuel où c’est un très long processus. Si quelque chose aboutit un jour ce sera une cerise sur le gâteau, mais je ne cours pas du tout après. La BD est mon média, et dans les années qui viennent je vais plus revenir au dessin, sans doute développer plus largement la réalisation de peintures.

Christophe Bec, Work in ProgressTon dernier album en date, Tarzan, Seigneur de la Jungle, vient de paraître sur les étals… Quand et comment as-tu rencontré ce personnage né sous la plume d’Edgar Rice Burroughs au début du XXe siècle ?
Je l’avais lu gamin et oublié je dois bien avouer. Ce n’est pas le roman lu dans mon enfance qui m’a le plus marqué. Par contre Tarzan m’a accompagné toute mon enfance et mon adolescence au travers des films et des BD.

Si tu devais conseiller un film et un album le mettant en scène aux lecteurs désireux de comprendre ta passion pour ce personnage, quel seraient-ils ?
Je me souviens encore adolescent avoir vu Greystoke en salles, quel choc ! Et ça reste un excellent film, je l’ai revu juste avant d’écrire mon Tarzan. Il m’a d’ailleurs fallu plusieurs semaines pour digérer le truc, tant il s’agit d’une superbe adaptation de Burroughs.

D’après toi, pourquoi Greystoke a-t-il tellement marqué les spectateurs ?
Peut-être parce que c’était pour la première fois une adaptation du roman originel. Et évidemment aussi parce qu’il y avait une équipe talentueuse à la barre, que ce soit scénariste, réalisateur, acteurs… Aussi parce que les spectateurs ont découvert l’origine de ce qui était devenu depuis lors un mythe, beaucoup ignoraient la réelle histoire de Tarzan, ne connaissant souvent à cette époque, les années 80, que les films de la MGM avec Johnny Weissmuller.
Seigneur de la Jungle, recherche : Tarzan © Stevan Subic
Comment se lance-t-on dans l’adaptation d’un roman emblématique qui a inspiré tant de cinéaste, de scénaristes et de dessinateurs ?
C’est venu de mon éditeur. J’ai longtemps hésité avant d’accepter, à peu près un dixième de secondes. Et encore… Les droits tombant cette année dans le domaine public, il m’a proposé cette adaptation du premier roman en un gros volume de 80 pages. Ainsi qu’un deuxième qui suivra prochainement. J’avais bien conscience qu’on me donnait un jouet fantastique, mais que cela impliquait aussi une grande responsabilité (cette phrase me rappelle quelque chose…) J’ai décidé de bloquer 6 mois de mon planning pour écrire ces deux albums.

Dans un premier temps je me suis totalement immergé dans le truc, en revoyant nombre de films, en faisant des recherches sur Internet, également commander des éditions originales de vieilles BD Tarzan, celles de Russ Manning ou Burne Hogarth notamment. Bref, j’ai vécu plusieurs mois avec Tarzan, mon épouse en était presque jalouse. Blague à part, cette phase était hyper importante pour s’imprégner des différents univers du personnage. Il a fallu ensuite comme je le disais quelques semaines pour digérer tout ça, avant de m’attaquer à l’écriture des albums à proprement parler, une fois les angles d’attaque bien déterminés. J’ai évidemment relu plusieurs fois le roman de Burroughs. Ensuite, ça a été un gros travail, mais relativement aisé, j’ai pris beaucoup de plaisir, et j’espère que ça se ressent à la lecture.

Christophe BecOn sent dans ton album une volonté de revenir aux sources du roman tout en lui apportant une salutaire touche de modernité, tant dans le propos tenu par certains protagonistes que dans les références à d’autres adaptations du héros de Burroughs (les ombres sensuelles que l’on devine sous la tente, le ballet aquatique, le fameux « moi Jane, toi Tarzan)… Qu’est ce qui a motivé ces choix ?
Oui c’est exactement ça, je voulais être fidèle à l’esprit, mais comme une adaptation est toujours une trahison, une tromperie, je voulais que la maîtresse soit la plus jolie possible. J’ai essayé d’aborder la chose avec honnêteté, en me remémorant les émotions d’enfance et d’adolescence procurées par le personnage, avec humilité, mais aussi une certaine impertinence. Il fallait bousculer certaines choses.

