Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…
Non, non vas-y ! (rires)
Merci beaucoup…
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)
Je suis né en 1967, donc j’ai 57 ans. J’ai signé mon premier contrat de scénariste BD alors que j’avais 20 ans et mon premier album est paru en 1990. Depuis, j’en ai fait 80 autres, pour pas mal d’éditeurs… Jusqu’en 2018, j’ai aussi exercé une activité de journaliste, ayant travaillé notamment pour France 2, RMC et Eurosport. Je me suis longtemps spécialisé dans le journalisme sportif, couvrant principalement le sport automobile jusqu’en 2018.
Depuis, je me consacre uniquement à mon métier de scénariste, qui a toujours été une passion pour moi de toute façon… Je vis en région parisienne, et aussi en Bretagne, dès que je peux. L’Australie est une autre passion, mais je crois que j’en ai beaucoup à vrai dire… (rires).
Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupé une place de choix ?
Je me considère véritablement comme un « enfant des livres », à savoir que je n’ai cessé de lire depuis mes 7-8 ans tout en vénérant aussi l’objet précieux qu’est un livre… Quand je voyais, vers mes 10 ans, des livres de l’Idéale Bibliothèque, avec leur format, leurs somptueuses couvertures, leur dos jaune, j’étais vraiment en arrêt devant et j’avais envie de tout dévorer : Jules Verne d’abord et surtout, mais aussi L’Ile au Trésor, par exemple…
Ensuite, ce fut bien sûr la découverte de la littérature classique du XIXe, avec Hugo, qui reste mon idole absolue, et je ne serai pas original en citant Balzac et Zola, inégalables… J’ai ensuite eu ma période poésie, là encore plutôt fin XIXe-début XXe, et cela a sans doute rejailli dans un album que j’ai réalisé l’an dernier, avec Jean Dytar :
Les Illuminés (Delcourt), sur le trio Rimbaud-Verlaine-Nouveau.
Après, cela va peut-être vous surprendre, mais j’ai passé dix ans avec la science-fiction, et je relis toujours une fois tous les deux ans maximum la saga
Rama de Clarke et Lee, chef-d’œuvre que j’emporterai dans ma tombe…
Enfin, depuis une quinzaine d’années, ce sont avant tout des livres historiques que je lis, qui sont d’abord de la documentation, et qui m’accompagnent pour mes projets au long cours à 500 pages, comme
Terra Australis (Glénat, 2013), sur la naissance de l’Australie moderne, ou
La Bombe (Glénat, 2020), sur la « saga » de la bombe atomique entre 1933 et 1945… En ce qui concerne la BD, cela va sans dire qu’elle m’accompagne aussi depuis le début. Petit, je lisais
Bibi Fricotin,
Bicot,
Les Pieds Nickelés, mais
Tintin a tout emporté sur son passage !
Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse ? Un auteur en particulier a-t-il fait naître ta vocation ?
Je crois avoir fait ma première BD en imaginant une aventure de Michel Vaillant quand j’avais dix ou onze ans, donc oui, je crois que c’est vraiment un rêve d’enfant… Et quand je découvre
Objectif Lune, j’ai bien sûr envie de tout de suite lire
On a marché sur la Lune, mais d’abord je me souviens avoir tenté d’imaginer ce qui pourrait arriver, scénaristiquement parlant, à Tintin, Haddock et cie… (sourires). Tintin et Hergé sont pour moi indépassables, c’est le chef-d’œuvre peut-être à la fois premier et ultime de la bande dessinée européenne, la richesse des scénarios, la fluidité de la lecture, la perfection des cadrages, la caractérisation des personnages (le capitaine Haddock est le plus grand personnage de tous les temps !), tout est sublime, génial, je rigole encore tout seul -et pas qu’un peu- dès que je relis un album de Tintin…
Les autres auteurs qui m’ont marqué sont liés à mes lectures dans le journal Tintin, Greg pour ses histoires et ses dialogues, Hermann, et surtout Andreas qui m’a durablement marqué. Ensuite, en lisant Pilote ou A Suivre, je découvre Le Vagabond des Limbes, Munoz & Sampayo, Comès, Tardi, Christin et Bilal, Marc-Antoine Mathieu… Côté « classique », j’adore le dessin de William Vance et ça a été bien sûr une énorme fierté d’avoir repris le personnage de
Bruno Brazil il y a quelques temps et d’avoir signé un album de la collection
XIII Mystery. Enfin, j’ai eu un choc culturel dans les années 90 avec toute une vague de comics américain et de scénaristes anglais, représentés notamment dans la collection Vertigo de DC Comics : Alan Moore, Neil Gaiman, Dave McKean, Scott Morrison pour ne citer qu’eux…
Quelles sont selon toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Les grandes joies, il y en a deux principales : le fait de se faire un film de manière assez facile, de pouvoir tout imaginer et de savoir qu’il n’y aura pas de restriction de budget ou d’impossibilités de production, le plaisir d’inventer une histoire, de la mettre en scène ! L’autre bonheur, c’est de rencontrer des gens, des dessinateurs fabuleux, qui acceptent de dessiner votre histoire et votre vision ! Et qui, la plupart du temps, l’améliorent !
