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Entretien avec Augustin Lebon
Interview accordé aux SdI en octobre 2024


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien...

Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence
mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon
clavier...

Non.

Merci à toi…

Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

Originaire de Roubaix, dans le Nord de la France, mais j'habite en Belgique depuis 18 ans (ce qui donne un mélange d'accent ch'ti et belge, bonjour l'angoisse).

Auteur de BD depuis une dizaine d'année. Globalement, j'aime bien être dans mon atelier pour raconter des trucs. Sinon, j'aime bien voir l'horizon, et qu'on me foute la paix.


Western Love, WIP du tome 2 © Augustin LebonEnfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupé une place de choix ?
L'imaginaire, oui. La BD, pas forcément. Elle était là au milieu des jouets et de la télé, mais je ne passais pas mes journées à lire. À choisir, je préférais plutôt faire du sport (c'est toujours le cas aujourd'hui d'ailleurs).

Il y avait les grands classiques à la maison : Lucky Luke, Astérix, Gaston, Tintin...et je lisais Blueberry, Soda et Les Tuniques Bleues chez mon voisin. La vraie claque a été la découverte de Durango, de Yves Swolfs.

Mais malgré tout, je n'étais pas un grand lecteur. Encore aujourd'hui, les bouquins avec beaucoup de pages, c'est compliqué. J'ai une nette préférence pour le format classique de 46/54 pages.
Sinon, j'ai tendance à être impatient. Je saute des passages, j'arrête les livres après quelques pages...c'est encore pire avec les romans. Un désastre smiley

Par contre, quand j'aime une BD, je la relis beaucoup. Je la feuillette régulièrement pour observer le dessin et comprendre ce qui m'a plu. Le dessin a une grande importance pour moi, j'ai plus de mal avec les dessins uniquement narratifs.

Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse ?
Non. C'est plutôt à l'adolescence que ça s'est imposée. Au collège, on ne pouvait plus jouer au foot à la récré, et à la maison, je devenais vieux pour les playmobil, j'ai commencé à m'ennuyer et le dessin a été une porte de sortie. Un moyen de m'évader.

C'est à ce moment-là que j'ai découvert Durango, et à force de dessiner tout le temps, je me suis dit que ça serait un chouette métier.

Western Love, WIP du tome 2 © Augustin LebonQuelles sont selon vous les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Vaste question !

En tant que scénariste, ma plus grande joie, c'est quand j'imagine une nouvelle histoire. La première phase, tout au début, car tout est encore possible. J'en discute beaucoup avec Louise Joor, mon épouse. Les idées s'additionnent, puis s'emboîtent peu à peu, c'est un processus que j'adore. Ensuite vient la phase plus laborieuse où il faut tout noter, repérer les faiblesses et répondre à beaucoup de questions, mais le démarrage est très enthousiasmant !

En tant que dessinateur, c'est plus rare car je suis un besogneux. J'aime voir le résultat final, mais j'ai du mal à prendre du plaisir en crayonnant mes planches. Il y a toutefois des petits moments, à l'encrage, où je me sens bien. Une sorte d'état méditatif très calme où je me sens heureux de faire glisser mon pinceau sur la feuille (souvent le soir, en écoutant de la musique triste !). Je suis quelqu'un de très nerveux, et ces moments-là sont peut-être les seuls où je suis apaisé. Cela arrive peut-être cinq ou six fois par an, pas plus !

La plus grande difficulté du métier, c'est évidemment l'endurance. Faire une BD, c'est long et faire carrière dans la BD, ça demande une sacrée ténacité. Quand j'ai démarré, j'étais plein d'espoir et je courrais après le nouveau succès en BD. Après 12 ans dans le métier, il faut accepter qu'il ne viendra peut-être jamais, et pourtant continuer à faire son travail avec la même rigueur et le même enthousiasme.

Être payé si peu, tout en gardant son seuil d'exigence et de qualité, c'est très compliqué. Parfois, j'ai l'impression d'être mon propre ennemi. J'aimerais bâcler mes pages pour avoir moins de pression financière au quotidien, mais j'en suis incapable !


