







Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Bonjour. Merci à vous de me permettre de parler des ombres de Thulé !
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…
Non, non, je préfère également le tutoiement !
Me voilà sauvé 
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)
Je suis né dans le Cantal à Aurillac, et j'ai grandi dans cette belle région encore enclavée, dans un petit village, au contact de la nature. Ces paysages m'ont façonné
D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours dessiné.
J'étais un enfant doté d'une riche vie intérieure, de ceux qu'on qualifie assez souvent introvertis à défaut de les comprendre.

Dans mon village, pas de librairies, et le premier contact avec la bande dessinée se fit au bureau de tabac/ point presse local, avec les publications Lug et Arédit, qui traduisaient Marvel et DC... c'est là que j'ai découvert Conan, Buscema, et l'oeuvre de Howard... J'en fus marqué à vie.
Par la suite, j'ai découvert Frazetta via les couvertures des livres de poche, et grâce à lui, l'œuvre de Howard et la littérature fantastique. Mais ce fut lui le passeur.
J'ai su très vite – trop vite, au goût de mes professeurs- que je voulais faire de la BD, ou du moins du comics, c'était une évidence... Au collège, sans doute. Parce que je voulais comprendre et pratiquer cette forme de magie particulière qui avait su tant me toucher.
J'ai fait par la suite des études d'arts appliqués à Paris, avec en tête l'idée de me doter du bagage technique nécessaire pour accomplir ce but.
Pour ce qui est du secret bancaire, mes racines Auvergnates m'incitent au secret !
Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupé une place de choix ?
Enfant, je me souviens que mon père m'offrait les Asterix, que j' adorais et adore toujours. Il m'a aussi mis dans les mains mon premier roman adulte : Une édition illustrée de la Guerre du feu, de Rosny ainé. Cette rencontre avec l'aventure plus adulte, au contact du monde sauvage, fut déterminante. J'ai cherché ensuite ce motif au travers de la fantasy,

Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse ? Un dessinateur en particulier a-t-il fait naître ta vocation ?
Oui... j'étais un lecteur boulimique de comics en VF, mais la première fois où j'ai été accroché à une histoire, ce fut d'abord les X men de Claremont et Byrne, qui faisaient écho à mes préoccupations adolescentes sans jamais cesser de les prendre au sérieux. Grosse claque... Puis Frank Miller a enfoncé le clou avec son Daredevil, puis le Dark Knigth returns...
Je crois m'être dit à peu de choses prés : « WAW... Ah ...ok... on peut aller jusque-là ? Bon sang il faut que je sache faire ça !: »
Quelles sont selon toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier de dessinateur de BD ?
Les joies sont nombreuses, la plus grande est la possibilité d'exercer et de se perfectionner dans sa discipline... quand on sent qu'on est fait pour accomplir une certaine chose, et qu'on a l'opportunité de le faire, c'est quand même un truc rare aujourd'hui.
Dessiner est une discipline exigeante, quotidienne... mais qui me permet, au moins quelques heures chaque jour, d'atteindre à une espèce de transe tranquille : je ne suis plus là, je fais mon truc, je raconte des histoires, je la vis, et c'est un plaisir vraiment incommunicable... Que j'espère que le lecteur finit par percevoir et partager en découvrant l'album.
La face sombre de cette magnifique pièce, c'est le mépris que les autorités ont des artistes, un statut bancal et précaire et les attaques sur tous les fronts contre notre vocation, dont le dernier avatar est cette stupidité des IA...

