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Entretien avec Jean-Luc Cornette
Interview accordé aux SdI en Janvier 2023


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…

Pouvez-vous nous parler de vous en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

J’ai 56 ans et j’ai toujours voulu être auteur de bande dessinée. J’ai fait des études artistiques dès que j’ai pu et je suis passé par la section bande dessinée de l’Institut Saint-Luc de Bruxelles. Je suis ce qu’on appelle un auteur complet, c’est-à-dire que j’écris le scénario et je fais les dessins. Mais après quelques années, j’ai commencé à écrire des scénarios pour d’autres dessinateurs et dessinatrices. Et c’est devenu la plus grande part de mon travail. Je dessine toujours et je pratique également la peinture, mais je ne fais, pour l’instant, plus trop de planches de BD en tant que dessinateur.

Quand vous vous lancez dans l’écriture d’un nouveau scénario, savez-vous dès le départ si vous aller le dessiner ou le confier à un autre ?
Depuis quelques années, je sais que c’est toujours pour quelqu’un d’autres. J’ai toujours envie de me relancer dans un album seul et j’ai plusieurs idées en tête. Là, par contre, je sais que si je m’y mets un jour, ce sera pour moi.
Vénus à son miroir, recherche © Matteo
Enfant, quel lecteur étiez-vous et quels étaient vos livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupé une place de choix ?
Oui, je ne lisais que de la bande dessinée. La lecture de romans était compliquée pour moi. Depuis, je me suis rattrapé à ce niveau. Je lisais tout ce qu’on trouvait dans les bibliothèques près de chez moi, c’est-à-dire essentiellement des bandes dessinées issues des magazines Spirou et Tintin, avec une préférence pour ce qui provenait de Spirou. Ma plus grande claque, ce fut la découverte des Schtroumpfs et je considère encore aujourd’hui les dix premiers tomes comme des chef-d’oeuvres absolus. Tout comme les treize premiers Johan et Pirlouit réalisés du vivant de Peyo. À l’adolescence une autre claque fut la découverte du travail d’Hugo Pratt. Mais je pourrais citer deux cents auteurs que j’ai dévorés (enfin, leurs livres).

Vénus à son miroir, recherche © MatteoQuelles sont, selon vous, les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Les grandes joies, c’est d’avoir une liberté totale : pas de patron, pas d’horaires fixes, pas de navette à faire vers un bureau (je travaille chez moi) et surtout faire le métier dont je rêvais depuis tout petit et qui est très créatif.

Les difficultés, c’est de trouver un éditeur pour chaque projet (et ce n’est pas toujours le cas), c’est parfois des heures de réécritures d’une séquence qui ne coule pas idéalement. Même chose pour un dessin, une position, un cadrage qui résiste alors que dans la tête on a une image parfaite. C’est également les livres qui vivent que trois semaines en librairies alors qu’on a passé deux ans dessus. Le fait que parfois ils peuvent passer totalement inaperçus aux yeux des libraires, de la presse et bien sûr du public. Et puis, surtout lorsqu’on publie des one-shots, le fait de toujours devoir anticiper les futurs livres sous peine de se retrouver sans boulot dans trois ou six mois et c’est comme ça toute la vie. On peut vite décrocher. Les conditions financières sont extrêmement faibles et les protections sociales quasi inexistantes. La majorité des auteurs vivent dans une précarité ou une quasi précarité constante. On paie cher notre liberté. Mais je n’aime pas trop me plaindre. Lorsque je reçois par la poste mon dernier bouquin, j’oublie quelques instants toutes ces difficultés.

Vénus à son miroir, recherche © MatteoComment est née l’intrigue de Vénus à son miroir et comment avez-vous rencontré Matteo qui en signe les somptueux dessins ?
Je suis un passionné de peinture. J’ai déjà écrit deux autres albums qui parlent de peintres (“Frida Kahlo“ dessiné par Flore Balthazar aux éditions Delcourt et “Klimt » dessiné par Marc-Renier aux éditions Glénat). Lorsque je travaille sur un scénario historique, cela peut prendre de très longues années car ça commence simplement par un sujet, un événement ou un personnage qui va me passionner. Alors, je me documente, je vais voir des expositions, je voyages. J’emmagasine des tonnes d’informations sans savoir ce que j’en ferai. Lors d’un voyage à Séville où est né Vélasquez, j’ai lu un livre sur lui et j’ai découvert qu’il avait un esclave et qu’il n’avait peint qu’un seul tableau de nu de toute sa vie. J’ai été voir ses toiles lors de la grande exposition à Paris au Grand Palais en 2015, j’ai aussi voir ses toiles à Madrid, à Vienne et à New York. J’ai lu tous les livres à son sujet, ceux des plus importants historiens de l’art. Et petit à petit, un récit se forme dans ma tête jusqu’au jour où je décide de me mettre à écrire.

Habitant à Bruxelles et Matteo à Venise, on ne se connaissait pas très bien. On avait dû se croiser une fois ou deux il y a très longtemps. On se suivait sur Facebook. Lorsqu’il fallut que je cherche un dessinateur, j’ai tout de suite pensé à lui. J’étais persuadé qu’il était le dessinateur idéal pour ce récit. Je l’ai contacté et il a tout de suite été enthousiaste. Il a rapidement accepté de s’engager sur le projet. Et aujourd’hui, j’ai la preuve que mon idée d’aller vers lui était la bonne.

