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Entretien avec Jean-Luc Sala
Entretien accordé aux SdI en août 2004


Un grand merci de vous prêter au petit jeu de l'interview...
De rien, Merci à vous !!!

Peux tu en quelques mots nous dire qui tu es? (Age, études, occupations, numéro de carte bleue, etc...)
Mon état civil ?
J’ai 36 ans, marié, deux enfants.
Je suis titulaire (comme on dit) d’un Graduat d’Arts Plastiques en Bande Dessinée avec Grande Distinction… j’y peux rien c’est effectivement le nom de mon diplôme… généralement ça impressionne vachement dans « les dîners en ville ». Mais en fait il s’agit d’étudier des planches de Snoopy pendant 3 ans en Belgique. J’aurais pu mal tourner, j’ai failli faire Archéologie.
Je suis scénariste et dessinateur de petits Miquets. Je travaille actuellement sur les dialogues de Cross Fire 2, dés que j’ai fini je reprends mon travail sur Bakemono, une nouvelle série que je dessine et scénarise, pour Le Lombard.
Quand à mon numéro de carte bleue c’est le 021 … heu ? ahah ! Bien tenté mais mon 6e sens d’homme araignée m’a évité de tomber dans votre piège grossier ! Bon en vrai je ne connais pas mon numéro vu que je suis fâché avec les chiffres. Heureusement que ma femme s’occupe de tout ce qui est bassement matériel !

Comment es-tu tombé dans la bande dessinée ?
Comme beaucoup mon premier contact a été un Tintin (en plus le meilleur c’était « les bijoux »), je dessinais énormément étant petit, je recopiais tout !! Et puis quand j’avais 10 ans, ma famille a déménagée en Iran, on était en plein désert, et mon seul lien avec « l’occident » a été un abonnement à Spirou… Ca a été la révélation !

Quels sont tes auteurs (scénariste ou dessinateur) favoris ?
Oulala, je suis un gros fan de tellement de gens…
Comme ça « à brûle pourpoint » je dirais Campbell, le duo Green/Silvestri (toute une époque), Mignola, Samura, Otomo, Shirow, Vatine et Marini. De plus je suis réellement un gros fan de Pierre-Mony, il est très fort et on n’exploite qu’une parcelle de son talent sur le premier tome de Cross Fire.
Pour les scénaristes j’aurais plutôt tendance a citer des auteurs de romans… Je suis un fan ultime de Tolkien, Moorcock, K. Dick, j’ai eu la grande chance de travailler avec Norman Spinrad. D’un point de vue plus technique, j’admire les recettes narratives de Crichton !
Ma BD favorite reste Calvin & Hobbes !

Avec Norman Spinrad? Fichtre! Sur quoi avez-vous travaillé!
J’ai eu le bonheur de travailler sur une adaptation d’Ubik (avec Johan Robson). Norman Spinrad nous a gentiment briefé sur ce qui était Dickien et sur ce qui ne l’était pas. Cette rencontre a été un grand moment pour moi, il est si humble, il a éludé toute question sur lui… Il voulait parler de son pote K. Dick, s’effacer pour témoigner de son génie. C’est à partir de là que je me suis dit que j’allais me remettre à l’écriture… Merci Norman !!
D’ailleurs un de ces quatre il faudrait que je fasse de la SF, ça devient de plus en plus rare en BD devant la déferlante Fantasy.

Quel est ton bouquin préféré de Moorcock ?
Le chien de guerre et la douleur du monde !

Le Chien de Guerre est sans doute son chef d’œuvre smiley
Content de croiser un « connoisseur » !
C’est sur qu’Elric fait ombrage a cet opuscule. Mais autant il y a quelques trucs qui me chiffonnent chez Elric et consorts, autant j’aime tout dans le Chien de Guerre !!


