Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien et de nous consacrer une partie de votre temps si précieux !
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? (âge, passions, études, parcours …)
J’ai 36 ans. Je suis né au Brésil où j’ai vécu jusqu'à 18 ans, avant de venir vivre en France. D’aussi loin que je me souvienne j'ai toujours aimé dessiner, bien qu'à un moment la musique m'ait également fait du pied. Quand j'ai finalement choisi le crayon plutôt que la guitare je me suis inscrit à la fac d’arts plastiques et ça a été en quelque sorte le début de l'aventure.
Enfant, quel lecteur étiez-vous ? Quels étaient vos auteurs de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?
Il y a une BD pour enfants extrêmement populaire au Brésil qui s'appelle Turma da Mônica, c'est sans doute là que j’ai lu mes premières bulles. Peu de temps après j'ai découvert la collection de Tintin de mon père et ça a été un premier bouleversement. En bon jeune adolescent brésilien j'ai lu beaucoup de comics car c'est ce que l'on trouvait là-bas, et je m'imaginais dessiner des super-héros toute ma vie. Et puis pour mes 14 ans on m'a offert un petit album de Milo Manara en format poche, “Les aventures de HP et Giuseppe Bergman” et du jour au lendemain j’ai abandonné les héros en collants et je me suis tourné vers la BD européenne.
A quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité votre vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
C'est je pense en copiant les superbes dessins de Greg Capullo encrés par Todd McFarlane dans “Spawn” vers l'âge de 11 ans que m'est venue pour la première fois l'idée d'en faire un jour mon métier. Un peu plus tard, les travaux de Manara, de Moebius et de Boucq ont donné le cap de ce qui allait être la recherche de mon propre trait.
Pour ce qui est de mon parcours, il n'a pas été du combattant mais il a été parfois tortueux (et le demeure un peu) : j'ai commencé par des fanzines, puis des illustrations en freelance forcément mal payées, une incartade assez brève dans le dessin de presse et enfin un premier contrat d'édition – assez précaire lui aussi - pour une BD, qui a mené à d'autres contrats plus corrects mais pour des projets qui ne me ressemblaient pas trop et, enfin, il y a eu la possibilité de créer des œuvres plus personnelles.
Quelles sont, pour vous, les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Dessiner est pour moi une source de plaisir qui semble intarissable, autant l'acte en lui-même, dans sa forme la plus simple et intuitive, que l’aspect cérébral et conceptuel de la création d’une image. L'écriture de scénarios est un exercice plus difficile pour moi mais j'y trouve mon compte aussi : j'ai du mal à écrire mais j'aime avoir écrit, pour reprendre une formule.
Hormis le sempiternel défi de presque tout auteur de BD, qui est de gagner correctement sa vie dans un métier où la précarité guette en permanence, je dirais que les difficultés se présentent par phases : à 20 ans je pensais que le grand défi de ma vie était d'être un jour publié. Et puis un jour j'ai été publié et j'ai compris que le vrai défi était d’être lu. À l'heure actuelle mes défis sont plutôt liés à des questions artistiques, comme savoir quel type d'histoire j'ai envie de raconter et avec qui travailler pour espérer faire le meilleur album possible.
Avez-vous eu des difficultés à imposer votre style, très cinématographique, à vos débuts ? Vous avez des références cinématographiques particulières pour « Un avion sans elle » ?
Je n'ai jamais vraiment décidé d'avoir un style cinématographique, je pense que c'est ce qui me vient naturellement. Mais très vite les gens m'ont fait remarquer que j'avais cette sorte de tropisme et j'ai vu que ça semblait plaire, donc je n'ai rien faire pour le brider.
Pour “Un avion sans elle”, j'ai abordé dès le début l'album comme une sorte de film à grand budget, quelque chose d'un peu spectaculaire donc, mais en gardant un soin particulier dans le choix des palettes de couleur et des ambiances, pensant chaque scène comme un univers esthétique en soi, un peu à la Wes Anderson. Pour les cadrages je n'ai jamais renié l'influence presque inévitable de Kubrick et il se trouve - ça tombait bien - que Fred lui rendait joliment hommage dans la scène du parc.
