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Entretien avec Pierrick Starsky
Interview accordé aux SdI en mars 2023


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Tant qu’il n’est pas d’embauche, c’est avec plaisir.

Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir …
Tu m’ôtes les mots de la bouche. Un « vous » de perdu, c’est dix « tu » de trouvés.

Merci à toi… ça m’enlève une sacrée épine du pied… smiley

Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

En quelques mots… Né en 81. J’ai commencé gamin à faire des trucs, raconter des histoires dans des cahiers, faire des fanzines. J’étais passionné de cinéma. J’enregistrais sur VHS tout ce qui passait à la téloche, et je matais les films en boucle.
J’arrête l’école en terminale. Je fais des boulots de merde quelques années. Usine, interim, manutention… Aucune perspective d’avenir… Autant te dire que c’est la déprime. Dans le dur. Mais je continue à faire des trucs. De la radio, de la musique (je tourne avec un groupe punk-rock), des ateliers avec des gosses, ou en prison. Puis je lis, j’écris, bien sûr. Mais sans plus croire en mes rêves. Un peu par hasard, en montant un fanzine, je suis devenu éditeur. Je me suis formé en autodidacte. Beaucoup bossé… Quelques années plus tard, j’ai réalisé un vieux rêve en montant une revue, AAARG !, qui est devenue un magazine. Durant toutes ces années, je n’ai jamais cessé d’écrire. De tout.

Chevrotine, Chevrotine et le crabe de l'adjoint © Fluide Glacial / Gaignard / StarskyEnfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupé une place de choix ?
La BD a toujours été là. Je le dois à mes parents. J’ai appris à lire sur un lit d’hôpital après un accident de bagnole avec les albums des Schtroumpfs. Puis ça a été Tintin. Bouquins lus et relus des 10aines de fois. Puis la BD franco-belge classique, Spirou magazine. Assez vite, je suis allé fouiner dans la bibliothèque de mes parents. Les magazines Pilote, Metal Hurlant, À Suivre… Puis Tardi, Loisel, Pratt, F’mur, et j’en passe… La BD a toujours été là depuis, avec plus ou moins de régularité, au même titre que le cinéma ou la littérature. C’était ma came, les histoires : ma manière de fuir la réalité, qui m’était parfois douloureuse. J’imaginais tout le temps des histoires, je m’ennuyais peu.

Les premiers romans que j’ai lus, dévoré même, furent ceux de Roald Dahl. Puis ça a été Stephen King, Alan Edgar Poe, un peu de SF, beaucoup de littérature Fantastique. J’écrivais de petites nouvelles dans des cahiers en plagiant l’univers et un style digéré et ampoulé de King… Puis, je découvre Boris Vian, et c’est aussi un choc qui correspond à mon entrée dans l’adolescence. « On a le droit de faire ça. Fantastique… »

En BD, les deux séries qui m’ont durablement bouleversé, encore ado, sont Akira, d’Ottomo, et le Peter Pan de Loisel.

Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse ? Un auteur en particulier t’ a-t-il donné envie de devenir scénariste ?
Gamin, ce que je voulais faire, c’était du cinéma. Scénariste et réalisateur. Jeune adulte, c’est plutôt la littérature qui s’est mis à m’intéresser, mais sans y croire. Je savais bien que je ne serais jamais Steinbeck ni Fante. Alors j’ai eu une baisse de régime, un temps. J’ai commencé à scénariser des petites BD pour des zines. Je n’ai jamais cessé depuis. Devenir éditeur m’a permis de développer un regard critique sur le travail d’autres personnes, et m’a apporté sur ma propre pratique. Mais en réalité, c’est l’écriture dans son ensemble, qui m’intéresse, me plait, me meut. Je n’écris pas uniquement de la BD. Tout se nourrit.

Chevrotine, case de l'album © Fluide Glacial / Gaignard / StarskyCela a-t-il relevé du parcours de combattant ?
Difficile de répondre, vu que je n’ai pas un parcours atypique. Je suis arrivé à la BD presque par accident, et en tant qu’éditeur. Ma première expérience dans le domaine a été de sortir un livre avec le deuxième album de mon groupe punk, dans les années 2000, un projet collectif. J’ai appris pas mal de trucs. Puis avec mon ami Yan Hardcore, qui est tristement décédé l’an dernier, on a eu envie de monter un fanzine de BD. Ce projet a évolué, et à quatre personnes, on a monté les Éditions Même Pas mal. Je me suis formé en autodidacte, pas par les études. Je n’ai même pas le bac. J’ai beaucoup travaillé, vraiment beaucoup pour ça. Le milieu du punk-rock m’a par ailleurs apporté l’expérience du DIY (Do It yourself), à faire des trucs quand j’avais envie de m’y frotter. Puis avec Yann, on s’est beaucoup apporté, on s’est tiré vers le haut à une période où on avait l’envie, mais que nos vies pataugeaient un peu.

