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Entretien avec Romain Sordet
interview accordée aux SdI en juin 2021


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…

Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…

Non

Merci à toi…
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

Je m'appelle Romain, j'ai 41 ans et je vis dans la banlieue de Strasbourg. J'ai d'abord fait des études de design industriel avant de me diriger vers le dessin narratif. J'ai commencé à travailler en 2007 comme Pixel Artist pour les jeux vidéos sur téléphones mobile (pas de 3d sur les mobiles à l'époque !) . J'ai ensuite eu l’opportunité en 2009 de rentrer dans le milieu de l'animation, dans lequel j'ai travaillé plus de 10 ans, en tant que designer de props (les objets animés) et fx tout d'abord, puis comme story-boarder ensuite. Le métier de story-boarder pouvant être pratiqué à distance, cela m'a permis de quitter Paris pour venir m'installer à Strasbourg en 2014. Pas de compte aux îles Caïman malheureusement, mais je ne désespère pas ;)

Téléportation inc., recherche de couverture du tome 2, version 7 © Sordet / Latil / KaoriEnfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient vos livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?
Aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours aimé lire et la bd a très tôt tenu la première place dans mes choix de lecture. Mon premier souvenir de lecteur de bd est un album souple de Buck Danny que mon père m'avait acheté chez un bouquiniste durant un été à Narbonne en me disant : tiens c'est ce que je lisais à ton âge... Mais là où mon père a vite arrêté de lire des BD, je suis moi tombé dedans pour ne jamais en ressortir. Il y'a eu d'abord les franco belges, déjà plus orienté action aventure (excepté Astérix évidemment) comme Buck Danny et Rahan dont j'ai beaucoup copié les dessins au début.

Puis, arrivé à l'âge de me payer moi-même mes albums, j'ai glissé vers les comics qui étaient plus abordables et surtout plus accessibles car vendus en kiosques. J'ai commencé par les comics Marvel édités chez Lug/Semic (Strange Titans) puis suis vite passé à Image comics avec Spawn notamment et Jim Lee qui reste probablement ma plus grosse influence graphique, même si cela ne se sent plus forcément aujourd'hui. J'ai également pris de plein fouet la première vague de Mangas au milieu des années 90 avec un magazine de Glénat qui s'appelait Kaméha où j'ai découvert notamment Appleseed et Ghost In The Shell, puis Akira, que je n'ai eu le courage de lire que plus tard, mais qui reste pour moi le chef d'œuvre ultime de la BD.

Pourquoi l’œuvre ultime ? (je dis ça mais la série m’a aussi profondément chamboulé smiley
Alors, tout d'abord, ça reste bien entendu complètement subjectif. Je trouve qu'Akira est, du point de vue narration visuelle, un véritable tour de force. Réussir sur un si grand nombre de pages à raconter les histoires de tant de personnages de manière claire et fluide tout en gardant une telle puissance graphique sur la durée est pour moi une vraie leçon. La sensation que chaque plan est cadré exactement comme il faut raconter l'histoire de manière claire et spectaculaire est quelque chose que j'ai peu ressenti chez d'autres auteurs, à part peut-être chez GIR dans quelques Blueberry. Enfin la capacité à lier la petite histoire et la grande en abordant des thèmes SF profonds et ambitieux tout en racontant des histoires personnelles donne une immense scope à cette œuvre que, je pense, chaque amateur de BD se doit de lire au moins une fois.

Téléportation inc., storyboard Sordet / Latil / KaoriA quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité ta vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
L'envie de dessiner est née en moi dès que j'ai découvert mes premiers albums mais, je pense que l'idée d'en faire mon métier a vraiment germé lors d'une séance de dédicace avec André Chéret, le dessinateur de Rahan, qui m'avait épaté par sa maîtrise et sa gentillesse... J'avais 12 ans. Depuis l'idée ne m'a jamais quitté mais je savais que ce serait difficile et que peu avaient la chance de percer. Cela n'a pas vraiment relevé du parcours du combattant (même si il faut être tenace et combatif ) mais plutôt de l'épreuve de patience. Continuer à progresser dans l'attente du jour ou l'opportunité se présenterait.

Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
La grande joie est bien entendu de se lever le matin et de prendre du plaisir à exercer son métier, même si certains jours, la frustration peut l'emporter lorsqu'on n’arrive pas à ce que l'on veut ou lorsqu'on a de gros décors à dessiner, ce qui peut devenir lassant quand on a un souci maladif du détail comme moi smiley

Les difficultés viennent du fait que l'on est JAMAIS satisfait de ce que l'on fait et que quelques temps après avoir fini une planche, on ne voit plus que les erreurs. Il y a également de gros problèmes actuellement avec notre statut d'Artistes Auteurs qui est quasi inexistant et ne nous protège en rien des aléas d'un métier et d'un marché des plus versatiles.

