Bonjour et merci de vous (re)prêter au petit jeu de l’entretien…
Il y a six ans, à l’occasion du jubilatoire premier tome d’Aliénor Mandragore que vous signiez avec Thomas Labourot, vous nous aviez autorisés à vous tutoyer… Peut-on rester sur le même mode ?
Bien sûr !
Merci à toi…
Comment va la vie depuis ces six années qui se sont écoulées ? Comment as-tu traversé cette étrange pandémie qui a secoué les consciences et nos habitudes ?
Tout va très bien. Ces six dernières années sont passées incroyablement vite. J’ai pas mal écrit : 5 tomes d’Aliénor Mandragore et un album consacré au personnage de Lancelot, entre autres projets. Je donne une autre direction à ma carrière d’autrice depuis deux ans environ en travaillant aussi sur ma première série de romans. Je suis donc toujours bien occupée. Je suis quelqu’un d’assez solitaire et les confinements ne m’ont pas vraiment posé de problèmes. La pandémie m’a quand même beaucoup affectée, stressée et j’ai eu du mal à écrire pendant 5, 6 mois au moment du premier confinement. Je pense que je regardais trop les infos et c’était très anxiogène.
Avec Cutshin Creek et en compagnie de Benoît Blary, tu nous entraînes dans l’Amérique rurale de la Grande Dépression… Comment as-tu rencontré ce dessinateur avec qui vous aviez déjà signé Virginia ?
Benoît et moi travaillons au sein du même atelier à Reims depuis longtemps. Nous avons effectivement déjà collaboré sur
Virginia, une histoire en trois tomes initialement publiée aux éditions Casterman entre 2013 et 2015. Nous avons donc l’habitude de travailler ensemble et nous avons en commun notre intérêt pour l’histoire des Etats-Unis.
D’où te vient cette passion pour les USA ?
De mes études à l’université principalement. J’ai aimé les cours d’histoire des États-Unis et j’ai commencé à lire beaucoup.
Comment as-tu croisé la route des « Book Ladies » du Projet Pack Horse Library ? Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire de l’une d’elle l’héroïne d’un album ?
J’enseigne la civilisation des Etats-Unis à l’université et je faisais des recherches sur les programmes culturels lancés par la Work Projects Administration, une agence fédérale instituée dans le cadre de New Deal du président Franklin Delano Roosevelt pour sortir le pays de la crise de 1929, afin d’en faire une sélection pour les étudiants. Le programme qui employait ces femmes bibliothécaires m’a tout de suite intéressée. Elles distribuaient des livres aux habitants des régions les plus reculées des Appalaches, une région très isolée du reste du pays qui a particulièrement souffert de la crise. L’histoire de ces femmes et les conditions dans lesquelles elles travaillaient m’ont beaucoup touchée. L’idée de faire de l’une d’elles l’héroïne d’un album est venue assez vite, dès que j’en ai parlé à Benoît.
Sait-on combien elles furent et comment elles étaient recrutées ?
Le programme a employé environ mille de ces « bibliothécaires ». Il y avait quelques hommes mais la plupart étaient des femmes âgées de 25 à 35 ans, des femmes bien souvent mariées mais dont les revenus étaient les seuls de la famille. L’économie de la région était à l’époque d’avantage basée sur l’échange et il était difficile de se procurer de l’argent. Les femmes recrutées étaient en général originaires de la région, une façon pour la WPA de s’assurer qu’elles connaissaient les codes, les habitudes et la culture des communautés des Appalaches et qu’elles pourraient entrer plus facilement en contact avec la population. Elles touchaient un salaire d’environ $28.
28€ de l’époque, ça correspondait à quoi ?
$28 en 1936 était l’équivalent d’environ $552,57 aujourd’hui, soit environ 480€.
L’administration de Roosevelt a-t-elle pris d’autres mesures aussi surprenantes que la création des « Book Ladies » ?
Les aspects culturels du New Deal de Roosevelt sont particulièrement intéressants et parfois effectivement très surprenants. Dans les années 30, dans le cadre du New Deal et de l’effort de la WPA, le gouvernement américain a engagé plus de 10000 artistes pour créer des œuvres à travers tout le pays, des fresques murales, des pièces de théâtre, des concerts, etc. Des artistes (peintres, sculpteurs, comédiens, auteurs, musiciens…) intervenaient dans les écoles au sein des communautés les plus rurales qui accueillaient aussi des troupes de comédiens ou de cirque ambulants.
Il s’agissait bien sûr de relancer l’économie du pays et de lutter contre le chômage mais c’était aussi bien plus que cela. Pendant l’entre-deux guerres, les projets artistiques soutenus par la WPA avaient également pour but de créer un style américain, une approche artistique spécifique. Beaucoup des artistes engagés par la WPA ont créé des œuvres iconiques qui capturent l’essence de l’expérience américaine de la Grande Dépression, comme Dorothea Lange, photographe, qui a documenté la vie des travailleurs agricoles démunis pendant la crise économique.