Quant aux quelques clins d’œil évoqués, j’ai essayé qu’ils soient subtils, qu’ils ajoutent quelque chose à ceux qui ont la référence, et que ça n’enlève rien à ceux qui ne l’ont pas. Ça a été un gros travail, je m’y suis vraiment plongé cœur et âme, en essayant de donner le meilleur de moi-même, soutenu par l’excellent dessin de Stevan Subic, un dessin brut, lourd, sombre, qui colle parfaitement à l’optique naturaliste dont la violence est celle de la loi du plus fort, de l’instinct de prédation, qui rejoint cette passion d’enfance pour ces animaux au sommet de la chaîne alimentaire. Tarzan est l’un d’eux. Je ne suis pas d’accord avec la vision qu’ont certains qui veulent faire croire que Tarzan est l’image de la race blanche supérieure, ils ont mal lu Tarzan, ou veulent le pervertir par manipulation politique ou malhonnêteté intellectuelle. Dans le premier roman de Burroughs, Tarzan est un animal, un prédateur, il ne se pose pas de questions humaines. Point.

Tu n’as d’ailleurs pas cherché à estomper l’esprit colonialiste de certains protagonistes qui n’est que le reflet d’une époque…
Deux choix s’offraient à moi : gommer ces aspects où les traiter de front. J’ai choisi la seconde option. J’exècre cette « cancel culture », par contre je suis pour la re-contextualisation de certaines œuvres par le biais d’une préface par exemple. Mais qui sommes-nous aujourd’hui pour juger une autre époque, et penser être dans la tête de morts ? C’est une stupidité sans nom. J’ai donc ajouté un personnage, celui d’un belge, De Grauw. J’ai lu ça et là que c’était pas bien de présenter un mauvais belge face à un bon français, mais je ne vois pas ça comme ça, De Grauw est le personnage que j’ai préféré écrire, faire parler, et il n’est pas si basique que ça, il possède un bon sens qui dépasse parfois la moralité rigide de l’officier français d’Arnot. Les joutes entre les deux étaient jubilatoires à écrire. Il n’est pas raciste, il est xénophobe, il n’est pas misogyne, il est rustre et maladroit. Et sur le fond il a raison, seul un chasseur peut survivre dans une telle jungle remplie de prédateurs.

Que penses-tu de la tempête dans un verre d’eau autour de la sortie de Niala de Jean-Christophe Deveney et Christian Rossi ?
Je n’ai pas lu l’album, je ne connais donc pas son contenu réel. J’ai cependant un peu suivi l’affaire, qui est affligeante. Juger une œuvre sans l’avoir lue, sur la base d’un résumé qui n’était même pas écrit par les auteurs… c’est affligeant. C’est de plus en plus répandu, j’ai été attaqué par des féministes pour une phrase d’une cosmonaute dans Olympus Mons, phrase documentée que j’avais reprise de la bouche même d’une cosmonaute russe. Bref, je crois que certains et certaines feraient mieux de s’occuper de leur propre moralité que celles des autres, je doute qu’elle soit si exemplaire que ça pour donner des leçons aux autres et à la planète entière.

Pour citer un grand philosophe, Michel Sardou, cette époque m’emmerde ! Je suis issu d’une famille où on lisait Hara-kiri, Charlie Hebdo, Le Carnard Enchaîné… une famille avec l’esprit Charlie, le vrai, pas ceux qui étaient allé défiler après les attentats et qui font maintenant des pétitions contre une petite BD coquine pour l’interdire ou pour brûler des livres. Ces censeurs d’une stupidité crasse feraient bien lire Bradbury et de s’occuper de leurs fesses !