Côté difficultés, c’est d’être un peu seul dans son coin quand même (mais je pense que c’est le lot de tous les scénaristes), et de dépendre malgré tout d’un coauteur artiste : s’il n’y a pas de dessinateur, eh bien il n’y aura pas d’album ! Donc, il faut sans cesse essayer d’en trouver…
Après le bouleversant album consacré à Patrick Dewaere (dessiné par l’impressionnante Maran Hrachyan), tu signes une fascinante biographie dessinée de Jean-Paul Belmondo, l’un des acteurs français les plus populaires… Quel est ton rapport avec le septième art ?
Merci pour le
Patrick Dewaere, c’est un album dont je suis très fier et qui a été pour moi une manière de repenser l’approche du biopic et éviter qu’il ne soit trop facile ou linéaire. Il a reçu un bel accueil critique et public, ça a vraiment fait plaisir. J’ai bien sûr été aidé par le talent de ma coauteure, que vous citez justement, et par la liberté que m’a donné mon éditeur au sein de cette collection 9 ½ consacrée à des gens de cinéma (acteurs/actrices ou réalisateurs). Je suis bien évidemment passionné par le cinéma, je voulais devenir réalisateur quand j’avais quinze ans, et j’ai tenté la FEMIS en 1988, allant jusqu’au dernier oral mais n’étant pas admis au final… On a compris que je me suis consolé en devant scénariste de BD et journaliste ensuite, car réaliser des reportages pour la télé, c’est quand même aussi réaliser un petit film à chaque fois… (sourires)
L’atelier de Paul Belmondo
Que représentait Belmondo avant de te lancer dans l’écriture de cet album ?
Belmondo, c’est un monstre sacré, que Dewaere, tout impertinent qu’il était, considérait pourtant déjà comme un has been dans les années 70 ! Mais c’est faux, bien sûr, et j’admire vraiment un parcours pas si facile que ça où il a fallu qu’il bouffe de la vache enragée pour réussir… Ensuite, ce qui me bluffe, c’est qu’il a à la fois été le visage et le symbole de la Nouvelle vague tout en étant assez vite « populaire ». J’avoue que ça me parle à titre personnel, ayant constamment oscillé dans ma « carrière » entre des séries mainstream et des romans graphiques plus pointus…
Le dialogue entre Belmondo père et fils qui confère toute sa charge émotionnelle à l’album s’est-il d’emblée imposé ? Comment est née la brillante idée de cet angle d’attaque qui explique le choix de la période balayée par cette biographie ?
Faire un biopic sur un personnage aussi connu, je vois ça comme un challenge et presque un exercice de style : comment faire pour être « original », sortir d’une chronologie plan-plan et enchaîner les dates et les anecdotes célèbres comme dans un catalogue ? Il faut donc rompre la linéarité, première règle essentielle pour moi, inventer une situation inattendue ensuite et, cela va de soi, mettre en scène le personnage d’une manière à offrir de lui « un certain regard », pour reprendre une expression célèbre dans le cinéma.
C’est vraiment criant dans le
Dewaere, avec par exemple un épilogue en forme de dialogue onirique et hors du temps entre Depardieu et lui. Pour
Belmondo, j’ai donc tenté de trouver déjà une idée de base, qui déclencherait tout. Et je l’ai eue en visitant le musée Paul-Belmondo à Boulogne Billancourt. Paul Belmondo, on le sait, était un sculpteur important ; au milieu de toutes ses œuvres, on voit soudain un buste de Jean-Paul, alors qu’il n’a que quatre ou cinq ans. (Apparemment, il y en aurait trois en tout, et si j’ai bien compris les deux autres têtes en bronze sont chez la famille, peut-être chez le frère ou la sœur de Jean-Paul, je ne sais plus). L’important, c’est que je me suis instantanément demandé s’il n’existait pas de buste de Jean-Paul adulte.