Quel bouquin conseillerais-tu à un lecteur ou une lectrice désirant en apprendre davantage sur les « book ladies » ?
Il n’y a malheureusement pas énormément de littérature sur les Book Ladies. On trouve principalement des articles et des études universitaires.
Quels sont tes références en matière de western ?
J’aime beaucoup les classiques, comme Le bon, la brute et le truand, Il était une fois dans l’ouest ou Et pour quelques dollars de plus. Mais j’aime aussi beaucoup des films plus récents, comme Danse avec les loups, True Grit, 3h10 pour Yuma ou No Country for Old Men. J’en oublie sans doute beaucoup.
Cutshin Creek est éditée par un nouveau venu dans le neuvième art : les éditions Passés / Composés… Comment as-tu rencontré Stéphane Dubreil qui dirige la toute nouvelle collection Biopic ?
Benoît et moi avions rencontré Stéphane Dubreil au moment de la sortie de notre série Virginia, chez Casterman. Il était venu à l’atelier nous interviewer pour un numéro du magazine Cases d’histoire en 2016, je crois. Depuis, il a continué à suivre notre travail et nous a contacté quand il cherchait des projets pour sa collection chez Passés Composés.
Comment as-tu élaboré personnage de Kathryn, la jeune « book Lady » héroïne de l’album ?
Benoît et moi avons été très inspirés par les photos des Book Ladies auxquelles nous avons eu accès. J’ai construit le personnage en m’inspirant de ces photos et de la lecture de beaucoup d’articles sur le programme « pack horse library » et sur le Kentucky et les Appalaches pendant la Grande Dépression. C’est vraiment ce travail sur le contexte historique qui a fait naître le personnage de Kathryn.
A partir de quelle « matière » Benoît Blary a-t-il créé l’apparence des personnages de l’album ? Kathryn est-elle passée par différents stades avant de revêtir l’apparence que l’on sait ?
La deuxième photo qui est publiée sur les pages de garde de l’album est celle qui nous a vraiment inspiré le personnage de Kathryn. Benoît l’a tout de suite dessinée comme elle est dans l’album. C’est le personnage qu’il a « trouvé » le plus rapidement. Pour les autres, il a fallu un peu plus de temps, surtout pour donner vie aux membres de la famille Trivette.
Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
J’ai beaucoup aimé écrire Kathryn. C’est ma première héroïne, le premier personnage féminin fort que j’écris et qui ne soit pas un enfant. J’ai pu projeter beaucoup de choses différentes à travers elle.
Concrètement, du synopsis aux planches finalisées, quelles furent les différentes étapes de l’élaboration de l’album ?
Benoît et moi avons travaillé de façon très classique sur cet album. Une fois le synopsis validé par l’éditeur, j’ai écrit le scénario complet, le découpage case par case et page par page de l’album. Une fois ce scénario relu et validé par toute l’équipe, Benoît est passé à l’étape du storyboard. Les storyboards de Benoît sont très impressionnants, ils les dessinent au crayon sur un très petit format et ils peuvent se lire parfaitement, comme un mini album de BD.
Nous échangeons sur les storybaords au fur et à mesure et Benoît procède à quelques ajustements le cas échéant, avant de passer au dessin, à l’encrage et à la mise en couleur directe à l’aquarelle. Benoît est un formidable aquarelliste et c’est toujours un plaisir de découvrir les planches finalisées !
Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
Je travaille sur ma série de roman
Aliénor, fille de Merlin aux éditions L’école des loisirs (2 tomes parus en 2021 !). J’y consacre la plus grande partie de mon temps quand je n’enseigne pas. Un album BD que je partage avec Jérémie Almanza est également en cours. Il paraîtra aux éditions Soleil dans la collection Métamorphose. Je suis également en train de préparer plusieurs nouveaux projets, en BD et livre illustré, mais rien n’est encore fait.
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
J’ai aimé beaucoup de ce que j’ai lu, regardé, ou écouté dernièrement, mais mon dernier vrai gros coup de cœur date un peu. Il s’agit de la série
The Dark Crystal : Age of Resistance, qui m’a surprise et époustouflée à tout point de vue.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Non
.
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
un personnage de BD : Epiphanie Frayeur.
un personnage mythologique : Atalante.
un personnage de l’histoire américaine: Martha Jane Canary
un personnage de roman : Lyra Belacqua de la série de roman His Dark Materials de Philip Pullman.
une chanson : Can’t Help Falling in Love d’Elvis Presley.
un instrument de musique : Le piano
un jeu de société : le Cluedo
une découverte scientifique : le vaccin.
une recette culinaire : une pizza
une pâtisserie : un éclair au chocolat
une ville : Paris
un défaut : l’anxiété sociale
un monument : la cathédrale de Reims
une boisson : Cocal Cola sans sucre
un proverbe : à cœur vaillant rien d’impossible ?
Un dernier mot pour la postérité ?
Je ne saurai pas quoi leur dire.
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Merci !