Vous pratiquez également la danse. Pensez-vous que cet art influence la façon dont vous mettez en scène vos personnages ? J’ai en effet été très frappée par le sens du mouvement dans vos cases.
Le mouvement m'apparaît souvent comme étant le nerf de la guerre en dessin. Les personnages statiques sont un enfer à représenter et mettre en scène. J'ai l'habitude de penser chaque case et chaque personnage de manière dynamique, en termes d’axes et d'intentions. Je ne sais pas trop faire autrement.
Quant à la danse, je crains qu'il ne s'agisse d'un malentendu dû à Internet ! J'aurais adoré être danseur mais il semblerait que je sois plus doué pour faire bouger mes personnages que moi-même.
Vous assurez également la couleur dans tous vos albums et votre palette est plutôt reconnaissable Quels sont vos maîtres en peinture ?
Je suis venu à la couleur plutôt tard et je ratisse assez large en termes de références. J'aime la vigueur et le culot des fauves, par exemple, mais je suis tout aussi touché par la subtilité de Mucha, dont les couleurs ne semblent exister que dans la mesure où elles soutiennent le dessin. De même, je peux m’extasier devant la texture granuleuse d'une vieille estampe comme devant la beauté lisse et froide d'une peinture numérique de celles qui pullulent sur Instagram. En matière de couleurs j'attrape au vol tout ce qui attire mon regard.
Vous avez réalisé trois adaptations : « La maison à vapeur » d’après Jules Verne avec Samuel Figuière, « La drôle de vie de Bibow Bradley » d’Axl Cendres chez Sarbacane pour laquelle vous étiez à la fois au dessin et au scénario, et tout récemment celle du blockbuster de Michel Bussi « Un Avion sans elle » avec Fred Duval au scénario. Que pensez-vous de la condescendance avec laquelle on regarde parfois ce travail d’adaptation dans le milieu de la bande dessinée ?
Une bonne adaptation en BD peut faire ressortir d'une histoire déjà existante des intentions qui y étaient cachées, créer du rythme là où il y avait de la régularité, donner à voir matériellement des choses abstraites, ou au contraire se payer le luxe de cacher ce que l’on pensait voir, etc. etc. Quand les adaptations sont exigeantes, osées, intelligentes, elles apparaissent comme des œuvres à part entière et il me semble que leur valeur est incontestable.
Vous alternez ces adaptations avec des récits plus personnels où vous œuvrez comme auteur complet. Quel exercice préférez-vous : l’adaptation ou la création d’un récit original ?
Compte tenu de ce que je viens de dire sur les adaptations, je pense que les deux exercices sont également intéressants, complexes et porteurs de possibilités. Mais pour répondre de manière plus personnelle, j'ai un petit faible pour les œuvres originales, peut-être à cause de cette idée à la fois évidente et vertigineuse qui est que, si on ne l'avait pas faite, l'œuvre n'aurait jamais existé.
Comment avez-vous rejoint le projet « Un Avion sans elle » ?
J'étais entre deux projets et dans une sorte d'impasse créative liée à un scénario qui n'avançait pas quand Fred Duval, que je ne connaissais que de nom, m'a contacté pour me proposer de prendre part à cette aventure. Je n'ai pas tardé à dire oui, à la fois pour les qualités du projet et pour le défi que je sentais qu'il allait représenter.
Connaissiez-vous le roman ?
J'ai connu l'histoire avant le roman. Par une coïncidence amusante, ma mère m'avait raconté un an plus tôt qu'elle lisait un livre passionnant où il était question d'un crash d'avion et d’un bébé à l'identité mystérieuse. J'avais trouvé la prémisse pas mal et elle m’était resté dans la tête mais je n'avais pas retenu le titre du roman. Quand, plus tard, Fred m'a proposé ce projet, j’ai reconnu l’histoire et je suis enfin allé acheter le livre pour le lire.
