Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l'entretien...
Bonjour, c'est moi qui vous remercie de votre intérêt pour mon travail.
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu'un "tu" risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier...
Je ne suis pas du tout opposé au tutoiement, j'ai parfois du mal à le pratiquer de manière naturelle mais j'y travaille... l'essentiel étant avant tout d'être à l'aise.
Merci bien !
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ?
J'ai 48 ans, j'ai eu un parcours scolaire classique, quoiqu’un peu écourté, j'ai arrêté l'année précédant le bac. Je n'avais pas un goût immodéré pour les études et les circonstances (je suis devenu père assez jeune) m'ont emmené à rejoindre le marché du travail assez vite.
Après plusieurs petits jobs, j'ai travaillé de nuit pendant de nombreuses années dans un laboratoire photographique de développement de pellicules à grande échelle. Avec l'arrivée de la photo numérique tous ces laboratoires ont fermé progressivement jusqu'à disparition complète de l'activité. Il a donc fallu changer de métier, et comme je pratiquais la sculpture sur bois en loisir à l'époque, j'ai choisi d'apprendre une profession où la sculpture aurait sa place, l'ébénisterie me semblait tout indiquée. J'ai donc suivi une formation professionnelle et passé les diplômes pour devenir ébéniste.
La suite logique était de créer mon entreprise, ce que j'ai fait en 2012. J'ai exercé pendant 9 ans, puis en 2020 j'ai souhaité infléchir un peu mon parcours en m'essayant à la sculpture de personnage de bande-dessinée. C'est un univers que j'adore et qui me fait rêver. J'ai longtemps tourné autour de cette envie sans oser franchir le pas, puis un jour, je me suis lancé, j'ai suivi le dicton populaire " Là où il y a une volonté, il existe un chemin."
J'ai mis à l'épreuve ma volonté et finalement pu trouver un petit chemin qui m'a permis de réaliser la figurine de Sherlock HOLMES en 2021.
Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient vos livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?
Enfant, j'étais un lecteur compulsif, les livres étaient les cadeaux que je préférais recevoir et tout particulièrement les bandes-dessinées. J'ai commencé tout petit par "Sylvain et Sylvette" pour poursuivre avec toutes les séries incontournables Tintin, Astérix, Lucky Luke, Gaston Lagaffe, les Schtroumpfs... et aussi les revues de cette époque comme Pif Gadget ou les Super héros de Marvel, j'attendais avec impatience le jour de leur sortie au bureau de tabac.
A quel moment as-tu décidé de devenir sculpteur ? Travailler dans le monde de la bande-dessinée était-il une évidence ?
La décision de devenir sculpteur professionnel, c'était en 2009 lorsque j'ai dû changer de carrière, mais la sculpture a toujours fait partie de ma vie, d'abord comme un jeu à travers la pâte à modeler de mon enfance puis c'est devenu un loisir en grandissant pour finir par être mon métier aujourd'hui.
Travailler dans le monde de la BD m'a longtemps semblé être un rêve inaccessible. Pour moi, la BD, c'était essentiellement être dessinateur et comme je n'avais ni le talent, ni l'assiduité pour le devenir, j'ai refermé la porte en pensant n'y avoir aucune place. L'envie de cet univers rodait pourtant toujours autour de moi, elle resurgissait parfois à travers des sculptures en bois de certains héros ou bien encore en 2005-2007 à travers deux clips vidéos que j'ai réalisé pour le groupe Remingway.
C'était deux clips d'animation pour leurs chansons "Ploum" et "Las castanas"et pour lesquels j'ai dû fabriquer 2 grands dioramas où je faisais évoluer des figurines en stop-motion. J'ai réalisé cela tout seul, chez moi, avec des moyens très limités et en autodidacte complet, il y avait déjà dans ces deux expériences quelque chose de très proche de la bande-dessinée: un univers graphique, des personnages, une mise en scène et des histoires à raconter.
J'avais alors essayé de "coller" à l'univers du groupe comme je le fais aujourd'hui avec un auteur de BD.
L'univers de la bande-dessinée m'a ainsi toujours accompagné mais ce n'est qu'en 2020 que j'ai réellement osé y poser un pied.
Comment est né le projet de donner corps à cette version déjantée de Sherlock HOLMES né sous la plume de Pierre VEYS et les crayons de Nicolas BARRAL ?