Dans un premier temps, je me disais que ça ferait une belle image que de la reproduire. Mais on m’a bien répondu que non, que cette séance de pose n’avait jamais eu lieu, que jamais Jean-Paul n’avait pu se libérer si tant est que ce projet avait été évoquée, et que donc ce buste n’existait pas. Pour moi, c’est évident que le père aurait voulu graver dans le bronze un fils devenu aussi célèbre !
En tout cas, j’avais alors mon idée de base : inventer un face-à-face, une séance de pose, pour un buste qui aurait pu et sans doute dû exister ! L’occasion donc, pour les deux hommes, de confronter leurs avis, leurs souvenirs, et de passer ainsi en revue la vie et carrière de Jean-Paul. A vrai dire, il y a une deuxième idée qui a jailli ensuite, qui était le choix de la date pour cette pose imaginaire. Je n’en dis pas plus pour laisser la surprise finale aux lecteurs qui ne connaîtraient pas encore l’album… (sourires). Le sous-titre du livre, en tout cas, « peut-être que je rêve debout » est une phrase que Bébel prononce dans un de ses monologues de Pierrot le Fou.
Comment ta route a-t-elle croisée celle de Jean-Michel Ponzio qui en signe les dessins dans un style réaliste particulièrement bluffant ?
C’est Jean-Michel Ponzio qui a véritablement allumé la première mèche en fait ! Dans le milieu de la BD, il est un auteur connu, ayant déjà pas mal d’albums à son actif et évidemment très reconnaissable avec son style ultra-réaliste. Mais il l’a utilisé uniquement dans des séries de science-fiction… jusqu’à ce qu’il soumette à Glénat, qui avait donc lancé ces dernières années la collection 9 ½, des dessins qu’il avait réalisés de Belmondo, qu’il apprécie tout particulièrement. Et là, tout le monde a bien été obligé de se dire que c’était quand même superbe, et qu’on voyait littéralement l’acteur se mouvoir et parler devant nous ! Bref, on m’a fait l’honneur de me demander si cela pouvait m’intéresser de tenter l’aventure. Les planètes se sont alignées très rapidement…
Quelles furent tes principales sources documentaires pour fournir la matière à ce récit poignant ? Si tu devais conseiller un documentaire ou un ouvrage à un lecteur désireux d’en apprendre plus sur ce grand acteur, quel serait-il ?
N’importe quel projet BD à base de réel nécessite bien sûr une grande documentation et je n’y ai pas échappé. Je crois avoir lu à peu près tout ce qui avait pu être écrit sur Belmondo, même le livre de son ex-compagne Carlos Sotto Mayor… Il est certain que le livre de Philippe Durant apparaît très complet, je me souviens aussi de celui de Bernard Pascuito. Surtout, son livre de souvenirs,
Mille Vies valent mieux qu’une, est incontournable. Le documentaire télé de Vincent Perrot devait être vu, d’autres aussi dont je ne me souviens plus des références, désolé. Et bien sûr, le re-visionnage des films est indispensable, ça donne toujours des idées. Par exemple, nous avons fait dans la BD une sorte de générique pour ouvrir la première séquence, il est directement inspiré de celui
d’Une Femme est une Femme de Godard…
la chambre d'à bout de Souffle
Sais-tu comment l’ouvrage a été accueilli par la famille et les proches de l’acteur ?