En 1990 tu remportes avec Reculé le concours européen des jeunes auteurs organisé par Le Lombard. En 1991, tu signes ta première BD, la Légende de Kynan… Pourquoi avoir attendu si longtemps pour en publier une seconde ?
Hé oui !!! Le temps passe bien vite !
Je n’étais pas complètement satisfait de ma première expérience de scénariste. Il faut savoir que nous avons réalisé Kynan en même temps que notre dernière année d’étude aux Beaux-Arts. Donc dans un environnement pas très pro, ni optimal. Au final La Légende a été notre projet de fin d’étude et la cerise sur le gâteau a été sa publication.
D’autre part je sentais qu’au niveau du scénario je fonctionnais au pifomètre. Pendant ces dix années, je me suis formé à la dramaturgie, découvert Joseph Campbell et je me suis plié à une méthode d’écriture américaine.
Du point de vue du dessin, j’ai manqué deux grosses opportunités. Colin Wilson m’avait proposé d’être son encreur et Blanchard et Vatine (mes idoles) m’avaient proposé Carmen Mc Callum. Finalement ni l’un ni l’autre ne se sont fait. Du coup, Olivier (Vatine) m’a rencardé sur un plan boulot pour du story-board et là je suis tombé dans un vortex qui m’a happé pendant 10 ans… Le jeu Vidéo !!
Ceci dit, ces dix ans ont été bénéfiques a tout point de vue, j’ai appris a raconter des histoires, j’ai côtoyé des pointures et j’ai bonifié mon dessin. Donc je me dit que cet « éloignement » m’a évité de faire des albums « de débutant » avec tout ce que cela implique. Mais je savais que j’allais revenir à la BD, ça me démangeait même vachement !!!

Sur quels projets as-tu travaillé dans le jeu vidéo ?
Principalement Dragon Lore, Raven, Ubik. J’ai fait des participations dans Comander Blood, Megarace, Fable… C’était chez Cryo.
J’ai rencontré Pierre-Mony Chan chez Kalisto, il était Character Designer, il y faisait des designs démentiels, nous avons bossé 4 ans ensemble. Mais tous nos efforts ont été confronté a l’incompétence éditoriale de Kalisto. Et pourtant Sidhe et Highlander étaient les plus beaux projets sur lesquels j’avais travaillé. Du coup, réaliser ensemble Cross Fire est une façon pour nous deux de prendre une revanche sur 4 ans de looze passés a faire des jeux qui n’ont jamais vu le jour.

Incompétence éditoriale ?
Pas de polémiques, mais quand même !!! En 4 ans chez Cryo j’ai mis mon nom au générique de 6 jeux dont trois best-sellers. Puis j’ai passé 4 ans chez Kalisto à faire le même boulot sans qu’aucun jeu n’aboutisse. La façon dont Sidhe (un RPG tactique) a été sabordé par l’encadrement de la boite a été un vrai traumatisme pour toute l’équipe. Depuis certains membres de l’équipe on fait parler d’eux : Pierre-Mony Chan « Cross Fire », Alice Picard « Weena », Marc Moreno « Le Régulateur », et les créateurs de Néphilim, pour ne citer qu’eux, mais au total nous avions LA Dream-Team ultime.
Nous en avons gardé une indéfectible amitié forgée dans l’épreuve, les nuits blanches et les effluves de Pizza !

Entre la Légende de Kynan et Cross Fire, 13 ans se sont écoulés… Pendant ce temps, tu as notamment travaillé pour des jeux de rôle devenus culte édité par Oriflam: Elric, Hawkmoon, Runequest… Quels souvenirs gardes-tu de cette expérience?
Je regrette de ne plus faire d’illustrations, c’était un véritable laboratoire d’univers, il fallait jongler entre du cyberpunk, du Arthurien, du Médiéval Japonais. C’était le pied ! Mais mon problème c’est que j’étais un « urgentiste » de l’illustration. Oriflam m’appelait quand ils sentaient que Gassner allait exploser ses délais, j’étais sa doublure cascade. D’ou le coté trash et bâclé de mes dessins de l’époque. Mon plus grand regret est d’avoir disposé de si peu de temps pour ma série de débuts de chapitre d’Elric…
C’est en illustrant « La Voie du Sabre » que j’ai découvert le médiéval japonais, ça m’a tellement plu que mon prochain album « Bakemono » en sera grandement inspiré !

Au fait, joues-tu au JdR ? (si oui, lesquels ?)
Si je joue ??? J’ai découvert D&D quand le grand frère d’un pote qui avait étudié aux US a ramené la première édition en boite. On jouait dans un joyeux Franglais sans bien piger toutes les règles !!! Après j’ai joué à l’Appel, ADD, Méga, Stormbringer … J’ai été maître de jeu sur JRTM, Pendragon. Puis jusqu'à assez récemment j’ai mené des campagnes assez fun d’Indiana Jones. J’avoue qu’en ce moment je n’ai plus le temps de jouer et je suis le premier à le déplorer !
Mais une chose est sure, j’ai testé pas mal de trucs scénaristiques pendant ces parties qui me servent maintenant.

