Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Bonjour
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…
Je préférerai qu’on se vouvoie, mais si un tu se glisse dans l’entretien je ne vous en voudrais pas
Pas de soucis, je me ferai violence
Pouvez-vous nous parler de vous en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)
J’ai 43 ans, je suis père de deux enfants de 10 et 12 ans, je suis né à La Réunion, j’ai suivi un cursus normal primaire, collège, lycée, jusqu’en terminale, je n’ai pas eu mon bac et je suis rentré aux Beaux-Arts, j’y suis resté deux ans et ensuite j’ai trouvé du travail en 2000 dans une agence web qui faisait des petits jeux vidéos en format Flash sur Annecy, en tant que graphiste et animateur 2d. Juste avant de partir pour Annecy, j’ai fait la connaissance des frère Jouvray sur Lyon et plus particulièrement de Jérôme avec qui nous avons travaillé ensuite sur différents projets d’abord pour Arte et puis pour Nokia également, et enfin nous avons décidé de faire L’idole dans la Bombe.
En 2010 j’ai décidé de retourner en formation dans une école de réalisation de film d’animation à l’école de La Poudrière, j’ai travaillé sur pas mal de projets personnels, mais ils n’ont malheureusement pas abouti sur écran.
Enfant, quel lecteur étiez-vous et quels étaient vos livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupé une place de choix ?
Enfant, on me lisait pas mal de livres dont Les Matins de Martin et Bibi Abricot et les Potamuches, ensuite dès que j’ai su lire, je lisais pas mal, des Bibliothèque Rose entre-autre mais également des livres qu’il y avait dans ma classe de primaire. J’étais un fan d’aviation (de guerre) et également de navire (de guerre), mon père était dans la marine nationale ainsi que nombre d’oncles autour de moi qui sont tous passés par cette institution, et j’ai appris très tôt à écrire des lettres à ma grand-mère et à ma mère, entre-autres, qui étaient restées à La Réunion.
Mes premières sensations BD étaient avec les Petits Hommes que j’ai découvert dans le foyer de la base de la marine nationale en Nouvelle-Calédonie en 1983-84, mais mes toutes premières BD avant même que je sache les lire c’était Dan Cooper le pilote canadien, puis plus tard Boule et Bill et Gaston Lagaffe, j’aimais bien les Tintins aussi, et puis j’avais une autre grand-mère en métropole du côté de Toulon, qui me prenait des livres à la bibliothèque du village sans se douter que les bande-dessinée n’étaient pas que pour les enfants, donc j’ai lu des choses très jeune qui étaient réservées à un public adulte, sans forcément dire qu’il y avait des trucs cochons dedans, mais les intrigues étaient parfois sombres, ou ficelé de sorte qu’un adulte pouvait s’y retrouver plus facilement. Et puis plus tard au lycée je suis tombé sur les Fluides Glacial, et je me souviens d’avoir eu des fous rire en lisant Edika, ça m’a tenu un temps, j’étais mordu d’Edika, ça m’a un peu passé
Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse ? Un auteur en particulier vous a-t-il donné envie de passer de l’autre côté de la barrière ?
Devenir auteur de BD ne m’a jamais effleuré l’esprit, c’est vraiment le fait d’avoir rencontré Jérôme qui m’a décidé à lui écrire un scénario et devenir ainsi auteur. Mais mon écriture, du moins sur L’idole, implique toujours une certaine distance, c’est à la fois sérieux et à la fois parodique enfin bon peut-être que ce n’est pas maintenant que je dois parler de ça.
Quelles sont selon vous les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Pour ce que j’en connais, les grandes joies sont de pouvoir écrire puis écrire encore et réécrire jusqu’à être certain que c’est bien comme ça que l’on veut que les choses soient dites pour le personnage que l’on incarne à cet instant. C’est aussi voir germer une trame sortie de nulle-part, la travailler encore et encore et voir que cela donne une histoire singulière avec des rebondissements, des surprises, des personnages qui surviennent et qu’on ne pensait pas voir exister, tout cela procure une immense satisfaction, en plus de pouvoir signer avec un éditeur et tenir son livre dans les mains quelques mois plus tard.