La promotion orchestrée par Glénat autour de la sortie d’ « Un avion sans elle » a été assez conséquente et vous avez enchainé conférences et dédicaces. Que pensez-vous de cette tournée de Rockstar ? Le public que vous avez rencontré est-il différent de votre public habituel ?
Bien que sans groupies et sans overdoses, la tournée a en effet été assez intense et animée ! Et elle continuera de l'être, je l'espère, à la rentrée, quand d'autres dates m'attendent. J'ai rencontré un public plus large et différent grâce à cet album, c'est vrai, mais j'ai aussi eu le plaisir de retrouver des lecteurs de mes albums précédents, qui étaient curieux de voir comment ce nouveau registre m’allait.
Michel Bussi a aussi participé à l’adaptation de son œuvre. Quels ont été ses retours sur votre lecture du roman ?
Ma modestie dût-elle en souffrir, il me semble qu'ils ont été très positifs. Mais ce n'était pas une surprise car en effet il a été présent, de manière à la fois relativement discrète et assez constructive, à toutes les étapes de la création. Fred et moi savions donc qu’il appréciait la direction que nous prenions.
Vous êtes franco-brésilien, vous avez vécu dans les deux pays, partagez les deux cultures et parlez les deux langues. Pensez-vous que cette expérience a pu vous aider dans la compréhension du personnage de Lylie la rescapée du Mont terrible, qui est tiraillée entre deux familles et presque deux cultures ?
Voilà une question que je ne m'étais jamais posée ! Maintenant que vous le dites, c’est vrai qu’il y a parfois du tiraillement à être comme ça entre deux mondes. Mais l’identification s’arrête là, je crois, car cette pauvre Lylie le vit assez mal alors que pour ma part cette “double identité” a plutôt donné lieu à des possibilités et des découvertes joyeuses.
Recherche de Personnage : Lylie
Que vous a apporté cette expérience de collaboration avec deux « stars » dans leurs domaines ?
Fred m'a apporté la possibilité de travailler sur un scénario riche et dense, très exigeant du point de vue des détails, du rythme, de la caractérisation des personnages et de la représentation des lieux. Il m'a aussi prodigué quelques bons conseils, surtout les premiers mois, alors que nous cherchions encore le style et le rythme qui allaient convenir à cette histoire.
Michel apportait par ses commentaires et suggestions une vision d'auteur de roman, plus portée sur la psychologie des personnages, l'esprit du récit et l'ambiance générale de chaque scène.
Comment avez-vous travaillé l’apparence des protagonistes ? Chacun a-t-il d’emblée trouvé son apparence ou certains sont-ils passés par différents stades avant de revêtir celle qu’on leur connaît?
Certains, comme Mathilde de Carville ou Marc, sont apparus quasiment à la première ébauche. D'autres, comme Malvina ou Lylie, on fait l'objet de débats surtout liées à leur look vestimentaire (Malvina, par exemple, est passée par un version gothique et sombre avant de devenir une sorte de punkette colorée). D'autres encore, comme Crédule, ont été difficiles à définir physiquement - ça semble étrange quand on voit la version finale, mais dans les premières moutures il était mince et plutôt élégant.
Quel personnage vous a donné le plus de fil à retordre ? Lequel avez-vous au contraire pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
Crédule, précisément, a été très compliqué. Outre le fait qu'il est assez complexe psychologiquement, c'est un personnage que l'on voit vieillir presque d'année en année, et dont l'évolution traduit l'idée d'une certaine décadence, ce qui en termes de dessin a été assez compliqué à réaliser.
Pour le plaisir, c'était Malvina ! Nous parlions de mouvement : Malvina a presque une intention nouvelle à chaque case, elle gigote, elle est théâtrale, c'est un personnage en or pour un dessinateur. En plus elle est profondément attachante, ce qui ne gâche rien.
Le roman est à la fois très ancré dans une époque (les années 1980 et 2000) et une région (la ville de Dieppe). Comment avez-vous procédé pour restituer le contexte de façon aussi remarquable ?
J'ai procédé de manière assez méthodique : beaucoup de documentation (j'ai été très aidé notamment par Fred), pas mal de recherches sur internet, et, ma foi, aussi une touche d'inventivité, après tout le but n'est pas l'exactitude absolue mais l'illusion d'une réalité dans laquelle on se laisse embarquer.
