Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous ?
Belge – Bruxellois – 33 ans – Bac +9 en Psycho – occupations multiples : conseiller municipal, prof en Fac, journaliste, chroniqueur Web, scénariste BD et coordinateur de la communication chez un éditeur de BD – en couple depuis 10 ans – pas (encore) d’enfant.
Comment avez-vous découvert la BD?
J'ai découvert la BD quand j'étais gamin. Quand je suis entré à l'école, ma chère maman m'a dit ‘L'école c'est important. Si tu travailles bien, que tu es bien sage et que tu as de beaux résultats, tu recevras un livre.’ Ma mère a tenu sa promesse, j'ai eu une scolarité exemplaire (avec un bulletin de notes par semaine)... j'ai donc commencé à accumuler les BD; Aujourd'hui, lors du dernier décompte fait il y a 2 ans, j'ai +/- 7.000 albums (hors comics et mangas). On peut donc dire que la BD est une passion enfantine et une pathologie d'adulte
Quels sont vos dessinateurs et scénaristes fétiches?
Aïe je vais me fâcher avec plein de gens
Tant je suis collectionneur d'albums, tant je me soucie guère des Ex-libris, originaux etc. Pourtant j'ai craqué sur des ‘produits dérivés’ ou des ‘originaux’ de David B., Andreas et Thierry Robin. J'en déduis donc que j'aime vraiment leur boulot
Plus sérieusement, la liste des gens dont j'apprécie le travail est assez longue, j'ai toutefois un faible - mais je connais bien les hommes qui se cachent sous la plume, donc ce n'est plus tout à fait objectif - pour la conception du travail de J.D. Morvan, Ph. Buchet, O. Vatine, F. Duval, F.M.F. Froideval, Th. Ségur, J-L. Munuera, G.Josic, et... Toni Fezjula bien sûr
Si vous échouiez sur une île déserte et en ne pouvant sauver que 3 albums de BD… Lesquels emporteriez-vous?
Comme j’ai toujours été gourmand, je prendrai des séries plutôt que des albums :
Tout Rork
Tout 20th Century Boys
L’intégrale de Watchmen
Vous avez cosigné avec Jean David Morvan Le Collectionneur, un HS de Sillage. Comment est née cette aventure ?
Tout est avant tout né d’une rencontre qui a débouché sur une amitié. Il était une fois, à Bruxelles, dans le cadre du BIFFF (Festival du Film Fantastique en VF), un petit Festival parallèle consacré aux livres et intitulé Imaginaire. Dans ce cadre, JDM, PhB et MD se sont rencontrés, ont beaucoup rigolé, ont beaucoup causé S-F, etc. Quelques mois plus tard (genre 2 ou 3 ans quand même), et une belle amitié naissante, les trois protagonistes sont revenus sur leurs délires de l’époque : faire un album art-of – car les fans de Buchet aiment les belles images – commenté qui apporterait un éclairage subjectif sur l’univers de Nävis, tout en dévoilant d’infimes petits détails qui auront une réelle influence sur les tomes ultérieurs (c’était aussi une bonne occasion de mettre à plat un ensemble d’éléments apparus en cours d’albums et qui devaient être ‘officialisés’ dans l’univers). Un petit mot à l’éditeur pour vendre la bête, une négociation contractuelle… et le boulot commençait.
Devenir auteur de BD, était-ce un rêve d'enfant?
Peut-être ? Créer/écrire n'est pas un rêve ; dans mon cas, c'est toujours une activité douloureuse teintée de stress. Le moment de ‘rêves’ est l'échange avec les partenaires de création, mais l'acte en lui-même n'est pas un rêve. Devenir ‘auteur’ - je n'en suis pas encore un, je suis tout au mieux un ‘apprenti scénariste’ - de BD est un peu dans la continuité des choses : activités journalistiques, activités d'auteurs dans la création d'événements, puis de GN, puis de JdR (cf.
Le Grog)... tout cela pousse à croiser ses passions et à tendre vers la création BD.
En y réfléchissant, je me dis qu'auteur de BD c'est plutôt un rêve d'adulte qui veut se libérer de certaines contingences matérielles pour vivre de ses passions. Quand j'étais ‘gamin’ je voulais être chasseur de têtes... je l'ai été pendant 5 ans ; je suis donc en quête d'autres rêves
Quel créateur d’histoire étiez-vous dans votre prime jeunesse ?