Pour l’instant, pas de réaction officielle ni de notification qui viendrait du milieu du cinéma ou même de la famille… si ce n’est quelqu’un qui a travaillé avec René Chateau à une époque et qui m’a écrit, trouvant que la scène où l’on discute de la fin du Professionnel (il y en avait eu deux de tournées, une ou Belmondo mourait, l’autre où il s’en allait dans son hélico bien vivant) était un peu exagérée et que ni MM. Mnouchkine, Chateau ou même Lautner n’auraient parlé comme ça… Il est certain que, dans ce genre de cas de figure, on refait parler les personnages et il y a une part de « roman » dedans, c’est la loi du genre. Mais il était d’accord pour dire que le fond de la conversation était sans doute bien respecté, oui…
Tout ça pour dire que je connais Paul Belmondo depuis une trentaine d’années, quand il est arrivé en Formule 1 et que je couvrais ce sport pour France 2 à l’époque. J’ai ensuite souvent interviewé Paul lorsqu’il est passé pilote d’endurance et qu’il faisait les 24 Heures du Mans avec sa propre équipe. Ensuite, une fois qu’il est devenu consultant, j’ai même commenté les 24 Heures 2020 en sa compagnie, pour Eurosport et je me souviens que dans les années 2010, on se retrouvait chez Infosport tous les lundis matin suivant un GP pour le débriefer en direct… Je l’ai toujours beaucoup apprécié, il est mesuré, intelligent, comprenant évidemment très bien les choses du sport auto et les analysant avec justesse, et on s’est toujours bien entendu. Je l’ai malgré tout senti un peu sur la réserve quand je lui ai parlé de ce projet éditorial pour la première fois en 2022, au Mans. On s’est revu en 2023, je lui ai montré quelques planches. Je me doute qu’un « étranger » comme moi qui parle soudain de son père, le met en scène et le fait parler, n’est pas forcément quelque chose de facile à appréhender. Il m’avait demandé de le tenir au courant, on lui a envoyé l’album dès qu’il a été fini, on sait qu’il l’a bien reçu mais, comme il est très occupé en ce moment, il n’a peut-être pas eu le temps de me dire ce qu’il en pensait vraiment… En tout cas, je n’avais cessé de lui dire que c’était un album bienveillant, tout à la gloire de son père !
Dans ton album tu parles du rapport de Jean-Paul Belmondo à son métier mais aussi avec les acteurs et réalisateurs avec lesquels il a travaillé… Comment c’est fait le choix de mettre en avant une rencontre plutôt que telle autre ?
Oh, il y a là déjà une raison d’évidence : il a fait trois films avec Godard, trois avec Melville, sept avec Henri Verneuil, c’est déjà une bonne raison pour parler d’eux et des œuvres en question qui sont d’importance ! Surtout que, par exemple, parler de Verneuil permet surtout de parler de Gabin pour Un Singe en Hiver… Quant à Godard, comme il est décédé pendant la réalisation de cet album, ça nous a semblé assez évident qu’il fallait qu’il y ait un chapitre entier consacré à ce duo assez improbable… Dans la série des grands noms, il était évident que Delon allait figurer aussi, Belmondo et lui ayant été les deux plus grands « monstres sacrés » du cinéma français des années 60, sans parler de « l’affaire » Borsalino ! Après, on aperçoit d’autres figures marquantes, comme Pierre Brasseur ou Michel Galabru, les amis Rochefort ou Beaune, les partenaires de tournage comme François Périer ou Jacqueline Bisset…
Même si les femmes qui ont partagé sa vie sont abordées dans l’album, tu y parles assez peu de son rapport aux femmes… Pourquoi ce parti-pris narratif ?
Disons qu’une certaine pudeur était à l’œuvre… On sait que, marié à Renée/Elodie Constant, il est ensuite en couple avec Ursula Andress, puis Laura Antonelli, puis Carlos Sotto Mayor, puis qu’il se remarie avec Nathalie ‘Natty’ Tardivel… mais le livre s’arrête au début des années 80, après la sortie du Professionnel : il était donc inutile d’aller aussi loin dans le temps et nous avons estimé qu’on était plus là pour parler de l’homme public, de l’acteur, de l’homme de cinéma et de théâtre, que d’avoir je ne sais quelle approche « people »…
Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de la réalisation de l’album ? Une fois le scénario écrit, le dessinateur est-il seul maître à bord ou contribues-tu étroitement à l’élaboration des planches ?
Cela fait plus de trente ans que je suis dans la BD et l’usage est la plupart du temps le même : dans un premier temps, le scénariste conçoit une histoire, de fiction ou non, à savoir qu’il la présente à son éditeur et son coauteur de manière très précise, avec déjà l’établissement d’un plan, d’un séquencier. C’est l’étape du synopsis et je l’écris souvent d’une manière assez littéraire, un peu comme une nouvelle, pour que la lecture soit vivante, et surtout déjà visuelle, en précisant des éléments de décor, de météo, d’ambiance, de lieu… Il va donc de soi que le Belmondo en entier était déjà « conceptualisé » avant le premier coup de crayon. Ensuite, je fais le découpage, je décris les cases une par une, planche par planche. C’est littéralement un script et clairement le film existe déjà dans ma tête puisque j’ai en tête tous les plans. Bien sûr, c’est aussi à cette étape que les dialogues sont écrits, ils figureront plus tard dans les bulles. C’est à partir de là que le dessinateur entre en action et qu’il « s’empare » de la mise en image. Il a une grande latitude parce qu’on ne va pas ergoter sur chaque placement de caméra, mais il est évident que quand j’ai écrit « gros plan sur Jean-Paul qui éclate de rire », eh bien j’attends de voir… un gros plan de Jean-Paul en train d’éclater de rire ! Mais la magie de mon métier fait que non seulement je vais bien l’avoir mais qu’en plus, l’image que je vais découvrir sur le papier sera meilleure que celle que j’avais en tête car le talent de tous ces dessinateurs de BD est bien, la plupart du temps, de « magnifier » l’image rêvée préalablement…
Serait-il possible, pour une planche donnée, de visualiser ces différentes étapes, du séquencier à la colorisation ?
