Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…

Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…
Je soussigné, Philippe Scherding, autorise Laurent du site web « SdImag » à pratiquer le tutoiement dans le cadre d’une interview pour le dit site web. L’usage du « tu » est réservé au strict cadre de cet entretien, mais pourra être étendu à d’autres activités, tel que conférence, dédicace, rencontre autour d’un verre ou partie de ping pong.

Je soussigné Laurent, alias le Korrigan, te remercie de cette aimable autorisation

Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)
Je suis un passionné de dessin et de bande dessinée depuis toujours, mais plus comme un lecteur à l’origine. C’est sans doute en découvrant les dessinateurs au travail pendant les festivals d’Angoulême en 1995 et 96 que j’ai eu envie de faire pareil (c’était à la fin du collège). Après le lycée, je me suis dirigé vers les Beaux Arts à Clermont Ferrand, puis pendant un temps à Angoulême. Néanmoins après ce cursus je n’étais pas encore prêt. J’ai fait pas mal de boulots alimentaires en continuant à dessiner dans mon coin.

A coté de ça je suis un amateur de métal, ce fut d’ailleurs ma première « carrière » artistique : chanteur dans un groupe de death metal. Mais j’ai rapidement saisi que j’étais plus fait pour le dessin.

Inutile de vous révéler mes coordonnées bancaires, je suis encore plus fauché qu’une certaine candidate pour les républicains à la présidentielle. Pour autant, je n’appelle pas aux dons… mais si voulez acheter ma bd ou me commander un dessin… N’hesitez pö…

Peut-on écouter l’un ou l’autre de tes morceaux de death metal ?
Hélas (ou pas) il ne reste pas de trace de cette expérience. Faut dire que faire du death metal au fin fond du Cantal il y a 25 ans (avant internet) aurait réclamé un investissement particulièrement important ne serait-ce que pour marquer les esprits localement, là où l’ambition était plutôt de s’occuper le week-end (au moins dans mon cas)

D’ailleurs, si tu devais conseiller un album à un internaute désireux d’explorer ce genre musical, quel serait-il ?
Un seul album ? difficile de faire le choix d’autant que mes goûts ont un peu évolué depuis…

Disons que pendant la réalisation de « Hel » j’ai beaucoup écouté « The fallen crimson » de Envy, « Spiritual Instinct » de Alcest, « Hallucinogen » de Blut Aus Nord, « Sunbather » de Deatheaven, « fetch » de Melt-Banana et « Condolence » de Malikliya…

Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupé une place de choix ?
La maison ou j’ai grandi était remplie de bouquins. Les livres illustrés m’ont toujours marqué, les collections folio junior, j’aime lire ont beaucoup compté… Les BDs sont arrivées très tôt sur ma pile de lectures. J’ai suivi un parcours de lecteur classique : Tintin, Spirou, Gaston, les Schtroumpfs, etc…

C’est vers l’adolescence que j’ai découvert la bande dessinée plus mature (les bd de Bilal, et « l’Epée de Crystal »…) cette période correspond aussi aux premières publications de manga en France (Otomo, Masamune Shirow…)

25 ans aprés, je reste toujours un amateur de bande dessinée, avec une prédilection pour la jeunesse et les graphismes cartoon.

Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse ? Un auteur en particulier t’a-t-il donné l’envie de passer de l’autre côté de la barrière ?
Didier Crisse est sans doute le premier dessinateur à m’avoir influencé, c’est par son travail que j’ai découvert ce mélange cartoon, élégance et sensualité.

Aujourd’hui encore niveau graphique, c’est le dessin genre animation qui m’influence le plus :

Shane Glines un des designer des séries animées Batman.

Sushio une des meilleurs animateur japonais.

Jamie Hewlett pour la créativité de ses graphismes en particulier pour Gorillaz.

Et Claire Wendling parce que c’est la meilleure.

Niveau scénario, c’est plus compliqué de citer une influence précise … Peut être Eric Omond (Ninie Rezergoude, le dérisoir, l’Epouvantail pointeur…) il y a souvent une grande part d’onirisme et d’introspection dans son travail et je m’y retrouve.

Quelles sont selon toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Cette question me rappelle une citation de Steven Spielberg qui disait en substance que les auteurs « n’ont pas de plan B ». Comme tous les métiers passion, on le pratique par nécessité (on ne sait rien faire d’autre).

