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Entretien avec Sylvain Ricard
Entretien accordé aux SdI en octobre 2004


Sylvain Ricard, le talentueux scénariste du Cirque Aléatoire, de Kuklos, Banquise et coscénariste de Clichés Beyrouth 1990, répond à nos questions.

Un grand merci de vous prêter au petit jeu de l’interview…
Ben y’a pas de quoi.
Si, si, j’insiste smiley
Scientifique de formation, comment êtes vous tombé dans la marmite de la BD ?

J’ai toujours aimé en lire. C’est au moment de la création de Bdscope.org que j’ai commencé doucement à m’y intéresser plus, non pas en tant que lecteur, mais comme chroniqueur puis, sur la demande de Christophe Gaultier comme scénariste. En fait, tout est un peu dû au hasard, et si Fred Féjard ne m’avait pas proposé de faire le site, rien ne se serait passé sans doute…

Voilà qui est singulier… Quels étaient alors vos scénaristes fétiches?
Scénariste fétiche je ne sais pas mais mes auteurs préférés de l’époque étaient Fred et toute la bande des espagnols (Bernet, Ortiz, Segura, Abuli). Y’en a sûrement d’autres mais ceux-là m’ont vraiment marqué.

Avec Frédéric Fejard, vous êtes le cofondateur de Bdscope.org. Quel souvenir gardez vous de cette aventure ?
Ben super. J’adore ce mec donc bosser avec lui est toujours un plaisir. Et puis voir le site grandir, évoluer, s’étoffer, c’est toujours assez appréciable. Mais le cumul des trois activités (science, scenario et chroniqueur) étant devenu impossible à gérer, il a fallu laisser de côté le site que nous n’arrivions plus à gérer convenablement. Nous l’avons enterré dignement le 31 décembre 2003, sans pincement au cœur. Un verre à la main plutôt.

Sans indiscrétions, en quoi consiste votre travail de chercheur?
Je suis manager des unités de production de données génétiques d’un grand groupe pharma. Pas plus avancé avec ça, hein ? Disons pour faire court (mais pas forcément clair) que j’imagine, je met en place et je fais fonctionner les laboratoires qui produisent les données nécessaires à l’identification des facteurs de prédisposition génétique aux maladies complexes. Paf !

Ca en jette en tout cas smiley
Un tel boulot vous laisse-t-il suffisamment de temps pour écrire ?

Pas assez, mais dans le même temps on pourrait se demander si l’écriture me laisse assez de temps pour m’occuper de mon boulot, non ? Une partie de la réponse est « je ne suis pas dans une position délicate à mon boulot » et « je publie plusieurs livres par an donc j’ai quand même du temps pour écrire ». Ou alors j’écris vite.

Que vous apporte l’écriture?
Le seul moyen pour moi de faire des livres et la chance de pouvoir m’éclater avec mes potes. Puis aussi de me faire inviter dans plein d’endroits sympas. Mais le temps libre, c’est ce que ne m’apporte pas l’écriture…

En 2001, vous rencontrez Christophe Gaultier et l’année suivante paraît Banquise. Comment s’est faite cette rencontre? Comment est né ce premier projet?
Christophe nous avait contacté via Bdscope.org parce qu’il aimait notre ton (relativement sobre). Il venait de publier son premier album et souhaitait qu’on lui fasse une petite place dans une de nos rubrique. Je l’ai rencontré pour une interview et nous avons sympathisé. Il m’a invité un week-end et en a profité pour me proposer de lui écrire une histoire…


En 2002 paraît Kuklos, une bd forte, adulte, et percutante sur le Klan, ses idéologie nauséabonde, ses pratiques violente. Un pamphlet contre le racisme et l’imbécillité. Pourquoi avoir choisit ce sujet?
C’est un peu plus qu’un pamphlet contre le racisme. C’est au delà de ça. Disons que le Klan m’a servi de support pour parler plus généralement de ceux qui abusent. Qui abusent des faibles pour asseoir leur pouvoir, qui ne pensent qu’à leur gueule, qui se croient supérieurs de part leur position sociale ou de naissance. Ceux qui arrivent à se regarder dans la glace le matin sans broncher quand on pourrait imaginer que leur reflet les feraient vomir. Les personnages de Kuklos sont tout à fait extrapolables à n’importe quelle entité : entreprises, associations, familles… Le tout en moins violent physiquement bien sûr.