Gamin je n’étais pas vraiment un créateur d’histoires… J’étais avant tout attiré par les sciences dites exactes, les cours de Français ou d’Histoire étaient plutôt perçus comme une activité laborieuse ; j’étais assez mauvais en rédaction ou plus exactement j’étais assez bons dans les exercices à thème imposé, mais nul dès qu’il était question d’avoir carte blanche. J’adorais absorber de l’information et comprendre, j’étais moins à l’aise quand il s’agissait de ‘m’extérioriser’ (le syndrome de l’enfant unique, peut-être ?). C’est avec le JdR - en 1982 – que j’ai commencé à me ‘lâcher’ avec mes copains. Je suis de la branche ‘ Cthulhu ’ et, bizarrement, je ne me suis approché de D&D que beaucoup plus tard… Mes premières ‘ créations ’ étaient donc très thriller, polar, angoisse, etc.
De nombreux jeunes auteurs de BD ont tâté du JdR… Est-ce dû au hasard ou est-ce une autre façon d’être raconteur d’histoire ?
Je ne pense pas que ce soit dû au hasard, mais je n’ai pas l’impression non plus que cela doive être monté en épingle : beaucoup de ces jeunes auteurs ont aussi tâté du manga, du comics, du jeu vidéo, du cinéma, des séries TV, de la musique, etc. Il me semble que dans la génération née après 1970, et ayant eu la chance d’avoir un certain niveau d’éducation, rares sont ceux qui n’ont pas de près ou de loin toucher au JdR ; ce n’est donc plus un élément si marginal (sauf si on parle de jouer régulièrement et d’y consacrer le gros de ses loisirs).
Cela dit, je pense que le JdR reste une piste idéale pour qui veut s’amuser à raconter des histoires facilement (c’est moins chers que de monter un film et plus convivial que d’écrire un roman, non ?).
Le JdR a longtemps eu mauvaise presse et reste un loisir assez marginal… Si vous deviez le définir en deux trois phrases, comment vous y prendrez-vous ?
Le JdR est un jeu qui a pour objectif de permettre à des copains de se retrouver autour d’une table et de s’amuser ensemble
Le reste n’est que technique : le jeu propose un cadre de règles qui offre la possibilité aux participants de bâtir ensemble une histoire.
OK… C’est pas terrible… Mais je trouve que toutes les définitions du JdR sont souvent lourdes et bâtardes, car elles tentent de trop en dire et oublie l’essentiel : les dimensions ludique et plaisir.
Élaborer une intrigue pour un scénario de JdR et bâtir une intrigue de bande-dessinée fait-il appel aux mêmes ficelles ?
Oui et non…
Lorsque je bâti une intrigue en tant que MJ pour amuser mes petits camarades de loisir, je n’écris rien (tout au plus quelques pitchs sur un bout de feuille). Par contre, je passe du temps à me documenter, à trouver les plans que j’utiliserai, à classer mes CD en fonction des scènes que j’aie envie de ‘ sonoriser ’, etc.
Lorsque je bâti une intrigue pour un supplément de JdR, là, la démarche est certainement plus proche. D’une part, c’est une création collective : je m’appuie sur des éléments créer par d’autres, je discute avec les co-auteurs du supplément ce qui influence obligatoirement ma production. Même si cette interaction n’est pas identique, elle n’est pourtant pas éloignée de la relation avec un dessinateur (p.ex. ‘ je n’aime pas ce nom de perso car il ne colle pas avec le physique que je vais lui dessiner ’ ou ‘ comme je prends vraiment mon pieds à dessiner les poursuite en bagnoles, tu n’aurais une scène dans le genre ? ’). D’autre part, dans les deux cas je structure mon intrigue scène à scène (d’un côté par nombre de signes à rédiger, de l’autre par nombre de planches) et je me débrouille pour que tout soit cohérent. Là où réside la différence, par contre, c’est dans les intentions. En JdR l’objectif est d’offrir un matériel suffisamment ouvert pour que joueurs et MJ puissent naviguer selon leurs besoins tout en restant dans la ligne directrice ; en BD, par contre, trop de marge de manœuvre ou de non-réponse tue l’intrigue. Dans un cas il faut penser loisir actif (le joueur doit interagir avec l’intrigue), dans l’autre loisir passif (le lecteur doit adhérer à l’intrigue).
Comment est né ce projet de BD dans l'univers de Nephilim?