Comment as-tu croisé la route de Patrick Mallet qui signe le scénario des Ombres de Thulé ? Qu’est-ce qui t’a séduit chez lui et dans ce projet mêlant mythes celtiques, univers howardiens et horreurs tentaculaires d’inspiration lovecraftiennes ?
La réponse est contenue dans la question ! Depuis mes 12 ans, et la découverte des œuvres de R.E.Howard, et de H.P.Lovecraft, je porte en moi le désir de raconter une histoire épique et horrifique, de la pure sword and sorcery en somme ! Les amateurs de ce genre très particulier, de cette fantasy qui vogue sur les rives de l'horreur, savent combien l'apparent choix pléthorique en matière de fantasy en BD cache en fait un vide d'offre pour ce type de récit. Je crois que c'est tout bonnement ce que j'avais envie de lire !
C'est un ami commun, Boris Beuzelin, qui avait travaillé avec Patrick Mallet, qui lui a conseillé de me contacter quand il lui a parlé de l'intention initiale des Ombres de Thulé... Qu'il en soit de nouveau remercié !
Patrick m'a proposé ce récit au bon moment : J'étais un peu désabusé, justement parce que je commençais à penser qu'il n'y avait pas de place dans le monde de la Bd pour le type de récit que j'avais envie de raconter... Et là il me contacte et me propose les Ombres de Thulé ! J'ai bondi dans cette aventure et jetant toutes mes forces dans la bataille, en me disant un peu : Tu le demandes depuis tes 12 ans, on te le propose, vas-y, donnes tout ! … La vie repasse rarement les plats.
Patrick partageait ce désir profond de raconter cette histoire, et le même sentiment que c'était le moment ou jamais, sentiment qui venait en grande partie du fait que nos énergies se sont combinées, on s'est découvert les mêmes passions, les mêmes envies, les scènes émergeaient une à une, on était comme deux chiens fous, ou, comme le dit très bien Patrick, comme deux enfants à qui on a donné les clefs du magasin de jouet ... Nous avons monté un dossier qui était une œuvre en lui-même, un monstre de 80 pages ! Et Les Humanoïdes, en la personne de Bruno Lecigne, ont répondu présent ! Il a su voir le potentiel de ce récit, notre amour et notre respect sincère pour le genre, et notre fol enthousiasme ! Il nous avait répondu très vite, et je n'oublierai jamais ses mots : « Lionel parle la pure langue de la fantasy » ... Etre compris, ça fait bien plaisir !

Vos goûts communs à Patrick et toi peuvent laisser penser que vous vous êtes adonnés au jeu de rôle dans votre folle jeunesse… Est-ce le cas ? Si oui, quels étaient tes jeux de chevet ? (sinon, je me suis planté en beauté, snif…)
Ahah nous devons tous deux plaider coupable ! En effet, Patrick et moi avons été et sommes toujours rôlistes... pour ma part je suis tombé dans le jeu de rôle vers 12 ans, alors que je découvrais l'oeuvre littéraire de Lovecraft , est sorti en France le jeu « l'appel de Cthulhu ». Je suis tombé amoureux de cette forme nouvelle de narration, qui permettait de poursuivre le plaisir des lectures... J'ai ensuite joué à tous les jeux Chaosium qui sont sortis en France : Stormbringer, Hawkmoon, tous deux adaptés de l'oeuvre de Michael Moorcock... puis Runequest... Le système BRP, pour Basic Role Playing, est élégant simple, et pour moi indépassable. Entre 12 et 30 ans j'ai beaucoup joué. J'ai un peu moins de temps aujourd'hui, mais j'ai gardé ce goût.
Pour nous le jeu de rôle fut un formidable bac à sable pour se frotter à la narration et en apprendre les ficelles...
D'ailleurs aujourd'hui je travaille comme illustrateur pour Chaosium ! Sur Runequest : Rôle Playing, Glorantha, entre-autre... La boucle est bouclée !
Comment aborde-t-on graphiquement une telle saga ? L’apparence des différents personnages s’est-elle rapidement imposée ou certains t’ont donné du fil à retordre ?
J'ai commencé par remplir une douzaine de carnets de croquis, un bon millier d'esquisses préliminaires, donc... ça jaillissait comme si ça avait attendu là, sous la surface, de pouvoir sortir... Un vrai puits de pétrole ! Certains personnages sont apparus très vite sous le crayon, comme Cormak, qui a eu très tôt sa forme finale... d'autres sont apparus plus lentement, fruits d'une réflexion longue et d'une maturation progressive, comme Fergan, que j'adore... Nous avons pu avoir le temps de développer le récit et les personnages... C'est assez rare pour être souligné, mais Cécile Chabraud , notre éditrice, a compris que nous avions besoin de ce timing, et je pense que la richesse thématique, la complexité d'écriture des personnages vient aussi de ce temps de réflexion. Merci encore à elle !

Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
Même si une des forces du récit de Patrick, c'est de proposer un récit choral, avec de nombreux personnages qui existent tous, dont on comprend les raisons, l'histoire, qui sont patinés par la vie, j'ai tout de même un attachement particulier pour Cormak !
Dessiner ce roi guerrier a été un bonheur constant, parce que je vivais mon rêve de môme, en racontant les aventures de ce héros barbare !
Concrètement, comment s’est organisé votre travail à quatre mains sur l’album ? Du synopsis à l’album finalisé, quels furent les différentes étapes de votre collaboration ? Quels outils avez-vous utilisé pour composer vos planches ?
D'une manière totalement inédite pour moi, Patrick m'associant très vite à l'écriture. Il m'envoyait une version du scenario puis nous échangions de longs appels téléphoniques. Patrick aime tester ses idées, et me permettait de rebondir sur celles-ci pour proposer des pistes.
Une manière de travailler qui me convient parfaitement : certains scénaristes ont une approche très verticale : il faut faire ce qu'ils disent, point ! Pour moi c'est impensable. Notre manière de travailler a donc été collaborative, organique, enthousiaste... et au fond, ludique ! Sans doute un héritage de nos parties de jeu de rôle !
J'ai toujours travaillé en traditionnel, pour Les ombres de Thulé, je voulais vraiment produire des pages épiques, j'ai donc travaillé sur un format plus grand que d'habitude. Certains doubles pages dépassaient allègrement de ma table à dessin !
Et bien sur, apprès l'encrage, Axel Gonzalbo , notre coloriste, se saisissait de moi travail pour y apporter ses magnifiques couleurs. L'album lui doit beaucoup, en puissance et en poésie !
plance 4, work in progress