Western Love, dédicace © Augustin LebonD’où vous vient cet amour pour le Western ?
Probablement des playmobil (j'ai deux frères plus âgés qui avait déjà une belle collection de playmo westerns. C'était la mode de l'époque !). Sans doute un peu de Lucky Luke aussi, et beaucoup de Sergio Leone.

Dans les thématiques abordées aussi ; les grands espaces, l'injustice, la solitude...tout ça me parlait beaucoup enfant/ado.

Quel film de western conseillerais-tu à quelqu’un désireux de découvrir le genre ?
Le bon, la brute et le truand, Et pour quelques dollars de plus..., Impitoyable, Danse avec les loups...En plus moderne, j'ai beaucoup aimé le dernier remake de 3H10 pour Yuma également. Il y en a plein !

Comment est né Western Love, une histoire d’amour dans un monde âpre et violent ?
Après ma série Le Révérend (avec Lylian au scénario, aux éditions Paquet), je voulais refaire un western, mais différent. Pas un truc viril avec une morale idiote du genre « l'humanité, elle est trop nulle ». J'ai exploré pas mal de fausses pistes, j'avais tendance à beaucoup intellectualisé mes idées de scénario, et puis un beau jour, j'ai juste eu envie de dessiner une planche pour le plaisir. Et c'est plus ou moins la planche 1 de Western Love qui est sortie de mon crayon.

Tout est déjà dit dans cette planche. Le coup de foudre, les deux mondes qui séparent mes héros, leur rapport à l'argent...c'est de là que le scénario est parti. Je l'ai raconté et dessiné pendant le covid, avec un enfant de quelques mois à la maison. Une période parfaite pour travailler sur une histoire légère, avec des persos attachants et du plaisir au dessin.


Western Love, WIP du tome 2 © Augustin LebonComment as-tu abordé l’apparence de nos deux tourtereaux ? Sont-ils passés par différents stades avant de revêtir celle que l’on connaît ?
Sur cette fameuse planche réalisée pour le plaisir, ils étaient très proches du résultat final. Un peu plus âgés, mais l'idée était là. J'avais repris les bases d'un projet avorté. C'était un couple, lui blond et crado, elle rousse et cuisinière. Mais ce projet-là n'était pas centré sur l'histoire d'amour.


Lequel as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
Je me suis beaucoup amusé à dessiner Gentil le plus « sexy » possible, malgré ses vêtements dégueulasses. Et J'adore les cheveux de Molly. Mais les persos secondaires me plaisent aussi, Mélisse, Teresa, le Marshall, la veuve du tome 2...c'est la diversité qui m'amuse. Je serais bien incapable de dessiner du Gaston avec toujours les mêmes personnages dans les mêmes décors. J'aime varier, sinon je m'ennuie !

Concrètement, comment s’est organisé ton travail sur l’album ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de la réalisation de l’album ?
Je commence par beaucoup réfléchir au scénario, sans aucune prise de note. Les bonnes idées me restent en mémoires, les mauvaises disparaissent. Puis peu à peu, je prends des notes, des morceaux d'idées, de dialogues...Et enfin, je me lance dans l'écriture du scénario, à la main dans un bête cahier d'écolier. Je questionne, rature, découpe des passages, les recolle ailleurs, gribouille dans les marges, c'est un vrai chantier.

Une fois que je suis satisfait et que l'histoire me semble tenir la route, je réécris au propre sur l'ordinateur. J'écris les dialogues définitifs, je retaille certaines scènes et je réalise le découpage planche par planche, case par case, comme si j'étais uniquement le scénariste.

Ensuite, je réalise le découpage (ou storyboard) de l'album complet. Je le fais relire à mon éditeur et à quelques collègues, et une fois terminé, validé, bétonné, je peux m'attaquer au dessin.
Crayonné, encrage, couleur.
Western Love, work in progress © Augustin Lebon
Quels outils utilises-tu ?
Un bic et un clavier pour écrire. Un crayon H pour dessiner. Des plumes, des pinceaux, des feutres, du posca, de la gouache pour le noir et blanc. Photoshop pour la couleur.


