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Entretien avec Pascal Regnauld
Interview accordé aux SdI en août 2022


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…

Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…

Non, je n’ai aucun problème avec le tutoiement

Merci à toi…
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

J’ai suivi une scolarité qui devait me mener à un bac Arts Plastiques ça s’appelait et de là aux Beaux Arts mais finalement j’ai trouvé in job dans une boîte de pub et comme ils me payaient pour dessiner j’ai trouvé ça pas si mal.

Et depuis j’ai toujours travaillé en dessinant.

Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?
Comme un peu tout le monde j’imagine.
Les incontournables Tintin et Spirou, et Astérix, ce genre de choses.
Mais je crois que la première BD que j’ai eu sous les yeux c’est « Que la bête meure » de Calvo.
En fait, je lisais tout ce qui me tombait dans les mains à cette époque.
Trou de Mémoire, crayonné © Pascal Regnauld
A quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité ta vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
Ce n’est pas quelque chose que j’ai recherché, j’aimais en lire, mais de là à en faire une…

J’ai démarré dans la BD en rencontrant Benoît Sokal. Le premier album que j'ai dessiné a été un Canardo.

Trou de Mémoire, crayonné © Pascal RegnauldQuelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
J’aime surtout quand on élabore le projet, les recherches, le story-board. C’est ce que je préfère faire. Il y a une espèce d'euphorie, tout est à faire. J'aime faire les planches aussi, mais elles ont parfois un côté répétitif qui me semble toujours un peu long vers le milieu de l’album. C’est pour moi une phase d’exécution que je trouve moins créative, plus technique.

Quels sont tes références en matière de polar, que ce soit en roman ou en bande-dessinée ?
Heu, tu veux une liste ??
James Ellroy, Charles Willeford, Kent Anderson, Jo Nesbo, certain Nelson Demille, Dan Simmons qui ne fait pas que du polar, Sandrine Collette etc...etc...
J'aime bien aussi Pierre Siniac, et Robert Ludlum, et.... Ça peut faire vite une longue liste...

Trou de Mémoire, crayonné © Pascal RegnauldPeux-tu nous parler de votre collaboration avec Sokal sur Canardo dont vous assuriez le dessin depuis près de quinze albums ?
Travailler avec Benoît à été super formateur.

Même en ayant changé totalement de façon de dessiner, il y a encore énormément de choses que fait « à la Sokal », à commencer par mes mains par exemple, les cases en longueur qu'il affectionnait tout particulièrement ou le coté laconique des personnages. J'ai beaucoup travaillé avec lui, ça marque quand même un peu..

Comment avez-vous rencontré Roger Seiter qui signe le scénario de Trou de Mémoire ? Qu’est-ce qui vous a séduit dans son polar sombre et envoûtant ?
On s'est rencontré sur un festival BD. Et comme on lisait beaucoup de polar lui et moi, on s'est vite trouvé des points communs, ça a bien fonctionné, tout de suite.
C'est toujours plaisant d'échanger avec Roger, ses conversations sont toujours très inspirantes pour dessiner les planches. Il ouvre toujours plein de possibilités pour enrichir son texte avec l'image.
Ce que j'ai aimé dans Trou de Mémoire c'est les 2 enquêtes en parallèles, celle de Milton et celle des 2 flics qui cherchent la même chose mais pas pour les mêmes raisons.
Et aussi la fin et le personnage de Carl Grant, cette chiffe molle qui finalement tient toute l'affaire.
C'était bien tourné, bien écrit et très documenté, ça m'a donné envie.
Y'avait plus qu'à...

Trou de Mémoire, planche de l'album © Editions des 4 Mondes / Regnauld / SeiterPour mettre ce diptyque, vous avez adopté un style radicalement différent de vos précédents travaux. Comment avez-vous créé ce style original et envoûtant qui joue avec maestria avec la lumière pour distiller une ambiance savoureuse caractéristique de l’âge d’or du polar ?
Bigre, je n'ai pas eu l'impression de faire tout ça.
Ce que je voulais surtout c'était de faire différemment de ce que je venais de faire pendant des années. Et je me suis retrouvé à faire du Canardo avec des têtes humaines. Ça n'avait aucun intérêt.
J'ai fini par supprimer l'encrage, réduire la colorimétrie et accentué les contrastes en mettant de grosses lumières blanches. Ça n'a pas forcement été évident mais ça a donné un truc particulier que j'ai développé pour cet album-là.
Je n’ai pas forcement pensé sur du long terme, ça me paraissait aller bien avec l'histoire de Roger et finalement ça a surpris certains lecteurs et libraires. Et comme c'était plus intéressant à faire que des planches traditionnelles, j'ai continué sur les albums suivants en modifiant les couleurs. Ce que j'aime bien avec cette façon de dessiner, c'est que les réactions de gens sont très tranchées, soit ils adhèrent à 100% soit ils détestent carrément.