Peux tu nous en dire un peu plus sur le Bocal ?
Le jeu vidéo m’a appris à apprécier de travailler en équipe. De confronter mon travail a celui des autres. Dès qu’on s’y est mis avec Pierre-Mony notre premier réflexe a été de nous trouver un studio pour vraiment bosser ensemble ! Nadine était partante, Serge nous a rejoint plus tard, d’autres se sont manifestés depuis, mais l’espace devient de plus en plus limité.
Le fait de travailler a portée de gifles de Pierre-Mony (alias Le Poulpe) est un des secrets de notre collaboration. (pour attendrir un poulpe il faut le frapper, tous les poissonniers vous le dirons)
Je dirais que l'ambiance y est conviviale et studieuse. Je n'envisage même pas de travailler avec d'autres personnes, ailleurs ou autrement !!!


Comment est né le projet Cross Fire ?
C’est tout con mais je l’avais écrit pour me marrer. En fait j’avais commandé un logiciel d’écriture et je voulais le tester. Alors j’ai commencé à écrire une histoire débile, comme ça, sans conséquences… Et au fur et a mesure je me rendait compte que pour la première fois j’écrivais sans contraintes. Une histoire que personne ne m’avait commandé. Du coup je me suis pris au jeu et j’y ai mis tout ce que j’aime, même si a priori c’était incompatible…
C’est à ce moment que Pierre-Mony m’a demandé si j’avais un scénar sous le coude, l’industrie du jeu vidéo français commençait a sentir le sapin et on se disait qu’il était temps pour nous de faire enfin de la BD… Je lui ai montré Cross Fire et il a fait deux planches Ha-Lu-Ci-Nan-Tes, on les a montré au Boss de Soleil et hop!

Sinon, qu'est ce qu'un logiciel d'écriture???
J'utilise Dramatica... Mais il existe d'autres logiciels comme Final Draft.
Ce sont principalement des outils « Hollywoodiens », c'est pour ça que Dramatica n'existe pas en français et qu'il m'oblige a jongler entre deux langues quand j'écrit.
Dramatica et Writer's Dreamkit s'appuient de plus sur une méthode enseignée aux états-unis.

Tu peux préciser son utilité s'il te plait?
C'est une méthode, elle permet de blinder mon histoire et d’oublier le moins de choses. Ca n'écrit pas l'histoire a ta place... c'est plus de la maïeutique (accoucher d'un travail en posant des questions), une sorte de mentor qui serait par-dessus mon épaule quand j'écris. Ca me permet d'être plus confiant sur la construction de mes histoires et sur le découpage des scènes, le rythme et l'entrelacement des thèmes...
Mais c'est une méthode longue et contraignante, elle me convient, mais je comprends mes collègues qui la refusent en bloc, qui la jugent trop "formatée". La dramaturgie "à la Française" comme celle de Lavandier est aux antipodes de la façon dont je fonctionne. Mais quand je bossais dans les jeux vidéos, je voyais des confrères qui remettaient leur histoire a plat parce qu’un truc ne fonctionnait pas et qu'ils galéraient avec des scènes et des posts-it, ils n'arrivent pas tout de suite a faire un pitch etc... Quand j’ai collaboré avec Johan Robson, j’ai vu qu’il abordait n’importe quel scénario avec un flegme et une rigueur toute anglo-saxonne dont j’était jaloux et dépourvu… alors je m’y suis mis !

Comment avez-vous choisi votre éditeur?
Notre éditeur est content de l’album, il avait bien réagi au moment de la présentation du projet, il réagit encore plus positivement maintenant puisque le premier tirage a été épuisé en moins de deux mois…
… Qui d’autre que Soleil pouvait prendre un tel pari sur deux inconnus ! Des transfuges du jeu vidéo avec des nones, des flingues et une histoire ésotérique ?