Comment as-tu rencontré Dominique Latil qui signe le scénario de Teleportation Inc ? Qu’est-ce qui t’as séduit dans ce scénario et dans cet univers d’anticipation ?
Je faisais des lives sur le site de streaming Twitch lorsque je dessinais pour moi en dehors des heures de travail et un dessinateur de Bd déjà établi m'a repéré et m'a dit que Christophe Arleston cherchait de jeunes auteurs pour lancer sa nouvelle maison d'édition, Drakoo, avec Olivier Sulpice.

J'ai donc envoyé un projet à Christophe qui, s'il n'a pas été convaincu par l'histoire, a senti que mon style collerait avec le projet de Dominique qu'ils avaient gardé sous le coude. J'ai fait quelques planches test et cela s'est fait comme ça.

Il y avait beaucoup de chose pour me séduire dans ce projet, le coté SF évidemment dont j'ai toujours été très friand, mais également l'ambition de Dom de vouloir raconter la petite histoire dans la grande en montrant les conséquences des actions des héros sur le climat social des planète visitées. Enfin je pense que ce qui m'a le plus séduit, c'est ce personnage féminin fort et truculent, dans la lignée des héroïnes d'action de mon enfance comme Sarah Connor ou Ellen Ripley .

Téléportation inc., rough © Sordet / Latil / KaoriDans quel état d’esprit étiez-vous lorsque l’album a été disponible sur les étals ?
De la joie majoritairement, je réalise un rêve de gosse. De la frustration également car, l'album ayant été reporté d'un an à cause du covid, le contexte n'est pas idéal pour lancer une nouvelle série et car je n'ai toujours pas pu faire le moindre festival ni séance de dédicace pour aller là la rencontre des lecteurs. Malgré tout je suis maintenant excité par la sortie du tome 2 que je viens de terminer et qui doit sortir à l'automne.

Comment as-tu élaboré l’apparence de tes personnages ? Lubia Thorel, héroïne de la série, est-elle passée par différent stade avant de revêtir l’apparence que l’on sait ?
Le design des personnages vient d'un ping-pong entre moi, Dominique Latil et Christophe Arleston. Dominique me fournit un bref descriptif des personnages et je pars de ça pour essayer de trouver comment refléter par la forme et le costume le caractère propre à chacun des personnages. En général cela va assez vite, je présente 2/3 croquis, on en choisit un que je modifie ensuite en tentant de tenir compte de l'avis de chacun. On sait que c'est bon lorsqu'on arrive à une sorte de consensus.

En ce qui concerne Lubia, j'avais présenté un personnage féminin assez semblable dans mon précédent projet et nous sommes partis d'elle pour la faire évoluer en fonction des besoins de l'histoire. Cela a surtout porté sur l'élaboration des costumes, car pour ce qui est du physique j'ai été assez libre. Mon but n'était pas forcément d'essayer d'être le plus original possible mais bien de chercher un design agréable et que je serais à peu près sûr de pouvoir dessiner dans toutes les situations sur la durée. Après les designs évoluent eu fur et à mesure que l'on prend les personnages en main et que l'on constate à l'usage ce qui fonctionne ou non,
Téléportation inc., recherche de personnage © Sordet / Latil / Kaori
Univers de SF oblige, l’album fourmille de technologies avant-gardistes particulièrement originales… Où as-tu puisé ton inspiration pour élaborer tous ces artefacts futuristes ?
C'est quelque chose que je travaille de mon côté depuis bien longtemps, je me suis donc créé au fil des années un vocabulaire qui m'est assez propre et qui me vient plutôt naturellement. Je suis un grand amateur d'effets spéciaux et mes influences en la matière me viennent principalement du cinéma de SF des années 80 ( Star Wars, Alien, Blade Runner) , mais aussi des manga cyberpunk des années 90 comme Gunnm et Ghost in the Shell.

Téléportation inc., encrage © Sordet / Latil / KaoriCe qui impressionne d’emblée, plus encore pour un premier album, c’est ton sens du mouvement qui rend chacune de tes planches incroyablement dynamiques… Quels sont tes maîtres en la matière ?
C'est gentil, merci smiley
Encore une fois mon maître en la matière est Katsuhiro OTOMO, l'auteur d'Akira, mais je pense également que, tout comme lui, mon expérience en tant que story-boarder pour le dessin animé m'a également beaucoup apporté à ce niveau-là.

Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de l’élaboration de l’album ?
Nous avons travaillé de manière assez habituelle je pense. Dominique m'envoyait la portion du scénario qu'il avait finalisée avec Christophe, et je leur renvoyais la séquence sous forme de storyboard rapide pour qu'on valide ensemble la mise en scène et la narration des planches ainsi que le placement des bulles, que je ne modifie plus par la suite.

Après c'était à moi de jouer et de finaliser les planches en noir et blanc. Je travaille en numérique donc je n'ai pas d'étape de crayonné à proprement parler, je passe par une étape de rough ou je définis surtout les personnages mais l'essentiel de mon dessin se fait à l'encrage, cela me permet de garder une bonne spontanéité à cette étape. C'est aussi à ce moment-là que pose mes perspectives et mes décors qui ne sont qu'esquissés jusque-là.

Ensuite évidemment il y Aurélie F. Kaori, ma coloriste, qui vient mettre sa magie là-dedans et on obtient une page encore meilleure et prête à l'impression. D'une certaine manière, on pourrait dire que c'est un travail d'équipe solitaire smiley

Quelle étape te procure le plus de plaisir ?
Définitivement l'encrage, c'est le moment ou tous les problèmes narratifs étant résolus, je peux mettre du gros son et me lâcher. Je prends beaucoup de plaisir à voir les choses aboutir et à voir la planche prendre sa forme définitive.

Comment as-tu construit la superbe couverture de l’album ? S’est-elle rapidement imposée ou plusieurs projets étaient-ils à l’étude ?
Ca a été un projet assez long car la couverture doit être validée par toute la chaîne de production de l'album, de l'éditeur au graphiste en passant par le service marketing. Je dois dire que j'ai été surpris par le nombre d'aller-retour qu'elle a subi. L'idée de représenter la téléportation directement sur la couverture s'est imposée d'emblée mais on amis du temps à trouver la pose de Lubia et surtout la bonne balance de couleurs pour attirer le chaland.
Recherche de couverture
Téléportation inc., test de couverture © Sordet Téléportation inc., test de couverture © Sordet Téléportation inc., test de couverture © Sordet

Quand donc devrait paraître le second tome de la série ?
Il est prévu pour Août/Septembre 2021. J'ai fini les planches la semaine dernière et ma coloriste, Auréli Kaori, travaille dessus à s'en faire sortit les tripes en ce moment même. Il devrait être plus beau que le premier, en tout cas j’espère smiley

Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
L'avenir immédiat est assez flou. Comme nous avons tous deux apprécié de travailler ensemble sur TELEPORTATION INC, Dominique Latil et moi allons tenter de monter un autre projet, plus space-opéra, que nous présenterons dès que possible aux éditeurs. Mais si cela n'avance pas assez rapidement je vais sûrement retourner faire un peu de story-board pour le dessin animé afin de faire bouillir la marmite, car monter des dossiers de bd, ça ne paie pas encore le loyer...

Malgré tout ma priorité et mon envie principal reste de continuer à faire de la BD. Achetez mon album si vous voulez m'aider en ce sens smiley

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Cela fait bien longtemps qu'un film ne m'a plus fait grimper au rideau, je crois que ma dernière claque remonte à Blade Runner 2049.

Il y a bien qq séries qui sortent un peu du lot, j'aime bien Peaky Blinders et j'attends avec impatience la suite de Stranger Things mais dans l'ensemble je me lasse assez vite.

Pour ce qui est de la bd par contre, j'ai adoré Il Faut Flinguer Ramirez et les Lucky Luke de Mathieu Bonhomme. J'ai également découvert Shangri-La de Mathieu Bablet et ça m'a bien remué. Dans l’ensemble je suis plus du genre à explorer les classiques qu'à courir après la nouveauté, Par exemple je viens de découvrir Blueberry ( le cycle de l'or des confédérés ) et j'ai adoré !

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Nope !

Téléportation inc., mise en couleur © Sordet / Latil / KaoriPour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

un personnage de BD : Kanéda (Akira)
un personnage mythologique : Poséidon
un personnage de roman : Bilbo
une chanson : Bullet In The Head (Rage Against the Machine)
un instrument de musique : le violon
un jeu de société : Risk
une découverte scientifique : E=MC2
une recette culinaire : les Pâtes Carbonara
une pâtisserie : le Mille-feuilles
une ville : New York
une qualité : l’ouveture d'esprit
un défaut : Râleur
un monument : La Tour Eiffel
une boisson : la Bière
un proverbe : un « tiens » vaut mieux que deux « tu l'auras ».

Un dernier mot pour la postérité ?
Mot.

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Le Korrigan