Je vais déjà te transmettre à titre d’exemple le découpage d’une planche et je ne vois pas pourquoi Jean-Michel Ponzio ne te montrerai pas les étapes de son travail…
Work in Progress d’une planche
Quel effet cela fait-il de voir son récit s’incarner sous les crayons virtuoses d’un tel dessinateur ?
En l’occurrence, c’est magique, comme je le disais plus haut, car c’est bien beau d’imaginer un album, le voir fini est toujours plus fort. Et dans le cas d’un dessin aussi vivant que celui de Jean-Michel, je crois qu’on a vraiment l’impression d’avoir Bébel face à nous et presque l’entendre parler. J’espère avoir réussi à bien le « faire parler », je me souviens en tout cas que pour le
Patrick Dewaere j’avais fait un très gros travail d’écriture sur sa façon de parler et que ça fonctionnait pas mal…
Quels films conseillerais-tu à un jeune lecteur désireux de découvrir les talents d’acteur de Jean-Paul Belmondo ?
Ah, je suis content d’entendre cette question, même si j’attendais plus que tu me demandes quels étaient mes films préférés avec Belmondo !
Comme je te le disais, j’ai revu la plupart de ses films et c’est donc l’occasion pour moi de revenir sur ces œuvres et te dire ce que j’en pense maintenant…
Je dois tout de même avouer qu’on s’est arrêté aux années 80, avec le choix de considérer
Itinéraire d’un Enfant gâté comme le dernier « grand » film de Jean-Paul. Le premier tiers est poussif, mais ensuite il trouve sa vitesse de croisière et il y a vraiment de superbes images d’Afrique et une réelle émotion dans les scènes avec sa fille…
Il y a malgré tout des films que je n’ai pas réussi à voir, malgré tous mes efforts : achats, téléchargements, locations, rediffusions, je n’ai pas vu, par exemple,
Un nommé La Rocca (Jean Becker, 1961),
Par un beau matin d’été (Jacques Deray, 1965),
Ho ! (Robert Enrico, 1968), ou
Docteur Popaul (Claude Chabrol, 1972).
J’avoue que je n’avais jamais vu encore quatre Verneuil :
Un Singe en Hiver,
Cent Mille Dollars au Soleil,
Week-end à Zuydcoote et
Le Casse. Le premier est aussi magnifique que je l’attendais, le second excellent, le troisième assez impressionnant par les moyens mis en œuvre, le dernier a hélas beaucoup vieilli. J’ai vraiment revu avec grand plaisir les films de la « Nouvelle vague »,
A bout de souffle bien sûr,
Une Femme est une Femme,
Moderato Cantabile,
Pierrot le Fou et
Léon Morin prêtre – j’en propose même dans notre album une « suite » !
Dans les années 70,
Le Magnifique est assez mythique, et j’ai redécouvert avec plaisir
L’incorrigible de Philippe de Broca, avec un extraordinaire Julien Guiomar qui pétarade dans tous les sens…
Stavisky a de la gueule aussi.
Il y a eu, je l’avoue, des déceptions : les deux Labro,
L’Héritier et
L’Alpagueur, sont vraiment plus que décevants,
Le Cerveau ne fait plus rire, et j’ai hélas trouvé
La Sirène du Mississipi bien terne… Quant à
Borsalino, c’est vraiment pas
Il était une fois en Amérique…
Mais j’ai refait de superbes découvertes et voilà pourquoi je conseillerais les films suivants à un jeune lecteur : côté « classiques »,
A bout de souffle,
L‘Homme de Rio,
Peur sur la Ville. Coté « découvertes », mon choix plus personnel :
Le Voleur (Louis Malle, 1967, Belmondo y est d’une sobriété impressionnante),
Un homme qui me plait (Claude Lelouch, 1969, magnifiquement réalisé et à la fin très forte),
Le Corps de mon ennemi (Henri Verneuil, 1976, très acide sur les mœurs d’une ville de province).