Epuisé en deux mois! Wahou! Félicitations!!! Cela dit, c’est amplement mérité ! Quel était le tirage?
8.500 exemplaires je crois, ce qui, pour un premier tome a l’air d’augurer du meilleur pour la série. On est super content, on a envie de faire des bisous a tous ceux qui l’ont acheté !!! Mais soyez sympas, venez pas tous le même jour !!! Quitte a faire plein de bisous, j’espère qu’on a beaucoup de lectrices !!!

Sur ton site, tu classes Cross Fire dans Catholic-Fantasy… Peux-tu définir le genre?
Voilà la réponse que j’ai donné à Soleil à l’époque…
L'appellation "Catholic-Fantasy" serait une invention de Camano (Glénat) afin de décrire le genre qui a porté ses séries "LE 3e TESTAMENT" et "LE TRIANGLE SECRET". Depuis d'autres séries ont vu le jour comme "MAGDALENA" (Top Cow) et "LE SCORPION" (Dargaud).
Ce genre se caractérise par un traitement irrévérencieux du Dogme catholique. Il s’appuie sur une hérésie et part du principe qu'elle est fondée.
S'ajoutent à cette recette des éléments récurrents et populaires comme les hérésies Cathares ou Templières, la notion de manipulation, de secret et de complot. Certaines séries intègrent des éléments fantastiques comme la magie ou les miracles, d'autres adoptent une approche rationaliste.
Exemples: Un évangile maudit (Le 3e Testament), Jésus avait un frère jumeau (Le Triangle Secret), Jésus a eu une descendance (Magdalena).

Depuis le troisième testament, on dirait que le bon Dieu est à la mode dans le monde de la BD : Le Linceul, le Messager, Le Décalogue, le Gardien de la Lance, Qumran, le Triangle Secret… D’où viens selon toi cet engouement?
D’une part, la moitié de ces titres sont réalisés ou encadrés par Convard dans sa collection Loge Noire, donc c’est surtout à lui qu’il faudrait poser la question. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une « mode », en littérature, ou en essais, ce genre de récits existe depuis longtemps. Et au vu de la définition que j’ai donné du genre, Les Aventuriers de l’Arche Perdue, la Dernière Croisade, le Pendule de Foucault sont déjà des récits dans cette mouvance. Qumran était un roman d’ Eliette Abécassis (que j’adore !!!) avant de devenir une BD.
Donc pour moi rien de nouveau… Par contre je suis ravi de constater que soudain les lecteurs de BD se passionnent pour ces sujets !
Je ne pense pas que tous ces scénaristes ont agi par calcul comme certains sont en train de le dire ça et là. Nous ne bossons pas pendant un an sur un album en nous disant que c’est pour boucher des trous dans des catalogues.
Je lis des essais et des enquêtes sur le sujet depuis 20 ans, c’est une véritable passion, alors quand on me dit que je fait un truc à la mode je rigole doucement ! Il se trouve que toute une génération d’auteurs ont lu L’Enigme Sacrée (a l’époque ce livre avait fait l’effet d’une bombe) et nous avons mis quelques années a mûrir des histoires de complots occultes. Ces histoires étaient systématiquement refusées chez les éditeurs, depuis, grâce à Convard, c’est tapis rouge !
J’ai lu des récits des confrères et (à quelques exceptions) je n’y ai vu que des démarches très sincères et très personnelles avec des questions de fond… Une sorte de grosse crise de Foi !

Mais je dis ça et je pressent que le succès récent de Da Vinci Code (Dan Brown) et son adaptation prochaine au cinéma vont braquer les projecteurs sur ce qui se passe dans notre petit monde de bulles et de papier.

Ce premier tome est une grande réussite sous bien des aspects. Réussite graphique tout d’abord, avec une mise en couleur très réussie et un sens du mouvement d’une efficacité rare… Si les expressions et la gestuelle font immanquablement penser au Manga, on a l’impression que le dessinateur est à la confluence de plusieurs genres et qu’il a crée un style bien particulier qui lui est propre… Personnellement, j’adore smiley
Moi aussi j’adore ! Pierre-Mony de par son parcours, a réussi l’alchimie du Manga, du comics et de la BD franco-Belge. Une sorte de Saint-Graal du dessinateur ! Et le pire c’est que c’est son premier album !