D'une triple rencontre : Guy Delcourt (qui avait entendu parlé du jeu et qui appréciait ce qu'il avait entendu de l'univers), Fred Weil (alors boss de Multisim et éditeur du jeu, qui apprécie le boulot des Ed. Delcourt) et moi (qui collaborait à l'époque avec les deux sociétés). Guy Delcourt a donc commencé à préparer le projet avec certains scénaristes connus, mais ces derniers se sentaient un peu à l'étroit dans les contraintes imposées par le jeu. Je me suis proposé de les coacher... Au final, Guy Delcourt m'a demandé si j'avais une idée de scénar qui remplissait le cahier des charges : reprendre l'univers mais être accessible au grand public. J'ai proposé un synopsis et un découpage, et de coach, je suis devenu ‘auteur’. Ensuite, il y a eu des tests de dessinateurs... Et les choses ont bien collé avec Toni... La grande aventure a donc commencé.
Nephilim sera le titre de la série, quels seront les titres des deux premiers opus?
Le titre de la série : Nephilim
Le titre du tome 1 : Ianus (le titre du second tome n’est pas encore fixé)
Note :Je déteste l’usage du terme ‘ opus ’ lorsque l’on parle de livre ; ce terme ne devrait être réservé qu’à la musique et j’apprécie que l’on utilise les termes ‘ volume ’, ‘ tome ’, ‘ livre ’, etc.
Désolé m’sieur, je le referais plus… Mais c’est un mot que j’apprécie beaucoup… Et puis la traduction latine donne ouvrage…
Certes, mais le bon usage…
Nephilim est un jeu au background riche et détaillé. N’est ce pas une gageure que d’élaborer un scénario se déroulant dans un univers tellement dense tout en s’efforçant de rester grand public ?
Bien sûr… Réaliser ce genre d’adaptation, c’est faire des choix, et par essence faire naître la frustration chez les ‘ hardcore fans ’. J’ai travaillé en utilisant plusieurs pistes.
(a) Je me suis remis dans la peau de celui que j’étais quand j’ai découvert le jeu en 1992. Je me suis souvenus des premiers scénarios ‘ découvertes ’ que j’ai fait jouer à mes joueurs, et me suis demandé : qu’ont-ils aimé ? qu’ont-ils retenu ? pourquoi ont-ils accroché à l’univers ?
(b) J’ai longuement discuté avec mon éditeur et mon dessinateur. Ils ne connaissaient rien au jeu, pourtant ils ont accroché sur certains éléments. D’autres par contre, leur échappe complètement.
(c)Je me suis enfin demandé comment introduire les notions au fur et à mesure pour qu’un novice puisse faire son apprentissage du monde version Nephilim.
Au final, le scénario est certainement une épure grossière de l’univers (on ne met pas en 46 planches le contenu de +/- 70 suppléments… soit quelques milliers de pages !), mais avec des petites touches de-ci de-là qui rappelleront des choses aux vieux routiers ou les interpelleront.
L’autre difficulté qui naît de l’adaptation d’un JdR est qu’aujourd’hui chaque MJ de Nephilim a son propre univers (et est certainement convaincu – à raison, car il cadre avec ses propres besoins – que c’est le ‘ vrai ’) qui, par essence, sera différent du mien. De même, je ne connais aucune table de Nephilim qui pratique le même jeu (et c’est bien toute la richesse du JdR) : les uns jouent des super-héros gorgés de magie, d’autres des vieux rats de bibliothèque. Dans mon entourage, j’ai certaines tables qui se déroulent comme des mangas (action virevoltante, coups de force surhumains, etc.), et d’autres où le MJ donne en début de séance des bribes de textes en latin ou grec, et les joueurs passent leur soirée à reconstituer les énigmes à l’aide d’encyclopédies et d’ouvrages ésotériques.
Bref, écrire ce genre de scénario est une gageure, et oblige à faire des choix.
L’écriture de ce scénario a-t-il nécessité des recherches documentaires, notamment pour les parties non contemporaines? Quelles sources avez-vous utilisées?