Dans quelle ambiance sonore travailles-tu généralement ? Musique de circonstance ? Silence monacal ? radio ? podcast ?
Silence ou bande originale de film sans parole pour écrire mon scénario et réaliser mon découpage. Les deux étapes qui demandent le plus de concentration. Pour le crayonné et la couleur, j'écoute des podcasts, parfois du cyclisme, des chansons à texte, j'ai souvent besoin de me distraire les oreilles pour ne pas décrocher de mes planches. Pour l'encrage, c'est assez souple aussi, ça dépend de la case. Il vaut mieux une musique en accord avec ce que j'encre.

Lorsque tu travailles à l’écriture d’un nouveau scénario, sais-tu déjà si tu vas le mettre toi-même en image ?
Oui. Si j'écris pour d'autres, c'est précisément parce que je ne me vois pas le mettre en image. Et souvent parce que j'aime le dessin de l'artiste à qui je propose. Je n'aurais pas pu dessiner Le Grand Migrateur, par exemple. Je suis plutôt mauvais en dinosaure, contrairement à Louise ! : )

Comment as-tu abordé la couverture de ce second tome ? D’autres esquissent ont-elles existé avance que celle-ci ne s’impose ?
Oui. C'est toujours une recherche particulière. Il faut la bonne image, qui donne envie d'ouvrir le livre, sans s'éloigner trop de ce qu'il y a à l'intérieur.

Quand j'ai eu l'idée de l'arbre brisée au-dessus d'eux, j'ai senti que j'avais trouvé ce que je cherchais !
Couverture : work in progress

D'abord, je commence par quelques recherches en vrac. Je pousse un peu le dessin pour essayer de sentir le potentiel de l'image (ou non). Et je montre rapidement à mes collègues de l'Atelier Virevoltant, souvent de bons conseils.

Western Love, recherche de couverture © Augustin Lebon Western Love, recherche de couverture © Augustin Lebon Western Love, recherche de couverture © Augustin Lebon

Suite aux conseils, je réalise de nouvelles recherches, que je sens déjà mieux. À ce stade, le croquis de ce qui deviendra la couverture finale devient une évidence. J'envoie ces nouvelles recherches à mon éditeur et consulte à nouveaux mes collègues (qui sont inépuisables, merci à eux).

Western Love, recherche de couverture © Augustin Lebon Western Love, recherche de couverture © Augustin Lebon Western Love, recherche de couverture © Augustin Lebon

Tout le monde confirme mon choix. MAIS, comme je suis perfectionniste, je préfère pousser le croquis en couleur pour être sûr que je vais dans la bonne direction, et avoir une idée aussi précise que possible de l'aspect final du livre.
Western Love, couverture du tome 5, work in progress, étape 7 © Augustin Lebon

On valide donc avec mon éditeur (qui lui aussi, est inépuisable, merci à lui), et j'attaque le crayonné définitif. J'ai eu la bonne idée de me garder ce dessin de couverture pour après les vacances de Noël, j'étais donc en pleine forme et bien content de retrouver mon crayon (Mars Lumograph STAEDLER H) et ma feuille (Canson XLsmooth multitechniques liquides).

Western Love, couverture du tome 2, work in progress© Augustin Lebon

Le crayonné est fait, les copains me font encore quelques remarques pour corriger quelques détails, et ENFIN, vient mon petit moment favori de tout dessin : l'encrage.

Aucune règle pour commencer, je prends mon pinceau, et j'attaque par ce qui me fait le plus envie. En l'occurrence, ce tronc d'arbre déchiqueté (la star de cette couv, avouons-le).

Western Love, couverture du tome 2, work in progress, étape 2 © Augustin Lebon

Puis je continue en me régalant (bah oui, c'est un chouette métier, je m'amuse).

Western Love, couverture du tome 2, work in progress, étape 3 © Augustin Lebon Western Love, couverture du tome 2, work in progress, étape 4 © Augustin Lebon

Ça avance ! Me reste l'arrière-plan. Jamais simple sur les couvertures, les arrière-plans. Il faut qu'il soit là sans être là. Qu'il accompagne le dessin, donne de la profondeur, sans parasiter le titre et sans détourner le regard des personnages.
Quelques temps avant, j'avais vu une vidéo de William Vance où il se servait d'une éponge pour effacer son trait d'arrière-plan, donnant un bel effet de brouillard à son dessin (les ambiances de décors de Vance, c'pas de la merde, si vous me permettez).
Je décide donc de tester cette technique pour mon arrière-plan, et c'est tellement chouette que j'en fous partout ensuite. Ça ajoute de la crasse, des accidents, bref, ça rend l'image plus vivante et ça me plait. Vive les éponges.
Western Love, couverture du tome 5, work in progress, étape 5 © Augustin Lebon