Mais venons en au scénario… Ce genre d’intrigue à la fois ésotérique et religieuse demande sans doute un gros travail de recherche en amont de l’écriture…
C’est vrai, il faudrait que je pèse ma documentation pour pouvoir donner une réponse en kilos. Comparativement à un autre scénario comme Bakemono, cela représente un travail supplémentaire énorme. Mais ceux qui aiment l’ésotérisme y trouveront du grain à moudre et échafauderont des hypothèses. Les autres liront un récit de grande aventure, ce qui n’est déjà pas si mal !

Amateur de jeux de rôle, féru d’ésotérisme… Tu n’as pas essayé de jouer à Nephilim, le jeu de l’occultisme contemporain?
Heu j’ai le droit à un Joker ?? Les auteurs de Nephilim sont des potes… Bon en fait, je ne joue pas à Nephilim car je trouve que c’est trop sérieux, trop intello. Ceci dit je sais que c’est un jeu extraordinaire, mais je considère le jeu de rôle comme une activité « fun » entre potes avec des chips.
Pierre-Mony est actuellement en train de jouer les scénarii des Arthuriades et il adore !

Quelles lectures conseillerais-tu à ceux qui désireraient en connaître un peu plus sur le sujet?
Les auteurs-clé sont remerciés en première page de l’album. Je me suis rendu compte trop tard que j’avais oublié de remercier Keith Laidler.

Comment est née la trame de ce scénario? Quel en a été le point de départ?
Il y a eu une conjonction, pas vraiment un seul point de départ.

Ado, j’ai participé a un chantier de fouilles dans une église à Assise, on devait dégager une fresque du XIIIe et on a trouvé ce qui restait d’un pauvre type emmuré. Aussitôt on nous a refilé des sacs poubelles pour tout faire disparaître. Mon imagination a commencé a se focaliser sur des trucs qui devaient être escamotés pour éviter de faire ressortir des événements peu glorieux du passé.

J’ai mené pendant des années des parties du jeu de rôle Indiana Jones, au fur et à mesure des campagnes je me suis habitué a utiliser des énigmes historiques comme prétexte a des scènes d’actions.

Et puis surtout j’ai commencé a établir une chronologie de tous les évènements qui tournaient autour de la religion, des hérésies, des templiers… Je ne finirais jamais ce travail de compilation, mais ça m’amuse assez. Dans le passé j’aurais pu être moine-copiste !! Partant de là je me suis amusé a relier un maximum de ces événements avec une trame dramatique. Pour créer ce qui se serait réellement passé, une sorte de complot qui franchirait les millénaires. Ce n’est pas une démarche de chercheur… C’est juste une démarche de scénariste. A aucun moment je ne prétends détenir une vérité quelconque. Mais il n’empêche que certains événements s’emboîtent dans le temps avec des coïncidences troublantes.

Pierre père de Judas. D’où vient cette intéressante hypothèse ?
Il y a énormément de Simon dans l’évangile, le plus connu étant Simon Pierre Képhas, autrement dit « St Pierre ». Des chercheurs se sont demandés si Simon « Pierre » n’était pas le même personnage que Simon dit « Le Zélote »…Or, Jean (VI, 71 ; XIII, 2) nous signale très clairement que Judas est le fils de Simon…
Nous savons que lors de l’arrestation de Jésus, Pierre tire son épée pour défendre son maître. Judas est surnommé l’Iscariote autrement dit « celui qui porte l’épée ». Je ne fais que constater que deux des disciples de Jésus portaient une arme. Ce qui rejoint plutôt bien la thématique de Cross Fire.
Si en plus celui qui trahit Jésus est le fils de celui qui fondera l’Eglise on se retrouve face à une situation intéressante.

Bigrement intéressante en effet…

C’est sans doute la raison de l’engouement des lecteurs pour ces série. S’appuyer sur des zones sombres de l’histoire, pour échafauder un tout cohérent, c’était déjà le jeu du Pendule de Foucault d’Umberto Ecco…
Oui ! Si quelqu’un devait revendiquer le genre, ça serait bien Maestro Ecco !
Mais je persiste à penser que Baigent, Leigh et Lincoln, les auteurs de l’Enigme Sacrée, sont ceux qui ont véritablement alimenté toute cette littérature, qu’elle soit fictive ou d’investigations.