Le projet est né quand j'ai décidé de créer une figurine de A à Z avec, de plus, une grande exigence de qualité. J'ai dû alors choisir un personnage et pour se faire j'avais deux exigences :
La première était d'aimer beaucoup le personnage et la deuxième que ce soit un personnage qui n'ait jamais été proposé en figurine.
Je n'avais pas envie de présenter le 485ème Tintin ou le 74ème Lucky Luke. Pour moi, la sculpture c'est avant tout la matérialisation d'une énergie. C'est l'énergie globale qui est portée par un personnage et qu'on essaye d'exprimer en volume. Tintin ou Asterix ont été maintes fois représenté par de grands sculpteurs, leur énergie est donc déjà bel et bien présente dans le monde du volume et je ne pense pas que mon interprétation de ces personnages soit utile ou nécessaire.
Par contre, il m'a semblé injuste qu'un personnage aussi charismatique que le Sherlock HOLMES de Nicolas BARRAL et Pierre VEYS ne soit pas représenté. C'est donc ce personnage que j'ai choisi, un peu pour combler son absence et surtout parce que je l'adore.
Comment s'est passé la rencontre avec le dessinateur de cette série jubilatoire ?
"Jubilatoire", vous avez (pardon..Tu) tu as trouvé le mot parfait pour qualifier la série. J'y ajouterais drôle, fine, irrévérencieuse.
Ma rencontre avec Nicolas BARRAL a eu lieu sur internet, j'avais commencé à sculpter un Sherlock HOLMES de mon côté avant de prendre contact avec lui, je voulais avoir "quelque chose à montrer"...
Je l'ai donc ensuite contacté via Facebook en lui exposant mon projet.
Il s'est montré intéressé, m'a demandé des photos. Un dialogue s'est engagé, d'abord par l'écrit puis par téléphone, ce dialogue s'est vite transformé en partie de ping pong avec de ma part des photos, des petits films ou des propositions et de la sienne, des corrections, conseils ou suggestions.
Nicolas Barral m'a proposé à travers ces échanges un regard infaillible sur le personnage, un peu d'exigence et beaucoup de bienveillance, qu'il en soit ici publiquement remercié.
Aviez-vous une idée précise du sujet ou a-t-il été suggéré par Nicolas Barral ?
Ma seule idée précise était que je voulais faire Sherlock,et comme j'ai commencé seul dans mon coin, j'avais choisi une scène du premier album de "BAKER STREET" où il apparait debout en pleine page, ce sont les premières photos que j'ai fait parvenir à Nicolas. Sans réellement le rejeter, Nicolas a émis des réserves sur ce choix, il pensait la pose un peu trop "sage"et ne reflétant pas complètement l'esprit de la série en occultant l'humour, élément fondateur et moteur de "BAKER STREET".
Il avait raison...
Quelques jours plus tard, Nicolas m'a alors envoyé le dessin qui allait donner naissance à la figurine : un Sherlock beaucoup plus expressif avec une référence à Marilyn pour l'humour, et qui correspond parfaitement au caractère de son Sherlock.
J'ai trouvé l'idée et le dessin formidable et me suis mis immédiatement au travail...
Le résultat est pour le moins convainquant ! Tes figurines sont disponibles dans certaines boutiques ou uniquement par correspondance ?
Merci ! A ce jour, mes figurines sont disponibles sur mon site internet : . Dans un souci de maintenir un prix de vente le plus bas possible, j’ai préféré les proposer en vente direct sur internet.
La seule exception, pour le moment, concerne la librairie BD de ma ville: « LA LICORNE » à Valence qui les propose également.
Peux-tu concrètement nous parler des différentes étapes de ton travail sur la figurine, de la sculpture au moulage en passant par la peinture ?
Alors concrètement, à partir du dessin de l’auteur, je débute par la fabrication d’un squelette en fil d’aluminium ou laiton, ensuite je modèle une ébauche en plastiline (c’est une pâte à modeler qui ne sèche jamais) sur cette armature sans sculpter encore de détails, seulement les volumes et les grandes lignes du personnage et de la scène.
L’étape suivante consiste à concevoir et fabriquer un moule (en caoutchouc de silicone) de cette ébauche, pour pouvoir ensuite y couler de la résine afin de récupérer en sortie de moule un exemplaire « en dur ».