En fait de recherches documentaires, c’est surtout un élément contemporain qui a nécessité le plus de documentations. En effet, une grande partie de l’action se déroule à Bruxelles sur la plus belle Grand Place du Monde (ok… ça fait un peu syndicat d’initiatives) ; mais ceux qui connaissent l’histoire ésotérique de Bruxelles et de sa Grand Place comprendront… Or, Toni n’a jamais mis les pieds en Belgique. De même, les photos ne sont pas assez précises pour mettre en avant des éléments d’architecture ; de plus, certaines pièces de l’Hôtel de ville où se déroule l’action, ne sont pas toujours accessibles au public. Donc, recherche active de doc. (photos, dessins… et même visite avec Webcam et vidéos de mariages princiers et royaux) !
Pour la période historique de ce premier récit, Toni possédait déjà de la doc précise… Ca nous a évité des recherches inutiles.
Quelle est donc cette période historique?
Le grand procès des sorcières de Salem (1692).
Pouvez-vous nous conter en substance les sinistres événements qui se déroulèrent à Salem entre février 1692 et janvier 1693?
En résumé, deux jeunes filles (Elisabeth Parris et Abigail Williams) – probablement jalouses et hystériques – ont l’excellente idée, suite à des troubles de santé inexplicables par les médecins de la joyeuse vile de Salem (Nouvelle Angleterre), d’accuser une jeune Antillaise (Tituba) comme responsable de tous leurs maux. Dans l’Amérique obscurantiste et puritaine (non, non pas celle de G.W.Bush, celle de 1692), il n’en fallut pas plus pour relancer une bonne vieille chasse aux sorcières. Dès lors, à la moindre maladie étrange… une petite accusation pour sorcellerie et le tour était joué. Ce petit jeu malsain a conduit à plus ou moins 200 dénonciations et au moins 30 pendaisons (dont Tituba, Bridget Bishop, Rebecca Nurse, Sarah Good, etc.).
Une intrigue du genre de Nephilim se prêterait fort bien à un making-off style Géométrie Mortelle (le triangle secret) afin de compléter l’intrigue et d’y apporter de nouveaux éléments… Peut-on espérer ce genre de goodies ?
Ce n’est pas prévu pour le moment. L’idée est de planter l’univers de Nephilim en 2 tomes (donc une intrigue fermée en 92 pages, mais qui ouvre des pistes et présentent personnages et contexte) ; si le succès est au rendez-vous – croisons les doigts – j’ai en préparation une intrigue plus complexe exploitant des pistes historiques et symboliques… mais ceci est une autres histoire.
C’est tout le mal qu’on lui souhaite! Mais au vu de la qualité des dessins, il y a fort à parier que la BD sera un succès! Mais d’ailleurs, à partir de combien d’albums vendu considérerez-vous la BD comme un succès?
Si on vend à 10 000 ex. du tome 1, je paye le champagne
, mais, pragmatiquement, dès 4 500 ex. le titre commence à être viable. La notion de succès est autre, par contre, si on vend 15 000 ex. en 15 jours, là ce sera un succès
Comment travaillez-vous avec Tony Fejzula? Du synopsis à la planche finale, comment organisez-vous ensemble votre travail?
Bizarrement… Compte tenu des contraintes de distance (Tony en Espagne, moi en Belgique, notre éditeur à Paris) et de langue (Tony est serbe, je suis belge), j’ai rédigé les 46 planches en une fois. Le tout est passé par les mains d’un traducteur. Depuis, on interagit en ‘ yaourt ’ (mélange de Français, d’Anglais et d’Espagnol) en fonction des besoins de Tony. Il me pose des tas de questions sur des choix graphiques, me fait passer des rough de perso, etc. Une fois que les éléments clés sont posés, il a carte blanche pour s’approprier l’univers graphique de la série. Je lui fais confiance sur ce point, et pour le moment je ne suis pas déçu…
Lorsque la planche est terminée, je veille juste à ce que la cohérence soit respectée. Par exemple, lors d’une séquence forte, il brisait la stase d’un des personnages car graphiquement c’était plus intéressant ; je lui ai demandé de refaire la scène pour que cette stase reste entière
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les extraits sont pour le moins alléchants! … Est-ce la première BD de Tony Fejzula ? Se chargera de la mise en couleur?
Non. Toni a déjà bossé pour Semic dans les Pockets, et il a déjà dessiné un album chez Soleil : Central Zéro (scénario Alex Nikolavitch). Il est très bon en couleurs, mais je pense toutefois que nous travaillerons avec un(e) coloriste (des tests sont en cours), mais sous une supervision ‘ serrée ’ de Toni.
Damned, je me disais aussi! Effectivement, ses mises en couleur sont superbes, voir franchement exceptionnelles! On regrette déjà que ce ne soit pas lui qui se charge de la mise ne couleur!