La couverture de l'album a-t-elle été facile à trouver où est-elle passée par diffé-rents versions avant de devenir celle que l'on connaît ? Quelles étaient les idées directrices qui ont présidé à son élaboration ?
La couverture s'est faite en deux temps: j'avais élaboré une peinture acrylique, trés crépuscu-laire, franchement inspirée par les ambiances en clair obscur de certaines toiles de Frazetta, et après réflexion, Cécile Chabraud, mon éditrice, m'a demandé de la repenser, elle ne la trouvait pas assez efficace pour le marché Français... je me suis prêté au jeu, estimant qu'elle connaissait les contraintes du marketing mieux que moi! j'ai donc produit une nouvelle salve de re-cherches, et Cécile, Jerry Frissen et moi avons réfléchi ensemble à leur impact... Finalement Axel Gonzalbo a été sollicité afin qu'il y ait homogénéité totale entre la couverture et les pages intérieures de l'album... ce qui a abouti finalement à la couverture actuelle!
Avec Patrick Mallet, vous avez trouvé les clef et exploré poussé la porte du magasin de jouet de vos rêves… Rassurez-nous : vous allez la squatter longtemps cette boutique ? Avez-vous d’autres projets sur les rails ?
Patrick et moi avons un milliard de projets, mais le timing a fait que nous avons du les repousser pour l'instant... mais oui, il y a plusieurs projets en route, un gros one shoot de Sword and Sorcery en cours d'écriture, et en attendant, une future collaboration à paraître dans Métal Hurlant... Encore un rêve de gamin !

Si tu devais conseiller un bouquin de Sword and Sorcery à quelqu’un désirant découvrir le genre, quel serait-il ?
Le nôtre !

… mais il faut découvrir et re découvrir l'œuvre de Howard, de Leiber, et celle, moins connue, mais somptueuse, de Clark Ashton Smith !
Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
Il y a le récit court (de Sword and Sorcery, bien sur !) qui sera publié dans Métal Hurlant, avec un scénario de Patrick Mallet... Puis je m'attaque à un nouvel album de Dark fantasy, avec Jean Luc Marcastel au scénario. Jean Luc est un ami d'enfance, nous nous sommes rencontrés au collège, nous avons joué au jeu de rôle ensemble, il écrivait, je dessinais... avoir quelqu'un d'aussi passionné que moi par les littératures de l'imaginaire, à cette époque, a représenté une force...
Aujourd'hui il est romancier, et je suis dessinateur de BD... Et nous allons travailler ensemble dans le genre que nous affectionnons depuis toujours ! Je ne peux malheureusement pas parler du projet pour l'instant, l'éditeur souhaitant que nous gardions le secret, mais ce sera un one shoot de dark fantasy, très noir... Dans un univers désespéré !
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Mad God, le film d'animation fou de Phil Tippet ! A voir absolument ! Nous avons pris l'habitude de voir des effets numériques lissés et des couleurs désaturées, ce film organique, hors norme et totalement dark fantasy est à voir... Il n'est par contre pas pour tout public !
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…

un personnage de BD : Thorgal
un personnage de Sword and Sorcery : Kull
un personnage de roman : Marlowe, le héros de Conrad
une chanson : Paint it Black
un instrument de musique : un taiko, un tambour japonais
un jeu de société : un jeu de rôle !
une découverte scientifique : La métallurgie
une recette culinaire : le ragoût, l'art d'accommoder les restes c'est vital
une pâtisserie : le cheesecake
une ville : Une ville fantôme. Je n'aime pas les villes... une bonne ville, c'est une ville déserte !
une qualité : le courage
un défaut : la colère
un monument : le mur d'Hadrien
une boisson : un bon médoc... pour sa faculté à vieillir en s'améliorant !
un proverbe : Quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt
Un dernier mot pour la postérité ?
Marc Aurèle. On ne lit jamais assez Marc Aurèle!
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé
C'était un plaisir ! Merci à toi !