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Entretien avec Gaël Séjourné
Interview accordé aux SdI en Février 2025


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…

Pas de problème avec le tutoiement, des problèmes il y en a assez comme ça, inutile d'en rajouter.

Merci à toi smiley

Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

J'ai 58 ans, je suis marié, père de deux grandes filles et grand-père de 3 petits-enfants. Quand j'étais petit je dessinais déjà, comme tous les enfants, mais j'ai continué en grandissant et mes parents m'ont plutôt poussé pour continuer dans ce sens. Mais avec leurs maigres moyens d'ouvrier, je ne suis pas allé plus loin que 2 années de fac d'Arts Plastiques. Ce n'était pas mon truc mais suite à cela et à mes travaux personnels j'ai décroché un boulot de dessinateur salarié aux Codes Rousseau, maison d'édition spécialisée dans le code de la route. Ce qui rassura mes parents smiley

J'y suis toujours 34 ans plus tard, comme infographiste par la force des choses. J'ai gardé l'envie de faire de la BD sur mes temps de loisir et quand j'ai commencé à être publié, j'ai préféré garder cette poire pour la soif. Bien sûr je ne travaille plus à plein temps comme à mes débuts mais à 80 %. Cela me laisse la liberté de choisir les scénarios qui vont occuper mes loisirs et la tranquillité d'esprit de savoir qu'un salaire tombe tous les mois.
Les Fesses à Bardot, recherche © Séjourné
Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient vos livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupé une place de choix ?
Quand j'étais jeune je lisais beaucoup. Ma grand-mère avait une tonne de bouquins. Et elle avait de plus eue la bonne idée de garder dans son grenier les exemplaires de Tintin magazine que lisait mon oncle. Moi qui lisais régulièrement Pif Gadget, j'ai découvert d'autres univers dans Tintin, comme Ricochet, Kid Ordin (j'aimais bien Tibet, qui mettait aussi des caricatures). Ensuite je suis passé à Fluide Glacial.

Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse ? Un auteur en particulier a-t-il fait naître ta vocation ?
J'ai rapidement eu envie de dessiner et notamment de la bande dessinée. Nous ne sortions jamais ou presque et il fallait bien s'occuper le week-end. Et comme je détestais le sport…

En dehors de ces revues, j'ai eu aux anniversaires et à Noël des albums de Tintin, Lucky Luke, Astérix et Gaston Lagaffe. Mes premières histoires étaient plutôt inspirées de Ricochet mais avec Franquin et plus tard Gotlib et ses Rubriques à brac, puis Binet, Maester… Je suis parti dans l'idée de faire de la BD humoristique, voire de la planche à gag. Jusqu'au jour où je suis tombé sur Serge Perrotin qui cherchait un dessinateur réaliste pour son projet Lance Crow Dog. J'ai donc dû apprendre à dessiner…réaliste. Ce qui m'a finalement permis de trouver beaucoup plus d'opportunités.
Les Fesses à Bardot, recherche © Séjourné
Quelles sont selon toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Je pense que la plus grande joie est de pouvoir vivre de ses BD et la plus grande difficulté et justement d'en vivre. C'est bien pour ça que j'ai gardé mon boulot smiley.

Sinon, personnellement je prends toujours du plaisir à démarrer un nouveau projet, en me disant toujours que cette fois je vais faire mieux qu'avant. Puis quand l'album est fini et que je le tiens entre les mains je suis content. Je le feuillète un jour ou deux, puis je surveille un peu l'accueil, les ventes… mais je n'ouvre quasiment plus les albums terminés. Je suis déjà sur le prochain.
Les Fesses à Bardot, recherche de personnage © Séjourné
Comment ta route a-t-elle croisée celle de Philippe Pelaez qui signe le scénario des Fesses à Bardot ? Qu’est-ce qui t’a séduit dans ce scénario ?
Cela faisait quelques années qu'un pote commun me faisait suivre des scénarios de Philippe que je refusais chaque fois pour diverses raisons (l'Ecluse, Quelque chose de froid, l'Enfer pour Aube…). Après avoir fini mon album solo (Marée Blanche) où je commence à revenir vers l'humour, je n'avais pas trop envie de continuer tout seul. Mettant à profit la saison des vœux il y a deux ans j'ai repris contact avec Philippe pour lui dire que ce serait bien qu'un jour on trouve le moyen de bosser ensemble. Il a tout de suite été partant, me demandant si j'avais une idée en tête. C'est là que je lui envoie ce que j'avais commencé à écrire : un répéreur de cinéma cherche le décor du nouveau film de Bardot et Gabin. Il débarque à Trougnac et commence à persuader les villageois. Il s'avère que ce sera un escroc. Comme Philippe est aussi prof de cinéma, il a tout de suite été emballé et a eu une inspiration immédiate. On s'est rapidement entendu sur le ton à donner à l'histoire puis cela a été comme on a l'habitude de dire dans le métier, une "partie de ping pong" pour élaborer l'histoire.