Résultat (selon moi) les grandes joies et difficultés du métier sont liées aux sentiments de légitimité (syndrome de l’imposteur etc…) et d’achèvement (concrétisation de projet et retour des lecteurs)

En 2010, tu signes les dessins de la BD érotique Babydoll Diary… Pourquoi avoir attendu douze années pour publier un nouvel album ?
Babydoll Diary était une collaboration dont je ne suis pas particulièrement satisfait. Si l’expérience n’a pas été mauvaise humainement, ça a remis en cause ma manière d’envisager comment faire de la bande dessinée. D’autres projets ont été montés mais ne sont pas arrivé à terme. J’en ai tiré la conclusion que j’avais surtout envie de développer mes propres univers, cependant j’avais des grosses lacunes en termes d’écriture.

Mes premiers projets personnels n’étaient pas satisfaisants, j’ai donc commencé à lire des ouvrages théoriques qui traitent de l’écriture et de la narration. Il m’a fallu un certain temps pour arriver mes fins, commencer à écrire des histoires satisfaisantes à mes yeux, puis enfin des histoires « publiables » tout en gardant mon univers…

Aurais-tu un bouquin à conseiller à un aspirant scénariste ?
« Story » de Robert Mckee, c’est je pense un bon point de départ, même si le livre est parfois un peu rébarbatif.

Comment est né le scénario de Hel qui vient de paraître chez Michel Lafon ?
Difficile à dire car je développe mon récit par le dessin plus que par l’écriture. Je dessine des scènes et des personnages de manière plus ou moins improvisée, à partir de cette trame je laisse mon esprit vagabonder et lier certaines images entre elles.

Ça réclame une certaine gymnastique intellectuelle et la lecture des livres théorique sur l’écriture a vraiment aidé. En gros la trame de l’histoire « gonfle » et il faut la « désosser » par la suite pour arriver à quelque chose qui se tient sans partir dans tous les sens.

C’est une méthode qui, je pense, est proche de l’écriture cinématographique, recherches graphiques, story board et montage pour rendre la narration fluide. Je ne suis pourtant plus très fan de cinéma ou de série télé.

Le dessin de l’album s’avère particulièrement envoûtant. Comment avez-vous composé ce style si particulier ?
Merci beaucoup, Ravi que le dessin t’ai plu.

Mon dessin est un mélange d’influences diverses lié à ma passion pour la bd et l’animation mais également une à ouverture qui date de mon cursus aux Beaux Arts.

Hors bd et illustrations, l’expressionnisme (pictural ou cinéma) ou DADA m’ont beaucoup marqué, sans oublier l’ouvre de Gustave Doré, Alfons Mucha, Arthur Rackham ou John Bauer…

De même, beaucoup d’oeuvres et d’artistes plus lointain dans le spectre des arts créatifs m’ont marqué :
les photos de sites industriels de Berndt & Hilla Becher.
les paysage hors du temps de Darren Almond (fullmon).
la scuplture et l’architecture romane.

Je reprendrai une phrase d’un de mes enseignants aux beaux-arts « une œuvre est la somme de toutes les œuvres que l’artiste a vu »…

La phrase est belle et particulièrement profonde…

Les apparences de Victor et de Hel se sont-elles rapidement imposées ont ces personnages sont-ils passé par différents stades avant de revêtir l’apparence que l’on sait ?
Pour le coup, les designs ont très peu évolué depuis le début du projet. Si vous regardez le cahier graphique à la fin de l’album peu de chose ont changé. En même temps mon trait reste assez simple, j’ai parfois l’impression de déguiser les mêmes poupées selon l’histoire. N’hésitez pas à voir sur mon instagram pour vous en rendre compte.

Si tu devais en quelques mots nous faire le pitch de ton album, comment t’y prendrais-tu ?
« Victor un vieil homme misanthrope vit reclus dans la chambre de sa maison de retraite. Un soir, où il a refusé d'assister au spectacle que les enfants font pour les résidents, il va faire la rencontre d'une jeune fille étrange, Hel "venue le chercher". Un peu contraint et forcé, Victor va accompagner la jeune adolescente, avant de se rendre compte que celle ci ne l'amène pas au spectacle, mais pour un voyage sans retour. »


Utilises-tu des outils traditionnels ou numériques ?
Je dessine en « tradi » mais je n’encre pas.
Pour les couleurs c’est un mélange, les ombres sont faites au pinceau sur une feuille à part, les couleurs et le montage final avec Photoshop

De la rédaction du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de la réalisation de l’album ?
L’album a suive un ordre « classique » : écriture de l’histoire, découpage et storyboard complet, dessin des planches, et mise en couleur.

