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Entretien avec Julien Motteler
Interview accordée aux SdI en septembre 2023


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien...

Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier...

Non ! le tutoiement me va bien smiley

Allons y comme ça !

Voilà qui m’enlève une belle épine du pied… Merci smiley

Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

Bon alors concernant mon parcours d’abord… Comme j’aime à le dire : mon parcours est celui d’un passionné de dessin devenu auteur de BD. Je suis autodidacte et j’ai appris en regardant et appliquant les conseils des pros. Je n’ai jamais rien lâché et j’ai toujours continué à essayer de me perfectionner dans le but d’être, un jour, de l’autre côté de la table de dédicace. Je pense que je dessine assidument depuis mon adolescence et à vrai dire, je ne me suis jamais arrêté. J’ai aujourd’hui 49 ans, une dizaine d’albums derrière moi et autant d’années passées dans le métier…

Coté perso maintenant : Mes qualités ? plutôt curieux artistiquement (j’aime bien essayer plein de trucs, papier, matériel, style…) et pas compliqué de nature (c’est subjectif mais je trouve que c’est une qualité de ne pas être chiant !) Mon num de carte bleue ? je ne peux le donner il est au nom de ma femme, c’est elle qui gère le porte-monnaie smiley… enfin en ce qui concerne les comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans… ben à toutes fins utiles, je rappelle que je suis auteur de BD smiley !

Lady Whitechapel, recherche de personnages ©Julien MottelerEnfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupé une place de choix ?
La BD a toujours été autour de moi, elle est encore omniprésente mais paradoxalement je n’en lis pas des tonnes. Je les choisi souvent pour le dessin, en fonction de ce qui m’inspire et me donne envie de prendre telle ou telle direction artistique. Puis il y a les autres BD, les belles surprises scénaristiques ou les histoires bien racontée, là quel que soit le dessin, je me laisse embarquer…

Mon premier contact avec la bd c’est vers 10 ans avec des titres comme Spirou, Tintin et Bob Morane. Toutes ces bd m’avaient été transmises par mon père. La grosse claque est venue avec Strange (les premiers comics traduits en France) que mon cousin de 10 ans mon ainé lisait assidument. J’ai adoré la dynamique, l’action et les persos hauts en couleurs. Je crois que c’est définitivement le genre de BD qui m’a donné envie d’en faire et d’essayer d’être pro. J’ai passé des soirées et des dimanches à recopier les cadrages, les poses et la mise en page en relookant les personnages à ma sauce.

Plus tard, dans les années 90 c’est « La quête de l’oiseau du temps » ou encore « Aquablue » qui ont enfoncé le clou.

Aujourd’hui je me suis un peu lassé du genre « super héros » mais je lis encore de la bd américaine, du franco-belge et du manga (un peu).

Lady Whitechapel, colorisation de la planche 5 © Clair de Lune / Nicolas Antona / Julien MottelerDevenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse ? Un auteur en particulier a-t-il fait naître ta vocation ?
Oui, clairement un rêve de gosse comme un partiellement évoqué dans mes réponses précédentes (j’ai pris de l’avance) ! L ’ambition d’un jour dédicacer des bd pour des lecteurs, illustrer des scénarios fantastiques et, accessoirement, prouver à mes parents que « oui, je pouvais le faire ! » ont été de fortes motivations.

Il y a eu plusieurs auteurs qui m’ont inspiré, j’ai évoqué Régis Loisel et Olivier Vatine plus haut via leurs œuvres. Mais plusieurs auteurs américains comme Jim Lee, Joe Madureira, Humberto Ramos (tous les auteurs d’IMAGE comics des années 90 en fait) ont vraiment influencé mon trait et affuté mon envie de faire de la bd. Mais en fait cela ne s’arrête jamais je découvre aujourd’hui encore des auteurs très inspirants qui donnent envie d’aller plus loin ! donc c’est plus un ensemble d’auteurs qu’un seul en particulier.

Quelles sont, selon toi, les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
En ce qui me concerne, il y a trois choses que j’adore dans ce métier :

1 Tenir son album relié entre les mains n’a pas de prix. Il y’a là un sentiment très fort d’accomplissement et d’aboutissement. Une sorte de fierté aussi.

2 Echanger avec un lecteur qui à réellement eu un coup de cœur pour un de nos albums. Ça fait énormément plaisir et ça donne du sens à ce que l’ont fait.