L’expérience des éditions Même Pas Mal m’a permis de mener à bien mon projet suivant, la revue AAARG ! Ça a duré quelques années, intenses en créativité, mais aussi en stress et en travail. Dix ans durant, avec le boulot d’éditeur, qui me prenait un temps et une énergie dingue, je n’avais pas ou peu de temps d’écrire. Je le faisais pour le magazine, des scénars, des dossiers. En parallèle, je continuais à écrire quelques chansons, des nouvelles, mais c’était une activité secondaire.

Quand le mag a coulé, j’ai eu toute la latitude pour m’y remettre, mais entre la récupération d’un burn-out et la somme de boulots alimentaires que je cumulais, j’ai mis du temps à trouver un rythme, une organisation.
Aujourd’hui, j’ai beaucoup de projets d’écriture sur le feu. Comme je suis aussi éditeur mercenaire, Directeur Artistique pour une revue et que je donne des cours, ça avance à son rythme…
Mais pour répondre à la question, quand je me vois à 20 ans dans une usine de nourriture pour chiens, le nez qui pique vers le sol, à déprimer sur un avenir éteint, je peux dire que oui, ça a été un parcours du combattant.
Chevrotine, la marmaille © Fluide Glacial / Gaignard / Starsky
Quelles sont selon toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Même si mes collègues scénaristes se battent pour la reconnaissance de cette pratique comme d’un métier, je ne parviens pas, strictement en ce qui me concerne, à la percevoir comme tel. D’abord parce que j’exerce un grand nombre d’activités très différentes, que ce soit dans l’écriture ou parallèlement. Je vis partiellement de l’écriture, aujourd’hui, et c’est un bonheur, même si j’ai du mal à joindre les deux bouts et que j’exerce d’autres activités. J’aimerais avoir le temps d’écrire plus, que ça devienne mon activité principale. Voire la seule activité. Ce jour-là, ça sera une grande joie. Et un métier. On parlait de parcours du combattant … ?

Des joies, il y en a plusieurs. Quand je délie un nœud narratif. Lorsqu’avec le mot juste, je décris l’émotion que j’ai en tête. Les retours favorables de lectrices et de lecteurs. De professionnels. Ma plus grande difficulté est d’être satisfait de mon travail. Je ne vois que les défauts. De fait, c’est compliqué pour moi de « finir ». Surtout avec les contraintes inhérentes à chaque bouquin. Le plus difficile étant pour moi une pagination restreinte. Le souci, c’est qu’un bouquin, on pourrait le reprendre ad vita aeternam. Il faut savoir se dire stop, c’est fini. J’apprends.

Comment est née Chevrotine, récit joyeusement déjanté, limite surréaliste, se déroulant dans un univers délicieusement foutraque ? Comment as-tu rencontré le talentueux Nicolas Gaignard qui en signe les dessins ?
Je suis tombé en pamoison en découvrant le boulot d’illustrateur de Nicolas (Gaignard), par le truchement de Ben Lamare, ami dessinateur avec lequel j’ai déjà collaboré. Je me suis imprégné de ses dessins, j’ai greffé son univers graphique à mon univers mental, puis j’ai laissé mon cerveau mouliner et digérer dans son coin. Je lui ai envoyé l’introduction du livre, scénarisée, et il a accroché tout de suite. L’éditeur aussi.
Pour avancer sur la suite, j’ai d’abord imaginé les personnages, puis la fin, ce qui m’a permis de cartographier la narration. Il y a un fil rouge, une histoire, mais ce sont les personnages qui mènent le récit. Nos personnages secondaires sont toutes et tous à un moment ou un autre sur le devant de la scène. Ils font avancer l’intrigue. Ils sont l’intrigue, même.
On a un retour récurent de nos lecteurs : chaque histoire secondaire pourrait donner lieu à un livre à part entière. Et chacun a sa préférée. Pour autant, toutes ces petites histoires appartiennent à la plus grande histoire. L’avantage pour moi, c’est que dans ce monde imaginaire où tout est possible, dégagé de toute considération morale ou prosaïque, je pouvais aller loin. Je me suis efforcé à le faire, tout en donnant du sens au choses.
Chevrotine, recherche © Fluide Glacial / Gaignard / Starsky
Il est certain que les personnages de Chevrotines sont tellement intrigants qu’on aimerait bien en savoir plus sur leur histoire ! Comment organises-tu généralement ton travail quand tu écris sur un scénario ? Post-its ? carnet ? ordi ? tableau façon enquête criminelle ?
Houlala, je n’organise rien. Je prends des notes dans des carnets quand j’ai des idées. Mais c’est plutôt un genre de puzzle mental. Les idées naissent, desquelles émergent des scènes disparates, qui se baladent dans le jus de mon cerveau. Et petit à petit, tout prend forme, tout s’organise tout seul, en général pendant que je marche. Je suis un marcheur. J’ai essayé les post-its, tout ça, ça ne marche pas, je suis trop bordélique. Quelques notes écrites, sur un carnet, donc, ou par mail (je m’envoie des mails, ma boite mail étant mon deuxième cerveau). Quand les choses ont pris forme, je me mets derrière le clavier et j’écris.
Chevrotine, recherche de personnage © Fluide Glacial / Gaignard / Starsky
Concrètement, comment avez-vous travaillé à quatre mains sur cet album ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de sa création ?
Dans ce cas précis, nous avions plusieurs contraintes, dont la pagination. Alors j’ai scénarisé en prédécoupant narrativement chaque case. Nico a apporté des choses. On peut considérer que nous sommes co-metteurs en scène. En revanche, même si j’apporte quelques indications concernant les personnages, les décors, c’est vraiment lui qui, après digestion de mes notes, a imaginé et réalisé tous les aspects graphiques. De mémoire, je ne lui ai jamais demandé de reprendre un décor ou un personnage, même si son imaginaire l’avait éloigné de ma propre vision. Mes seuls retours étaient liés à la mise en scène : « ce personnage ne doit pas sourire à ce moment-là », des trucs de ce genre, liés à l’intention.
Chevrotine, recherche © Fluide Glacial / Gaignard / Starsky
Quel effet cela fait-il de voir l’histoire que tu as écrite prendre corps graphiquement ?
C’est étonnant. Nico a réussi à toujours me surprendre. Il faut savoir lâcher prise quand on est scénariste, et se faire à l’idée que les choses ne ressembleront pas à ce qu’on imagine. Le fait est que Nico s’est approprié mon univers mental et lui a donné corps avec sa vision. Toujours surpris, toujours content. On s’est, je crois, beaucoup surpris l’un l’autre.