Serait-il possible, pour une planche donnée, de visualiser ces différentes étapes ?
Une fois que le scénario a été validé. J’ai storyboardé l’ensemble de l’album, avec un dessin relativement détaillé et la mise en place des bulles avec Photoshop.

J’agrandi alors mon storyboard pour m’en servir de crayonné / mise en page pour les planches finales. Ces dernières sont dessinées au crayon à papier et sur une feuille à part je dessine les ombres au pinceau.

Sur l’ordinateur j’ajuste le dessin et les ombres ensemble et rajoute les aplats de couleur. Je reprends les bulles de mon story-board pour finir le montage.

Quelle étape te procure le plus de plaisir ?
Les étapes « tradi », je songe d’ailleurs à faire mes prochains projets en couleur directe.

Dans quelle ambiance sonore travailles-tu généralement ? Silence monacal ? Musique de circonstance ? Death Metal ? Radio ?
L’écriture c’est mieux en silence ou avec une musique d’ambiance. Pour le dessin des thèmes plus … énergiques (voir plus haut).


En introduction de Hel, tu remercies de nombreux auteurs pour leur implication dans la réalisation de l’album… Peux-tu nous en dire plus sur leurs contributions ?
Disons qu’ils ont d’une manière ou d’une autre apporté une aide concrète pour la réalisation de l’album. Et en plus de leur aide précieuse ce sont des auteurs de talent.

Les Auteur(rice)s de BD sont majoritairement bienveillant(e)s avec les aspirants-auteurs et les nouveaux venus. J’aurais pu remercier d’autres artistes, mais une page n’aurait pas suffit.

Y a-t-il un auteur de BD que tu rêverais, ou que tu aurais rêvé, de rencontrer, dans ce monde ou dans un autre ?
Là comme ça je dirai Jamie Hewlett, mais faudrait que j’ai quelque chose d’intéressant à apporter dans la discussion … Et puis qu’est ce que je vais me mettre un chapeau ? une casquette ? la chemise ça fait pas trop formel ? un tee-shirt, ça risque de faire trop décontracté ! rhalala tant de questions…

Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
Je suis encore au tout début de l’écriture d’un nouveau projet, difficile à ce stade de dire quelle orientation et forme il va prendre, néanmoins tu peux voir quelques dessins sur mon instagram avec 2 soeurs jumelles qui sont les premières pistes de travail.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Bon j’ai déjà parlé un peu de BD et de musique, alors histoire de changer je vais citer quelques youtubers :

Bolchegeek – Ces dessins animés-là qui méritent qu’on s’en souvienne - Fabien Campaner & Lucie Card
MJ - Fermez la consacré aux polémiques abusives sur la culture geek

et puis des animateur(rice)s indépendant(e)s qui partagent leur création en ligne :

Hanabushi (kung fu Piggy) - Anna Cattish - Havtza - le studio La Cachette

et quelques dessinateurs à suivre sur les réseaux :

Piyo Tycho - Zenhiro

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
L’interview me parait bien complète, ensuite si de ton coté tu penses que j’aurai pu approfondir une réponse n’hésite pas à me le demander.

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

un personnage de BD : La Mère de « Lou » de Julien Neel
un personnage de roman : Crowley dans « Godd Omens » de Neil Gaiman
une chanson : Une chanson de Melt-Banana
un instrument de musique : Une basse
un jeu de société : Le scroubabble (un scrabble avec des cases de bd)
une découverte scientifique : Le calcul de la circonférence de la terre par Ératosthène
une recette culinaire : La Truffade
une pâtisserie : la Tarte tatin
une ville : Clermont Ferrand
une qualité : La Patience
un défaut : La Procrastination
un monument : L’abbaye Sainte Foy de Conques
une boisson : de l’orange pressée
un proverbe : « l’étonnement est le sel de la terre, » MC Escher

Un dernier mot pour la postérité ?
wouah pour la postérité ? heu ben, lisez des BDs, et restez ouverts à toute les forme de créations.


Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Merci à toi pour ton intérêt pour mon travail.

Et merci également aux lecteurs es espérant que l’histoire de Hel vous intriguera.