Sais-tu d’où te venais cette idée qui a donné naissance à cet album qui est une véritable déclaration d’amour au septième art ? D’ailleurs quel cinéphile es-tu ?
Si je me rappelais où j’ai trouvé cette idée, j’y retournerais (comme les bons coins à champignons il y a peut-être des bons coins à idées). Plus sérieusement j’avais envie surtout de dessiner une histoire dans les années 50, car j’y trouve là un vrai plaisir graphique. J’aime beaucoup dessiner aussi des scènes de bistrot même si c’est chaque fois un casse-tête pour y faire la mise en scène et placer les bulles de manière fluide. Mes goûts cinématographiques sont assez variés mais j’avoue avoir une préférence pour les films noirs de la grande époque, les films d’Hitchcock et les comédies en noir et blanc avec Gabin, Ventura, Belmondo, Blier, Biraud…Souvent écrites par Audiard. J’aime aussi beaucoup les films de Bacri et Jaoui, dans le genre bien écrit et la plupart des films des frères Coen dans le genre iconoclaste.
Les Fesses à Bardot, recherche de personnage © Séjourné
Comment as-tu créé l’apparence de Conrad Knapp ? S’est-elle rapidement imposée ou est-il passé par différent stade avant de revêtir celle que l’on connaît ?
Comme on était parti sur un roman graphique, je devais trouver un style plus rapide. Je pensais d'ailleurs que l'album serait plus petit et en lavis noir et blanc, ce qui finalement ne sera plus le cas. Donc j'ai cherché des physionomies particulièrement faciles à choper. Et j'avoue m'être inspiré de Pierre Niney pour construire Conrad Knapp. Bien sûr il ne faut pas que ce soit lui car cela parasiterait la lecture si dans une case il serait loupé par exemple smiley

Une fois la structure (par ailleurs jubilatoire !) du scénario établi, comment avez-vous travaillé les si savoureux dialogues de l’album ?
Oserais-je dire que les dialogues sont venus tout seul ? Ce sont pour la plupart des personnages que l’ont connait déjà, qu’on a entendu dans notre jeunesse ou dans des films de l’époque, aussi leurs propos « coulaient de source ». Cela faisait longtemps que j’espérais trouver un collaborateur qui ait la même approche que moi des dialogues à tel point que je ne me souviens plus exactement qui a écrit quoi. Si ce n’est la correction du titre que j’ai ajoutée dans une scène où le petit Philippe » se fait réprimander par sa mère « on ne dit pas les fesses à Bardot, mais de Bardot »

A partir de quels éléments as-tu créé le village de Trougnac et sa formidable galerie d’habitants ?
Quand Philippe a eu la brillante idée de situer Trougnac à côté de Poil, je suis allé chercher sur internet des images de patelins dans la Nièvre. J’ai sélectionné quelques décors, dont l’église qui se trouve en fait à Dornes. Quand j’ai proposé de mettre le cinéma juste à côté de l’église Philippe a tout de suite rebondi en imaginant la querelle des deux frères. Pour ce qui est des habitants, j’ai fait en sorte de varier les physionomies. Souvent je m’inspire de tronches trouvées sur le net ou d’acteurs pour « m’obliger » à faire différent, sinon on a toujours tendance à dessiner les mêmes têtes. Le maire par exemple est issu de Blier, l’arbitre de Rochefort, le boucher est plutôt une référence à Robert Bidochon.
Les Fesses à Bardot, recherche de personnage © Séjourné
Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
En fait ce n’est pas tant un personnage qu’un groupe de personnages. Comme je disais, j’aime mettre en scène plusieurs personnes dans un décor, que ce soit dans un café, autour d’un table de réunion ou dans une salle de bal, je suis content quand enfin j’y parviens sans que « cela sente la sueur » comme on dit, du moins j’espère.

Avec quels outils composes-tu tes planches ? Sur quel format travailles-tu ?
Pour cet album c’est une première, je l’ai dessiné sur tablette graphique. Je dessinais sur papier et table lumineuse sur tous mes précédents ouvrages, des planches réalisées en deux morceaux pour pouvoir les scanner ensuite et rabouter sur photoshop pour y intégrer les bulles et la couleur. Je pensais attendre ma retraite pour investir dans le tout numérique car c’est au boulot que je scanne mes originaux. Ma femme m’a convaincu de ne pas attendre pour au-moins essayer. J’ai donc acheté une X-P Pen 2ème génération, quelques mois avant ce projet de roman graphique et c’est tombé à point nommé. J’ai gagné un temps fou, au point d’avoir fini l’album en mars couleurs comprises alors que je devais sur contrat finir fin octobre.
Les Fesses à Bardot, recherche © Séjourné
Quelle étape de la réalisation d’un album te procures le plus de plaisir ?
Ce que j’aime beaucoup c’est l’étape du story-board. Là encore il y a un côté casse-tête que j’aime bien résoudre. Sur ce projet Philippe écrivait une suite dialoguée, découpée en chapitres. Il fallait retranscrire cela en cases et démarrer chaque chapitre sur une page de droite pour finir sur une de gauche. Donc trouver le moyen de retomber sur ses pattes sans que cela soit trop dense ou trop dilué au milieu. J’essaie en plus d’avoir une dernière case en page de droite pour donner envie de la tourner smiley. Sinon j’aime bien la recherche des nouvelles tronches qui vont m’accompagner durant 10 à 12 mois.
du séquencier à l’encrage
Les Fesses à Bardot, extrait du séquencier © Séjourné / Pelaez Les Fesses à Bardot, à l'église, rough © Séjourné / Pelaez
Les Fesses à Bardot, à l'église, rough, seconde version © Séjourné / PelaezLes Fesses à Bardot, à l'église, encrage © Séjourné / Pelaez

