


Bonjour Marc-Antoine et merci de te prêter à nouveau au petit jeu de l’entretien…
C’est toujours avec plaisir.
Il y a près de six, tu fondais les Aventuriers de l’Etrange… Grâce à ta maison d’édition, tu as permis aux lecteurs francophones de découvrir des auteurs méconnus dans l’hexagone, tels Ileana Surducan, Xulia Vicente ou Rune Ryberg pour ne citer qu’eux… Comment ta route a-t-elle croisé celles de ces auteurs talentueux ?
C’est une question qu’on me pose souvent. Il n’y a pas de travail de recherche, ou du moins pas beaucoup. Quoi que, un peu plus maintenant. Mais je dois bien avouer que chaque rencontre est le fruit du hasard. Une rencontre qui renvoie à une autre et à une autre et à une autre.
Chaque rencontre est une histoire différente. Il y a même un certain romantisme comme me l’avait signalé une fois Nùria Tamarit. Pour Ileana Surducan, c’est sa sœur, Maria, (avec qui je collabore depuis quasiment le début des Aventuriers de l’Étrange) qui m’a fait découvrir son travail et son univers. Et le travail de bon nombre d’auteurs Roumains. J’ai des anecdotes avec chacun des auteurs. Par exemple, avec Ileana, le hasard a fait qu’on dînait ensemble à Paris le soir des dernières élections présidentielles. Et j’étais en panique du résultat. Ce qui l’amusait beaucoup. Pour Xulia Vicente, c’est grâce à Nùria Tamarit ; rencontre avec Nùria qui découle elle aussi du pur hasard. Souvent, ça matche assez bien avec les amis des auteurs avec qui je collabore. Ils ont les mêmes goûts, des sensibilités proches et des univers raccords. Quelque chose qui renvoie à quelque chose qui renvoie à autre chose…
Pour Rune Ryberg, j’étais tombé sur la version danois de Géant et le fâcheux rendez-vous au FIBD2018. J’ai trouvé le trait génial et l’énergie folle. J’aurais pu me contenter d’acheter uniquement les droits français à l’éditeur danois. Mais j’ai voulu une nouvelle couverture. Alors j’ai demandé à Rune qu’il s’y attèle. La suite… 6 albums ensemble, plusieurs venues en France, des soirées dans des salles d’arcade où on était les seuls vieux, des baignades dans l’Atlantique à 8 heures du matin en octobre, etc. Bien sûr, il faut que le travail et l’univers des auteurs me plaisent mais il faut aussi (et c’est ultra important) que nos tempéraments s’accordent bien. J’envisage toujours une collaboration sur le long terme. Pas uniquement sur un seul album. Alors, il faut qu’on s’entende bien.
les carnets de Nuria Tamarit

Après trente-cinq albums édités, après avoir découvert de nouveaux territoires, permis à de nombreux lecteurs de voguer vers des continents inconnus et avoir traversé bien des tempêtes et navigué parfois en eaux troubles, les Aventuriers de l’Etrange s’apprêtent à disparaître… pour renaître dans le giron des dynamiques éditions Bamboo sous la forme d’un nouveau label, les Aventuriers d’Ailleurs… Mais d’ailleurs, pourquoi ne pas avoir conservé le nom d’origine, comme d’autres label ayant changé de maison (Label 619, Métamorphoses…) ?
Avec Olivier Sulpice, le gérant du groupe Bamboo, on s’est interrogés. Au début des Aventuriers de l’Étrange, je cherchais uniquement des albums avec de l’aventure, du merveilleux, de l’angoisse, du fantastique, de l’étrange. Mais au fil des ans, j’ai ouvert sur des sujets initiatiques (Toubab, Des éclats de diamant), féministes (Élisa & Marcela, Mon sombre chevalier), sociaux (Toute une vie dans des sacs en plastique) parce ce que je voulais absolument publier les albums des auteurs que j’aime et avec qui j’avais commencé à collaborer. Résultat : parfois, je me suis éloigné de ma ligne éditoriale ; peut-être au risque de perdre mon lectorat de base. Le nom Aventuriers d’Ailleurs correspond davantage à la volonté de s’ouvrir sur le monde et pas uniquement au travers d’albums fantastique, d’aventure ou merveilleux. Conserver l’appellation Les Aventuriers de l’Étrange était un peu réducteur sur ce qu’on souhaite mettre en place.