Seigneur de la Jungle, rough © SubicÇa a le mérite d’être clair smiley
Comment as-tu rencontré Stevan Subic qui signe les somptueux dessins de l’album ?

Grâce à Jean-David Morvan qui nous a présenté pour travailler sur notre Conan. L’album n’est pas encore paru. Je ne sais plus exactement comment nous avons glissé sur Tarzan, sans doute que cela s’est imposé assez naturellement. Pour Stevan aussi Tarzan représente quelque chose de mythique, tout comme moi je ne crois pas qu’il ait hésité une seconde quand la proposition lui a été faite.

Concrètement, comment s’est organisé ton travail avec Stevan Subic et Hugo Facio sur l’album ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de son élaboration ? A partir de quelle « matière » Stevan Subic a-t-il composé ses planches ?
Rien de spécial. J’ai envoyé des découpages, il m’a envoyé les planches terminées, on a procédé avec l’éditeur à quelques ajustements, puis est venu le travail sur la couleur où tout le monde échangeait. Tout cela s’est fait dans une parfaite entente. Je crois que nous avons tous pas mal d’affinités artistiques, et donc, même si les délais étaient courts pour Stevan, la réalisation de cet album a été plaisante et harmonieuse, nous avions tous le même but, nous allions dans la même direction, faire le meilleur Tarzan possible en donnant le meilleur de nous-mêmes. Sur ce point, quelque-soit l’accueil, nous ne pouvons pas voir de regrets.

Le fait que tu sois toi-même dessinateur change-t-il ta façon d’écrire ou de découper ton scénario ?
Oui. J’essaie de ne pas emmerder mes dessinateurs comme certains scénaristes avec qui j’ai travaillé m’ont emmerdé ! Blague à part, c’est un avantage. Je pense image, beaucoup de purs scénaristes n’ont pas la culture visuelle nécessaire. Bon, ce n’est pas un grand problème, un bon dessinateur parviendra toujours à redresser, à s’en arranger et à améliorer la chose.

Seigneur de la Jungle, encrage © Stevan SubicEn tant qu’auteur, quelle étape de l’élaboration d’un album préfères-tu ?
Les prémices, quand le livre est encore à imaginer, qu’on l’idéalise. Et quand c’est terminé. Quand on a le sentiment d’avoir donné le meilleur… rien à regretter, après le livre ne nous appartient plus.

L’apparence de Tarzan s’est-elle rapidement imposée ou est-il passé par différentes versions avant de revêtir celle que l’on sait ?
Il faudrait plutôt poser la question à Stevan, mais j’ai l’impression qu’il l’a trouvé assez vite. On voulait un Tarzan plus simple que celui de certaines BD d’Hogarth ou Kubert, moins Apollon, moins parfait physiquement, sans tomber non plus dans le Greystoke incarné par Christophe Lambert. Se situer entre ces deux imageries.

Ceux qui n’ont pas lu le roman pourront être surpris par les séquences où le héros apprend seul à lire avec un vieux livre pour enfant et un gramophone… As-tu pensé à les supprimer ?
Non, elles sont essentielles. Le gramophone est une invention, il n’est pas dans le roman original, c’est surtout un artifice qui sert ensuite la rencontre avec Jane, où Tarzan déclame les paroles d’une chanson à la jeune femme, sans qu’il réalise exactement qu’en réalité il s’agit d’une déclaration d’amour. Ça me permettait d’incarner une forme de naïveté de Tarzan, loin des codes sociaux des humains, les ignorant même totalement. Pour l’apprentissage de la langue, qu’il ébauche dans une encyclopédie pour enfant, je l’ai renforcée lors de sa rencontre avec D’Arnot, ce dernier l’instruit, lui parle de la civilisation, des hommes, de sa famille… D’Arnot comprend assez vite qu’elles sont les véritables origines de Tarzan.

