Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien et de nous consacrer une partie de votre temps si précieux !
C'est avec plaisir que je me prête au jeu ! Merci à vous pour l'intérêt que vous portez à mon travail !
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? (âge, passions, études, parcours …)
"En quelques mots"... exercice difficile pour la pipelette que je suis !
Je m'appelle Wiebke Petersen, j'ai 48 ans et travaille dans l'illustration depuis la fin de mes études aux Beaux-Arts en 1998. Cette même année, j'ai quitté mon Allemagne natale pour m'installer en France avec l'homme que j'ai rencontré lors d'un séjour ERASMUS. Quelques années plus tard, j'ai découvert la BD et ai choisi de travailler sous pseudonyme. Zelba est la version francisée de "ich selber" qui veut dire "moi-même" en allemand. La BD avec son mélange de textes et d'images est pour moi le moyen idéal de raconter des histoires. Je suis très cinéphile (voire cinévore) et j'aime beaucoup la lecture. La BD est quelque part à mi-chemin entre ces deux passions. On pense en plans, en scènes, séquences ou chapitres, tout en soignant le ton et l'écriture que l'on peut modeler à sa guise. L'avantage de la BD par rapport au cinéma c'est qu'on n'a pas à gérer les caprices de ses acteurs et actrices, on se les dessine sur mesure ! Et le budget n'est pas le même. Seul.e à sa table de travail on peut piloter toute une BD de A à Z.
À côté de ce travail passion, j'essaie de passer du temps avec les gens que j'aime, ma famille et mes ami.e.s, parcourir les forêts avec mon homme et ma chienne, faire des longueurs à la piscine, aller au théâtre, voir des expos...
Enfant, quelle lectrice étiez-vous et quels étaient vos auteurs de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupé une place de choix ?
Enfant j'étais une piètre lectrice. Ça demandait un effort et ce n'était pas mon truc. Je ne restais assise et concentrée que pour dessiner. Heureusement que j'avais une maman qui nous faisait la lecture tous les soirs. Elle a lu, à ma sœur et moi, tous les romans d'Astrid Lindgren et d'Erich Kästner, un peu de Michael Ende aussi et, bien sûr, l'incontournable Enid Blyton. Quand ma maman était à l'hôpital, c'est ma sœur qui prenait le relais. Ou mon père. Mais j'aimais moins quand c'était lui parce qu'il n'arrivait pas bien à faire les petites voix mignonnes des petits personnages mignons. La BD était quasi inexistante en Allemagne quand j'étais enfant. La première BD que j'ai feuilletée était un Astérix chez mon grand cousin quand j'avais peut-être douze ou treize ans. À l'époque, ça ne m'a pas attirée plus que ça. Et puis, la BD ne se prête pas bien à la lecture à voix haute ! Vers 15 ans, j'ai enfin découvert la lecture pour moi... avec "Autant en emporte le vent" de Margaret Mitchell. Oui, ben, j'avais 15 ans, quoi ! Ha ha ha !
A quel moment l’idée de devenir autrice de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité votre vocation ?
Je ne me souviens pas quel âge j'avais, mais j'ai l'impression que l'envie de faire du dessin mon métier existe depuis ma toute jeune adolescence. Comme je n'étais pas nourrie à la BD, j'ai opté pour devenir illustratrice.
Ensuite, la rencontre avec l'auteur/dessinateur de BD Deloupy a certainement été déterminante. Il m'a donné à lire "Persépolis" de Marjane Satrapi. Elle m'a fait un vrai effet "WAOUUUUH". C'était tellement libre et ne correspondait pas du tout l'idée (poussiéreuse) que je me faisais de la BD. Je me suis dit que, peut-être, j’avais le droit de raconter des histoires sous cette forme, moi aussi. Mais je ne connaissais rien à la BD, n'avais pas les codes. J'ai donc commencé à lire beaucoup de romans graphiques et à publier sur un blog mes premiers essais, de courtes histoires d'une ou de quelques pages sur ma vie de femme, de mère, sur les choses qui me touchaient, me révoltaient... De fil en aiguille (ou de crayon en planche), j'ai gagné en assurance, mes envies ont grandi, les premiers livres sont nés...
