Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…
Tu, c’est très bien ! Je ne sais pas ce que vous en pensez…
Vous avez parfaitement raison . Merci à toi
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?) A quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité votre vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
Je suis un vieux, très vieux passionné de bande dessinée, à présent retraité sauf de la BD. J’en ai toujours lu, beaucoup lu, beaucoup étudié (thèse sur la BD, formation pour les enseignants, bouquins sur la BD…), et de fil en aiguille, j’ai été tenté d’en écrire, sur le tard.
J’avais 45 ans quand mon premier album est paru et j’en ai publié près de 35 à ce jour, traduit dans plusieurs langues même. J’ai été prof de lettres mais toujours passionné par la relation texte / image et l’idée que quelqu’un puisse mettre des dessins sur une histoire qu’on écrit me séduisait beaucoup. J’ai tenté à plus de 30 ans de dessiner (plutôt rond et gros-nez) mais je ne trouvais pas ce que je faisais assez bon.
Pourrait-on voir quelques-uns de ces dessins ?
Pas sûr que ce soit nécessaire d’autant que mes essais peu convaincants sur « Les Bavards » ont été transformés par Luc Turlan dans deux albums des « Cagouilles » (Geste Editions).
Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?
J’ai eu la chance de vivre dans une famille où la lecture de la BD ne faisait pas peur. Enfant, j’ai d’abord lu les magazines que lisaient mes frères un peu plus vieux : Tintin et Pilote, principalement. Et on nous offrait des albums Tintin à Noël. J’étais plutôt attiré par la BD humoristique (plutôt Astérix que Tanguy et Laverdure) et semi-réaliste (plutôt Tintin qu’Alix, pour simplifier). Et je voue depuis une admiration totale pour la narration d’Hergé, de Goscinny, Greg, Godard, Charlier, Fred… Et j’en oublie énormément forcément !
Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ? Comment définirais-tu le métier de scénariste ?
L’écriture de scénarios s’est toujours faite en marge de mon métier d’enseignant. J’ai donc du mal à parler de mon « métier de scénariste » et j’ai longtemps eu du mal à me désigner comme scénariste d’ailleurs… ça me fait toujours drôle, en fait !
En tant que scénariste et que citoyen, comment as-tu vécu ces confinements successifs ?
En tant que retraité vivant à la campagne (près de Poitiers), le confinement n’a pas été excessivement pénible. Par contre, mon goût du voyage a été durement réprimé. Cela dit, c’est devenu très vite une situation planétaire incroyable, mais comme je ne suis ni complotiste, ni anti-vaccin, j’ai accepté bon gré mal gré les règles du jeu. Je suis évidemment ravi que les choses s’améliorent et j’espère qu’on va tous très vite retrouver nos vieilles libertés (avec peut-être moins d’inconscience et d’égoïsme à l’avenir, je pense, en tout cas j’espère).
Ton dernier album, Halifax, mon chagrin, vient de paraître aux Editions Feles… Comment est né ce polar historique sombre et envoûtant ?
Merci pour les qualificatifs. Sombre… On pense aussi à « sombrer » ce qui va bien avec les naufrages évoqués dans l’album. L’album est né précisément d’un aspect du naufrage du Titanic méconnu, à savoir le tri des corps. Pour des raisons techniques expliquées dans le récit, on ne pouvait pas rapporter tous les corps et donc certains ont été lestés et remis à la mer…
Ce sujet m’a surpris et creusant l’histoire d’Halifax où ont été enterrés pas mal de victimes, je suis tombé sur un sujet bien plus important, la catastrophe qui en 1917 détruit une grande partie de la ville et fait des milliers de morts et de blessés. Là, je me suis dit qu’il fallait inventer quelque chose qui se passe pendant cet épisode et qui ait un rapport avec le Titanic. L’imagination a fait le reste….
Comment ce récit a-t-il rencontré cet éditeur alsacien ?
C’est Pascal Regnauld qui connaissait un peu l’éditrice et qui lui a proposé le projet. Elle connaissait Halifax. D’emblée ça lui a plu !
Comment as-tu rencontré Pascal Regnauld qui signe les dessins de l’album ? Qu’est-ce qui t’a séduit dans son travail et dans son style atypique et particulièrement envoûtant ?
Julien Moca (Derouet), coscénariste avec moi de l’album « L’Affaire de l’auberge rouge » m’a aiguillé un jour sur Pascal. Comme j’apprenais qu’il était le dessinateur de pas mal de « Canardo » de Sokal, je me suis dit que j’avais à faire à trop grand pour moi. Mais Pascal a aimé ce scénario et ça s’est fait très naturellement, je dirai. Du coup, on enchaine ensemble (avec mon frère Alain Quella-Viléger comme co-scénariste) pour un album consacré aux voyages de Pierre Loti. C’est déjà commencé dans un style graphique un peu différent d’ « Halifax » et c’est très beau également.
L’écriture de cet album a-t-il nécessité de longues recherches historiques ? Quel ouvrage conseillerais-tu à un lecteur désireux d’en apprendre davantage sur cette ville de Nouvelle-Ecosse ?
Beaucoup de lectures, oui, et ce qui complique un peu la chose essentiellement en anglais mais en cherchant sur Internet on trouvait aussi quelques petites choses en français. Les Canadiens ont d’ailleurs pas mal écrit sur la catastrophe de 1917. Sur l’histoire des peuplements de cette région, on ne manque pas non plus d’informations.
Quels souvenirs garde-t-on à Hallifax de cet improbable enchaînement de tragédies ?
Je devais y aller l’an dernier pour faire du repérage, aller visiter les cimetières liés au Titanic et le Musée qui est consacré à l’histoire maritime d’Halifax, mais le COVID en a décidé autrement. Mais j’irai découvrir La Nouvelle-Ecosse fin septembre.