Seigneur de la Jungle, mise en couleur © Subic / Bec / FacioQuel est le second roman de Burroughs que tu vas adapter ?
En fait j’ai utilisé deux romans : « Le Retour de Tarzan », qui est le deuxième roman écrit par Burroughs et « Tarzan au Coeur de la Terre », qui est plus tardif dans la série de romans. Beaucoup ignorent qu’il a écrit 25 romans de Tarzan et un 26ème inachevé. Ce second album sera beaucoup plus « pulp » et fun que le premier, une adaptation qui prendra encore plus de libertés avec l’original, mais en essayant à nouveau de ne pas trahir l’esprit.

Est-ce Stevan Subic qui en signera les dessins ?
Non. Au départ ce devait être uniquement Roberto de la Torre, un très bon illustrateur, qui a même du génie, mais qui raconte assez mal en BD, j’ai dû réécrire tous les textes, il ne suivait absolument pas mes découpages. Il a voulu enlever toute une séquence, une séquence clef, j’ai refusé et ça a créé un blocage. Du coup c’est Stefano Raffaele qui terminera l’album et qui dessinera le dernier tiers.

Peux-tu en quelques mots nous parler de Xuthal la Crépusculaire qui devrait paraître en juin ? Conan fait-il aussi partie des lectures qui ont marqué ta jeunesse ?
Oui, totalement. Encore plus que Tarzan. J’ai lu Howard, je suis fan absolu du film de John Milius. C’est un peu moi qui ait poussé la porte pour pouvoir en faire un dans la collection chez Glénat. Je suis passé par Jean-David Morvan qui la chapeaute. Du coup ça a aussi débouché sur une collaboration sur un Carthago Adventues que l’on a co-écrit.

Christophe Bec, Work in ProgressPourquoi avoir choisi s’adapter cette nouvelle qui n’est pas l’une des plus connues de Robert E. Howard ?
En fait j’ai pioché dans celles qui restaient disponibles. Et Xuthal est la nouvelle qui m’a le plus plu en la relisant. Je n’en avais pas forcément de grands souvenirs, sinon les images de l’adaptation en BD de John Buscema, immense dessinateur. En lisant la nouvelle adulte, j’ai aussitôt perçu le sous-texte sado-masochiste et la question de l’addiction aux drogues, c’est ce qui m’a décidé.

Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
Pour poursuivre dans les reprises de personnages célèbres il y aura en septembre la sortie d’un nouveau Bob Morane, intitulé « Les 100 Démons de l’Ombre Jaune », coécrit avec Corbeyran et dessiné par Paolo Grella. Projet très important pour moi, il y avait eu deux essais précédemment avortés dans les dix dernières années, et j’ai enfin pu arriver à l’aboutissement de cette reprise.

Il y aura la fin de la série Prométhée, qui se terminera au tome 23, mais il y aura en plus deux albums spéciaux, deux gros volumes, qui encadreront les deux grands cycles, une préquelle (réalisée par des américains) et une séquelle (que j’ai écrite).

Le second cycle d’Olympus Mons se bouclera au tome 9, Crusaders au tome 5, Angel au tome 3. Je travaille depuis deux ans sur une collection de 4 albums, 4 one-shots, qui se nomme Survival. J’ai écrit un one-shot intitulé Sector 5, un récit très spécial pour moi. Un autre album dans la collection West Legends sortira, sur Butch Cassidy et le Wild Bunch.

