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Entretien avec Alexis Chabert
interview accordée aux SdI en juillet 2022


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…

Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…

Monsieur, quelle outrecuidance ! Comment osez-vous m'aborder sans farouche pour une question si ridicule !
Si votre maladresse devait partir comme un pet malencontreux alors que vous décrottiez votre clavier bien tempéré, go Bach go Bach !
Je vous interdis de me vouvoyer, car je privilégie le » tu « et pour cela préfère que je vous tue si vous veniez à me vouvoyer sur le champ !
Je « te « conseille de choisir un bon flingue !

Merci à toi… Mais si les choses devaient déraper, j’affiche une nette préférence pour l’épée…

Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

Quand j'étais petit j'estimais que je savais dessiner, mais à 8 ans je me suis rendu compte que j'étais nul, alors de 8 ans à 12 ans j'ai refusé de toucher un crayon, mais à 12ans j'ai eu un déclic et j'ai progressé très rapidement. Mon premier professeur fut mon père, puis j'ai ensuite été formé dans un studio de pub par le père de Julien Neel (Lou). Parallèlement j'ai étudié la guitare classique au conservatoire pendant des années et mon répertoire favori est la renaissance et le baroque.

Automne, en baie de Somme, recherche de personnage © Alexis ChabertVoici mon numéro de carte bleue : 666 69
J'aime bien les caïmans.

Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupé une place de choix ?
Je n'ai jamais été un fan de bd mais bien sur j'adorais tout petit Denis la malice, Pif Gadget, Astérix, Tintin et plus tard le dessinateur Alexis, et les bd de kiosque branchées cul comme Sam Bot et Dralacul.

Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse ? Un auteur en particulier t’a-t-il donné envie de devenir dessinateur ?
Non cela n'a jamais été un rêve de gosse, mais peut-être que le dessinateur Hollandais MC Escher m'a fasciné et j'avais aussi une grande admiration pour le dessinateur Fred.

Quelles sont selon toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Les grandes joies c'est de se dire que mon métier est de faire rêver les gens, de comprendre qu'une page blanche est une porte qui s'ouvre sur l'imaginaire à l'infini !

Les grandes difficultés, quand on vient de la pub, dorlotés avec des budgets énormes, c'est de travailler autant dans la bd et d'être payé chichement. Parfois cela ressemble à une blague, mais j'en vis malgré tout, et c'est une liberté sans nom que de vivre du travail que l'on aime

En 1996 paraissait Le château-sortilège, premier tome de la série Rogon le Leu, scénarisé par Dider Convard… Quels souvenirs gardes-tu de cette première expérience dans la bande-dessinée ?
C'était mon premier pas dans le métier, c'était un peu comme un laboratoire ou je testais mes couleurs, mais je regrette d'avoir accepté ce projet, car en fait je voulais être le dessinateur de mes propres scénarios, mais à l'époque aucun éditeur n'a voulu publier l'histoire d'Huguette une ancienne prostituée qui se faisait maltraiter par son ancien mac et qui s'est fait soutirer son caddie par un salopard de junkie !

Automne, en baie de Somme, numérisation © Alexis Chabert / Philippe PelaezQuand on regarde votre bibliographie, on ne peut qu’être impressionné par ta capacité à changer de style pour l’adapter au mieux au récit que tu mets en image. Qu’est-ce qui t’a motivé à faire ces choix ?
En fait c'est malgré moi, dès que je change de scénario, je change de style, et j'aimerais bien en explorer d'autres tels que le manga ou les comics

Comment as-tu rencontré Philippe Pelaez, scénariste de l’Automne en baie de Somme ?
Par l'intermédiaire du directeur de la collection Grand Angle chez Bamboo que j'avais croisé au festival de Blois, nous étions d'ailleurs à la table de Regis Loisel et Serge Letendre, et il me sollicita pour travailler à nouveau avec lui. J'ai accepté mais j'avais posé quelques conditions : que je travaille en couleurs directes que l'histoire se passe à la belle époque à Paris et qu'il me trouve un bon scénariste. Il m'a rappelé la semaine suivante et sitôt dit sitôt fait !

Pourquoi le Paris de la Belle Epoque vous attire-t-il à ce point ?
C'est une époque unique en son genre, les travaux d’Haussmann sont terminés, la mode quelque peu extravagante pour les femmes, l'art nouveau emprunté de la flore et de la nature en réaction à l'industrialisation, et c'est aussi une période de transition : la première guerre mondiale mettra fin à tout ce passé que l'on idéalise de poésie

Qu’est-ce qui vous a séduit dans le scénario de ce fascinant polar aux accents féministes se déroulant dans le Paris de la Belle Époque ?
Le style d'écriture de Philippe et sa façon de balader le lecteur

Automne, en baie de Somme, crayonné © Alexis Chabert / Philippe PelaezL’album est truffé de références à de grands peintres de l’époque, de Mucha à Caillebotte en passant par Béraud (et j’en oublie sans doute !)… Ces références graphiques figuraient-elle dans le scénario où est-ce un hommage rendu par l’artiste que vous êtes aux maîtres qui l’on précédé ?
Non, Philippe m'a laissé m'inspirer des artistes que j'affectionnais particulièrement et que vous venez de citer, d'ailleurs je cite tous ces peintres dans la version toilée d'Automne en baie de Somme.

Damned ! Et moi qui ai passé des heures sur internet à chercher des toiles qui étaient restées dans un coin de ma tête pour illustrer ma chronique 😊

Si vous deviez conseiller une œuvre de Jean Béraud à un lecteur désireux de découvrir ce peintre, quelle serait-elle et pourquoi ? Qu’est-ce qui vous attire d’ailleurs dans le travail de cet artiste ?