As-tu dû écarter certaines anecdotes intéressantes sur le lien entre le Titanic et Halifax pour des raisons de rythme ou autre ?
Le fait est que je ne voulais pas refaire ce que d’autres ont déjà raconté : le « Titanic » est un sujet extrêmement visité qui a connu beaucoup, beaucoup de témoignages et de fictions. Ça n’avait pas d’intérêt d’y revenir d’autant que le naufrage n’est finalement ici qu’un point de départ vers autre chose… J’ai donc retenu la préparation du bateau qui part sur zone, les métiers qui vont y participer, le repêchage des corps, leur arrivée à Halifax, ville tout de même plombée par cet épisode.
A partir de quelles indications Pascal Regnauld a-t-il élaboré l’apparence des principaux personnages du récit ? Les principaux protagonistes ont-ils rapidement trouvé la leur ou sont-ils passés par différentes étapes avant de revêtir celle que l’on sait ?
A part le héros d’origine indienne et l’héroïne pour laquelle j’avais des exigences, j’ai laissé à Pascal le soin de les imaginer à la lecture. Le casting s’est fait assez vite, finalement.
Comment s’est organisé votre travail à quatre mains sur l’album ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de la création de cet album ?
Comme je ne maitrise vraiment une histoire que lorsque je l’ai complètement écrite (dialogues, découpages, documentation) le dessinateur a tout d’un coup. Après, ce sont des aménagements au coup par coup au fil de la réalisation, des points de doc, des remarques ponctuelles sur les dialogues, bref des ajustements avec dans la boucle l’éditrice Blandine Lanoux et le directeur artistique, Giuseppe Manunta qui apportent éventuellement leurs remarques. Mais Pascal étant un professionnel, rares sont les retouches nécessaires, au final.
Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
A venir et signés paraitront en octobre un album sur celle qui a inventé les Jeux Olympiques féminins « Alice Milliat Pionnière Olympique » chez Petit à Petit. L’an prochain, ce sera le tour de la « La Part des Flammes » (chez Philéas avec le dessinateur Wyllow, un album adapté du roman éponyme de Gaëlle Nohant, un travail de commande que j’ai volontiers accepté vu le sujet) et « Loti Voyageur » avec Pascal Regnauld chez Calmann-Lévy, déjà signalé... D’autres projets complètement écrits et découpés cherchent éditeur, deux ou trois notamment qui me tiennent à cœur et que je rêve vraiment de voir se réaliser et dont je m’agace qu’ils piétinent. J’espère que ça va bouger ! J’espère aussi que Grand Angle va accepter mon projet d’un troisième « Facteur pour Femmes », déjà écrit, mais l’éditeur attend le retour du tome 2 paru début mars avec Manu Cassier. Je voudrais prendre aussi le temps pour réunir nombre de nouvelles que j’ai écrites et dont certaines avaient été éditées en leur temps…
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Difficile de répondre à cette question, d’autant qu’avec le contexte COVID, spectacles ou séances de cinéma ont été écartés. Côté BD, en revanche, j’en lis beaucoup et je les chronique très régulièrement sur le site d’Education Nationale L@BD ou sur le site BDzoom (dans ma rubrique ). Tout récemment, j’ai adoré « Jours de sable » d’Aimée de Jongh (Dargaud) ou « La baleine bibliothèque » de Vanistendael et Zidrou (Lombard). Mais globalement la production est telle qu’il y a beaucoup de belles choses.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
A la rigueur, pourquoi j’écris. Je me pose souvent la question : pourquoi ce besoin, cette envie ? C’est assez égoïste au départ. Au-delà du plaisir à partager une histoire totalement inventée ou pas ou inventée sur un arrière-plan historique, je cherche d’abord à apprendre des choses en écrivant. Inventer des histoires est une façon d’ouvrir des portes, de creuser, de se cultiver… et de voyager dans le temps également. Voyager dans l’espace et dans le temps, c’est la meilleure façon d’apprendre à relativiser ce qui se passe, se dit, se raconte… ça ouvre l’esprit, il me semble.
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Je ne suis pas très bon sur ce type de questions ! J’ai du mal avec le « si j’étais… ». Je suis ce que je suis et je pourrais dire que ça me suffit, finalement. J’ai du mal à m’imaginer autre chose, sauf le temps d’une lecture et, encore plus, le temps de l’écriture où l’on endosse la peau de personnages, tour à tour, mais pas un seul. Cela dit, je ne suis pas sûr de vouloir ressembler aux personnages que je mets en scène, ni de vivre dans les périodes où ils s’agitent.
Même désigner un seul personnage de BD ou de roman, c’est quasi impossible pour moi. En fait, quand je lis, je préfère les nouvelles ou les bandes dessinées pour changer de « costume » ou de « déguisement » très fréquemment… « Si j’étais » suppose d’admirer quelqu’un, or ce sont des tas de gens qui nous ont construit. En fait, on est plein de gens. En bref, à ça , je ne sais pas répondre, désolé.
Pas de soucis
Un dernier mot pour la postérité ?
La postérité m’importe peu et c’est très orgueilleux ou naïf de compter sur elle. Plus simplement, je compte sur les vivants qui m’accompagnent au quotidien et sur ceux qui vont me lire… C’est le présent qui compte, pour tout d’ailleurs. En même temps, en écrivant des scénarios, on diffère le temps de la concrétisation d’un récit car il faut quelqu’un pour dessiner cette histoire et ça prend du temps… Donc, le présent avec un gros poil de futur !
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
C’est un plaisir de tenter de répondre même si je ne suis pas sûr de l’intérêt de plusieurs de mes réponses.