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Entretien avec Fabrice Linck et David Soyeur
Interview accordé aux SdI en octobre 2022


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’interview…
Bonjour et merci à toi...

Pouvez-vous en quelques mots nous parler un peu de vous ? (études, passions, numéro de carte bleue…)

  David Soyeur: Je suis né en Belgique, à Liège précisément, j'ai eu un parcours scolaire plutôt classique, un peu chaotique lorsque le moment des études supérieures est venu... Je suis finalement entré à Saint-Luc Liège puis à l'Académie des Beaux-Arts.
Je suis passionné d'histoire et d'histoires et de sport, si je suis un peu touche à tout en la ma-tière c'est dans le volley-ball que j'ai trouvé le plus de plaisir.

  Fabrice Linck : pour faire court, je suis un libraire repenti, scénariste BD et gra-phiste/maquettiste « édition » (je mets en page des livres et des albums BD pour le compte de différents éditeurs)... autant dire qu'il est forcément question de bouquin dans mon quotidien...


Enfants, quels lecteurs étiez-vous ? La BD occupait-elle déjà une place de choix ? Quels étaient alors vos séries favorites ?

  David Soyeur: je lisais un peu de tout, j'avais une affection particulière pour la mythologie grecque, et les romans d'aventures comme Le récif de corail ou L'ile au trésor... Des dieux grecs et des pirates, pour un enfant c'est magique. Oui, la BD prenait déjà une place importante dans mes lectures. Tout petit, mes grands-parents avaient tous les Tintin et les Bob et Bobette et ils continuaient la collection pour mon frère et moi. Ensuite, il y a eu les Tuniques Bleues, c'est la première fois que je choisissais vraiment une série et que j'attendais avec impatience le prochain album. je me souviens aussi que Dupuis avait une série L'histoire en bandes dessinées j'étais absorbé. Pour finir ah, la bibliothèque dans le bureau de papa... à moi les Druillet, les Schuiten et les Gaston Lagaffe...

  Fabrice Linck : j'étais un lecteur compulsif... Des romans jeunesse et de nombreuses BD, mais aussi Pif Gadget, En piste, des magazines sportifs, le quotidien du coin et même le programme TV... je lisais tout ce qui était à portée de main. J'ai commencé la BD avec les classiques de l'époque (Tintin, Astérix, Gaston Lagaffe, etc...) et je suis devenu définitivement accroc après la lecture de La Quête de l'oiseau du Temps, du Grand Pouvoir du Chninkel, de Corto Maltese ou de La Rubrique à Brac...

A quel moment avez-vous décidé de faire de votre passion un métier ? Un auteur en particulier a-t-il fait naître votre vocation ?

  David Soyeur: en vérité, de nombreux auteurs ont fait naître ma en moi l'envie de devenir dessinateur BD, il y a tellement de belles choses... C'est difficile d'en nommer un qui aurait été prévalant mais dans le couloir qui menait jusqu'à la cuisine, il y avait cette planche de Gail tous les jours je passais devant et je l'admirais religieusement, je dirais donc Druillet donc et ça date.

Devenir auteur a-t-il relevé du parcours du combattant ? Une rencontre en particulier a-t-elle été déterminante pour lancer votre carrière ?

  David Soyeur: un peu oui, pour moi c'est surtout trouver le rythme qui est difficile. Fab me le rappelle de temps en temps. Une rencontre en particulier... Paradoxalement c'est un échec qui m'a permis d'être là aujourd'hui. La rencontre en elle-même ne l'était pas (que du contraire) mais l'album n'est jamais sorti au final. Néanmoins, j'avais suffisamment de matière à montrer pour persuader Fab de travailler ensemble, tout est bien qui finit bien. (au passage, Yves si tu lis ces lignes, la bise et toutes mes amitiés).
Qin Shi Huang, rough © David Soyeur / Fabrice Linck
Quelles sont pour vous les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?

  David Soyeur: les grandes joies... Tenir enfin l'album entre les mains, c'est le résultat de beaucoup de temps, beaucoup d'effort et de réflexion, le fruit de mois de travail. Et puis la rencontre avec les lecteurs, que ce soit en festival ou en dédicace, c'est un travail assez solitaire malgré tout..

  Fabrice Linck : quant aux grandes difficultés, l'idée n'est pas de faire pleurer dans les chaumières alors on va essayer de les résumer en une phrase... le principal problème des auteurs de BD est probablement une situation précaire pour une grande partie d'entre eux, pourtant « fournisseurs » de la matière première sur un marché dont on nous dit qu'il se porte bien depuis de nombreuses années...

David, en matière de dessin, quels sont vos maîtres et vos influences ?
Ils étaient tous dans cette fameuse bibliothèque, Druillet, Breccia, Toppi, Schuiten... Par la suite, l'énergie du dessin de Lauffray me fascine et même si cela peut être un peu difficile d'accès, la foison de détails chez Ledroit.