C’est ce premier exemplaire qui va me servir de base de travail, je sépare alors ce premier tirage en plusieurs parties pour faciliter le moulage et la peinture des pièces définitives.
Chaque pièce (bras, jambes, tête..etc) est alors retravaillée individuellement en sculpture et ponçage jusqu’à ce qu’elle soit parfaite.
Quand toutes les pièces sont terminées, une seconde phase de moulage a lieu pour créer les moules définitifs. A raison d’un moule par pièce, une figurine complète en représente beaucoup.
Chaque exemplaire de Sherlock sera alors fabriqué à partir de ces moules.
En sortie de moule, les pièces définitives sont nettoyées et poncées, j’y applique ensuite une sous-couche avant de commencer la peinture selon un code couleur choisi par l’auteur.
Les pièces sont alors peintes à l’aérographe et au pinceau pour les détails.
L’ensemble est soigneusement assemblé, collé, puis finalement emballé dans des emballages conçus sur mesure pour éviter toute casse pendant le transport.
Existe-t-il des photos de ces différentes étapes pour qu’on puisse mieux comprendre ta façon de travailler ?
Oui ! Il existe des photos de tout mon processus de fabrication, elles sont regroupées dans un album « making off » sur ma page
Quelle étape te procures le plus de plaisir ?
Toute les étapes procurent une satisfaction quand on parvient au but recherché mais les phases de sculpture sont les plus créatives et les plus stimulantes. Plutôt quand je sculpte de la résine que de la plastiline d’ailleurs, je préfère travailler des matériaux durs plutôt que souple.
Mon habitude du bois sans doute…
Peux-tu déjà lever le voile sur ton prochain projet ?
Une partie du voile seulement, des auteurs m’ont contacté suite à la sortie de Sherlock et m’on fait part de leur désir de collaborer avec moi, au vu des échanges, certains projets vont sans doute se concrétiser…
Je travaille en ce moment sur de nouveaux prototypes, des échanges de photos et dessin ont déjà eu lieu et vraisemblablement ma prochaine sculpture comprendra 2 personnages…qui, la aussi, seront des personnages inédits en volume.
Mais rien n’est encore signé, et tant qu’il reste un petit doute, je ne peux guère en dire plus...
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Dans le domaine de la BD, je peux citer, dans le désordre : « Dans la tête de Sherlock Holmes » de Cyril Liéron et Benoit Dahan, la trilogie des « Artilleuses » de Etienne Willem et Pierre Pevel, « Sur un air de fado » de Nicolas Barral , « Tananarive » de Sylvain Vallée et Mark Eacersall, « Blacksad » de Juanjo Guarnido et Dìaz canales, « Le pré derrière l’église » de Christian Paty et Didier Crisse. La liste pourrait être encore longue, il y a tellement d’auteurs de talent…
Au cinéma j’ai beaucoup aimé « Kamelott » de Alexandre Astier dont je suis le travail depuis toujours, ainsi que « Don’t look up » d’Adam McKay que j’ai vu il y a peu sur Netflix.
Au croisement du cinéma et de la littérature, j’ai adoré « la panthère des neiges » de Sylvain Tesson et Vincent Munier, dont le livre et le film sont pour moi 2 chefs-d’oeuvre.
J’ai vu que vous chroniquez également les jeux de plateau et dans ce domaine, j’ai découvert récemment « EVERDELL » et « PETIT PEUPLE » qui sont très sympas.
Et sur un plan musical, pour parler uniquement de mes découvertes les plus récentes, j’invite tout le monde à découvrir Antoine Elie, jeune auteur-interprète que j’aime beaucoup… et depuis quelques jours j’écoute le dernier titre du prochain album de La maison Tellier « Atlas ».
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Et bien tu aurais pu me demander quels sont les sculpteurs dont j’admire le travail et je t’aurais alors répondu qu’il y en a beaucoup…dans la para BD française, Pascal Rodier, Eric Delaval, Alban Ficat, Céline Godard, Samuel Bouleisteix, Dominique Muffragi, Etienne Aillaud…et j’en oublie certainement..
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Un grand merci à toi de mettre un peu de lumière sur la sculpture BD…à bientôt.