Quelles sont pour vous les grandes joies et les grandes difficultés du métier ? Considérez-vous qu’être une femme dans ce milieu est une difficulté supplémentaire ?
La plus grande joie est la liberté. Personne ne me dit ce que j'ai à faire ou à ne pas faire. C'est absolument réjouissant et vertigineux d'inventer son métier chaque jour, de voir que plus on travaille plus on progresse. On rencontre beaucoup de personnes très intéressantes, des autrices et des auteurs qui travaillent différemment, des lectrices et des lecteurs qui donnent sens à ce que nous faisons, des éditeurs et éditrices qui nous font parfois prendre des directions inattendues. Sans partage ce métier ne m'intéresserait pas.
Le facteur financier fait certainement partie des plus grandes difficultés de ce métier.
La France compte beaucoup d'auteurs et d'autrices de BD, le marché de la Bande Dessinée se porte extrêmement bien. Pourtant, la profession de l'auteur se paupérise de plus en plus. Les raisons pour cela sont nombreuses. Dans la chaîne du livre, celui ou celle qui écrit et/ou dessine l'histoire touche la plus petite part sur les ventes. Avec le genre du roman graphique à forte pagination, les prix à la planche ont quasiment disparus. L'auteur ou l'autrice touche un à-valoir qu'il/elle doit rembourser à l'éditeur avec les ventes du livre. Cet à-valoir ne permet pas toujours de vivre convenablement, pendant la réalisation d'un livre. Et les déplacements pour faire sa promotion après la sortie ne sont quasiment jamais rémunérés.
J'ai la chance de faire partie de celles et ceux qui commencent à toucher des à-valoir corrects. Et pourtant, si je compte toutes mes heures de travail, entre la réalisation du livre et le temps passé à le promouvoir, je suis payée très largement en-dessous du SMIC. Cela me force à enchaîner les projets sans jamais avoir le temps de recharger les batteries et de prendre parfois des commandes d'illustration à côté du travail sur un livre.
Mais je fais ce qui me plaît et il y a plein de personnes qui n'ont pas la chance de pouvoir vivre de leur passion. Le bonheur prend donc le dessus.
Personnellement, je n'ai que très rarement souffert du fait d'être une femme dans ma profession. Quelques réflexions bêtes et/ou maladroites de la part de collègues mâles d'un certain âge qui s'accroche à un "vieux monde de la BD" bien viril et bien prout-prout en font partie. Mais c'était il y a des années, cette espèce-là est en voie de disparition et on ne va pas la pleurer ! Et puis, on n'a pas besoin d'une bite pour écrire ni pour dessiner que je sache, ha ha ha ! Alors, bon...
Vous avez publié dans des structures plutôt confidentielles puis dans des maisons ayant pignon sur rue des ouvrages de nature très différentes. Que vous a apporté une telle diversité ?
L'envie de me frotter à différents genres m'a amenée à travailler avec plusieurs maisons d'édition. C'est une grande chance et chaque expérience était et sera bonne à prendre. Il y a des livres que j'ai plus de mal à défendre aujourd'hui, mais chacun est une pierre dans ma petite bâtisse et m'a permis de faire le suivant. J'ai énormément appris en papillonnant. Mais si, dans le passé, je ne suis jamais restée dans une même maison d'édition, c'est qu'il y avait à chaque fois quelque chose qui n'allait pas. Une rémunération trop basse, une attitude trop "invasive" de la part de l'éditeur dans mon travail d'autrice ou un mauvais suivi par la maison d'édition, une fois le livre sorti. C'est tellement difficile de trouver "sa" maison. Futuropolis est une très belle maison d'édition qui réunit tous les critères que je recherche. J'espère pouvoir y rester encore un peu...
En 2019, paraissait, déjà chez Futuropolis, « Dans le même bateau » qui était ouvertement autobiographique et dans lequel vous évoquiez déjà votre mère. Pourquoi avoir changé le nom des personnes dans « Mes mauvaises filles » ?