3 J’ai chaque fois une explosion de joie quand je signe un nouveau projet. Quand on me dit « oui, on signe ! », je suis comme un gamin, c’est Noël ! Ça veut dire que l’aventure continue, que l’on continue de pouvoir faire ce pour quoi on a tout donné et ça, c’est, de mon point de vue, extrêmement grisant.


Les grandes difficultés maintenant. Je peux évidement évoquer, le manque de considération du métier, le doute, la précarité ou la situation difficile des auteurs dans un marché dynamique mais qui ne valorise pas la création… ce sont des choses réelles et connues de tous (ou presque).

Plus personnellement, il est toujours difficile de réaliser que son bouquin n’a pas trouvé son public ou n’a pas eu le succès escompté… On passe un an (ou plus) à bosser sur notre projet et parfois, pour des raisons indépendantes de notre volonté (surproduction, marketing et représentation hésitante, goûts des libraires, place dans les points de vente, etc.) le succès n’est pas au rendez-vous. C’est souvent très frustrant car les causes peuvent être multiples et nous n’avons aucun contrôle là-dessus. Je crois que tous les auteurs ont de grandes espérances pour leur bouquin (et croient que ça va super marcher…) mais les réalités du marché et du terrain nous rappellent constamment que rien n’est acquis dans ce domaine. Et j’avoue que faire de la bd c’est bien, en vivre c’est mieux… mais je crois que c’est le luxe de quelques auteurs seulement.

Lady Whitechapel, storybaord de la planche 5 © Nicolas Antona / Julien MottelerComment avez-vous rencontré Nicolas Antona qui signe le scénario de Lady Whitechapel ?
J’ai rencontré Nico au salon du Livre de Caen en 2017 ou 18, je ne sais plus. Il était en dédicace avec Nina Jaqmin pour leur (superbe) album commun : la tristesse de l’éléphant (éditions les Enfants Rouges). J’ai été impressionné par ce livre, sa sensibilité et sa justesse. J’ai eu l’occasion d’échanger avec les auteurs lors d’un des repas et le contact était vraiment amical. C’est tout naturellement que j’ai recontacté Nicolas plus tard pour lui proposer une collaboration… Ça tombait bien il avait également envie de bosser avec moi ! smiley

Qu’est-ce qui t’a séduit dans son scénario qui nous entraîne dans les ruelles tortueuses de la Londres victorienne ?
Il y a plusieurs choses en fait. Tout d’abord, il faut savoir que Lady Whitechapel est une aussi une collaboration scénaristique, il y ‘a un peu de moi dedans. J’avais envie de dessiner une bd avec des dames élégantes et ténébreuses.

J’avais réalisé en 2017, un inktober qui proposait une série de portraits de femmes dans cet esprit. J’ai eu de bons retours sur ces illustrations et je me suis dit que je devais en faire quelque chose. J’ai proposé cette idée à Nicolas qui m’a suggéré alors un cadre adapté à ce « cahier des charges »… L’histoire pourrait se dérouler à Londres, sous l’ère Victorienne… une période oscillant entre l’élégance et les ambiances sombres… Nous avons alors décidé ensemble qu’il serait sympa de placer les filles dans une maison close chic située dans un quartier sombre. Par association d’idées il nous semblait évident et pertinent de situer l’établissement dans le quartier de Whitechapel. Lieu certes convenu mais aussi très à propos pour le scénario d’autant plus que je suis assez fasciné par l’affaire « Jack L’éventreur » (comme pas mal de monde je pense smiley ). Bref, nous étions tous les deux sur la même longueur d’onde sur la forme, il ne nous restait plus qu’à trouver le fond. C’est là que Nico à fait le reste !

Comment as-tu abordé l’apparence des différents personnages du récit ? Franck Aberdeen, Thomas Bound ou Lady Whitechapel ont-ils rapidement trouvé leur apparence ou sont-ils passés par différents stades avant de revêtir celles que l’on sait ?
A vrai dire tout est allé très vite, les deux personnages se sont très vite présentés et imposés à moi.