Pour les difficultés il y en a beaucoup, je sais que par exemple j’ai de plus en plus besoin de temps libre pour pouvoir me poser et prendre le temps de laisser venir une histoire, et je ne sais pas j’ai l’impression de toujours manquer de temps maintenant, c’est frustrant. Je ne suis pas un scénariste qui produit à foison comme Lupano par exemple… en même temps je n’aimerai pas être Lupano. Disons que j’aimerai être Lupano pour pouvoir vivre de mon écriture mais pas forcément pour les choses qu’il écrit. Et puis c’est aussi de voir que pas mal d’histoires commencées ne verront pas le jour, soit par manque de travail, soit parce qu’elles ne sont tout simplement pas destinées à la bande-dessinée.
Qu’avez-vous à reprocher aux scénarios de Lupano ?
Les rares albums que j’ai feuilletés ne m’ont pas emballé, tout simplement
Comment avez-vous rencontré Jérôme Jouvray qui signe les dessins de l’Idole dans la Bombe ?
Comme je l’ai dit plus haut, c’est en prenant contact avec l’atelier KCS qui existait à l’époque sur Lyon, et qui était un petit regroupement d’indépendants qui exerçait différents métiers liés à l’internet ou à l’audiovisuel, que j’ai fait la connaissance de Olivier Jouvray d’abord puis quelques temps plus tard de Jérôme, c’était je pense en 1999
Comment est né ce récit retro-futuriste qui prend pour cadre une Guerre Froide revisitée avec humour et gravité ?
Ce récit est né d’une image, c’est parti d’une femme, qui devait être nue au départ, nue dans une bombe immense qui lui servait de refuge, je ne sais pas trop pourquoi. Et puis, de fil en aiguille, les personnages sont arrivés. Mais la première version de cette histoire tenait plus du roman. C’est ensuite lorsque nous avons contacté et rencontré Luc Brunschwig chez Futuropolis qu’il y a eu un travail de réécriture et de direction d’écriture, ce qui a pu donner L’idole telle qu’on la connaît aujourd’hui
Pour les plus jeunes d’entre nous, peux-tu rappeler les spécificités de la collection 32 chapeauté par Luc Brunschwig ?
Il s’agit d’une tentative de collection d’album souples et de sorties par chapitres donc des sorties plus régulières mais pas forcément des histoires moins longues, mais bon bref ça n’a pas marché
Après un passage dans l’ambitieuse mais défunte collection 32 de chez Futuropolis, l’Idole dans Bombe a été publié de façon plus classique pour la BD franco-belge, à savoir en album cartonné… Quatorze années se sont écoulées entre la publication du second et du troisième de la trilogie… Que s’est-il passé ?
Durant tout ce temps, il s’est passé plein de choses, Jérôme était occupé sur d’autres albums, Futuropolis a voulu arrêter la publication de L’idole au moins trois fois, et trois fois nous avons tenu bon pour les relancer. Entre-autres choses, nous avons été contactés par un producteur et une réalisatrice qui étaient prêts à adapter La Pès Rekin en long-métrage, c’est d’ailleurs à cette occasion que nous avons pu relancer Futuropolis pour la suite et la fin de L’idole. Malheureusement l’adaptation de La Pès Rekin ne s’est pas faite, la réalisatrice et le producteur ne s’entendaient plus je crois.
Dans quel état d’esprit êtes-vous à présent que votre historie est, après tant de péripéties éditoriales, parvenue à son terme ?
Je suis un peu fatigué de ce genre de rapport avec l’éditeur, surtout qu’il n’a fait aucune publicité pour la sortie du troisième tome, et on se sent un peu inutile après tant de temps, on se demande pourquoi on s’est accroché à cette sortie du tome3, si au fond cela n’intéresse personne
Proposant un scénario iconoclaste, tout à la fois sérieux et déjanté, L’Idole dans la Bombe est baignée dans une atmosphère étrange et envoûtante… Le contexte de Guerre Froide retro-futuriste s’est-il rapidement imposé ?
Le contexte de guerre-froide s’est imposé de lui-même dès les premières lignes de mon histoire il y avait ce contexte, mais bon L’idole c’est surtout un conflit qui se met en marche dès le début et n’a plus rien d’une guerre-froide.
Est-ce cette étrange dichotomie qui a empêché l’Idole de trouver son public, alors même que ceux qui l’ont on bien souvent été particulièrement enthousiasmé par cette histoire bougrement originale et délicieusement décalée ?
Je ne vais pas répondre à la place des lecteurs, je ne sais pas ce qui a pu se passer, surtout que cela avait été plutôt bien accueilli au début, mais bon voilà, il y a des histoires qui trouvent leur public et les autres
Comment avez-vous donné vie à cette foule de personnages bigarrés, du président indécis et charmeur en passant par le savant fou et l’Idole ?