Comment s’est opéré le rapprochement entre Les Aventuriers de l’Étrange et les Éditions Bamboo ?
En avril ou mai 2023, au bout du rouleau, criblé de dettes et sans solution de poursuivre l’aventure, j’ai envoyé un e-mail à Olivier Sulpice que je ne connaissais absolument pas mais dont j’étais admiratif du parcours. Je lui expliquais la situation alarmante des Aventuriers de l’Étrange malgré tous mes sacrifices. Il m’a rappelé dans les 2 jours. On a ensuite échangé quelques e-mails et je suis allé à Charnay-lès-Mâcon fin juin pour qu’on se rencontre en vrai. J’ai aimé son franc-parler, son côté humain, sa bonhomie, son accessibilité et la manière dont il gère le groupe Bamboo.
Il y avait une vraie bonne ambiance de travail dans les locaux, un truc un peu familial qui m’a sauté aux yeux. Ça charbonnait mais sans prétention ni stress, alors que pourtant il doit y en avoir. J’imagine que mon parcourt, mon abnégation, ma capacité à réussir à faire des livres « potables » avec 0 euros, le lien très étroit que j’entretiens avec les auteurs et le réseau que j’ai pu me faire à l’étranger l’ont séduit. Je n’en reviens toujours pas !
Concrètement, en quoi la création de ce label va changer tes perspectives et ta façon de travailler ?
En gros les Aventuriers d’Ailleurs vont faire exactement la même chose que Les Aventuriers de l’Etrange, mais avec un soutien logistique incomparable, une équipe capable d’apporter du recul et une plus-value artistique que je ne pouvais pas me permettre en étant seul. La communication sera également grandement boostée. Grâce à ce nouveau mode de fonctionnement, un véritable plan stratégique pour que la structure se pérennise est en train de se mettre en place. Il n’est pas prévu d’aller plus vite que la musique. Il convient d’installer tranquillement les Aventuriers d’Ailleurs pour que la structure puisse aller crescendo. On est dans une course de fond et pas un sprint. Une dizaine d’album sont prévus par année. Dix albums, ce n’est pas forcément beaucoup mais cela permettra de veiller à chaque détail, de les publier avec passion et exigence. De les suivre au mieux.
Comment as-tu construit le planning des futures parutions de ce nouveau label ?
Sur 2024, les publications seront ramassées sur le 1er semestre. Dans un premier temps, une partie du catalogue des Aventuriers de l’Étrange sera reprise mais dans des versions up-gradées pour magnifier le travail graphique des auteurs. Il y aura des ajouts comme par exemple des interviews illustrées, des pages BD supplémentaires, des précisions sur les auteurs et le contexte de la BD dans leur pays. Rien de gratuit. Des ajouts qui font sens. Et puis petit à petit, il y aura des nouveautés. À terme, il n’y aura que des nouveautés. Sur les 10 titres de 2024, il y aura 6 rééditions et 4 nouveautés, mais des nouveautés avec des auteurs avec qui j’ai déjà collaboré. Le choix des 6 albums repris s’est fait en discussion avec l’équipe éditoriale. Il y a un échange très sain entre nous car nous souhaitons tous aller dans le même sens : Installer et pérenniser les Aventuriers d’Ailleurs tout en faisant en sorte de garder une certaine singularité, une certaine fraîcheur. Tout le monde fait des efforts pour que la greffe prenne bien. Mais pour être honnête, ce n’est pas si simple car j’ai certainement pris des mauvaises habitudes en travaillant seul. Je dois me fondre dans un collectif et ce collectif, je le vois bien, fait du mieux qu’il peut pour m’accueillir, pour que je me sente bien. En tout cas ce début de collaboration est très sain, très enrichissant.