J’ai également bouclé le gros album Inexistences sur lequel je travaille depuis 5 années, qui contiendra 62 illustrations, 67 planches de BD, de nombreux textes et 4 grandes peintures, un livre hybride, un livre-objet. Donc en fait je vais boucler pas mal de choses dans les prochains mois, Carthago par contre, vu le succès du dernier dytique sorti, Kane et Albinos, verra au moins deux autres diptyques, et en vue, deux nouvelles séries Abaddon et Aurora.
Seigneur de la Jungle, recherche : Tarzan © Stevan Subic
Dans quel état d’esprit traverses-tu cette période un brin irréelle que nous traversons ? Une telle pandémie t’aurais-t-elle semblée crédible dans un récit de fiction ?
J’ai beaucoup d’albums qui ont souffert car sortis juste avant les confinements. C’est à nouveau le cas du Tarzan, malheureusement. J’avais travaillé sur un gros album directement pour la Chine, La Terre Vagabonde, une adaptation du grand écrivain de SF chinois Liu Cixin. A cause du Covid l’album s’est ramassé là-bas, donc cette crise a impacté fortement mon métier. Je ne suis évidemment pas à plaindre, je pense que ça va être très difficile pour de nombreux auteurs, qui étaient déjà en difficulté. La vision à très court-terme des éditeurs commence à être très handicapante, ainsi que le fait que les politiques en place nous refusent toujours un vrai statut.

Notre profession est malmenée, on sent même une volonté de la faire disparaître. Dans cette période, chaque mauvaise nouvelle est amplifiée. Habitant le plein centre d’une grande ville, je vois réellement l’impact des mesures restrictives, personnellement, c’est surtout la perte de petits plaisirs, comme le café du matin à la brasserie de ma rue, qui me manquent le plus. Il y a une morosité ambiante qui commence à être inquiétante.

Par chance, on fait un métier (ou ce qu’il reste d’un métier) qui nous offre parfois une certaine évasion, par période je retrouve une forte envie créatrice, d’autres moments sont plus difficiles. Je remarque que les gens sont plus tendus, je subis depuis des années un bashing sur un forum BD venant de quelques personnes frustrées par leur vie de merde et ça s’est amplifié, je fais abstraction, mais ça reste un effort de faire abstraction de cette médiocrité. Évidemment que cela aurait pu figurer dans une fiction, j’ai d’ailleurs deux albums qui ont été publiés, Labyrinthus, dont le point de départ était une pandémie orchestrée par un artefact alien chargé de réguler la surpopulation dans l’univers. Le drone terrien extraterrestre avait une forme de chauve-souris pour passer inaperçu. J’avais visé pile, mais le diptyque a été un échec commercial, faut croire que les gens n’avaient pas envie de lire ça, ça rappelait sans doute trop la situation actuelle.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Honnêtement, ça fait longtemps que je n’ai pas été bouleversé par une œuvre, que ce soit en BD ou au Cinéma. Je suis en train de lire « Maître à Bord » de Patirck O’Brian (ouvrage duquel a été tiré l’excellent film Master and Commander) et j’adore.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Non, je me pose assez de questions comme ça.

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

un personnage de BD : Bruce J. Hawker
un héros de ta jeunesse : Haroun Tazieff
un personnage de roman : Bob Morane
une chanson : « Forever Young » d’Alphaville
un instrument de musique : Piano
un jeu de société : le poker (pas vraiment un jeu de société, mais bon...)
une découverte scientifique : celle d’une vie extraterrestre (elle va arriver...)
une recette culinaire : je prépare un excellent saumon au fenouil en 3 façons (comme ils disent à Top Chef)
une pâtisserie : chocolatine (et qu’on ne me parle pas de pain au chocolat !)
une ville : Saint-Gilles à La Réunion (je trépigne d’envie d’y retourner !)
une qualité : persévérance
un défaut : entêtement
un monument : la cité nabatéenne de Pétra
une boisson : caiperinha
un proverbe : « Quand on lutte contre des monstres, il faut prendre garde de ne pas devenir monstre soi-même. Si tu plonges longuement ton regard dans l'abîme, l'abîme finit par ancrer son regard en toi. »

Christophe Bec, l'atelier de l'artiste
Un dernier mot pour la postérité ?
Si un seul de mes albums est encore lu après ma mort, alors j’aurai réussi ma vie (sans Rolex).

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Le Korrigan