Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…
Partageant mon temps entre la France et la Suède – ou le vouvoiement – n’existe pas, le tutoiement est au contraire une pratique toute naturelle à mes oreilles.
Merci…
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)
Né en Avril 1971 d’une maman Belge et d’un papa Marseillais, je grandis en Provence, passe un bac d’Arts Plastiques, puis une maitrise d’Histoire Politique à Aix en Provence. Je travaille après en librairie spécialisée en bande dessinée, puis dans l’édition et deviens scénariste sur le tard, à partir de 2003. Depuis, et 143 albums plus tard, traduits dans 27 pays et 3 millions d’exemplaires vendus au total, je n’ai toujours pas changé de profession, même si en plus de la Bande Dessinée ce sont ajoutés depuis la série TV et le jeu vidéo dans mes activités. Je fais régulièrement du VTT. J’aime bien rire. Pour le reste, adressez-vous à mes avocats.
143 albums en 21 ans… près de 7 albums par an… c’est vertigineux !
Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupé une place de choix ?
J’ai grandi avec la bande dessinée. Ma famille en Belgique habitait près de Tournai, la ville historique de Casterman et Tintin et j’ai très tôt lu à la fois de la bande dessinée franco-belge et du comics US. Tintin, Astérix, Marvel, DC et puis le manga est arrivé plus tard, dans les années 80 et 90, avec Akira ou des auteurs comme Naoki Urasawa. Sinon, des romans, très tôt aussi, et notamment Jules Vernes et d’auteurs classiques de la littérature, mais aussi des ouvrages historiques.
Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse ?
Non, pas du tout un rêve de gosse. Je suis devenu auteur par accident, au premier sens du terme. En 2001, j’ai dû faire de la rééducation, et c’est comme cela que j’ai commencé à écrire mes premiers scénarios, car je devais aussi trouver de quoi m’occuper. Ca m’a plu, j’ai continué ensuite, et c’est en 2003 que j’ai signé mes premiers contrats avec différents éditeurs et que j’ai quitté mon travail d’alors, pour me consacrer uniquement au scénario. Et cela fait plus de 20 ans que cela dure maintenant.
Un auteur en particulier a-t-il fait naître ta vocation ? Quels sont tes maîtres en la matière ?
j’ai des auteurs qui m’ont marqué oui…Alan Moore, Brian K. Vaughan, Naoki Urasawa, des français comme Jean-Claude Mézières ou Luc Brunschwig, les séries HBO du début des années 2000, « The Wire », « Sopranos », « Six Feet Under »…
Quelles sont selon toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
La liberté de création qu’offre encore la bande dessinée, la possibilité de créer des personnages et des univers dans des genres très différents, les collaborations avec d’autres auteurs et autrices qui ont aussi leurs approches particulières, de même pour les éditeurs, les rencontres avec le lectorat, les libraires, les journalistes. Les grandes difficultés du métier pour moi ne sont pas liées à la création mais à la difficulté d’en vivre et d’avoir des conditions de travail satisfaisantes.
Comment ta route a-t-elle croisé celle de Jean-Charles Poupard qui signe le scénario des Griffes du Gévaudan ? Qu’est-ce- qui t’a séduit dans cette histoire ?
Jean-Charles et moi avions déjà travaillés ensemble sur la série « Le Chant des Runes » et c’est comme cela que nous nous sommes découvert un intérêt commun à cette affaire. La Bête du Gévaudan est pour nous l’équivalent français de Jack l’Eventreur, aussi bien dans l’imaginaire collectif que dans les faits : des victimes tuées dans des conditions atroces, une affaire qui a secoué tout un pays pendant une période donnée et qui reste irrésolue à ce jour.
L’analogie coule effectivement de source…
Que connaissais-tu de cette sordide affaire avant de vous lancer dans la mise en scène de ce récit historique ?
Aussi bien Jean-Charles que moi connaissions l’essentiel des grandes thématiques et des principales théories qui concernaient ces évènements, et c’est ce qui nous a donné envie de nous y plonger et de créer ce récit. Nous avons évidemment (re) lus et (re) vus des ouvrages et des documentaires liés à la Bête du Gévaudan, mais pour la part je n’ai pas découvert d’élément vraiment nouveau par rapport à ce que je connaissais déjà du récit.
Quelles furent vos principales sources iconographiques pour donner vie à vos personnages et composer les décors ? Auriez-vous un ouvrage en particulier à conseiller à un lecteur désireux d’en connaître plus sur cette période historique ?
sur l’ouvrage, non, car beaucoup défendent des théories particulières, souvent intéressantes d’ailleurs. Mais personnellement, aucune ne m’a vraiment totalement convaincu. Je conseille donc d’en lire plusieurs. La seule théorie qui peine à trouver grâce à mes yeux, c’est qu’il s’agirait d’un simple loup.
Et quelle théorie trouve-t-elle le plus de grâce à tes yeux ?
Honnêtement, aucune. Je me demande si la vérité ne se trouve pas à la croisée de plusieurs
théories, et s’il n’y aurait pas au final, plusieurs coupables qui auraient utilisés les premières
attaques dans des buts différents mais non reliés. Mais à vrai dire, rien ne permet d’étayer cela
non plus donc...le mystère reste entier pour ma part.