Peux-tu lever le voile sur l’une ou l’autre nouveauté des Aventuriers de l’Ailleurs !
Après 4 titres mais dont le dernier remontait à février 2021 (Le lion & la souris), je suis extrêmement heureux de pouvoir reprendre la collaboration avec Pedro Rodríguez. Deux albums inédits sont prévus. Les Observations animalières de Rudyard Kipling, d’après les Histoires comme ça de l’auteur du Livre de la jungle. C’est un gros album vraiment très drôle et fantaisiste. Les enfants devraient adorer. Ça, ce sera pour janvier 2024. Pour juin, les lecteurs pourront découvrir une très belle histoire, très touchante, se déroulant dans le monde du football. Le parcours d’un agent de joueur renouant le contact avec sa fille qu’il avait perdu de vu durant sa jeunesse. C’est une tragi-comédie encrée dans le monde réel du football. Il y a un petit côté Jerry Maguire évident.
Avec le recul, quel(s) conseil(s) donnerais-tu à quelqu’un désirant se lancer dans l’aventure éditoriale ?
Trouver des titres à publier est facile. Trouver des auteurs est facile. Faire des belles maquettes et de bons façonnages est facile. Le problème vient de la diffusion et de la distribution. Comme il y a trop de livres (et donc trop de BD), il est quasiment impossible d’avoir de la visibilité sans diffuseur de qualité ou équipe de communication performante. Les diffuseurs/distributeurs de qualité se comptent sur les doigts d’une seule main et ils sont malheureusement très difficiles d’accès lorsqu’on débute.
Si je peux donner un seul conseil : faire le maximum du maximum pour la communication. C’est triste à dire mais il faut investir autant d’argent, si ce n’est plus, dans la communication que dans la conception des livres. S’adjuger les services d’un community manager me semble primordial, un community manager gérant aussi la relation libraire et faisant de la sur-diffusion. Ça ne s’improvise pas. On ne fait pas des livres pour qu’ils se vendent à 300 exemplaires. L’auteur ne peut pas gagner sa vie avec 300 ventes. On fait des livres pour qu’ils soient le plus vue, le plus lu, parce que les auteurs ont des choses à dire. Grâce à la BD, ils interrogent le monde. J’ai la naïveté de croise que les livres (et donc) les BD peuvent changer le monde. Mais pour ça, il faut qu’ils soient visibles. Sans librairie, c’est impossible. C’est pour cette raison que, sur le long terme, je ne crois pas du tout à l’auto-édition, ni au financement participatif lorsqu’il est exclusif.
Tous médias confondus, peux-tu nous parler de tes derniers coups de cœur ?
Me voyant au fond du trou et dans un état dépressif, mon frère qui est un gros collectionneur de jeux vidéo actuel et rétro m’a fait découvrir
Captain Toad. Grâce à lui, parfois, je peux rejouer à des jeux de mon enfance comme
Flashback. Amateur de cinéma, je n’y vais presque plus mais j’ai tout de même pu découvrir
L’incroyable Noël de Shaun le mouton. J’adore l’animation en stop-motion. Et puis, j’ai lu
À propos d’un garçon de Nick Hornby. Pour une fois, une adaptation cinématographique est meilleure que le roman, lui-même.
Pour un garçon, un de mes films préférés avec Hugh Grant. Enfin, j’attends avec impatience le second tome de
The Ex-people d’Alexander Utkin. C’est peut-être la BD que j’attends le plus en 2024 ; à égalité avec celle que prépare Ileana Surducan pour Albin Michel.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Cette fois-ci, Les Aventuriers… pourront-ils avancer sereinement ? Je l’espère, je l’espère tellement. Là, si ça foire, il n’y aura plus aucune autre solution possible.
Ça ne foirera pas !
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé et longue (seconde) vie à ces nouveaux Aventuriers ! Hâte de voir sur quelles terres lointaines et inconnues ils vont nous faire aborder !