Je n'ai pas changé les noms de celles et ceux qui ne sont plus de ce monde, ma mère, son compagnon Alfred et ma grand-mère Omi. Les parties qui les concernent se sont réellement passées comme je les raconte dans mon livre. Les vies des autres personnages dont celle d'Ylva, le personnage qui me ressemble le plus, sont en partie romancées. J'ai changé leurs noms pour bien montrer qu'il s'agit d'une histoire, pour tenter de créer une petite distance avec les événements et aussi pour préserver l'intimité de celles et ceux qui s'y trouvent sans l'avoir choisi.
Work in Progress de la planche 143
Dans l’épilogue – qui lui est totalement autobiographique, vous y retrouvez vos vrais prénoms- vous expliquez comment vous portez ce projet depuis 13 ans. Pourquoi avoir mis autant de temps avant de sauter le pas ?
Tout d'abord parce que ça m'a fait très peur d'aborder le sujet. Je ne voulais surtout pas tomber dans le pathos, faire un livre larmoyant ou insupportable à lire. Cela n'aurait pas bien rendu hommage à ma mère qui était très drôle et très vivante, presque jusqu'à la fin. Un pas de recul ne m'a pas suffit, il m'en a fallu de beaucoup et ça ne se fait pas en une poignée d'années ! Il fallait aussi que j'apprenne mon métier, que j'améliore mon niveau d'écriture, de narration, de dessin, que je roule ma bosse !
L’un de vos albums précédents, « Clinch », que j’aime beaucoup, se déroulait en huis-clos, en une nuit. On retrouve un peu cette structure dans « Mes mauvaises filles » puisque l’histoire cadre se déroule sur une journée (celle du remariage du père) et le récit encadré , le flash-back, grosso modo sur une nuit (celle de la mort de la mère). Qu’apporte, selon-vous, ce resserrement temporel ?
Si j'avais voulu coller au plus près à la réalité, j'aurais raconté cette histoire sur au moins 5 ans. Le temps qu'il nous a fallu, à ma sœur et moi, pour à peu près accepter la perte et vraiment revenir à la vie. Mais j'ai trouvé ça trop long, trop dur. Il y a des choses qu'on n'est pas obligé d'infliger à ses lectrices et lecteurs.
J'ai donc accéléré le rythme et resserré l'histoire sur 4 mois de la même année. Ça peut paraître paradoxal mais j'ai, en quelque sorte, allégé en densifiant. Et puis, je voulais illustrer cette boucle de la vie, celle de la maman qui s'arrête, celle du fils qui démarre. La mort fait partie de chaque vie. Ce côté "naturel" du cycle enlève un peu de la peur.
Cette dernière nuit passée auprès de notre maman était vraiment un moment clef pour ma sœur et moi. On savait que, après cette nuit-là, plus jamais rien ne serait pareil. Il était alors évident de faire de cette nuit un passage important du livre. C'était une nuit plutôt heureuse, j'espère que ça se ressent à la lecture. Une nuit de prises de conscience.
Pourquoi avoir fait de votre mère la narratrice ?
Comme je l'ai déjà dit plus haut, ma mère était une femme très drôle qui embrassait la vie. Qui mieux qu'elle pour narrer sa propre mort ? C'est l'astuce que j'ai trouvée pour éviter le pathos. Imaginer sa voix et ses paroles dans les situations que j'ai dessinées m'a évité le naufrage à plusieurs reprises, lors de la réalisation du livre. Et puis, ça m'a permis de ne pas être le personnage central du livre. Il y a deux sœurs. Si j'avais été la narratrice, j'aurais pris plus d'importance que ma sœur. Ainsi, c'est notre mère le personnage principal et elle en aurait été ravie !
De manière plus générale, je crois que, si on entendait réellement penser les personnes dans le coma, on se serait, depuis longtemps, donné les moyens de les aider plus efficacement.
Vous êtes d’origine allemande, mais malicieusement c’est plutôt votre conjoint qui fait des fautes (d’allemand) dans votre album. Vous écrivez vos textes en français ou en allemand ? Comment construisez-vous vos dialogues ?
Ha ha ha, je suis très contente que vous ayez remarqué ce petit pied de nez ! Bien sûr, dans la vraie vie c'est plus souvent moi qui me fais reprendre. Enfin, plus trop maintenant, je travaille beaucoup mon français et essaie de faire le moins de fautes possible.
J'écris exclusivement en français. C'est devenu ma langue adoptive adorée. Mais j'ai mis des années, même quand j'avais déjà écrit et dessiné plusieurs livres, à me considérer comme une autrice. J'ai longtemps eu le syndrome de l'imposteur et j'avais du mal à prendre la parole en public, par peur de ne pas trouver les bons mots. Au fil des années, je me suis un peu décomplexée. Bien qu'il m'arrive encore d'utiliser des expressions de travers, de chercher le terme adéquat pour une chose, un sentiment, un acte. Quand j'écris je passe beaucoup de temps à chercher des synonymes afin d'enrichir le langage et de ne pas toujours répéter les mêmes mots par habitude. Mon homme est toujours mon premier lecteur. Et il manque délicieusement d'indulgence ! C'est exactement ce qu'il me faut. Je ne voudrais pas de quelqu'un qui me caresse tout le temps dans le sens du poil !
Les dialogues du dernier livre sont venus en même temps que les dessins. Je n'ai pas écrit de scénario en amont, "Mes mauvaises filles" tout comme "Dans le même bateau", sont deux livres que j'ai construits au fil des pages, dans une écriture très spontanée. Je savais à peu près ce que j'allais raconter, mais les scènes et dialogues se sont enchaînés, presque imposés, suivant un schéma qui m'échappe. C'est comme si j'écrivais une chanson. Une fois la mélodie trouvée, j'écris les scènes comme des strophes qui suivent le rythme. C'est risqué mais tellement plus excitant, ha ha ha ! Une fois les textes posées sur les dessins, je lis toujours une planche à haute voix pour voir si les dialogues sonnent juste et crédible. Quand je coince sur un dialogue ou une scène, je vais nager. Nulle part je ne réfléchis aussi bien qu'en répétant un mouvement stupide dans l'eau chlorée !
Comment avez-vous procédé pour l’élaboration de votre album ? Vous aviez un synopsis ? Quelles ont été les différentes étapes ?
Au début, j'ai voulu écrire un scénario. J'ai écrit une page et su immédiatement que ça n'allait pas le faire. C'était artificiel. Je me suis donc contentée de fixer une structure rudimentaire pour le récit : La journée du remariage du père, coupée en deux par la fin de vie de la mère.
J'ai ensuite écrit et dessiné (directement dans les planches finales) la première scène du cimetière. J'ai envoyé cette scène, accompagnée d'un synopsis de quelques lignes à mon éditeur. Ça a dû être assez flou pour lui mais il m'a suivi les yeux fermés. Travailler dans un tel climat de confiance est très précieux, j'en suis consciente.
J'ai alors construit le livre, double-planche après double-planche. D'abord les croquis et les textes, ensuite la mise au propre des dessins. Quand tout était dessiné et écrit, je me suis mise à la couleur et aux niveaux de gris... un travail de plusieurs mois encore.
Work in Progress planche 27
Travaillez-vous en techniques traditionnelles ou en numérique ?
Les trois derniers livres ont été entièrement dessinés et mis en couleurs sur la tablette graphique. Contrairement à ce que l'on peut penser, ce n'est pas forcément un gain de temps. Mais ça laisse toujours la possibilité de revenir quelques pas en arrière.
C’est un livre qui traite d’un sujet plutôt lourd (la mort assistée) mais il est pourtant riche en couleurs. Comment avez-vous défini vos différents codes chromatiques ?
La couleur symbolise la vie dans ce livre. Elle m'a permis de différencier aussi le cadre de l'histoire (qui est la journée du remariage), haut en couleurs, et le noyau de l'histoire (le saut de plusieurs mois en arrière qui raconte la mort de la mère et les semaines qui suivent), tenu dans les tons de bleu-gris avec parfois des fonds de matière très sombre. De petits flash-back, eux aussi très colorés, parfois un peu flous car sans trait de contour, illustrent les moments heureux vécus entre mère et filles. Ces taches colorées étaient nécessaire pour rythmer le livre et mettre l'accent sur la vie, ici plus importante que la mort. Vers la fin de la partie en gris-bleu, cette vie, gourmande et contagieuse, reprend ses droits. Les planches reprennent de la couleur, d'abord timidement, juste quelques éléments, puis elles éclatent au moment où l’on rejoint le cadre de la journée du mariage. Dans un film on aurait des musiques pour donner le ton d'une scène, dans la BD on a la couleur ou le manque de couleur.
différentes couleurs pour différentes époques
J’avoue que j’y allais plutôt à reculons et que paradoxalement, j’ai beaucoup ri ! Il y a un air de comédie italienne dans la saga familiale qu’est « Mes mauvaises filles ». Vous aviez cela en tête ?