Il est difficile de choisir une œuvre parmi tant d'autres, d'autant plus qu'elles ont toutes un intérêt envoûtant, j'aime beaucoup « le cercle » ce tableau coupé en 2 parties colorées vert en haut et rouge en bas, la composition est très moderne un peu à la Mondrian mais avec une représentation réaliste du décor et des personnages

On parle beaucoup de Béraud mais il faudrait également citer le peintre Édouard Léon cortès et notamment l’œuvre « le café Balthazar place de la république », ici l'artiste retranscrit des sensations difficiles à évoquer : le temps pluvieux parisien vers 17heure en hiver et les brasseries qui illuminent de leurs reflets chaleureux les trottoirs humides et glissants ;ces peintres décrivent à merveille le quotidien de la vie parisienne ; non seulement ces œuvres sont imprégnées de beautés mystérieuses, mais elle sont aussi le témoignage saisissant d'une réalité d'une autre époque.

Concrètement, du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de la réalisation de l’album ?
D'abord je lis consciencieusement la page 5 du scénario par exemple, et j’essaie de voir la pensée du scénariste, puis je la représente de manière simple sur un petit format, cela s'appelle le storyboard ; le scénariste raconte son histoire et moi je dois aussi raconter une histoire mais de manière graphique ; je me dois toujours d'étonner le lecteur en cherchant des compositions nouvelles et créatives des pages
Work in Progress
Automne, en baie de Somme, Planche 6 : étude de valeur © Alexis Chabert / Philipp Philippe Pelaez Automne, en baie de Somme, planche 6 : étude de couleur © Alexis Chabert / Philipp Philippe Pelaez
Automne, en baie de Somme, planche 5 : étude de valeur © Alexis Chabert / Philipp Philippe Pelaez Automne, en baie de Somme, planche 5 : étude de couleur © Alexis Chabert / Philipp Philippe Pelaez

Quelle étape te procure le plus de plaisir ?
Justement le storyboard. Dès que je lis une page du scénario, je me dis qu'est-ce que je vais bien pouvoir en faire, et cela se présente comme un casse-tête chinois et je finis toujours par trouver un résultat, qui bien sur peut-être discutable mais vraiment ça m'éclate; et aussi sûr l'étape de la mise en couleur est pour moi une épreuve sportive très ludique.

Automne, en baie de Somme, numérisation © Alexis Chabert / Philippe PelaezQuels outils as-tu utilisé pour concevoir tes planches ?
Des encres de couleurs, de l'acrylique, des pastels secs et gras, de la gouache, du stylo bic de toutes les couleurs et des crayons de couleurs aquarellables de qualités différentes !

Comment as-tu élaboré l’apparence des principaux personnages de l’histoire ? Celle de l’inspecteur ou de la muse du Mucha se sont-ils rapidement imposés ou sont-ils passés par différents stades avant de revêtir l’apparence qu’on leur connaît ?
Philippe avait bien décrit chacun des personnages.

Peux-tu lever le voile sur Hiver à l’Opéra, second tome du quadriptyque ?
Tout d'abord cette suite n'était pas prévue car je n'étais pas sûr de tenir le rythme, et en fait si. J'avais demandé à Philippe de ne pas hésiter à rajouter de la violence par rapport au premier tome et d'ailleurs à ma grande satisfaction le récit commence avec une séquence très forte dont je tairais bien entendu le contenu.

D'autre part, les recherches techniques du premier tome se concrétisent sur le deuxième tome et je m'affirme d'avantage, je gagne en confiance en moi, et la réalisation devient un pur bonheur.

Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
J'ai un projet assez délirant pour Fluide Glacial et apparemment Philippe serait partant pour y collaborer, et un autre projet en partenariat avec ma fille( qui s'appelle Ingrid, donc Ingrid Chabert,LOL) qui d'ailleurs délire bien comme il faut et qui graphiquement sera un défi pour moi

Automne, en baie de Somme, la Mort © Alexis ChabertTous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Le dernier album de la chanteuse canadienne: Lisa Leblanc, « Automatic » de Midlife et bien sûr : « Célébration » du groupe Indochine !

Et là, y à pas de médias confondus, c’est que de la zik, je te « l'accorde » !

Pas de soucis smiley
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?

Oui : quelle est la musique qui me transcende le plus ?

La musique sacrée de la Renaissance (« yf ye love « me de Thomas Tallys, « Ave Verum » de William byrd, Thomas Luis de Victoria : « O magnum mysterium » et bien sur le Misere d'Allegri ! J'invite tout le monde à écouter ces petites perles de la Renaissance qui procurent un réel enchantement, et une sensation de bonheur intense sans être obligé de croire en la religion.

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

Automne, en baie de Somme, planche 27 © Alexis Chabert / Philippe Pelaez
un personnage de BD : Obelix
un peintre du XIXe : Caillebotte
un personnage de roman : les Héros de James Hadley Chase
une chanson : « le tour du monde » de Jeanne Ballibar
un instrument de musique : le piano
un jeu de société : j'aime pas les jeux de société
une découverte scientifique : les exoplanètes
une recette culinaire : le canard à l'orange
une pâtisserie : la pâte d'amande
une ville : Paris ou New York
une qualité : la compassion
un défaut : l'indécision
un monument : le château renaissance d'Azay le rideau
une boisson : le bon vin rouge
un proverbe : la vérité est la première victime de la guerre

Un dernier mot pour la postérité ?
Comme disait l’humoriste feu Jean-Yves Lafesse : « Pourvu que ca dure! »

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
J'aime bien tes questions, ça à été un vrai plaisir pour moi, mais j'vais pas couiner pour autant!
Le Korrigan



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