Là, l'encrage est fini (snif), faut scanner (1200dpi bitmap, merci). Et on obtient une image toute propre.
Western Love, couverture du tome 5, work in progress, étape 6 © Augustin Lebon

J'enchaîne sur la couleur. D'abord des aplats pour trouver l'ambiance générale (comme je l'avais déjà fait sur le croquis plus tôt, ça va assez vite). J'ajoute quelques lumières, des flocons de neige et c'est fini.

MAIS, je trouve encore l'image trop propre. Ça pourrait être plus vivant, plus dynamique, je rajoute donc des éclaboussures de neige partout comme un gros cochon, et là, enfin, je suis content.

J'envoie l'image chez Soleil pour qu'il place le lettrage de titre que j'avais réalisé pour le tome 1. On chipote un peu. Puis pouf, ça fait une couverture.

Western Love, couverture du tome 5, work in progress, étape 8 © Augustin Lebon

Comme dirait mon fils : 'c'était tout une aventure'.

Ta (magnifique !) couv a déclenché des réactions assez lunaires sur les réseaux où certains dénonçaient, avec une mauvaise foi décomplexée, le wokisme de ton histoire… Comme prend-t-on ce genre de propos au final très « Praudien » ?
Comme de la merde raciste et misogyne.

Nous avons beaucoup apprécié Le grand Migrateur dont tu as signé le scénario et dont ta compagne, Louise Joor, a assuré les somptueux dessins… Avez-vous d’autres projets de cet acabits dans vos cartons ? (dis oui, dis oui !)
Oui ! On travaille depuis un moment sur un récit en 3 tomes. Ça va être génial, mais ce n'est pas pour tout de suite. On va essayer d'accorder nos plannings dans les années à venir !

Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
Pour l'instant, je travaille sur la maquette d'une belle intégrale de ma série Résilience, qui sortira en janvier aux éditions Casterman !

J'ai aussi une belle exposition à venir à la Galerie Passerelle Louise (Bruxelles) organisée par l'association Créabulles.

Et un projet avec un scénariste, mais ça, c'est encore classé « top secret ».
Western Love, WIP du tome 2 © Augustin Lebon
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Pas d'immense coups de coeur, mais quelques bonnes lectures !

En BD, j'ai bien aimé le Thorgal de Rouge et Duval. Le Zorro de Murphy. Les enfants du Solstice de Marianne Alexandre.

Les derniers romans de Sandrine Colette.

Et en série, The Hour (sur Arte). En ce moment, je revois Umbrella Academy sur Netflix, pas parfait, mais pas mal !


Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Sûrement ! Mais on ne le saura jamais !

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

un personnage de BD : J'aurais aimé être Durango, mais je crois que je ressemble plus à Jérôme Bloche !
un personnage de roman : Fitz, de l'Assassin Royal
un animal : Un renard.
une chanson : Et alors ? De Joseph Kamel.
un instrument de musique : Une guitare acoustique.
un jeu de société : Je n'en sais rien, mais pas un truc avec 20 pages de règles !
une découverte scientifique : Un machin pratique qui simplifie la vie.
une recette culinaire : un sandwich
une pâtisserie : Un gâteau cramé à l'extérieur, mais bon à l'intérieur.
une ville : Aucune, mais je veux bien être un terrain vague avec plein de mauvaises herbes.
une qualité : la sensibilité
un défaut : la sensibilité
un monument : un petit tas de pierre sur un chemin de randonné
une boisson : jus de pomme
un proverbe : Il vaut mieux suivre le bon chemin en boitant que le mauvais d'un pas ferme.

Western Love, atelier d'artiste © Augustin Lebon Western Love, atelier d'artiste © Augustin Lebon
Un dernier mot pour la postérité ?
Sapristipopette !

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Avec plaisir !
Western Love, extrait du tome 2 © Augustin Lebon
Le Korrigan