J’ai bien dit ‘ Je pense toutefois que (…) ’. Toni a fait des essais de couleurs qui sont vraiment bons, mais il y passe tant de temps qu’il prend trop de retard sur les planches. Or, comme dit précédemment, l’intrigue étant structurée en deux tomes il est important qu’une fois que le tome 1 paraît, le 2 avance vite. Devoir attendre 3 ans pour un deuxième tome n’a que très rarement satisfait les lecteurs… même si l’album est superbe.
Où en êtes-vous scénario et du découpage du second tome? Travaillez-vous en parallèle sur d’autres projets?
Pour le tome 2, j’en suis au stade des quelques notes et d’une structure globale. J’attends que Toni soit plus avancé – et qu’on ait l’occasion de discuter de ce qu’il aime ou voudrait voir/dessiner dans le tome 2 – pour découper les planches.
Je travailles, effectivement, sur d’autres projets, mais la plupart sont en phase de ‘ négociation ’, donc rien n’est encore fait… Les convoyeurs attendent !
Serait-il possible d’avoir le découpage que vous avez rédigé sur l’une des planches pré-publiée sur le site Delcourt afin qu’on puisse mieux comprendre comment vous travaillez ?
Voici donc le texte fourni pour la planche 1 (extrait 1 sur le site Delcourt).
(c) 2004 - Éditions Delcourt / Miroslav Dragan - Toni Fejzula
Page 1 –
Au XXIe siècle, les Templiers sont toujours aussi efficaces et obéissants.
Plan d’ensemble –
2003 – Paris – Petite maison de banlieue. Un immeuble de banlieue. Trois BMW noires sont stationnées en double file. Des hommes de main type (costume, cravate et lunettes noires, mais armement ‘ militaire ’) semblent défendre la zone.
[texte contexte : Paris]
Plan rapproché – L’un des sbires parle à dans un micro-oreillette.
Templier – ‘ La zone est sécurisée, Chevalier Spirituel. La cible a eu le temps de fuir. ’
Plan moyen– La pièce principale est un véritable capharnaüm. Des livres, des feuilles volantes, des journaux… recouvrent le sol, le canapé et les rares meubles. Des sbires en noir fouillent. La porte est grande ouverte. Dans l’embrasure, la silhouette d’un homme grand et élancé. Il se déplace avec une canne à pommeau, et est tout de blanc vêtu (à l’exception d’une broche à la boutonnière représentant une croix pattée rouge) et porte une cape. [Le Chevalier Spirituel ? CS]
Plan rapproché – Le CS et l’un de se sbires [Adrien].
CS – ‘ Votre lenteur nous a fait perdre l’ennemi. Trouvez moi rapidement une nouvelle piste. Celui-là, je ne le lâcherai pas. ’
Adrien – ‘ Vous avez entendu le Chevalier Spirituel… Activez-vous les miches. On va s’le faire l’hérétique. ’
Ici Toni insert une case supplémentaire en Plan rapproché ; car il a transformé le plan précédent en plan plus large.
Gros plan – Sur une table de chevet, un Guide du Routard – Belgique repose ouvert sur une coupure de presse.
[Titre et sous-titre de la coupure de presse] –
Polémique à l’Hôtel de Ville ! L’exposition Wenstein doit-elle être annulée ?
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’intrigue de Nephilim ?
Oui… je l’ai écrite… Que voulez-vous savoir ?
Eh bien par exemple quels en seront les principaux protagonistes et à quelles factions se heurterons-t-il? Quel est le noyau de l’intrigue (sans en dévoiler les tenants et les aboutissants bien évidemment)?
Les ennemis : Les Templiers… et des Nephilim
Les protagonistes : DaïFu, Lïoudane et Nathaniel (cf. Livre de base du JdR. Ce choix est volontaire pour, d’une part, montrer la pérennité des archétypes présentés dans le jeu et, d’autre part, nous offrire un fameux clin d’œil).
Le noyau de l’intrigue : la rencontre des héros et la recherche d’un jumeau élémentaire.
Les auteurs de romans inspiré de l’univers de Nephilim (Fabien Clavel, Isabelle et David Collet…) ont particulièrement pris du plaisir à mettre en scène des onirims (ndlr : Nephilim de la Lune, lunatiques et imprévisibles par essence)… Ces Déchus ne semblent pas vous attirer… à moins qu’ils ne se rangent dans la catégorie des ennemis?