Comment Nicolas Gaignard a-t-il travaillé l’apparence des personnages délicieusement décalés de l’album ? Chevrotine est-elle passée par différent étapes avant de revêtir celle que l’on connaît ?
Non, pas du tout. Comme je l’expliquais, j’ai toujours laissé Nico s’approprier les personnages après les lui avoir décrits. Chevrotine m’est inspirée par un dessin de lui, antérieur à notre collaboration. Mais ce que lui a inspiré le scénario est un autre personnage que celui que j’avais en tête.
Chevrotine, recherche © Fluide Glacial / Gaignard / Starsky
Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
J’aimerais bien dire « toutes et tous », mais si je devais écrire une suite, ou plutôt un spin-off, je pense que ça serait avec les deux tueurs diaboliques, qui mériteraient plus de pages, même si on les cerne bien ; enfin, j’espère. J’ai une base d’histoire en ce sens, en tête… Avec de nouveaux personnages et certains issus de Chevrotine, mais peu. J’en ai parlé à Nico. On verra. On n’est pas seuls à décider. Il y a un éditeur, et de nombreuses contraintes techniques et commerciales derrière.

Hâte de lire cela 😉

Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?

Non. Haha. J’arrête de trop causer de tout ça. Plus j’en parle, moins j’en fais. Il y en a beaucoup. Besoin de temps, de moyens, mais, j’avance.

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…

Chevrotine, recherche de couverture © Fluide Glacial / Gaignard / Starsky
un personnage de BD : Little Nemo.
un personnage mythologique : Indiana Jones.
un personnage de roman : Le fils caché de Jaime Froward et Charlie Monel. Arturo Bandini quand je déraille. Paul Hansen les jours de pluie. Tom Joad les jours de colère.
une chanson : Why can’t I touch it ? des Buzzcocks, ou Pierrot, de Renaud, à qui je dois d’ailleurs mon blaze.
un instrument de musique : Un ensemble de cordes vocales.
un jeu de société : Trivial poursuite 1992.
une découverte scientifique : La loi de l’attraction.
une recette culinaire : Un plat de spaghetti, bien sûr…
une pâtisserie : Un bisou sucré (un peu baveux).
une ville : La première et la dernière, soit Gap et Marseille, qui toutes deux me ressemblent et m’ont façonné.
une qualité : La curiosité.
un défaut : La curiosité.
un monument : La statue à l’image d’une brebis du Génie des Alpages, dans la ville de Die.
une boisson : La mer à boire.
un proverbe : Ce qui est fait n’est plus à faire.

Un dernier mot pour la postérité ?
La postérité attendra un peu, j’en n’ai pas fini avec la vie. Ah !

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Merci à toi.
Chevrotine, case de l'album © Fluide Glacial / Gaignard / Starsky
Le Korrigan