J’ai tout simplement utilisé des références historiques à plus ou moins longues portées si l’on puit dire, et à partir de là j’en ai fait des caricatures, mais pas seulement car les personnages parviennent malgré tout à avoir des traits parfois singuliers.
Lequel avez-vous pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
Je ne sais pas, cela dépend des séquences, mais il reste malgré tout le personnage du commissaire Modra qui mériterait d’avoir un préquel le concernant.
A partir de quels éléments Jérôme Jouvray a-t-il dessiné l’apparence de ces personnages ? Sont-ils passés par différents stades avant de revêtir celle que l’on connaît ?
Les personnages de Jérôme ont été vite trouvé, à part peut-être Barzavotzig qui a évolué physiquement au fil de l’histoire
Faisant ressortir la personnalité de ceux qui les servent, vos dialogues s’avèrent particulièrement soignés… Comment les abordez-vous ?
Il y a beaucoup de réécriture pour les dialogues, tant que je ne trouve pas le bon angle d’attaque je réécris, mais il faut savoir aussi que Jérôme réécrit lui aussi certains de ces dialogues pour que la compréhension générale de l’histoire reste plus aisée.
Concrètement, du scénario à l’album finalisé, comment s’est organisé votre travail à six mains avec Jérôme et Anne-Claire Jouvray ?
Tout commence par le scénario que j’écris, puis vient le découpage ou le storyboard que je fais avec Jérôme, certaines séquences peuvent être réécrites à ce moment là, si il manque quelque chose pour qu’on comprenne mieux, à partir de là Jérôme va dessiner toutes les planches et Anne-Claire n’intervient qu’en toute fin pour mettre en couleur.
Si vous deviez suggérer une bande originale pour accompagner la lecture de la série, quel serait-elle ?
Je n’ai pas l’habitude de lire en écoutant de la musique donc je ne sais pas trop ce qui pourrait bien aller avec, je pourrais évoquer du jazz, mais là encore c’est tellement vaste, je pourrais citer John Zorn.
Pouvez-vous en quelques mots nous parler de vos projets présents et à venir ?
J’ai quelques projets déjà écrits dans mes cartons mais plus le temps passe et moins j’ai envie de les faire publier, ou alors il faudrait revenir dessus les retravailler, mais cela donnerait carrément autre chose si je devais les retoucher, donc pour le moment rien de vraiment en vue, à part peut-être une envie de faire un prequel sur le personnage du commissaire Modra de L’idole dans la Bombe, mais là encore il n’y a pour l’instant que quelques bribes, des idées, mais rien de définitif
Tous médias confondus, quels sont vos derniers coups de cœur ?
J’ai bien aimé la première saison de la série
Succession produite par HBO je crois, sinon en moins récent je suis tombé sur le film
L’odyssée du sous-marin le Nerka qui est en visionnage libre sur Youtube, c’est vraiment un bon film de guerre de sous-marin qui mérite d’être connu, sinon j’ai relu
le Voyage au bout de la nuit de Louis Ferdinand Céline, je l’avais déjà lu il y a une vingtaine d’année, et j’ai vraiment redécouvert ce livre, je le relirai peut-être encore dans vingt ans.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle vous souhaiteriez néanmoins répondre ?
Non, je ne vois pas.
Pour finir et afin de mieux vous connaître, un petit portrait chinois à la sauce imagi-naire…
Si vous étiez…
un personnage de BD : Régis Renaud dans les Petits Hommes
un personnage mythologique : Ulysse
un personnage de roman : Michel Djerzinski dans Les particules élémentaires de Houellebecq
une chanson : Les Marquises de Brel
un instrument de musique : Le Micro Korg
un jeu de société : le Cluedo
une découverte scientifique : une exoplanète
une recette culinaire : les pâtes au pistou
une pâtisserie : la tarte tropézienne
une ville : Hambourg
une qualité : la fidélité
un défaut : la paresse
un monument : Louis XIV sur son cheval, place Bellecour à Lyon
une boisson : une IPA bien fraîche
un proverbe : out kozman i glis si moin kom do lo si féi sonz
Un dernier mot pour la postérité ?
Je ne me sens pas encore assez vieux pour en avoir un à dire !
Un grand merci pour le temps que vous nous avez accordé !