Je me souviens d’une critique hallucinante de Thierry Bellefroid publiée sur BDParadisio et qui laissait entendre que cette BD véhiculait des idées abjectes… Avec du recul, comment une telle confusion a-t-elle pu être possible?
D’après Thierry Bellefroid lui-même, c’est à la fois un article maladroit et une mauvaise interprétation de son propos qui ont induit cette confusion. Nous nous sommes expliqués par e-mail puis au téléphone et il a proposé de lui-même de rectifier le tir sur BDP. Si je me souviens bien, il disait que le parti pris scénaristique était audacieux et il craignait de mauvaises interprétations du récit. Je ne crois pas que ça ait été le cas.


Dans une thématique similaire, que pensez-vous d’Amerikkka, de Martin et Otero, aux éditions Hors Collection?
La seule chose que je peux dire c’est que j’ai entendu parler le scénariste de la série au cours d’une émission sur RFO. Son propos est tout aussi intelligent que documenté.

Depuis que vous êtes vous même devenu auteur, lisez-vous toujours autant de BD?
En fait j’en ai beaucoup lu jusqu’en 1990, puis plus rien (ou presque) pendant 10 ans. Depuis 2000 (et la création de Bdscope en particulier), je me suis mis à en relire. J’en lis régulièrement maintenant, mais pas beaucoup.


Début 2004 paraît le premier tome d’une nouvelle série : le Cirque Aléatoire, une bande dessinée haute en couleur, surprenante et décalée, avec encore et toujours Christophe Gaultier au dessin. Pouvez-vous en quelques mots nous présenter cette série?
Et bien ce sont les aventures épiques d’un cirque qui sert de couverture à un groupe d’enquêteurs atypiques. Les histoires se déroulent entre 1890 et 1940, dans le monde entier et par tous les temps. C’est un mélange (d’après les critiques qui ne manquent jamais une bonne comparaison) des mystères de l’ouest, de la ligue des gentlmen extraordinaires et de feuilletons du début du XXe siècle. Chaque livre est une histoire complète, et la série se verra agrémentée de quelques hors-série relatant l’origine des principaux personnages.

©[Treize Etrange]


Le Cirque aléatoire héberge des artistes hors norme, des personnages surprenants et atypiques : on y croise la femme à barbe, l’homme caoutchouc, l’homme-animal ou les frères souplesses. Comment sont nés ces artistes de l’étranges et ces hommes (et femmes !) de l’ombre?
Oh ben en faisant le listing des différents personnages que les cirques de l’époque avaient, j’ai fait le tri dans ce qu’il y avait de plus interressant et avec Christophe, on les a imaginé (psychologiquement pour moi, graphiquement pour Christophe).

Comment organisez-vous votre travail avec Christophe Gaultier ? Du synopsis à la planche finale, quelles sont les différentes étapes de votre travail?
Pfioula… On est parti pour 10 pages là… Bon, pour faire succinct, j’envoie à Christophe le scénario sous forme d’une nouvelle (avec juste le découpage des scènes), il me critique les textes, je revoie ma copie et quand on est d’accord, il adapte. Ou bien je lui fournis un case-à-case, mais c’est plus rare. Il m’envoie régulièrement les pages de story-board et quand on les a toutes, on se cale tous les deux et on discute. On change tout ce qu’il faut (dessins et dialogues) et ensuite il enquille les pages définitives. Mais bon, à chaque projet sa particularité et nous nous appelons très souvent.

Serait-il possible de voir le scénario sous forme de nouvelle du tome 1 ou 2 du Cirque Aléatoire?
Non en fait. On m’a déjà « prédit » qu’un jour ou l’autre je serai susceptible d’écrire des nouvelles, mais ça ne m’intéresse pas. Ce que j’aime, c’est bosser avec les dessinateurs pour réaliser quelque chose en commun. Pas de travailler seul.

Je parlais surtout de ce premier du découpage des scènes dont vous parliez à la question précédente, afin de mieux comprendre votre façon de travailler…
Alors non, c’est pas possible de les voir. Je ne les montre pas, à l’exception des co-auteurs, de l’éditeur et éventuellement d’amis à qui je demande un avis global sur le script. Pour être plus précis, il pourrait s’agir pour le dessinateur de faire une adaptation (mais je travaille aussi de temps à autre au case-à-case).
Tan pis, smiley
L’élaboration des scénarios de Banquise, Kuklos et du Cirque Aléatoire a-t-il nécessité de longues et passionnantes recherches?