Trou de Mémoire, planche de l'album © Editions des 4 Mondes / Regnauld / SeiterComment s’est opéré le choix des teintes de Trou de Mémoire qui contribuent à poser cette ambiance oppressante propre au roman noir ?
En fait, mon idée de départ était de couper l'album en jour et nuit, le bleu pour la nuit et le jaune, pour le jour. De lui imposer une sorte de rythme. Et puis du rouge quand c'était néces-saire pour le récit.
Comme on n’a pas d'autres couleurs, ça plombe vite l'atmosphère.
Et depuis, je limite ma palette de couleur, je trouve ça plus efficace.

Concrètement, comment as-tu organisé ton travail sur l’album ? Le rendu final est obtenu avec des outils numériques mais continues-tu à faire des crayonnés préparatoires ?
Je fais toujours mes planches au crayon, donc Trou de Mémoire n'a pas dérogé à la règle, j'en ai même encré quelques-une mais très vite je suis passé à un encrage numérique. Mais ce n'est pas systématique, en ce moment, j'encre de nouveau mes planches.
Et la couleur est 100% numérique. Mais pour casser le coté froid de la chose, j'aime bien inté-grer dans l'image des fonds que je fais à l'acrylique ou à l'aquarelle. Peut-être pas 100% fina-lement.

Quels sont pour toi les avantages et les inconvénients de la palette graphique ?
Je ne vois pas vraiment de problème à utiliser ce type de matériel, je trouve ça pratique, on peut retoucher sans problème, modifier une teinte etc...
Et ça sèche instantanément.
Mais ça rend quand même l'image un peu mécanique parfois. Et il arrive que ça bug...

Du découpage de l’album à la planche finalisée, quelles furent les grandes étapes de la réalisation d’un album ?
A part le story-board, il n'y a pas eu de grandes étapes.
Une fois que le story-board me convient (bien qu'il m'arrive de le modifier en cours de route) j'avance page par page. Je ne peux pas crayonner un album d'un coup puis l'encrer dans la fou-lée. Ça m'ennuie de faire la même chose tout le temps alors je travaille toujours page à page, alternant crayonné, encrage et couleur. Il m'arrive de faire une séquence d'un coup au crayon pour avoir une vision d'ensemble mais c'est plutôt rare.
Trou de Mémoire, Work in Progress © Pascal Regnauld
Quelle étape te procure le plus de plaisir ?
Le story-board, incontestablement.

A partir de quels éléments as-tu élaboré l’apparence de tes personnages ? Roger Seiter t’a-t-il donné une description détaillée de chacun d’entre eux ou as-tu laissé libre cours à ton imagination ? Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
Trou de Mémoire, crayonné d'un planche © Pascal RegnauldRoger ne m'a pas spécialement donné d'impératifs mis à part qu'il fallait que Mil-ton n'est pas l'air d'un tueur, qu'il soit passe partout. Le reste il m'a laissé faire. Maintenant, il n'y avait pas matière à délirer longtemps, c'est beaucoup d'agents du FBI en costard. Mais j'ai bien aimé faire le gros flic moustachu, un peu mexicain, les shérifs et aussi Carl Grant. Et les maffieux, c'était drôle de faire des « tronches »..

Mais cela avait un caractère nouveau pour moi, je sortais d'une douzaine de Canardo, alors faire des personnages humains dans un style que je découvrais au fur et à mesure que j'avançais, j'ai eu parfois l'impression d'essuyer les plâtres.

Milton est-il passé par différents stades avant de revêtir l’apparence qu’on lui connaît ?
Oui, au début il avait l'air mauvais comme une teigne, et on comprenait tout de suite qu'iln’ était pas net. Roger a tiqué et je l'ai fait plutôt quelconque pour qu'il soit crédible.

L’album est en passe d’être réédité par les Editions des 4 Mondes… Comment est née cette nouvelle aventure éditoriale ?
Ça, c'est Roger, il connaissait Lionel et ils ont commencé à en parler. Puis il m'en a touché deux mots et j'ai rencontré Lionel à Illzach. Comme le courant passait bien, qu'il avait plein d'idées et travaillait avec Fabrice Linck pour sa créa, ce qui est un gage de qualité, j'ai trouvé l'idée séduisante.

Ça s'est fait de manière plutôt simple en fait.

Et je ne suis pas déçu, ils ont fait, Lionel, Roger et Fabrice un boulot éditorial terrible. Ça va être un chouette album et j'ai hâte de l'avoir entre les mains.

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Trou de Mémoire, original de la jaquette du tirage de tête de l'album © Pascal Regnauld
Le Korrigan