Fabrice, quels scénaristes font pour vous références ?
Ils sont nombreux à m'avoir inspiré et ce n'est pas qu'une formule... mais disons que le premier à m'avoir filé le virus est René Goscinny...

Vous êtes les auteurs de Qin Shi Huang dont la campagne, portée par les éditions Kamiti vient d’être lancée sur Ulule. Comment est née l’idée de raconter la vie du premier Empereur de Chine ?

  Fabrice Linck : C'est lors d'une conversation téléphonique avec Jean-Christophe Lambrois, le patron des éditions Kamiti, que le sujet a été abordé la première fois. Je crois qu'à l'époque, il commençait à se pencher sur la question... De mon côté, j'ai commencé à faire quelques premières recherches et tout a basculé lorsque ma fille qui avait 10 ans à l'époque m'a dit : « Qin Shi Huang ? Je le connais... Il a eu une vie pas banale celui-là... » Elle m'a tendu un livre jeunesse dans lequel quelques pages étaient consacrées à l'empereur (du moins à la partie accessible au enfants) et ça m'a donné envie de creuser le sujet. Pendant plusieurs semaines à raison de quelques heures par jour, « j'ai vécu » en Chine au troisième siècle avant notre ère... Et j'en suis revenu avec la matière pour un album de BD...

Avant Qin Shi Huang, vous avez signé Le Pink Rudolf, un polar envoûtant paru chez le Long Bec… Comment vous êtes-vous rencontré ?

  David Soyeur: Je venais d'arriver en France. Celle qui allait devenir mon épouse avait eu la bonne idée de me mettre dans ses bagages à son retour en métropole. Une connaissance commune nous a fait nous rencontrer à Strasbulles, Fab était en dédicace, un scénariste et un dessinateur, nous avons évidemment parlé sport... Une amitié est née, la suite est dans la question.

  Fabrice Linck : Pas mieux...
Qin Shi Huang, rough © David Soyeur / Fabrice Linck
Pourquoi être passé par une plateforme de financement participatif pour lancer votre nouvel album ?

  Fabrice Linck : L'éditeur y avait déjà eu recours lors de précédents projets. Kamiti est une petite structure qui peut compter sur une communauté active sur cette plateforme. Elle contribue au financement et à la communication autour de projets qui, malgré leur qualité, auraient à mon avis beaucoup plus de mal à exister sur le marché actuel sans ces soutiens... Mais pour une réponse plus argumentée, il faudrait poser la question à l'éditeur...

Quelles furent vos principales sources documentaires et iconographiques pour tisser et mettre en scène ce récit qui redonne vie au fondateur de la prestigieuse dynastie Qin ? Si vous deviez conseiller l’un ou l’autre ouvrage à l’un de nos lecteurs, quels seraient-ils ?

  Fabrice Linck : Les sources sont nombreuses, aussi bien issues du cinéma, de séries TV que d'ouvrages divers et variés. Mais s'il ne fallait en citer qu'une, ce serait La Ruine du Qin , le livre de François Thierry (chez Vuibert).

Comment avez-vous travaillé l’apparence de vos personnages ? Celle de Qin Shi Huang a-t-elle coulé de source ou l’empereur est-il passé par différents stades avant de revêtir l’apparence qu’on lui connaît dans l’album ?

  David Soyeur: Oui, Qin Shi Huang est passé par plusieurs stades, plusieurs variations autour d'une base sur laquelle nous étions d'accord. C'est une période et un lieu peu connus ici... Il a fallu faire un mix crédible entre les statues, les gravures et les illustrations qui ont pu remonter jusqu'à nous et la représentation commune que l'on peut avoir. Je ne pense pas que notre qin ait la prétention d'être historiquement juste a 100% mais j'espère qu'en l'état, il servira le récit de cette vie "pas banale".

Quel personnage avez-vous pris le plus de plaisir à mettre en scène ?


  Fabrice Linck : J'avoue avoir particulièrement aimé écrire les scènes où l'on retrouve Li Si et Zhao Gao... Les salopards sont toujours les personnages les plus savoureux...

  David Soyeur: Au dessin, j'ai aimé travailler Zheng, qui deviendra Qin par la suite, et Wu... Le fait de les suivre au fil du temps et de les faire "grandir" ensemble, c'était un chal-lenge intéressant.

Comment avez-vous élaboré le scénario de cet album ? A quel moment de la vie de Qin Shi Huang faites-vous commencer votre récit ?