J’ai visualisé de nombreuses photos d’époque ou d’inspiration hipsters (car Lady Whitechapel se veut être un mélange de plusieurs univers anciens et modernes) et Franck Aberdeen est apparu facilement. Bound aussi en fait. Il est clairement inspiré du gang des Peaky Blinders et plus précisément du personnage de John Shelby. Il m’a fallu un seul croquis pour savoir que c’était avec ces deux personnages qui seraient au casting !


Lady Whitechapel, crayonné de la planche 5 © Nicolas Antona / Julien MottelerQuel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
Sans hésiter Aberdeen. Mais aussi paradoxal que cela puisse paraître j’ai beaucoup aimé dessiner Lord Milton et Julius qui sont en fait des personnages secondaires.

T’es-tu appuyé sur une documentation iconographique pour mettre en scène les bas-fonds du Londres Victorien ? Aurais-tu un site ou un ouvrage à conseiller à un lecteur désireux d’en apprendre plus sur l’époque ?
Mon inspi pour cet album est plus cinématographique ou issus du jeu vidéo (film « From Hell », jeu vidéo « The order », série « Penny Dreadfull » sont quelques exemples). Les photos ont aussi joué un très grand rôle grâce à une immense banque d’image que j’ai créé sur Pinterest.

À l’heure d’internet c’est assez fabuleux de pouvoir quasiment tout trouver sans trop de difficultés. Le fait d’avoir des tas d’images sur un même « mur » permet de s’imprégner dans ensemble de visuels et de s’immerger dans l’ambiance du bouquin (un peu comme un flic qui contemple son tableau d’enquête dans les films smiley.

Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de la création de la série avec ton complice scénariste ? Quels outils utilises-tu ?
Comme évoqué plus haut, tout démarre d’une idée et de plusieurs échanges avec Nicolas. Puis arrive le script. C’est un document word, réalisé par le scénariste, qui résume chaque tome mais qui découpe aussi l’album avec suffisamment de renseignements et de descriptions pour débuter le storyboard. C’est souvent le moment où l’on ajuste les scènes ou les intentions narratives.

Le storyboard est réalisé entièrement en digital. J’utilise Photoshop pour créer l’aperçu de l’album. L’utilisation de l’ordinateur et de la tablette graphique est très confortable pour poser les bases et ensuite faire des modifications de cadrages, de séquences, de textes et de positionnement des bulles.

Une fois ce storyboard validé, j’entre en production. C’est à dire que je mets les planches au propre (dessins plus poussé, toujours sur Photoshop) ce qui va me servir de base pour encrer les planches. Pour cette étape, je travaille en traditionnel. J’imprime les pages au format A3 dans une couleur bleue très légère et j’encre directement dessus, généralement au feutre à pointe calibrée. C’est important pour moi de garder un lien avec le dessin tradi.

Mes planches sont alors scanées en haute définition pour devenir des fichiers qui seront ensuite utilisés pour la mise en couleur.

Lady Whitechapel, encrage de la planche 5 © Nicolas Antona / Julien MottelerQuelle étape te procure le plus de plaisir et laquelle te donne au contraire du fil à retordre ?
Le storyboard est là partie qui me demande le plus d’énergie. Transformer le script en images et en séquences demande beaucoup de concentration. En fin de journée je suis souvent lessivé. Mais c’est aussi la partie la plus intéressante. Le bouquin prend forme et c’est là qu’on glisse « sa touch ».

Sinon, J’aime beaucoup encrer. Là, souvent, je me sens plus libre. Suffisamment libre pour pouvoir mettre une série tv en toile de fond ou un podcast. C’est vraiment la phase que je préfère. Surtout qu’une planche encrée, je trouve que c’est un bel objet. C’est du boulot mais le résultat est souvent à la hauteur.

Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
Je travaille actuellement sur deux projets qui se dérouleront dans le japon féodal aux environ de l'ère d'edo. Le premier, prévu en deux tomes, sera dans un univers antropomorphes avec plein de personnages à tête d'animaux. J'avais réalisé tout mon inktober 2022 sur cette thématique en prévision du dossier éditeur.

Le second, mettra en scène des personnages humain dans un gros one shot de 150 pages.
Mais je ne peux pas encore beaucoup en parler à ce stade.

Ces deux projets sont signés, ils seront réalisés avec des scénaristes et sortiront à l'horizon 2025.