Qu’avais-tu pensé du Pacte des Loups qui a remis cette étrange affaire
Je l’avais vu au cinéma à sa sortie, donc honnêtement, ça commence à dater. Clairement, il y
avait des aspects très imaginaires qui donnait au film un caractère de fiction pure et qui
historiquement étaient clairement, et assumés comme tels, hors contexte.
Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
C’est impossible pour moi de choisir, il y a trop de personnages importants dans ce récit et cette affaire pour que je puisse en mettre un avant les autres.
Comment avez-vous abordé l’apparence de la Bête dont les descriptions parfois contradictoires ont alimenté l’imaginaire collectif ?
A vrai dire, les descriptions des témoins sont au contraire très similaires durant tout le temps
des attaques, sur près de trois années. Ce sont plutôt les représentations qui en ont été faites
ensuite dans les Gazettes de l’époque qui ont variées. Nous sommes donc partis sur les
descriptions des témoins directs des attaques pour imaginer notre Malbête.
A-t-il été aisé de trouver l’apparence de chacun des protagonistes ? Lequel vous a donné le plus de fil à retordre ?
C’est Jean-Charles qui peut répondre le mieux à cette question même si j’ai l’impression qu’ils
et elles lui sont toutes venues assez naturellement en termes de représentations graphiques.
Comment s’est organisé votre travail à quatre mains sur l’album ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de la création de cet album ?
Nous avons beaucoup discuté et échangé tous les deux, avant et pendant la réalisation de
l’album. Après, j’ai travaillé comme d’habitude, d’abord en proposant un séquencier détaillé où on retrouve la colonne vertébrale du récit et déjà des éléments de dialogues puis un
découpages planche par planche et case par case, avec les textes dialogues. A partir de là
Jean-Charles en a fait son interprétation parfois en proposant sur certaines séquences de
véritables changements, pour des questions de rythme et de narration.
Comment la dimension historique du récit a-t-elle influencé le travail sur l’album ? A-t-il été facile de reconstituer les lieux où se déroulèrent les crimes et restituer l’apparence des bâtiments de l’époque ?
La dimension historique a été essentielle et centrale dans cet album. Que ce soit sur
l’atmosphère, les dimensions sociales, culturelles et politiques, nous avons essayé d’être le plus réalistes possibles, même s’il y a une dimension fictionnelle assumée, pour la résolution. Jean-
Charles s’est rendu plusieurs fois sur les lieux de l’affaire pour effectuer des recherches et des repérages.
La couverture de l’album s’est-elle rapidement imposée ou en a-t-il existé plusieurs versions avant de parvenir à celle que l’on connaît ?
Il y a des discussions, des doutes, mais la couverture de l’album telle que vous la connaissez est arrivée assez tôt dans le processus.
Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
Il y a bien entendu la suite des projets BD en cours, le tome 2 des
Griffes du Gévaudan (Glénat) avec Jean-Charles, le T9 d'
Orbital (Dupuis) avec Serge Pellé, le tome 3 d'
Outlaws (Dupuis) avec Eric Chabbert, le tome 2 des
Exilés de Mosseheim (Dupuis) avec Olivier Truc et Julien Carette, le tome 3 de
Patriarchy (Caurette) avec Anna Saveg, Belen Ortega et Amparo Crespo,
Nephilims T3 (Le Lombard) avec David Dusa, Stéphane Crety et Elvire Decock,
Zaroff T3 (Le Lombard) avec François Miville-Deschênes.
Et puis de nouveaux projets, pour 2025 et 2026,
Primus, avec Stéphane Crety (Dargaud),
Blood Cruise avec Vicente Cifuentes (Dupuis),
Renegades avec Gabriel Germain (Dupuis),
Hybrid avec Marcial Toledano (je ne peux pas nommer l'éditeur encore),
Robot Lord Rising avec Mateo Guerrero et David Dusa (Caurette),
Wonder Woman avec Miki Montllo (DC).
Je travaille aussi sur le développement de l'adaptation de
Warship Jolly Roger avec les studios Proxima, et d'autres projets de jeux-vidéos et de séries TV, notamment avec la société que j'ai co-crée en Suède,
Dark Riviera.
Damned, quel programme ! J’espère que tu trouves encore le temps de dormir parfois
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
En film
Anatomie d'une Chute, en série TV
The Boys, en roman
Tokyo Vice, en musique
Kanonenfieber, en jeu vidéo
The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Que pensez-vous d'Elon Musk ? : C'est un danger pour la démocratie, au même titre que son pathétique acolyte, Donald Trump.
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
un personnage de BD : Wonder Woman
un personnage de roman : Lisbeth Salander
un animal : un poulpe
une chanson : "Shoulder Blades" de Wolfclub
un instrument de musique : ma voix
un jeu de société : Risk
une découverte scientifique : la pénicilline
une recette culinaire : le couscous
une pâtisserie : la tartelette aux framboises
une ville : Tokyo
une qualité : enthousiaste
un défaut : impatient
un monument : une tombe viking
une boisson : l'eau
Un dernier mot pour la postérité ?
L'économie (capitaliste) est devenue une religion mortifère. Oublions nos idoles, l'argent n'existe pas.
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !