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Entretien avec André Houot
Interview accordé aux SdI en avril 2023


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…

Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…

Le tutoiement me va bien, il conforte la proximité que je peux avoir avec les plus jeunes que moi.

Merci à toi…
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

Pour être rétrospectif sans être pesant, je dirais que mon parcours d'auteur s'est fait en deux temps :
- à l'âge de 40 ans, pour renouer avec la créativité, ayant fait les Beaux-Arts avant mes 20 ans. - à 50 ans pour m'aider à me sortir la tête d'un quotidien difficile.

Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupé une place de choix ?
Enfant je ne m'intéressais pas à la bd malgré mes lectures de Tintin.
recherche de personages © André Houot
Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ? Un auteur en particulier a-t-il fait naître ta vocation ?
Pas de parcours du combattant pour moi si ce n'est pour la publication de mon premier album. C'est Bourgeon qui fit naître cette vocation avec ses Compagnons du crépuscule Ça me paraissait à ma portée mais...

Quelles sont, selon toi, les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Les joies du métier sont proches de la procréation à la naissance d'un album.
Les difficultés du métier sont avant tout le manque de visibilité, de relais, l'incapacité d'une œuvre à trouver son public.

Avec Asile ! tu tires ta révérence et raccroche ta crayons… Avec la carrière qui est la tienne, comment vois-tu l’évolution du petit monde de la bande-dessinée ?
Le peintre Gustave Courbet, que j'ai biographié, disait: « Soyez de votre temps, vous seuls en serez les témoins. ». J'ai fait comme ça et la génération d'après à pris le relais avec ses outils qui ne sont pas les miens.
Le monde de la bd est en train de rater sa chance, il ne peut, contrairement au manga avec NETFLIX, s'appuyer sur le format télévisuel pour faire connaître sa richesse de production. Mes petits enfants achètent la suite des feuilletons mangas vus à la télé alors qu'ils n'ont aucune prédisposition pour la BD.

illustration encrée © André HouotQu’est-ce qui pourrait être fait pour augmenter la visibilité des albums franco-belge ?
…ça, je ne sais pas trop… peut-être est-on arrivé au bout d’un genre de l’exception culturelle franco-Belge tout simplement!

Comment as-tu croisé la route de Zizim, sultan ottoman Mehmed II et prétendant au trône ottoman qui est la figure centrale de ton dernier album ? Qu’est-ce qui t’a séduit dans son histoire peu commune et méconnue ?
Zizim, fils de Mehmet le conquérant, je l'ai connu dans les années 80, un ami m'a parlé de cette histoire méconnue. Je suis passé des dizaines de fois devant la ruine du château et ma version de cette histoire à mûrie en 40 ans avec l'idée de ne pas laisser seule au vent la charge de chuchoter dans les vieilles pierres les mots d'amour de Philippine à son prince.

Quelles furent tes principales sources documentaires pour l’élaboration de cette histoire ? Quel ouvrage conseillerais-tu à des lecteurs désireux d’en apprendre davantage sur Zizim et son statut d’otage ? Qu’est ce qui t’as fasciné dans cette histoire d’amour entre ce prince Ottoman et Philippine de Sassenage ?
C’est une anecdote dont l’histoire de France rend compte dans divers documents. j’ai eu une quinzaine de livres entre les mains pour traîter le sujet du point de vue qui m’intéressait: le passage du prince par le château de Rochechinard et son histoire d’amour avec la belle de Sassenage. Je suis déjà incapable de donner les titres, d’autant que certaines archives ne sont consultables que sur sites spécialisés.

On ne peut qu’être impressionné par tes visuels de ce fameux château qui n’est aujourd’hui plus que ruine mais que tu as ressuscité avec maestria… Comment as-tu abordé ce… chantier de restauration graphique ?
Merci! c’était en effet un de mes objectif, ma petite performance du sujet : redonner au château son aspect médiéval dans toute son authenticité austère, juste avant ses quelques transformations que la renaissance a pu lui apporter par la suite, ( terrasse, colonnades, peut-être autres, avant son abandon au XVIIe siècle).

une reconstitution saisissante
Asile !, recherche architecturales © André Houot Asile !, recherche architecturales © André Houot

Asile !, recherche architecturales © André Houot Asile !, recherche architecturales © André Houot

