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Entretien avec Julien Clément
Interview accordé aux SdI en avril 2023


Bonjour à vous et merci de te prêter au petit jeu de l’entretien…

Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

Et bien, pour l'essentiel de ce qu'il y a à savoir, je crois que je peux dire que je m'appelle Julien Clément. J'ai l'âge d'avoir connu en tant que jeune rôliste les débuts du JdR francophone durant les années 1980 et, depuis, cette passion-là ne m'a jamais lâchée. Elle n'a toutefois pas été assez forte pour me faire rater mes études (elle a essayé, pourtant, la coquine!) et, aujourd'hui, je suis payé pour raconter des histoires. (…) Enfin, disons que je raconte l'Histoire à mes élèves, quoi.

Mon temps libre est assez largement consacré aux jeux de rôle. En dehors de les lire, de les faire jouer et de les écrire, j'aime assez en parler dans le Fix et, dans une moindre mesure, sur le blog Mondes en Chantier.

Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes jeux de chevet ? N’as-tu jamais cessé de jouer ? Quel jeu t’a irrémédiablement fait basculer dans le Jeu de Rôle ?
Babel, personnage : le chasseur de livres © les XII Singes / Christophe Swal / Julien ClémentAh bah, comme la plupart des futurs rôlistes de ma génération j'ai été happé par la mode des livres-jeux, les fameux Livres Dont Vous Êtes Le Héros. Grâce à ma bibliothèque de quartier, mon argent de poche et les échanges avec les copains (n'écrivez jamais sur vos LDVELH, nomdidju!), j'en ai fait... euh... beaucoup. Peut-être même tous ceux qui étaient dispo en VF à l'époque.

Toujours grâce à ma bibliothèque de quartier chérie (vous voyez ? Déjà l'amour des bibliothèques : c'était prophétique!), j'ai découvert à l'occasion d'une animation cette étrange façon de faire du LDVELH à plusieurs autour d'une table. La partie était un peu nulle... mais cela m'a directement scotché ! C'est dire si j'étais un bon client en attente de « quelque chose » qui allait apporter quelque chose dans ma vie personnelle et ce « quelque chose », c'était donc la pratique du jeu de rôle.

Quelques jours plus tard, j'achetais cette édition de Empire Galactique que l'on trouvait alors en librairies généralistes (juste à côté des LDVELH) et... c'était parti pour 35 ans d'aventure !

J'en ai gardé une estime particulière pour ce jeu et je suis heureux d'avoir contribué à ce qu'il soit à nouveau disponible pour tous en initiant (avant d'être relayé par d'autres fans de la communauté) la mise à disposition libre des PDF du jeu avec l'accord du regretté François Nedelec.

Auteur de Terra Incognita, fondateur de Di6dent, mercenaire sur diverses gammes (Medium Aevum, Würm,…)… Devenir un « activiste » du JdR, était-ce un rêve de gosse ? Un auteur en particulier vous a-t-il donné envie de basculer de l’autre côté de la barrière ?
Disons que cela me semble assez consubstantiel de la pratique du JdR, en fait. Tu écris tes petits scénarios dans ton coin. C'est de la merde. Alors tu en écris des meilleurs. C'est toujours de la merde.

Tu continues et, un jour, tu trouves que c'est pas si mal et que cela peut tenir la route par rapport à tes modèles publiés dans les magazines ou dans les modules. Cela a commencé comme ça, par l'écriture de scénarios pour les jeux que j'aimais. Empire Galactique donc (mais j'étais très mauvais pour le space opera alors...), Rêve de Dragon, Cyberpunk et Maléfices. Avec ce dernier, j'ai gagné un concours de scénarios organisé par le magazine Backstab qui l'a donc publié. Cela a commencé comme ça. Pas de façon accidentelle non plus puisqu'il fallait bien avoir l'envie de participer mais pas comme un rêve de gosse, non : plutôt comme un prolongement logique de ce que je faisais depuis mes débuts en tant que MJ.

Pour passer du scénario pour les autres à l'écriture de son propre jeu, c'est simple : il a fallu attendre que je sois saisi par un univers en train d'émerger dans ma petite tête de rôliste. Je crois sincèrement qu'il ne faut en aucun cas avoir la démarche « tiens, j'écrirais bien un JdR : quel pourrait en être le sujet ? » mais attendre d'être habité par un projet au point de vouloir à tout prix le mener à bien malgré les difficultés.
Babel, apperçu du matériel © les XII Singes / Christophe Swal / Julien Clément
Quelles sont selon vous les grandes joies et les grandes difficultés du métier ? (si tant soit est que ce soit un métier)
Alors, donc, non. Ce n'est pas un métier. Le Fix est entièrement gratuit et bénévole. Quant aux droits d'auteur liés aux publications dans le domaine du JdR, cela reste assez anecdotique. Autant être clair là-dessus pour édifier les jeunes tant qu'il en est encore temps !