Justement. Les autres écrivains ayant fait du boulot de qualité, autant ne pas chercher la comparaison. Plus sérieusement, l’avantage du roman est de pouvoir faire monter l’intrigue en quelques centaines de pages (et dizaine de milliers de signes), dès lors l’Onirim est un personnage très intéressant – voire jouissif pour le créateur (qui doit certainement aussi être un peu Onirim dans l’âme, non ?) – par sa complexité ; de petites touches en petites touches le personnage se structure dans l’esprit du lecteur et son aspect lunatique n’en devient que plus riche. En 46 planches, par contre, on manque malheureusement de place pour donner dans la ‘ subtilité ’ ; dès lors, mieux vaut – à mon avis – jouer avec des archétypes plus ‘ reconnaissables ’ pour poser une base solide. Par la suite, le lecteur ayant déjà une compréhension du mode de fonctionnement de ‘ ce-bon-gros-phénix-bien-bourrin ’, les différentes touches successives permettent de remodeler l’archétype et lui donner d’autres saveurs.
Question indiscrète : le JdR Nephilim et les concepts qu’il développe appartiennent à ses créateurs… Comment s’y prend-on pour écrire dans un univers préexistant au niveau des droits d’auteur ?
On achète à l’éditeur le droit d’exploiter les concepts et l’univers. Tout comme ceux qui veulent faire un dessin animé à partir d’une BD, achètent ce droit d’exploitation (les montants sont, par contre, très différents).
Multisim (boîte qui éditait le JdR Nephilim) n’étant hélas plus, qui détient en ce jour les droits? Les auteurs?
Aucune idée… Des ayants droits, un curateur, un autre éditeur (par contre, compte tenu des contrats en vigueur dans le domaine de la création collective, il est peu probable que les auteurs détiennent les droits d’exploitation) ? Je ne sais pas comment s’est terminé ‘ juridiquement ’ l’épisode Multisim. Je ne m’inquiète que de mon contrat à moi qui nous garantit l’exploitation BD de la licence.
Comment avez-vous bâti l’intrigue de cette bande-dessinée? Avez-vous commencé par en créer les principaux personnage, en détaillant leur passé et leurs motivations avant de les immerger dans une intrigue où est-ce les besoins de l’histoire qui ont généré les personnages? D’un point de vue général, jusqu’où poussez-vous le détail des portraits des personnage principaux ?
Vu que je me suis largement inspiré des archétypes présentés dans le jeu, on peut dire qu’ils sont la source de l’intrigue ; un héros source d’intrigue est un excellent moteur et sera toujours plus convainquant qu’un Deus ex machina.
Sans faire de jeu de mot, dans ce cas j’ai réellement fait une fiche de personnage à la manière du JdR, en me reposant sur les archétypes et en peaufinant quelques détails. Ce n’est donc pas plus (ni moins) détaillé que ce que ferait tout joueur (consciencieux) avant de se lancer dans une partie de Nephilim. C’est aussi une bonne façon de se remettre dans l’ambiance et de relire des bouts de règles de jeu ou de background.
J’ai lu que plusieurs cycles de deux ou trois tomes étaient prévus. Les principaux protagonistes seront-ils les même d’un cycle à l’autre?
Espérons qu’il y ait plusieurs cycles… Deux personnages devraient être les fils conducteurs des diverses intrigues. Ca aide le scénariste quand ses personnages ont vécu dans le passé les mêmes événements
L’ésotérisme, l’occultisme et l’hermétisme semblent à la mode dans la bande dessinée… Du troisième testament en passant par le triangle secret, le Messager et l’ensemble de la collection Loge Noire… D’où vient selon vous cet engouement ?
Je pense qu’il faudrait poser la question à Didier Convard, qui pourra certainement mieux vous répondre que moi. Je pense que sociologiquement, dans une époque en crise, le retour du sacré (ou du caché) est un excellent moteur pour gérer ses doutes et ses frustrations. Ajoutez-y une période marquée par la fascination du complot – il n’y a qu’à voir à combien d’exemplaires se sont vendus les livres qui ‘ prouvaient ’ que le 11 septembre n’était qu’une supercherie, ou l’opinion de nos concitoyens à l’égard des hommes politiques – et il semble évident que tout ce qui touche au ‘ fantasme maçonnique ’ ou à la religion ne peut que titiller les imaginaires des uns et le voyeurisme des autres. D’un point de vue plus ‘ introspectif ’, ce regain d’intérêt pour l’ésotérisme est certainement aussi une bonne manière de tenter de nous libérer du ‘ surmoi judéo-chrétien ’ que nous impose notre société de labeur ; il suffit de compter la quantité de romans dans lesquels on tue le Pape, on prouve que Jésus est un usurpateur, on découvre un texte qui prouve que la Bible n’est que mensonge, etc. C’est bon de jouer avec les ‘ interdits ’, non ?