Non, pas consciemment en tout cas. Mais c'est un genre que j'aime beaucoup. Dans cette histoire j'ai donné une femme italienne au personnage du père. C'est peut-être ça qui a déteint sur les scènes du récit dans lesquelles elle apparaît.
Mais l'humour employé correspond bien à celui pratiqué dans ma famille. Il doit donc être plutôt allemand... même si de mauvaises langues affirment que l'humour allemand n'existe pas !
Pour revenir à cette belle-mère italienne qui cherche ses mots et emploie des expressions de sa langue, elle m'a permis d'illustrer un certain problème de communication entre elle et les filles. Au départ, cette nouvelle relation manque d'évidence. Elles ne se comprennent pas toujours, se cherchent, doivent s'apprivoiser.
On y trouve aussi beaucoup de poésie : avec le petit oiseau du début qui réapparait au fil des pages et dont on comprend l’importance avec la comptine d’enfance que vous et votre sœur vous remémorez ou encore avec la métaphore du poisson hors de l’eau qui rend particulièrement prégnante la souffrance de votre maman… De même dans « Clinch », toute la confrontation entre les deux amis était comparée à un match de boxe en huit rounds. C’est une forme d’écriture que vous affectionnez ?
C'est marrant, les liens que vous tissez entre ces deux livres qui, au premier coup d'œil, n'ont pas grand-chose en commun... Mais oui, peut-être que j'essaie de trouver des astuces pour créer un décalage, ne pas raconter les choses de façon frontale ou trop convenue... je ne sais pas.
L'histoire de l'oiseau est venue petit à petit, elle n'était pas préméditée. Comme je n'avais pas de scénario, arrivée vers la fin du récit, je ne savais pas comment le terminer. Je me suis alors souvenue de cette annonce que ma mère avait sur son répondeur et qui invitait à lui chanter une petite chanson en son absence. Après la mort de ma mère, j'ai laissé beaucoup de messages chantés à la défunte.
Ça peut paraître étrange, mais c'était plus facile de chanter que de parler sans recevoir de réponse...
La mémoire est quelque chose de formidable, elle enfouit des événements entiers pour nous protéger. Mais quand on trouve un petit fil qui dépasse et on tire dessus, on arrive à déterrer beaucoup de détails que l'on croyait perdus. La comptine de l'oiseau en fait partie. Elle faisait un bel écho avec le début du livre. C'était un moment très doux pour moi de dessiner cette dernière scène. J'ai versé pas mal de larmes. Plutôt de bonheur et de soulagement que de tristesse.
L’épilogue est plutôt un écrit à charge alors que le corps du récit ne l’est pas. Qu’apporte selon vous cette postface ?
Le récit même est surtout une histoire d'amour. J'avais envie de rendre hommage à la femme qu'était ma mère, avec son humour, son immense générosité, sa façon de transgresser certaines lois pour mieux respirer et nous apprendre à jouir de la vie. L'histoire raconte aussi la relation de deux sœurs qui s'aiment déjà beaucoup et qui deviennent indispensables l'une à l'autre, à la mort de leur mère. Un angle trop politique aurait faussé cette ambiance. Et puis, à l'époque, on ne savait pas qu'une mort assistée sans agonie était possible. Ailleurs qu'en France, ailleurs qu'en Allemagne. Pourtant deux pays très développés qui se veulent respectueux des droits de l'humain.
Il m'était important de faire un point sur les différentes lois quant à la fin de vie en Europe. Ça bouge et ça réforme un peu partout (sauf en Pologne). La France reste un des rares pays d'Europe qui continue de faire l'autruche.