Non. Quasi rien. J’ai lu un livre sur le Klan histoire de pas faire de bourdes historiques mais tout le reste est soit le fruit de mon imagination, soit des connaissances acquises un peu partout depuis que je suis tout petit. Mais dans l’ensemble, c’est pas trop sorcier question recherches. Je suis assez fainéant de ce côté-là…


Clichés Beyrouth 1990 vient de paraître. Dans ce livre mis en image par Christophe Gaultier et dont vous signez le scénario avec votre frère, vous racontez un voyage entrepris en pleine guerre du Liban. La construction scénaristique, alternant textes recentrant l’histoire dans son contexte et récit, plus léger est une grande réussite. Il est rare de se prendre une claque en BD, mais entre Kuklos et Clichés Beyrouth 1990, nous sommes servis! Un grand bravo! A quand remonte ce projet de bande-dessinée et comment avez-vous élaboré le scénario de ce carnet de voyage?
Le projet remonte au festival d’Angoulême 2003 (juste après la sortie de Banquise). J’avais envie de travailler avec les Humanos dans la collection Tohu Bohu et l’idée est venue à ce moment-là. Je me souviens en avoir parlé assez longuement avec Christophe le soir, et de l’entendre me dire qu’il aimerait le dessiner (alors que je ne lui proposait pas) m’a motivé. J’en ai parlé très rapidement à Bruno qui bien sûr a souhaiter le co-écrire. Ensuite, tout s’est enchaîné par a-coups jusqu'à cette année ou nous avons mis les bouchées doubles.

Pour cet album autobiographique, l'intégralité des droits d'auteurs seront reversés pour venir en aide des pauvres de Beyrouth. Une façon de poursuivre plus avant votre voyage?
Difficile d’argumenter sur ce point. J’ai dit à Bruno que je ne comptais pas gagner d’argent sur ce projet, et ça lui a semblé évident aussi je crois. Christophe, lui, n’a touché que la modeste somme allouée par les Humanos pour les livres publiés dans cette collection (150 pages dessinées quand même…). Il ne l’a pas fait pour l’argent non plus. Sa démarche est d’autant plus méritoire qu’au contraire de nous, il n’avait pas de « raisons » de le faire. Il l’a fait et je le remercie pour ça.

©Les Humanoïdes Associés


Quels sont vos projets présents et à venir?
Continuer à bosser avec Christophe sur le Cirque Aléatoire, mais aussi sur une série (proposée et co-écrite avec Jean-David Morvan) dont le premier tome paraîtra l’année prochaine chez Dupuis. J’ai aussi en cours un diptyque dans la collection Aire-Libre (co-écrit avec Frédéric Féjard de Bdscope, justement, et dessiné par Maël) et plein d’autres choses en préparation.

Peut-on lever le voile sur votre série en collaboration avec Jean-David Morvan ou est-ce classé secret défense ?
Classé secret défense c’est beaucoup dire. Disons que pour reprendre les termes de Jean-David, c’est une auto-fiction contemporaine…

Y-a-t-il une question que je n’ai pas posé et à laquelle vous aimeriez néanmoins répondre?
Comment va Christophe ? Ben il va bien, il fait des tas de blagues en ce moment. C’est bon signe. Ça sent la choucroute-partie tout ça…

Pour finir, comme le veut la tradition et afin de mieux vous connaître, une petit portrait chinois à la sauce chrysopééenne…
Si vous étiez…
Une créature mythologique : Un cyclope (ben oui, vu que je suis presque borgne…)
un personnage biblique : Brian (enfin, la bible revue par les Monthy Python)
un personnage de roman : Hope Clearwater (l’héroïne de Brazzaville Plage de William Boyd)
un personnage historique : Le soldat Inconnu
un personnage de BD : Philémon
un personnage de théâtre : Guignol
une œuvre humaine : Un pâté de sable à marée basse (fait par ma fille)

Un grand merci pour le temps que vous nous avez accordé et pour vos bande dessinées !
Y’a pas de quoi (même si tu insistes).
Ok, je n'insiste pas alors...smiley
Le Korrigan