Comment as-tu créé l’apparence de tes personnages ? Zizin, Philippine ou Isabeau sont-ils passé par différents stades avant de revêtir celle que l’on connaît ?
Que du travail de dessinateur de bd, dans toute sa banalité et avec toutes mes habitudes maniérées, ma façon de les dessiner, qui fait que les défauts et les qualités en font la “ facture” comme disent les pros des métiers d’art.

recherche de personages © André HouotLa liberté de ton de votre Isabeau n’est pas sans rappeler celle des Passagers du Vents alors que le mélange d’histoire et de croyances moyenâgeuse évoque les Compagnons du Crépuscule du même François Bourgeon. Doit-on y voir un hommage à un maître de la BD historique ?
Je n’ai pas pensé à un hommage en le faisant, mais c’est vrai que Bourgeon m’a beaucoup impressionné avec ses filles qui renseignent autant sur la façon de penser des filles que sur leur beauté.

Avec une contre-plongée vertigineuse, la couverture de l’album est de toute beauté… S’est-elle rapidement imposée où a-t-il existé plusieurs versions avant de s’arrêter sur celle-ci ?
J’ai fait 5 projets que j’ai tous finalisés…ils servent d’intercalaires dans la version noir et blanc.

Mis les uns à côté des autres, il n’y avait pas photo, c’est la contre-plongée qui fit l’unanimité, surtout avec les couleurs de Jocelyne Charrance : cette troupe sortant des brumes et se dirigeant dans des griffes végétales de branches couleurs de sang… Ce n’est rien d’autre qu’une image subliminale pour évoquer ce que peut ressentir quelqu’un arrivant en terre inconnue chez un hôte dont il ne sait rien…

Compagnonne de route dans la vie comme dans au travail, la talentueuse Jocelyne Charrance a été ta coloriste durant presque toute ta carrière… Peux-tu en quelques mots nous parler de la façon dont vous avez travaillé à quatre mains sur cet album ?
Jocelyne m’a eu derrière son dos pendant toute la mise en couleurs de cet album, elle fut ma symbiote et je dois la remercier pour avoir accepté cette façon de travailler qui, comme on l’imagine, n’est pas toujours facile à supporter.

Serait-il possible, pour une planche donnée, de visualiser les différentes étapes de sa réalisation, du synopsis à la planche finalisée en passant par le storyboard, le crayonné et l’encrage ?
Nous n’avons rien conservé des étapes successives de la mise en couleurs…

recherche © André HouotQuand tu te retournes et que tu regardes les albums dessinés au cours de ta carrière, de Khan à Septentryon en passant par le Mal, Hamelin et le Rendez-vous d’onze heures, qu’est-ce qui te vient à l’esprit ?
Je vois mon évolution sur le plan graphique, certes! Mais c’est quand je me relis que je suis le plus conforté dans les choix que j’ai fait : ne pas céder aux sirènes de la recherche du sujet qui va “cartonner”. J’ai eu cette chance d’avoir des éditeurs qui acceptaient de prendre des projets aussi différents les uns des autres, en d’autres termes, de me permettre de traiter les sujets dont j’avais envie; c’est plutôt en ça que je me suis singularisé, et mis en danger aussi, en déroutant quelquefois mes lecteurs

Sans indiscrétions, quels sont tes projets de jeune retraité du neuvième art ?
J’ai déjà commencé : tailler une haie de 80 m de charmilles qui attendait depuis une quinzaine d’années… Je déblaie, tronçonne et cisaille les morceaux sans regarder en arrière ni trop me projeter en avant.
recherche © André Houot
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Ceux qui m’informent, je dis bien qui “informent”, le plus détachés possible de quelque esprit partisan que ce soit… Si,si!, il en reste, mais il faut tout de même garder son sens du discernement.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Non, les questions posées étaient pertinentes, c’est bien comme ça.

recherche de personages © André HouotPour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

un personnage de BD : Bécassine
un personnage mythologique : Hestia
un personnage de roman : Jean Valjean
une chanson : Maman de Georges Brassens
un instrument de musique : la flûte
un jeu de société : le poker
une découverte scientifique : une exo-planète habitable
une recette culinaire : moule-frite
une pâtisserie : mille feuilles
une ville : Arkangelsk
une qualité : la tenacité
un défaut : la partialité
un monument : Cléobis et Biton
une boisson : l’eau
un proverbe : on ne sait ce qu’on perd que quand on l’a perdu

Un dernier mot pour la postérité ?
Content d’être venu! (sous entendu sur cette terre, parmi vous, les homo- sapiens)

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
dans l'atelier en cours de démantèlement d'André Houot
Le Korrigan