Dans quelle ambiance sonore travailles-tu généralement ? Silence monacal ? Radio ? Musique de circonstance ?
Question musique j’écoute souvent du blues, de la soul, mais bizarrement plus ça va moins je pense à mettre de la musique quand je travaille. Le soir je mate la télé d’un coin de l’œil mais surtout quand je fais de la mise en couleurs.

Aurais-tu une anecdote à nous raconter relative la création de cet album ?
J’étais à la moitié de l’album quand une de mes filles m’a envoyé un lien internet où l’on voyait Thomas VDB raconter un souvenir de jeunesse quand il vivait à Chinon. Celui d’un escroc se faisant passer pour un envoyé de Spielberg dans le but de faire un film sur les templiers et d’utiliser les décors du château de Chinon. Plus tard il essaiera d’arnaquer Périgueux en faisant miroiter l’arrivée de Julia Roberts. Il s’appelle Alain Jollois. Comme quoi la fiction peut être rattrapée par la réalité… ou inversement

Excellent…

Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?

Comme travailler directement sur tablette m’a fait gagner un temps fou, depuis Avril dernier je travaille sur un autre roman graphique avec Pelaez, toujours. Une histoire contemporaine cette fois sur une ZAD un peu… particulière. J’en termine les couleurs en ce moment et cela paraîtra en automne. Le titre « La dernière croiZAD » montre qu’une fois encore il s’agira d’une comédie, avec plein de personnages… Je viens aussi de terminer 3 pages pour un collectif chez Petit à petit, sur l’histoire des Sables d’Olonne (là où j’habite depuis plus de 30 ans), écrite par Serge Perrotin, mon premier scénariste, à qui du coup je ne pouvais dire non.
du séquencier à l’encrage
Les Fesses à Bardot, extrait du séquencier © Séjourné / Pelaez Les Fesses à Bardot, à l'église, rough © Séjourné / Pelaez
Les Fesses à Bardot, à l'église, rough, seconde version © Séjourné / Pelaez Les Fesses à Bardot, à l'église, encrage © Séjourné / Pelaez

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Comme je suis du genre mesuré, la notion de « coup de cœur » m’échappe toujours un peu. Je ne m’emballe pas facilement et n’utilise pas souvent de superlatifs. À bien y réfléchir je dirais quand même les romans de Fabrice Caro édités chez Gallimard (je les ai découverts et lus cet été) et l’album de Melody Gardot « Currency of man » que j’ai longtemps écouté en boucle

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Quand je termine un album je me retourne et je me dis qu’encore une fois je n’ai pas vu le temps passer. Qu’il faudrait que je lève un peu le pied pour profiter de la vie, la vraie. Mais très vite je ne peux me contenter de dessiner « à vide ». Il me faut une histoire, la dynamique d’une narration… et c’est reparti pour un tour. Sauf que le tour dure un an et que je ne suis plus tout jeune. (Débrouille-toi maintenant pour trouver la question à mettre au-dessus smiley
du séquencier à l’encrage
Les Fesses à Bardot, extrait du séquencier © Séjourné / Pelaez Les Fesses à Bardot, à l'église, rough, seconde version © Séjourné / Pelaez
Les Fesses à Bardot, à l'église, rough © Séjourné / Pelaez Les Fesses à Bardot, à l'église, encrage © Séjourné / Pelaez


smiley

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

Les Fesses à Bardot, à l'église, encrage © Séjourné / Pelaez
un personnage de BD : Gaston Lagaffe
un personnage de roman : Tom Sawyer
un animal : Un singe
une chanson : de Brassens
un instrument de musique : Guitare
un jeu de société : le Scrabble
une découverte scientifique : L’ampoule
une recette culinaire : le Riz au lait
une pâtisserie : Tarte aux pommes
une ville : un village plutôt, genre médiéval
une qualité : le sens de l’humour
un défaut : le pessimisme
un monument : Franquin (ou Boucq en monument vivant)
une boisson : le Whisky
un proverbe : « Deux intellectuels assis vont moins loin qu'une brute qui marche ». Michel Audiard


Un dernier mot pour la postérité ?
Je n’ai pas vu le temps passer

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Merci à toi de m’avoir invité à répondre à des questions que je ne me posais pas.
Les Fesses à Bardot, recherche de personnage © Séjourné
Le Korrigan