J’ai cru comprendre que tu écrivais en musique :Carl Orff et David Arnold… Comment t’apportent-ils leur aide?
J’ai besoin d’être dans un bulle quand j’écris. Alors je me compile des « playlists » de musiques classiques, religieuses et de films. Suivant la scène que j’écrit je me passe les « medieval Babes », « Carmina Burana » ou du « James Bond ». Ecrire une scène d’action avec du David Arnold dans les oreilles…. Ca le fait !
J’écoute ma musique au casque car quand je bosse sur Bakemono, j’ai vite fait de gaver mes voisins avec de la musique traditionnelle japonaise !

Comment sont né Mademoiselle d’Agostino et Angelo Costanza, les deux héros de la série aux relations détonantes?
Deux univers différents coexistent dans cette série avec d’un coté l’espionnage et des scènes d’action spectaculaires et d’un autre coté un fond documenté sur les hérésies ! Si le héros était super calé dans le domaine des hérésies, mais aussi super fort dans les bagarres ça aurait donné un ersatz d’Indy, bof, bof…
Je préfère un couple de héros que tout oppose. Ils personnalisent chacun un de ces aspects avec d’un coté un porte flingue macho/idiot sicilien et d’un autre coté une belle érudite catholique romaine. Pour créer des situations explosives, autant mettre deux détonateurs !

L’intro de l’album fait immanquablement penser aux James Bond, avec un pré générique dans lequel Luigi trouve la mort après une poursuite haletante et au cours de laquelle on pense identifier une sombre organisation, prête à tout… Les lecteurs ont même le droit à un pré pré générique, qui se déroule lui dans un passé lointain… Une influence revendiquée?
Vous oubliez la présence d’un certain Monsignor Kyu et de ses gadgets! et le fait que le tome deux s’appellera « Au service secret de sa sainteté »… Oui, bien sur c’est plus que de la revendication… c’est du militantisme. Ca permet aussi de montrer que malgré le sujet et malgré ce que je raconte dans cet interviou, on ne se prend pas du tout au sérieux ! Alors que dans le triangle secret tout est très réaliste pour accentuer le coté thriller occulte, nous on fait dans l’invraisemblablement outrancier. Le divertissement avant tout !

Le scénario alternent brillamment scènes d’action et scènes de révélations, le tout lié par un humour bon enfant des plus agréables. Cela donne un rythme et une certaine fraîcheur à cet album. Ne craignais-tu pas de trop surprendre le public avec ce mélange de genre (très réussit au demeurant) ?
Notre mot d’ordre c’était de proposer « une collision frontale entre John Woo et Jean-Paul II ». On avait tellement d’autres craintes.
On avait surtout peur que les lecteurs se disent …
- Ca fait trop Manga, comme j’aime pas les Mangas j’en veux pas !
- C’est pas assez Manga je lit que des Mangas !!
- J’ai adoré le Triangle secret, mais Cross Fire ça a l’air nul y’a que de la baston !
- J’aime les BD de baston… Huuu ? c’est quoi ce truc avec des curés ?
- J’aime les histoires qui se finissent… C’est quoi cette fin ???
Donc effectivement on avait le « cul entre deux chaises » au niveau graphique et au niveau de l’histoire. Au final, l’album a l’air de trouver son public et on est soulagés ! On est très content de voir que le ton plaise !

On semble s’éloigner de l’intrigue ésotérique classique avec une incursion dans le domaine du fantastique avec cet énigmatique personnage qui semble traverser le temps. La question de son identité sera-t-elle le fil conducteur de la série ?
Bien vu !
Ce personnage (que pour l’instant nous appelons l’Inquisiteur) n’est pas qu’un fil rouge… Même s’il incarne un des mystères de la série…Mais ne comptez pas sur moi pour vous en dire plus pour l’instant… Et avec le Tome 2, d’autres questions se poseront sur d’autres personnages !

J’ai lu que l’album était originalement prévu en 56 planches… Que s’est-il donc passé?
Rien de dramatique. J’ai annoncé d’emblée que j’était plus à l’aise avec ce format et tout le monde était OK. Puis quand on m’a annoncé en cours d’album que c’était 46 planches… panique à bord !
Je me voyais mal amputer certaines scènes pour finir l’album de façon traditionnelle. Alors je me suis dit que l’on ne finirait pas cette fameuse scène de Jérusalem et que l’album se terminerait sur un « Cliffhanger » (Mot étazunien qui signifie : une action qui se coupe en plein suspense). Là franchement je m’attendais a ce que l’on me jette des pierres dans la rue ! Le truc étonnant c’est que ça ait plu ! Sur les forums internet, les lecteurs trouvent que c’est frustrant, mais au lieu de s’en plaindre, cette fin leur a révélé qu’ils avaient pris goût a l’histoire et qu’il leur fallait vite la suite ! Du coup le début du tome deux reprendra la suite de la scène (après un nouveau pré-générique) et se finira à nouveau en plein suspense.

Comment organises-tu ton travail avec Pierre-Mony?
En ce moment je lui ai filé la trame du tome 2 pour qu’il fasse des études pour de nouveaux personnages, de nouveaux lieux et de nouveaux véhicules. Je lui ai fourni un découpage planche par planche, case par case de tout l’album. Les 20 premières pages sont dialoguées. En parallèle il a commencé la fin de la scène de Jérusalem avec une nouvelle technique de crayonnés, plus belle et plus rapide ! Dès qu’il identifie un problème, on palabre. Il faut dire que je suis champion de France de la mauvaise foi, je contre-argumente à mort ! Et puis dés qu’il a le dos tourné, je corrige (c’est vrai quoi on a sa fierté !). Le fait qu’il soit à coté de moi nous permet d’avoir une super réactivité, c’est comme ça que quelques petits gags supplémentaires sont apparus dans l’album. Je ne fais qu’une chose à la fois, donc en ce moment Bakemono est en stand-by. Dés que j’ai fini les dialogues de Cross Fire 2, je me remets à mes planches.

En combien de tome la série est-elle prévue? Comment procèdes-tu par ailleurs : la trame de la série est-elle déjà posée ou est-elle susceptible d’évoluer?
Vraisemblablement, 4 tomes pour faire le tour de cette histoire. Mais il y a tellement d’hérésies surprenantes que l’on pourrait envisager autre chose. La trame est posée mais elle n’est pas figée.

Serait-il possible d’avoir la naissance d’une planche
Voilà une copie de la « continuité dialoguée »…



Scène 2 - Planche 5 (9) L’Incident d’Oak Island


Case 1-OAK ISLAND-Le Money Pit-int. jour-

Plan général sur Sofia qui a déplié le pavillon noir. Le pavillon est orienté de façon à ce que l'on ne distingue pas tout à fait ce qu'il y a dessus.

Sofia annonce déçue qu'il ne s'agit pas d'une cache templière, mais d'un ancien repaire de pirate.
Elle a déplié le pavillon sombre qui se trouvait au fond du caveau.

Sofia
Il y a une étoffe sous le crâne. Elle pourrait expliquer la disposition des ossements.


Case 2-OAK ISLAND-Le Money Pit-int. jour-

Plan sur le drapeau que Sofia a déplié et qu'elle tient à bout de bras.

Sofia a déplié le drapeau. Il représente le symbole que tous les gamins connaissent: le pavillon noir avec le crâne et les tibias croisés. Un drapeau de pirates...

Sofia
Je me suis emballée trop vite !
Faut oublier le trésor du Temple... C'est un ancien repaire de pirates !


Case 3-OAK ISLAND-Le Money Pit-ext. jour-

Plan sur Luigi qui contemple l'image sur son écran.

Luigi est intrigué, la vision de ce symbole macabre lui offre de nouvelles perspectives...

Luigi
Au contraire, c'est fascinant...

Car avant de devenir le pavillon des pirates, le symbole du crâne et des tibias était l’étendard de la flotte templière...

Sur l'écran de Luigi un petit pop-up vient de surgir masquant une petite partie de la fenêtre qui relaie les images de Sofia. Le pop-up signale que la remontée des eaux est imminente. Un compte à rebours annonce qu'il ne reste que trois minutes...

Pop-Up écran de Luigi

Tide Level Critical
Tide up

Case 4-OAK ISLAND-Le Money Pit-int. jour-

Plan serré sur Sofia, elle range la partie supérieure du crâne dans son sac. Derrière elle, on distingue l'entrée vers une autre salle.

Sofia met l'os dans sa sacoche.
La révélation de Luigi a rendue Sofia fébrile. Elle cherche du regard tout indice qui pourrait la rapprocher de LA PREUVE.