Quelles techniques utilisez-vous : traditionnelles ou numériques ?
Mes deux derniers albums, et
Un avion sans elle ont été faits entièrement en numérique. Avant cela, j'ai souvent procédé par un mélange de dessin traditionnel et de couleurs numériques. Pour le prochain, je pense revenir à cette technique mixte.
Comment s’est organisée la collaboration avec Fred Duval ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de la réalisation ?
Il y a eu en effet au tout début un synopsis, et puis les ébauches de personnages et la réalisation de quelques planches-test pour nous assurer que nous étions d'accord sur la direction globale à donner au projet. Ensuite la tambouille habituelle entre scénariste et dessinateur : je recevais un scénario détaillé et découpé, je réalisais un storyboard (sorte de version esquissée de la planche), on discutait du rythme, des cadrages, des intentions, etc. et quand on tombait d'accord j’attaquais la réalisation de la planche définitive.
Serait-il possible, pour une planche donnée, d’en visualiser les différentes étapes afin de mieux comprendre votre façon de travailler ?
Avec plaisir. Voici en exclusivité mondiale les étapes de création de la planche n°26.
Work in Progress de la planche 26
Quelle étape-vous procure le plus de plaisir ?
Le plaisir du dessin initial, celui que l'on appelle le crayonné, est un plaisir complexe, assez intellectuel, on doit faire des choix, “penser” sa case. Vient ensuite l'encrage, qui est un plaisir plus simple, presque physique, ou primitif : on suit une ligne, on joue avec des pleins et des déliés, on cherche une forme d’élégance. Les deux sont complémentaires, si je n'en faisais qu'un des deux j’aurais l’impression de marcher sur une seule jambe.
Combien de temps avez-vous consacré à « Un Avion sans elle» qui fait tout de même 170 pages ?
Des toutes premières esquisses au mot “fin”, quasiment deux ans.
Pourriez-vous nous parler un peu de votre choix de couverture ? Avez-vous trouvé d’emblée cette mise en page ? Qu’est-ce qui vous a fait opter également pour la couverture de l’édition limitée (bulles en tête et Bd lib) ?
La couverture a fait l'objet d'interminables essais et délibérations entre Fred, Cédric, notre éditeur, et moi-même. Cela était sans doute dû au fait que l'histoire ne se laisse pas enfermer dans un seul genre, et qu’on ne voulait pas la réduire ni à son côté polar ni à sa dimension “sentimentale”. Au final l'idée est apparue de cette couverture à la fois simple et mystérieuse. Je remercie d’ailleurs chaleureusement les graphistes de Glénat qui nous ont aidés à y parvenir.
La couverture de l'édition limitée, quant à elle, est sortie entièrement de ma tête. Je voulais quelque chose qui évoque une affiche de cinéma, presque comme une sorte de pastiche de film de genre. Ça pourrait être l'affiche d'un Guy Ritchie ou d’un Danny Boyle.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos autres projets ?
Le prochain projet sera l’adaptation en BD d'un roman brésilien qui me tient particulièrement à cœur. Il s'agit d'un road trip dans une région à la fois aride et paradisiaque du Brésil que l'on appelle le Nordeste. Il sera publié chez Sarbacane et est prévu pour fin 2022.
Enfin dernière question, tous médias confondus, quels sont vos derniers coups de cœur ?
En BD je suis en train de rattraper en ce moment un retard presque inexcusable en lisant enfin tout Frederik Peeters. En peinture mes derniers émois esthétiques ont été devant les gravures d’Henri Rivière et les toiles de Léo Gausson. Sinon au cinéma j'ai vu récemment The Father que j'ai trouvé tout simplement bouleversant.
Merci encore une fois d’avoir pris le temps de nous répondre ! Et à nouveau félicitations pour ce magnifique album. Ça donne très envie de découvrir le prochain !
Merci à vous ! Et rendez-vous l’année prochaine sur les routes du Nordeste brésilien.