Pour le futur, il y a des pistes et des idées. Notamment travailler sur une suite Space Gangsters ou de Lady Whitechapel. Peut-être réaliser un album de medieval fantasy (un genre que je n'ai pas eu encore le loisir de dessiner et que j'adorerai faire) et autre truc super excitant qui est en cours de discussion... A suivre.
Projet en cours
Projet en cours © Julien Motteler Projet en cours © Julien Motteler
Projet en cours © Julien Motteler Projet en cours © Julien Motteler

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Je viens de terminer « Les Oiseaux de papier » de Mana Neyestani, paru aux éditions Cà et là. J'ai adoré ce roman graphique qui parle de la vie misérable et dangereuse des Kolbars, des porteurs Kurdes qui transportent des marchandises entre l'Irak et L'iran en traversant des hautes montagnes. Ils bravent la nature hostile mais aussi les gardes-frontières qui les chassent car leur activité est jugée illégale. La bd est romancée mais elle reflète bien, je pense, le quotidien de ces hommes qui tente de bosser au péril de leur vie pour quelques euros.

Lady Whitechapel, colorisation de la planche 5 © Nicolas Antona / Julien MottelerCoté littérature, j'ai redécouvert très récemment une bonne partie de l'oeuvre de Lovecraft. Et j'ai pu mesurer à quel point il a influencé et façonné toute un pan des univers fantastiques et horrifiques moderne. En fait tout ce que j'adore au ciné ou en BD dans le genre fantastique, ramène toujours à Lovecraft... C'est aussi une grosse source d'inspiration.

Au rayon jeu vidéo, (car je joue beaucoup à coté de la BD), je suis dans « Ghost of Tshushima », un monde ouvert dans le japon féodal. Parfait pour m'aider dans les projets que je mène actuellement en Bd:) le scénario est riche et l'environnement très travaillé. C'est un régal d'errer dans ce japon virtuel et d'admirer les paysages et les ambiances.


Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Je pense qu'on a fait le tour… ça me semble déjà très complet smiley


Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

dans l'atelier de Julien Motteler en artisteun personnage de BD : Thorgal. Il est discret, amoureux et veut vivre tranquile et loin des hommes. Il vient des étoiles et côtoie le fantastique. Il évolue dans un univers Medieval Fantastique et est un grand archer. Tout en étant super charismatique !
un personnage mythologique : Dyonisos ! Sans hésitation.
un personnage de roman : Le narrateur de la nouvelle « Dagon » de HP Lovecraft. Cette nouvelle est sans doute ma preférée et rencontrer le Dieu poisson... ça doit être quelque chose.
une chanson : « Imagine » de John Lenon. Pour son message et sa rationalité.
un instrument de musique : La guitare electrique. J'admire sa technicité (que je ne maitrise pas du tout), j'adore son son et elle est le symbole des musique énérgique (pop, rock et hard rock).
un jeu de société : Level 10. C 'est un petit jeu de carte collaboratif sur la thématique du jeu video. C'est très sympa. On me l'a offert récement et c'était fun. Mais en vrai je joue peu aux jeux de société.
dans l'atelier de Julien Motteler en artisteune découverte scientifique : L'électricité... grace à elle, je peux bosser sur ma tablette graphique, jouer au jeux-vidéos et écouter de la musique, entre autre.
une recette culinaire : La pizza. Je cuisine énormément et j'aime la cuisine de copains. La pizza, comme le chili con carné, le bbq ou les hamburgers ça rassemble et ça fait toujours plaisir. Mais faire des pizzas, c'est génial ! Travailler la pâte, la voir gonfler, préparer son coulis et émincer les ingrédients... c'est le kiff. La pizza c'est le goût et la convivialité. C'est vraiment quelque chose que j'adore (surtout au four à bois !)
une pâtisserie : La tarte à la rhubarbe meringuée ! J'en fais souvent smiley
une ville : On va rester en France : Angers. J'y suis allé lors d'un festival BD et j'ai adoré. Il y a un bon état d'esprit, c'est assez paisible et vivant à la fois. La ville était vraiment agréable.
une qualité : La discrétion
un défaut : La Procrastination.
un monument : La grande Pyramide (c'est un monument fascinant et qui force l'admiration)
une boisson : La bière (Belge of course !)
un proverbe : « Les apparences sont souvent trompeuses. »

Un dernier mot pour la postérité ?
Peace and love !

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Merci à toi, à vous !

Le Korrigan