Sofia (fébrile)
La flotte des templiers a disparu dans la nature en 1307... Avec le trésor du Temple !

Tu te rends compte, Luigi ! Il doit être là !


Case 5-OAK ISLAND-Le Money Pit-int. jour-

Plan général sur Sofia qui s'est avancée dans l'embrasure de la nouvelle salle. Le faisceau de la torche de Sofia révèle une chambre forte ancienne.

Sofia est fascinée par cette perspective, elle désire continuer plus loin pour atteindre une des chambres fortes.

Sofia
Mon Dieu !
Toi et le Monsignor Marchesi, vous le cherchiez depuis tant d'années...


Case 6-OAK ISLAND-Le Money Pit-int. jour-

Plan général sur un caveau en pierre (la salle en contient plusieurs).

La torche de Sofia est braquée sur un des coffres en pierre. La salle en contient plusieurs, ils sont scellés et certainement étanches. Leur petite taille exclu que ces blocs de pierre soient des tombes. Sofia commence à déplier son pied-de-biche télescopique.

Sofia
La réponse à toutes nos questions...

Bruitage du pied-de-biche
K-Klunk

Luigi la ramène à la réalité en lui annonçant que le piège à marée ne va pas tarder à se réactiver.
Luigi
Négatif !!
La mission est remplie, nous avons de quoi dater le site...
Il faut remonter...


Case 7-OAK ISLAND-Le Money Pit-int. jour-

Plan serré sur Sofia et sur sa barre à mine.

Sofia insiste. Elle a trouvé un point d'appui pour ouvrir le coffre.

Sofia
Une minute. Le temps d'ouvrir un de ces coffres !

Luigi annonce qu’elle est en train de franchir le point de non-retour.

Luigi
C'est un ordre, Sofia !
Tu es en train de franchir le point de non-retour !


Case 8-OAK ISLAND-Le Money Pit-ext. jour-

Gros plan sur les mains de Sofia.

Sofia obéit avec regrets.
Elle replie le pied-de-biche.

Sofia
Nia nia nia uffa, oui papa…
Pffff…
OK, je remonte !


Case 9-OAK ISLAND-Le Money Pit-ext. jour-

Gros plan sur le visage de Sofia.

Le grondement qui se fait entendre donne raison à Luigi...
Du fond de la salle un grondement sourd résonne.


Case 10-OAK ISLAND-Le Money Pit-int. jour-

Plan moyen sur Sofia qui rebrousse chemin en courant. La visée doit laisser une part importante à la perspective du tunnel, au fond duquel, la menace gronde.

Sofia court… La salle se met à trembler, une vague déferle. Dans sa course elle réajuste son sac à dos.
Il est sûrement déjà trop tard pour s'enfuir du piège.
Sofia
Heu, j’te rappelle !



Peux tu nous en dire un peu plus sur Bakemono, ce projet où tu es à la fois scénariste et dessinateur?
C’est de la Fantasy Asiatique. L’histoire d’une quête qui ne se passe pas bien et de ses conséquences. Je me régale a traiter le récit avec un rythme beaucoup plus contemplatif que dans Cross Fire. Mais ça reste un récit d’action avec pas mal de combats au sabre, des personnages féminins forts et moult créatures mythologiques. C’est prévu en 6 volumes et ça devrait sortir en 2006 chez Le Lombard. Dès que je m’y remets, je posterais des dessins sur le site du Bocal.

Y-a-t-il une question que je n’aurais pas posé et à laquelle tu aimerais néanmoins répondre?
Est-ce que j’aime les nouilles ?
La réponse est OUI… Marco Polo est un bienfaiteur de l’humanité !
Est-ce que j’aime les Vegomatic ?
Oui ! Leur album "Surfin, Robots and the Correct Use of Rock and Roll" est génial !!!

Pour finir et afin de mieux te cerner, voici le traditionnel portrait chinois à la sauce Chrysopéenne


Si tu étais…

Une créature mythologique : Un Tengu
un personnage biblique : Judas !
un personnage historique : Un moine enlumineur, ou un disciple de Leonardo
un personnage de roman : Samwise « Sam » Gamegie
un personnage de jeu de rôle : Un ranger
un personnage de BD : Calvin
un personnage de théâtre : Hamlet
une œuvre humaine : Les bergers d’Arcadie de Nicolas Poussin
Le Korrigan