  Fabrice Linck : L'idée est de présenter la vie de Qin Shi Huang au moyen de plusieurs petits récits secondaires distillés tout au long d'une intrigue principale qui commence un peu avant la fin de la vie de l'empereur.
Wu est le narrateur-personnage de notre histoire. Il est à la fois un des personnages principaux de l'intrigue principale et le plus vieux « compagnon » de l'empereur (sans être toutefois un de ses proches) qui nous raconte la vie du souverain lors des récits secondaires...

Concrètement, du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de la réalisation de l’album ?

  Fabrice Linck : sur cet album, à la base, il y a eu pas mal de recherches... Et leur résultat a modifié la première idée que je m'étais faite de l'histoire... À partir de tous les éléments réunis, j'ai constitué une structure chronologique de notre fiction (parce que c'est une fiction, développée autour de faits réels) avant de me lancer dans l'écriture du séquencier. C'est à ce stade que j'ai décidé de mêler des intrigues secondaires à un récit principal. Enfin, j'ai entamé les dialogues et le découpage de l'histoire...

  David Soyeur: puis Fab m'a fait parvenir le découpage des scènes, elles-mêmes découpées en planches et ces dernières en cases.(...) à partir duquel je proposais un rough. À ce stade, nous savions si ce que je voyais était conforme à ce que lui souhaitait transmettre. Ensuite vinait le moment du crayonné, tout était désormais en place, on peaufinait les expressions, les attitudes, etc... Puis venait l'encrage. Une fois tout ce cheminement terminé, je nettoyais les planches, et elles partaient à la couleur.
Work in Progress, planche 4
Qin Shi Huang, scénario scène 2, planche 4 à 6 © Fabrice Linck Qin Shi Huang, recherche pour la planche 4 © David Soyeur / Fabrice Linck Qin Shi Huang, rough de la planche 4 © David Soyeur / Fabrice Linck
Qin Shi Huang, crayonné de la planche 4© David Soyeur / Fabrice Linck Qin Shi Huang, Encrage de la planche 4 © David Soyeur / Fabrice Linck Qin Shi Huang, planche 4 encrée © David Soyeur / Fabrice Linck

David, quelle étape vous procure le plus de plaisir ?
La validation du rough pour commencer, on avance dans la bonne direction, ça motive.
Et puis, il y a le crayonné... C'est vivant, rapide, lâché... L'encrage me fait peur en vérité même si c'est lui qui "révèle" la planche finie.


  Fabrice, quel effet cela fait-il de voir ton scénario prendre vie sous le trait élégant de David Soyeur ?
Ça, c'est toujours un moment magique ! Je profite de ta question pour le dire haut et fort... parce que je ne suis pas sûr de l'exprimer aussi clairement à chaque fois que je me retrouve devant un crayonné ou un encrage... En général, David m'entend plutôt m'attarder sur les trucs qui me plaisent moins...

Je pense que le message est passé smiley
Est-il difficile de construire un récit ancré dans un pays lointain et durant une époque reculée tout en restant accessible pour un lecteur occidental méconnaissant bien souvent tant l’histoire que la culture chinoise ?


  Fabrice Linck : c'était un défi, effectivement... La dernière chose que nous voulions, c'était de caricaturer les attitudes qui devaient être celles de nos protagonistes à leur époque. Nous avons donc essayé de construire des personnages ni trop déférents, ni trop violents... Nous nous sommes aussi posé quelques questions sur le rythme de la narration mais au final, les 62 pages que contiennent l'album ne nous ont pas laissé de choix... Il fallait aller assez vite...
Qin Shi Huang, rough © David Soyeur / Fabrice Linck
Comment aborde-t-on les dialogues d’un tel récit ?

  Fabrice Linck : paradoxalement, le niveau de langage s'est déterminé assez naturellement... Il fallait qu'il soit relativement soutenu sans pour autant devenir trop formel, ni trop imagé pour ne pas tomber dans la caricature...

Qin Shi Huang pourrait-être le premier album d’une série consacrée aux grands Empereur de Chine… Quel serait alors le second opus de la série ?

  Fabrice Linck : oui, l'idée pourrait être de se pencher sur les destins d'autres souverains (notez bien l'utilisation du conditionnel, la manière dont sera reçu Qin Shi Huang déterminant probablement si la notion de série sera d'actualité ou non...). Disons que Hongwu, le fondateur de la dynastie Ming, successivement paysan, moine et combattant avant de s'installer sur le trône ou le mythique Gengis Khan pourraient être de bons candidats...

Tous médias confondus, quels sont vos derniers coups de cœur ?

  David Soyeur: Arcane, une série américano-française d'animation, dans l'univers du jeu video League of Legends. Ce n'est pas mon thème de prédilection, mais graphiquement j'ai pris une claque, bravo.

  Fabrice Linck : We Own This City, série policière qui se déroule à Baltimore pendant les émeutes de 2015. C'est écrit et produit par D. Simon, E . Burns et le mythique G. Pelecanos, les auteurs de The Wire au début des années 2000.