La plus grande difficulté liée à l'écriture d'un jeu, c'est de réussir à se persuader soi-même que tout ceci en vaut la peine. Au début, un JdR, ce sont des feuilles de perso bricolées, des scénarios qui tiennent sur un post-it ou sur des brouillons illisibles et cela ne l'empêche pas de rouler. Alors, vouloir absolument mettre cela sous une forme aboutie et lisible par un tiers, ce n'est pas forcément une démarche très naturelle et il faut donc se faire violence pour la mener jusqu’au bout.

Pour la grande joie, c'est facile : c'est le moment que je vis à présent avec l'aventure éditoriale de Babel. Voir un directeur éditorial et des illustrateurs et graphistes de talent se pencher sur votre création pour, chacun, leur apporter quelque chose de meilleur, c'est une grande satisfaction.

Babel, personnage : la fangirl © les XII Singes / Christophe Swal / Julien ClémentPouvez-vous en quelques mots nous présenter Babel, votre nouveau jeu de rôle mêlant aventure et bibliophilie et dont la campagne de financement s’apprête à démarrer sur Game On Tabletop ?
Avec plaisir ! Babel est sous-titré le monde des livres. C'est un multiverse littéraire qui vous propose d’utiliser comme terrain de jeu les milliers d’univers de fiction imaginés tout au long de l'histoire de la littérature. Chacun d'entre eux existe dans la dimension Babel sous la forme d'un monde de livre connecté à la Bibliothèque, la plus infinie de toutes les bibliothèques, celle qui contient tous les livres qui ont été, sont ou seront. Notre propre monde est lui aussi relié par des Portes à la Bibliothèque.

Les joueurs incarnent des Biblionaute qui sont capables de franchir ces Portes. Bien que simples humains, ils ont développé cette capacité tout à fait exceptionnelle de voyager dans ces mondes de livres physiquement et non pas simplement par le biais de leur imaginaire comme pour le commun des mortels.

En très peu de temps, ils peuvent donc passer de notre monde à celui de Harry Potter avant de basculer dans un space opera ou un Kafka.
Babel, personnage : le Prodige © les XII Singes / Christophe Swal / Julien Clément
Ce concept semble tout aussi alléchant que fascinant… Mais qu’est-ce qui va pousser ces Bilbionautes à partir à l’aventure dans ces livres ? Y aura-t-il un lien entre le monde réel que nous connaissons et celui des livres qu’ils vont explorer ?
Alors, le rapport est fort car les livres que nous lisons dans le monde des réels et ceux qui prennent vie dans les mondes de livre sont les mêmes. Les modifications subies par l'un rejaillissent sur l'autre et vice-versa. Ainsi, l'accessibilité des mondes de livre dépend du Classement qui dépend lui-même de la popularité d'une œuvre de fiction chez nous, les réels. Une œuvre qui n'est plus lue ou qui est dénaturée dans notre monde fera que son monde de livre sera de moins en moins accessible ou lui-même changé en profondeur. Dans le sens inverse, si des Biblionautes indélicats (les PJ, au hasard...) modifient intempestivement des choses au sein d'un monde de livre, sa lecture par les réels en sera modifiée à jamais.

Parfois, les interactions peuvent être plus graves. Par exemple, de la même façon que les Biblionautes voyagent physiquement du monde des réels vers ceux des livres, des individus ou des « choses », appelés Ex-Libris, peuvent faire le voyage inverse et sortir des mondes de livres pour faire irruption dans le réel. Dans Babel, c'est l'explication universelle apportée aux apparitions, loups-garous, tueurs en série insaisissables, etc.

Dans les deux cas, triviaux ou graves, c'est aux PJ qu'il appartient de réparer les problèmes causés dans ou par les mondes de livres. Après tout, seuls eux – et bien sûr quelques autres milliers de Biblionautes dans le monde – peuvent voyager dans les livres.

Babel, personnage : le Bibliomane © les XII Singes / Christophe Swal / Julien ClémentComment est née ce concept original ? Quelle en a été l’idée de départ ?
Alors, je vais être un peu sec car, en fait, le pitch du jeu, à l'origine de l'origine, c'est mon poto David Robert qui me l'a proposé. Je lui ai dit « wahou ! Je t'aide à l'écrire quand tu veux. ». Puis, les hasards de la vie ont fait qu'il n'a jamais pu développer cette idée. Alors, je m'y suis attelé seul car, entretemps, elle n'avait cessé de me hanter.

Cela dit, le thème du voyage dans les livres est assez répandu dans la littérature fantasy, jeunesse ou encore dans les comics. On peut citer L'histoire sans fin, les romans de romans de Jasper Fforde, Fables, The Unwritten... Mais son exploitation en JdR me semblait avoir un fort potentiel compte tenu de la nature même du jeu de rôle : ne sommes-nous pas déjà, nous rôlistes, des Biblionautes avant l'heure ?

C’est vrai que vu sous cet angle…
Peux-tu nous parler du moteur de Babel ? Comment l’as-tu conçu ? Quels en sont les lignes directrices ?

Compte tenu du fait que Babel est un multiverse littéraire, il me fallait un système capable de supporter absolument toutes les situations (du medfan au space opera en passant par l'historique...) et qui, donc, ne s'attarde pas trop sur les détails. Et puis, je voulais aussi un système qui convienne à l'ambiance livres, mots, phrases , etc.

Ces contraintes m'ont guidé vers un système à base de « petits papiers » sur lesquels on inscrit les principaux traits caractéristiques du personnage et qu'on invoque au moment opportun pour renforcer ses chances de réussite (en fait, pour relancer les dés ou ignorer des résultats négatifs). Cette feuille de personnage déstructurée a un petit côté legacy car, au fil des aventures, on doit retourner le petit papier, parfois le chiffonner, le déchiffonner voire le déchirer en mille morceaux.

Par exemple, si j'ai un peu abusé d'un trait concernant un ami ou un contact, je vais devoir rouler en boule le petit papier correspondant. Le temps où il sera dans cet état, je ne pourrai plus solliciter l'aide de cet ami (le trait n'est littéralement plus lisible). Si, plus tard, je rétablis la relation, j'aurai l'autorisation de déchiffonner la feuille qui sera à nouveau lisible mais, comme on s'en doute, elle restera toute froissée : cela veut dire que ce trait est à nouveau utilisable mais que « quelque chose » est quand même abîmé à jamais dans cette relation.

Voilà, ça, c'est la base. Mais il existe aussi des règles plus spécifiques pour gérer les pouvoirs des Biblionautes quand ils visitent un monde de livre.

Babel, personnage : le Maître © les XII Singes / Christophe Swal / Julien ClémentÇa ne fait qu’aiguiser mon désir de découvrir ce jeu dont la thématique m’attirait déjà… smiley

Dans quel état d’esprit es-tu à quelques jours du début de la campagne de financement participatif ?

Serein. Le jeu est entre de bonnes mains : celles de mon éditeur. Ils savent y faire en matière de foulancement et je fais toute confiance dans leur expertise dans le domaine pour que ça se passe bien.

Comment cette dernière a-t-elle été conçue ? As-tu participé activement à son élaboration ?
Oui, tout de même. Jérôme, mon directeur éditorial chez les XII Singes, est quelqu'un de très respectueux du travail des auteurs et il demande un avis préalable avant toute décision importante, les paliers du CF ou encore, bien sûr, le choix de l'illustrateur.

Comment le talentueux Christophe Swal a-t-il rejoint l’aventure ? Quel effet cela fait-il de voir son univers prendre peu à peu corps sous ses pinceaux virtuoses ?
C'est bien sûr un choix de l'éditeur. Christophe avait déjà travaillé pour les XII Singes pour les gammes Pax Elfica ou Cthulhu Hack. Je suis très heureux de ce choix car Christophe est un illustrateur très expérimenté en matière de JdR. De ce fait, il comprend bien les besoins spécifiques de l'illustration (de couverture ou d'écran) d'un ouvrage de jeu de rôle. Comme je le disais précédemment, c'est un grand bonheur de voir son univers prendre vie par la magie de ses pinceaux.

Combien d’ouvrages différents seront proposés lors de cette campagne ?
Alors, ça, c'est vrai que le foulancement change carrément la donne. Lors de la publication de Terra Incognita, chez les XII Singes, au temps préhistoriques d'avant le crowdfunding, on publiait les ouvrages au fur et à mesure de leur écriture.