Êtes-vous vous même un lecteur assidu de BD et de romans? Quel sont vos derniers coups de coeur ?
Je suis un serial-lecteur ; j’essaye de tenir le rythme de 3 BD par jour et 2 romans par semaines. Par contre, je suis un piètre homme de ‘ coups de cœur ’ ; en effet, j’aborde toujours un livre selon son contexte (chronique pour un hebdo généraliste, curiosité, amitié, etc.), ce qui nuit donc à une certaine spontanéité et rencontre rarement la dimension ‘ coup de cœur ’.
Donc, en vrac, quelques ‘ trucs ’ que j’ai lu (ou relu) et qui m’ont procuré un certain plaisir :
L’Ordre du Temple et le reniement du Christ, par Arnaud de la Croix (Ed. du Rocher)
La triologie (Enfer, Paradis, Purgatoire) , par Mike Resnick (Denoël)
Les Chronolithes, par R.C.Wilson (Denoël)
Légendes urbaines, rumeurs d’aujourd’hui, par V. Campion-Vincent & J-B. Renard (Payot)
La série
Hikaru no go , par Obata (Tonkam)
La série
Ayako , par Tezuka (Delcourt) … sans oublier ‘ Les Trois Adolf ’ et ‘ MW ’
Des rivières sur les ponts, par Penevski & Josic (Delcourt)
Panique à New York, par Rochette et Pétillon (Albin Michel)
I.N.R.I. , par Convard & coll. (Glénat)
Nirta Omirli, par Morvan et Bachan (Les Humanoïdes Associés)
Je suis Légion, par Nury & Cassaday (Les Humanoïdes Associés)
… etc. Et plein d’autres encore, mais les titres ne me viennent
Y-a-t-il une question que je n’ai pas posé et à laquelle vous aimeriez néanmoins répondre?
Quelle angoisse avez-vous pour le projet Nephilim ?
Que les lecteurs confondent les médias. Les fans de l’univers de Nephilim seront, par essence, déçus par la BD car ils se trouveront confrontés à, d’une part, un format qui nécessite de condenser l’info et de ‘ grossir ’ les traits, et, d’autre part, un média qui mettra des images sur un univers qui, pour l’instant, n’est que mots et imaginaires.
Au contraire, cette bande dessinée pourra être un formidable outil pour aider les joueurs à pénétrer dans ce monde riche et complexe qu’est devenu Nephilim au fil des suppléments!
C’est vous qui le dites… Croisons les doigts pour que ce soit vrai
N’avez-vous aucune crainte de paraître trop obscur à ceux qui ne connaissent pas l’univers riche et complexe de Nephilim?
Je pense que nombre d’entre eux le liront d’abord comme une histoire de ‘ vampires ’ contemporains. Si, par la suite, ils s’interrogent sur certains éléments : pourquoi Bruxelles ? c’est quoi une stase ? les Nephilim sont-ils partout ? etc. Ils s’amuseront certainement à chercher d’autres références à l’univers, et là je compte sur vous – les fans du jeu et des romans – pour les guider sur la voie de la sapience.
Pour finir et afin de mieux vous connaître, un petit portrait chinois à la sauce Nephilim, évidemment…
Note : C’est la personne qui me connaît le mieux qui répond à ma place… ma compagne.
Si tu étais un phénomène naturel :Une éruption volcanique
Si tu étais un métal :L’or
Si tu étais un animal :Un ours
Si tu étais une couleur :Noir
Si tu étais un être mythologique :Ulysse
Si tu étais un humain célèbre :E.A. Poe
Si tu étais une activité humaine :Le travail
Si tu étais une oeuvre :Un livre de S-F
Si tu étais une arme :Une arbalète
Si tu étais un objet :Un livre
Un grand merci de nous avoir accordé cet entretien!
Merci à vous.