Y a-t-il une question que je ne vous ai pas posée et à laquelle vous souhaiteriez néanmoins répondre ?
Non...
Qin Shi Huang, rough © David Soyeur / Fabrice Linck
Pour finir, et afin de mieux vous connaître, un petit portrait chinois (c’est de circonstance !) à la sauce imaginaire…
Si vous étiez…

un personnage de BD :
  David Soyeur: Mort Cinder... Pour commencer, c'est Breccia qui dessine ensuite, c'est un peu la petite souris au cœur de tous les grands événements historiques... Qui ne voudrait pas savoir ce qui s'est réellement produit ?
  Fabrice Linck : Bragon, le chevalier de La Quête de l'Oiseau du Temps, un des indéboulonnables héros de ma jeunesse...

un personnage historique :
  David Soyeur: Nikola Tesla... Je pense que c'est le côté savant fou qui me fait penser à lui en particulier... et puis merci pour le courant alternatif.
  Fabrice Linck : n'importe qui... mais surtout pas Qin Shi Huang !

un personnage de roman :
  David Soyeur: Sancho Panza, le compagnon de route de Don Quichotte, c'est lui le véritable héros.
  Fabrice Linck : Lazslo Kreisler, un des personnages principaux de L'Aliéniste, le polar de Caleb Carr

une chanson:
  David Soyeur: J'aime de tout. Pour le moment j'écoute beaucoup les Red Hot et ma fille adore Snow... le choix est vite fait.
  Fabrice Linck : Love reaches out (A place to Bury Strangers), une chanson que j'écoute un peu en boucle depuis le printemps dernier...

un instrument de musique :
  David Soyeur: La trompette. Ça fait du vent, ça fait du bruit, on devient tout rouge quand on en joue... c'est parfait.
  Fabrice Linck : la trompette aussi... j'en joue régulièrement... mais sans l'instrument.

un jeu de société :
  David Soyeur: Risk... Combien de nuits blanches à finir ces parties endiablées...? Je serais bien incapable de les compter.
  Fabrice Linck : pareil ! Non mais pourquoi on n'y a jamais joué ensemble, David ?

une découverte scientifique :
  David Soyeur: L'eau chaude. Simple, mais il allait y penser.
  Fabrice Linck : le procédé héliographique, à l'origine de l'invention de la photographie par Nicéphore Niépce.

une recette culinaire :
  David Soyeur: Les boulets liégeois. Des boulettes de viande dans une sauce à la bière et au sirop de Liège, un sucré-salé magnifique. Le tout accompagné de frites belges et d'une salade pour se donner bonne conscience , un régal, vous devriez essayer.
  Fabrice Linck : la polenta cuisinée par ma chérie et partagée en famille...

une pâtisserie :
  David Soyeur: La gaufre liégeoise, je suis chauvin c'est comme ça. Mais les vraies, encore chaudes... là aussi, vous devriez essayer.
  Fabrice Linck : le mille-feuilles, même si je m'en fous toujours partout quand j'en mange...

une ville:
  David Soyeur: Prague... J'adore cette ville; c'est romantique, historique, culturel et festif, que demander de plus?
  Fabrice Linck : Séville, que j'adore malgré le 8 juillet 1982...

une qualité :
  David Soyeur: La loyauté, envers les amis et ma parole, même dans les cas où ça me coûte...
  Fabrice Linck : la fidélité...

un défaut :
  David Soyeur: La liste est longue... paresse, chauvinisme,... choisissez votre arme... je l'ai en stock c'est certain.
  Fabrice Linck : la susceptibilité...

un monument :
  David Soyeur: Le palais des princes évêques à Liège. Chauvin je vous dit.
  Fabrice Linck : la Cathédrale de Strasbourg, même sans son rayon vert dorénavant...

une boisson :
  David Soyeur: la Trappiste Rochefort 8 : l'équilibre parfait. Une ambrée acajou, fruitée et épicée aux notes de chocolat et de torréfaction. Mais n'oubliez pas, notre savoir se déguste avec sagesse.
  Fabrice Linck : bon ok, sur ce coup-là je reconnais le savoir-faire belge... la Trappiste Rochefort 8 (La 8, j'insiste, pas la 6, ni la 10...) et particulièrement les nombreuses qu'on a dégustées avec David... et avec "sagesse ".

un proverbe :
  David Soyeur: "On a les qualités de ses défauts et les défauts de ses qualités." ( bises à papa et Mag)
  Fabrice Linck : "Un bon coup de coussin fait mieux que le médecin".

Un grand merci pour le temps que vous nous avez accordé !
Merci à toi !
Qin Shi Huang, planche encrée © David Soyeur / Fabrice Linck
Le Korrigan