Là, pour le foulancement de Babel, il fallait mettre sur le papier toutes les idées d'un seul coup pour financer une petite gamme auto-suffisante. C'est un autre défi !

Au final, outre un livre de base auto-suffisant (avec toutes les règles, tout ce qu'il y a à savoir sur l'univers de jeu et un scénario pour se lancer), on va proposer trois autres livres de 64 pages chacun.

L'un, Fables, est un recueil de scénarios prêts-à-jouer et d'idées de scénarios à développer par le MJ. Les deux autres sont conçus pour explorer des singularités de l'univers du jeu. Pas des spin off mais au moins des suppléments au sens plein du terme. Le premier s'appelle Ex-Libris et est entièrement consacré à ces êtres imaginés qui, pour une raison ou une autre, ont quitté leur monde de livre et errent désormais chez nous, les réels. Grâce à ce livre, on peut même joueur une bande d'Ex-Libris. L'autre se nomme Lorem Ipsum et est entièrement consacré à cette contrée étrange, un autre plan de réalité, ni celui du monde des réels, ni celui des mondes de livres. C'est notamment sur ce plan que se matérialisent les lieux communs que l'on retrouve de monde de livre en monde de livre. Enfin, un univers mystérieux, quoi !
Babel, le crayonné de l'illustration de l'écran © les XII Singes / Christophe Swal / Julien Clément
Quelles idées directrices ont présidé au choix de la couverture du livre de base ?
Comme pour tout JdR, il faut à la fois donner à voir l'univers de jeu et ses spécificités (portes à franchir, bibliothèque foutraque, etc.) et montrer que les PJ vont avoir quelque chose à y faire : ici, franchir les portes et... essayer d'en revenir !

C'est réussi, non ?

Oh que oui…
Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?

Et bien, depuis que j'ai arrêté d'écrire Babel, je suis revenu à mes premières amours pour Terra Incognita. Je rédige en ce moment le livre de base de la deuxième édition, à paraître (un jour!) chez les XII Singes bien sûr ! Ce sera à la fois une compilation de l'existant (réparti jusqu'à présent sur pas moins de neuf livres...) et du nouveau, notamment en ce qui concerne le système de jeu, la création de PJ, etc.

En matière de JdR, quels sont tes derniers coups de cœur ?
En tant que rédacteur en chef du Fix, j'ai la chance de partager régulièrement mes coups de cœur dans mes chroniques. En regardant un peu en arrière, je pourrais citer : tout Free League sous moteur Year Zero et traduit par Arkhane Asylum, le nouveau Runequest chez les Deadcrows, NOC chez Sethmes et, surtout, Brancalonia, traduit par Agate. Un gros coup de cœur !
Babel, l'illustration de l'écran © les XII Singes / Christophe Swal / Julien Clément
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Pfff, je suis trop mauvais pour ça : en général, je découvre tout plus ou moins après tout le monde. Tiens, pour te le prouver, là, en ce moment, je visionne tout Peaky Blinders... donc, cela ne va pas beaucoup aider les lecteurs, je pense ! Enfin, ceci dit, j'adore !

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Euh, non, tu as été parfait ! (slurp)

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imagi-naire…
Allez !

Si tu étais…
Babel, l'éclaté du matériel © les XII Singes / Christophe Swal / Julien Clémentun personnage de BD : Mortimer (Blake & Mortimer, je précise au cas où...)
un personnage de Jeu de Rôle : le mien (et paf !)
un personnage de roman : le Capitaine Alatriste (de Arturo Perez-Peverte)
une chanson : You made me realise de My Bloody Valentine
un instrument de musique : la guitare électrique
un jeu de société : bah, le JdR. Eh, l'aut' !
une découverte scientifique : euh... l'invention de l'écriture, ça compte ?
une recette culinaire : les pâtes cacio e pepe
une pâtisserie : la sfogliatella
une ville : Rennes
une qualité : la patience, pour répondre aux interviews trop longues ^^
un défaut : la proc... la procra... oh, zut, je te le dirai demain.
un monument : le château de Commarque (24)
une boisson : un bon Primitivo di Manduria (à consommer, il va de soi, avec modération !)
un proverbe : « Les proverbes, je ne les ai point utilisés depuis que je ne suis plus imberbe » (source inconnue)

Un dernier mot pour la postérité ?
Souscrivez à Babel. What else ?

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Merci à toi pour le coup de projecteur.
Le Korrigan