Où beaucoup de médecins "s'entendent" discrètement avec les malades et leurs familles, faute de légalisation d'un geste actif. Alors que des pays comme l'Espagne et le Portugal ont déjà légalisé l'euthanasie active, la mort assistée par substance létale.
Cette postface est donc un complément nécessaire, voire indispensable, du récit. Il est important d'aborder le sujet. Et nous avons toutes et tous intérêt à ce que celles et ceux qui font les lois en France trouvent vite une réponse satisfaisante à cette question-là .
Avec « Udama chez ces gens-là » vous abordiez déjà des problèmes de société et ces derniers temps le roman graphique se fait tribune ; je pense particulièrement à « Grand silence » de Théa Rozjman et Sandrine Revel. Qu’apporte selon-vous la bande dessinée à ces grandes causes ?
"Grand Silence"... quel livre ! Il est vrai que le roman graphique s'empare de tous les sujets sociétaux, même les plus difficiles, sans tabou ni forcément enfiler des gants de velours. C'est très important parce que la BD est un art populaire qui n'est pas réservé à une seule génération. De ce fait, elle arrive à toucher un public très large et très varié, et notamment des personnes qui n'auraient peut-être pas osé se confronter au même sujet par un long article de fond, un documentaire à la télé ou un film au cinéma. Le dessin fait moins peur que l'image réelle. Dans une BD, la réalité est déjà interprétée et transformée par une personne qui fait écran et propose un point de vue. On adhère ou pas. Dans tous les cas, ça permet de réfléchir et d'ouvrir le débat.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos autres projets?
Vous parlez de mes projets à venir ou ceux déjà concrétisés ?
Le projets bouclés, sortis sous forme de livres, ne m'appartiennent plus. Ils ont pris leur envol et je suis passée à autre chose.
Quant au prochain, je vais changer de genre et de style de dessin. Ça traitera aussi d'un sujet de société, une pure fiction cette fois-ci, avec un côté humoristique plus assumé. Ça va m'occuper un petit moment.
Ensuite, on verra...
C'est difficile de planifier ses envies et préoccupations sur plusieurs années !
Tous médias confondus, quels sont vos derniers coups de cœur?
Je suis très mauvaise à cet exercice. J'oublie toujours la moitié, mais essayons...
Depuis la réouverture des cinémas, je n'ai pas arrêté de voir des films. Ça m'avait tellement manqué. Mes dernières grosses claques cinématographiques sont, pour des raisons très différentes, "The Father" de Florian Zeller, "Nomadland" de Chloé Zhao et "Annette" de Leos Carax. Un film espagnol qui m'a fait mourir de rire, en plus d'être un huis clos très réussi, est "Sentimental" de Cesc Gay.
En BD, j'ai vraiment beaucoup aimé "Grand silence" de Théa Rozjman et Sandrine Revel, "Le droit du sol" d'Étienne Davodeau, "Pucelle" (tomes 1 + 2) de Florence Dupré La Tour, "Oleg" de Frederik Peeters, "L'Odyssée d'Hakim" de Fabien Toulmé, "Le chœur des femmes" d'Aude Mermilliod d'après Martin Winckler, "Anaïs Nin" de Léonie Bischoff, le "Vernon Subutex" de Virginie Despentes et Luz... il y en a tant ! Et j'ai encore un tas de lectures en retard.
Mon coup de cœur du livre illustré va à l'ami Deloupy pour "Le Monde d'après", en album jeunesse "Screute cherche Scroute" de Swann Meralli et Pizar.
Après la lecture, bien appréciée, de "L'Inconnu de la poste" de Florence Aubenas, je suis en train de lire le très puissant "Enfant de salaud" de Sorj Chalandon.
Cet été, j'ai aussi beaucoup aimé un petit roman qui s'appelle "Comme des bêtes", écrit par Violaine Bérot, et plusieurs livres en allemand dont les titres ne vont pas parler à beaucoup de gens, ha ha ha !
Merci encore une fois d’avoir pris le temps de nous répondre ! Et à nouveau félicitations pour ce magnifique album. Ça donne très envie de découvrir les prochains !
Merci beaucoup à vous ! Et des bises bien amicales !