Vénus à son miroir, recherche © MatteoQuel livre conseilleriez-vous à un lecteur désireux d’en apprendre plus sur Diego Vélasquez ?
Je n’ai pas envie de conseiller un livre spécifique même si à la fin de l’album, j’ai mis une bibliographie. Même très documentés mes scénarios restent des fictions. Je n’aime pas l’idée de faire de la pédagogie. Je propose un sujet qui me passionne mais le lecteur en fait ce qu’il veut. Il peut refermer le livre et en rester là. Par contre, s’il veut approfondir ses connaissances sur Vélasquez, le seul conseil que je me permettrais de donner, c’est d’aller voir ses toiles en vrai. Le mieux, bien sûr, c’est d’aller au musée du Prado à Madrid. Il faut se laisser entrer dans la peinture. S’approcher, regarder les coups de pinceaux, ce mélange de gestes forts et de délicatesse dans son application de la couleur. Plonger dans le regard tellement humain des infantes. Et petit à petit, on comprend son génie.

La relation qu’entretenait Vélasquez avec Juan de Pareja, que vous dépeignez plus proche de l’amitié que d’une relation maître/esclave est-elle documentée où est-ce une invention de scénariste ?
Elle est documentée dans la limite de ce que l’on sait. Juan de Pareja préparait les couleurs et les toiles. Il était une sorte d’assistant, mais n’avait pas le droit de peindre ni sur les toiles de Vélasquez, ni en son propre nom, et ce tant qu’il était esclave. Seul l’affranchissement pouvait lui rendre tous ses droits.

Vénus à son miroir, recherche © MatteoConcrètement, comment s’est organisé votre travail avec Matteo sur cet album ? A partir de quelle « matière » a-t-il composé les planches de l’album ? Etant vous-même dessinateur, découpez-vous préalablement vos planches ou laissez-vous le dessinateur s’emparer de votre scénario à sa convenance ? Lorsque je suis scénariste, je ne dessine absolument rien. Je ne livre jamais de découpage dessiné. Par contre, mes scénarios sont très précis et détaillés. Sauf impératif narratif, je laisse la mise en scène et les cadrages au dessinateur. Si j’ai de la documentation, je la fournis. Dans le cas de Matteo, il a fait l’essentiel des recherches documentaires car il connait très bien cette époque, certainement mieux que moi. Il a beau être Vénitien et même si l’action de notre récit se passe à Rome, c’est plus sa culture que la mienne.

Que ressentiez-vous lorsque vous receviez les planches de Matteo qui a mis votre scénario en image avec le talent que l’on sait ?
A chaque fois c’était un éblouissement. J’étais aux anges !

En tant que dessinateur, quelle étape de l’élaboration d’un album est pour vous la plus agréable ?
L’encrage. J’adore travailler à la plume. Cela donne un mélange de souplesse et de nervosité au trait. Lorsque j’ai dessiné La Perle, j’ai beaucoup hachuré pour donner du volume au dessin. J’imagine qu’un musicien qui pratique la musique répétitive, comme Philip Glass par exemple, doit ressentir le même genre de sensations.
Work in Progress
Vénus à son miroir, recherche © Matteo Vénus à son miroir, recherche © Matteo Vénus à son miroir, rough © Matteo / Cornette
Vénus à son miroir, recherche © Matteo / Cornette Vénus à son miroir, recherche © Matteo / Cornette Vénus à son miroir, rough © Matteo / Cornette

Dans quel état d’esprit êtes-vous quand vous tenez entre les mains votre nouvel album ?
Je suis ravi. C’est le résultat de longs mois de travail. Sans être blasé, cela me faisait bien sûr un plus grand effet à mes débuts. Le premier album, c’était aussi la preuve que je faisais partie du métier et que je ne m’étais pas trompé dans mes choix. Actuellement, je suis encore à chaque fois très fier de l’objet fini. Il va continuer à vivre sa vie sans moi.

Pouvez-vous en quelques mots nous parler de vos projets présents et à venir ?
J’ai pour l’instant trois albums en chantier. Je peux parler de celui qui est le plus avancé. Il s’agit d’une biographie d’Audrey Hepburn qui est née à Ixelles (Bruxelles). Cela fera un gros album à paraître aux éditions Glénat. C’est Agnese Innocente, une jeune mais très talentueuse dessinatrice italienne, qui en assume le dessin. Je suis ravi de ce qu’elle fait.


Tous médias confondus, quels sont vos derniers coups de cœur ?
L’exposition Edward Munch au musée d’Orsay à Paris.
Vénus à son miroir, les acteurs © Matteo
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle vous souhaiteriez néanmoins répondre ?
Non.

Pour finir et afin de mieux vous connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si vous étiez…

Vénus à son miroir, recherche © Matteo
un personnage de BD : Corto Maltese ou un Schtroumpf
un peintre : Gauguin
un personnage de roman : Peu importe, tant que c’est dans un roman de Gabriel Garcia Marquez
une chanson : Peu importe tant que c’est Barbara qui la chante
un instrument de musique : Un violon
un jeu de société : Je n’aime pas les jeux de société
une découverte scientifique : Aucune idée
une recette culinaire : Un rouleau de printemps ou simplement un morceau de Comté ou de Parmesan.
une pâtisserie : La coupe Jean-Luc. C’est une invention qui m’est propre, mais que le petit resto où je suis allé durant de nombreuses années me préparait. C’est simplement une glace composée d’une boule framboise et d’une boule moka. Ça se marie aussi bien que le chocolat et l’orange, sauf que personne ne le sait encore !
une ville : Rome
une qualité : J’aime tout le monde
un défaut : J’aime personne
un monument : Plus qu’un monument, c’est la forêt amazonienne.
une boisson : Une bière blonde, un peu forte, avec de l’amertume pas pas excessivement. Et belge, bien entendu.
un proverbe : Aucune idée


Un dernier mot pour la postérité ?
Lisez mes livres tant que je suis vivant. La postérité, on s’en fout un peu.

Un grand merci pour le temps que vous nous avez accordé !
Vénus à son miroir, Diego Vélasquez © Matteo
Le Korrigan



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