le théâtre du Conservatoire
On sent dans votre histoire la passion que tu as pour Belmondo en particulier et pour le cinéma en général… As-tu déjà comme projet de raconter la vie d’un autre acteur marquant de son temps ? On songe bien évidemment à Alain Delon qui vient de nous quitter et qui a tout d’un personnage de roman…
Delon figurant déjà dans l’album, il va de soi que je me tiens prêt « au cas où » à enchainer avec Jean-Michel sur cette autre figure majeure… Pour l’instant, je me documente, je revois ses films, j’attends doucement d’avoir une idée pour proposer là encore un biopic original et surprenant – et j’attends le coup de fil de mon éditeur ! (sourires)
Aurais-tu une anecdote à nous raconter relative la création de cet album ?
Jean-Michel Ponzio travaille majoritairement d’après photo, il fait parfois poser des amis à lui pour des séances photos qui l’aideront ensuite à bien « camper » le personnage. Je peux révéler que j’apparais bien dans notre Belmondo, sous les traits de l’abbé Graziani, que le jeune Jean-Paul a connu du côté de Clairefontaine durant la 2nde Guerre Mondiale… (sourires)
Avec quel dessinateur rêverais-tu de travailler ?
Ils sont nombreux, forcément, et la plupart le savent : Marc-Antoine Mathieu, Miles Hyman, Philippe Xavier, Corentin Rouge, Jean-Denis Pendanx, Charlie Adlard, Christophe Blain, quel pied ce serait ! Mais je ne peux pas me plaindre d’avoir été associé ces dernières années à d’autres fabuleux artistes comme Jean Dytar, Denis Rodier, Philippe Aymond, Christian Rossi, Christian Durieux, Jeanne Puchol, Maran Hrachyan…
Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
Puisque tu m’y invites, je me permets de signaler que, depuis le Belmondo, j’ai sorti un autre roman graphique dont je suis très fier : ça s’appelle
L’Eternité béante (chez Futuropolis et Les Liens qui libèrent) et j’y suis associé, pour l’écriture, au scientifique philosophe Etienne Klein (dessins de Christian Durieux). L’idée est d’imaginer qu’Albert Einstein soit de retour parmi nous dans une sorte de nouvelle dimension et qu’Etienne lui montre donc le monde tel qu’il est aujourd’hui et tel qu’il est devenu depuis 1955, date de la mort d’Einstein. Je crois honnêtement que le livre est passionnant…
Pour 2025, j’ai quelques sorties intéressantes en ce qui me concerne : un roman graphique sur la drôle de relation entre le magnat Leland Stanford et le photographe Eadweard Muybridge, une histoire de l’automobile en BD et aussi un grand récit sur l’accident de la navette Challenger au décollage en 1986…
Je suis en train de le lire Pour l’éternité Béante et c’est effectivement passionnant !
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Disons que sur l’année 2024, j’ai flashé sur Horizon de Kevin Costner au cinéma, sur la série TV From, sur la BD Retour à Lemberg (Sands-Camus-Picaud, Delcourt) et sur l’album Nonetheless des Pet Shop Boys côté musique…
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Quel serait mon rêve secret en tant que scénariste ? Participer à l’écriture collégiale d’une série télé, ça j’avoue que ça me tenterait bien… (sourires)
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Diable… (rires)
Si tu étais…
un personnage de BD : Rork
un personnage de roman : Mme Bovary
un personnage incarné par Belmondo : Henri, dans Un Homme qui me plaît
un personnage de cinéma : Le comte Salina interprété par Burt Lancaster dans Le Guépard, la présence la plus charismatique sur écran que je connaisse…
une chanson : Across The Universe (The Beatles)
un instrument de musique : un vibraphone
un jeu de société : le scrabble
une découverte scientifique : la preuve de la vie extraterrestre, quand elle viendra…
une recette culinaire : le poulet tikka avec un naan au fromage
une pâtisserie : un éclair au chocolat
une ville : Sydney
une qualité : la curiosité
un défaut : l’impatience
un monument : l’Opéra de Sydney
une boisson : le Pocari Sweat (boisson japonaise, idéale pour la réhydratation en cas de forte chaleur !)
un proverbe : Ne jamais remettre au lendemain ce qu’on peut faire maintenant
Un dernier mot pour la postérité ?
Mon film préféré reste encore
2001 l’Odyssée de l’Espace…
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
De rien, c’était un plaisir…