Commençons par le commencement : qui es-tu?
Comme tous les dessinateurs j’ai commencé ma carrière en dessinant dans les marges de mes cahiers d’école. J’ai suivi des études de dessinateur industriel. A l’époque on ne connaissait pas les ordinateurs et on dessinait encore les pièces au crayon et à l’encre de chine. ;o). Donc pas d’école d’art …
Dans ta prime jeunesse, quel lecteur étais-tu? Qu’est ce qui t’as donné envie de faire de la BD?
Dans ma jeunesse je lisais Tintin, Astérix, Gaston, Michel Vaillant mais rapidement je me suis passionné pour la science fiction. Valérian Caza Moebius…
Dans les années 80 j’étais en fin d’études. Mon meilleur ami était un grand amateur de littérature SF. Lui au scénario et moi au dessin, nous nous sommes lancé dans la réalisation d’une bande dessinée de science fiction. Cette BD a été partiellement publiée dans ZIP ! un fanzine belfortin. En 1986, j’ai eu la chance de rencontrer Jean Giraud et de lui présenter les premières planches. Sa réaction a été très motivante. Bien sûr je devais encore travailler, mais certaines vignettes étaient à ses dires « tout à fait publiables ».
Tu publies Après un si long hiver (Alsace 1789), ton premier album en 1989, et Les Zurichois, ton second album en 1991 et depuis, plus rien... Pourquoi cette si longue absence?
C’est en 1988 que j’ai fait une rencontre qui allait définitivement me plonger dans la BD jusqu’au cou. Au festival de Colmar je fais la connaissance de Roger Seiter qui vient de monter une association pour promouvoir la bande dessinée en Alsace. Roger est historien de formation. En voyant mes dessins, il me propose de réaliser ensemble un album se déroulant en Alsace pendant les premiers mois de la révolution. Ce sera « Après un si long hiver ». Dans l’association il y a également Claude Guth qui réalisera ici sa première mise en couleur de BD et le lettreur Jean Marc Mayer. L’album co-édité par notre association et un éditeur local a été diffusé uniquement en Alsace.
Après ce premier album Roger, Claude et moi travaillons sur un nouveau projet de BD historique qui sortira en 1991 : Les zurichois. Comme je travaille déjà comme technicien dans une entreprise de la région je ne peux pas réaliser tous les dessins. Claude fera donc tous les décors de l’album et une grande patrie de la couleur. L’album est édité par les éditions de la Nuée Bleue à Strasbourg et prépublié à dans le quotidien « Les Dernières Nouvelles d’Alsace »
Et depuis 1991 ?
Comme je viens de le dire, je travaillais dans une entreprise dans laquelle d’ailleurs j’ai pris de plus en plus de responsabilités, ce qui me laissait de moins en moins de temps pour la BD.
En 1993, Roger et moi signons chez Delcourt pour une série de SF. Dans ce projet je suis co-scénariste et je réalise l’ensemble du découpage. Malheureusement au bout de deux ans, et après avoir usé deux dessinateurs le projet est finalement abandonné.
Roger signera le scénario de plusieurs albums d’héroic fantasy chez Delcourt puis les séries Fog et Dies Irae chez casterman.
En 1999 je me consacre pleinement à ma deuxième passion, la musique. Je produis deux albums de musique électronique qui seront mis en téléchargement sur le site mp3.com (1,2 millions de téléchargements). Je suis contacté par un label français et certains de mes morceaux apparaîtront sur des compilations.(
http://www.johannes.fr/ )
En 2002 Roger me confie qu’il veut depuis longtemps écrire une série dans l’esprit des romans maritimes anglais. Il a proposé un scénario à casterman qui est intéressé par le projet mais il ne trouve pas de dessinateur assez dingue pour s’attaquer aux navires du XVIII ème siècle.
Nous commençons alors la recherche de documentation et les visites de musées, je prépare un dossier et finalement nous signons cette année avec casterman pour une histoire en deux albums.
Si le public suit, HMS deviendra une série (et non un feuilleton) avec le même principe que les autres séries scénarisées par Roger, c’est à dire des histoires complètes en deux tomes.
S’attaquer aux navires du XVIIIième siècle est-il si déraisonnable? As-tu un ou deux ouvrages à conseillers aux amateurs de vieux gréements, désireux d’en apprendre un peu plus sur ces navires?
Déraisonnable pour des alsaciens
. Il y a encore deux ans je n’y connaissais absolument rien. Il a fallu trouver de la documentation, visiter des musées. Nous avons également faire une visite privée du HMS Victory. Ce vaisseau mis à l’eau en 1765 a participé à la bataille de Trafalgar. L’amiral Nelson qui le commandait a d’ailleurs été tué durant le combat. Ce navire a été entièrement restauré et l’on peut le visiter à Portsmouth. C’est un témoignage unique de cette période. De nombreuses photos sur ce site :
http://www.stvincent.ac.uk/Heritage/1797/Victory/index2.html
Pour une connaissance approfondie des navires de cette époque et si vous en avez les moyens ( 400 Euros ) je vous conseille les quatre volumes du « vaisseau de 74 canons » de Jean Boudriot.
http://www.ancre.fr
sinon je peux citer :
La série BD « Les passages du vent » de Bourgeon
La série BD « L’épervier » de Pellerin
Les romans de la série « capitaine Hornblower » de C.S. Forester
Les romans de la série « capitaine Aubrey » de Patrick O’Brian
Master and Commander, le film de Peter Weir adapté des romans d’O’Brian
La visite du musée de la marine de Paris et sa librairie où l’on trouve de merveilleux ouvrages.
La visite du Chantier de l’Hermione et du musée de la marine à Rochefort
La visite du Victory et du musée maritime à Portsmouth
© Johannes Roussel / Casterman
J’ai eu l’occasion de visiter le HMS Victory, ce qui m’a valu quelques plaies et bosses… c’est que les poutres sont basses dans ces navires! Le chantier de l’Hermione est aussi quelque chose d’hallucinant, un projet fou et ambitieux qui fait quelque peu rêver…
La visite du HMS Victory est quelquechose d’unique car en plus d’avoir été superbement restauré, ce vaisseau est entièrement équipé et meublé.
Pourquoi la marine anglaise?
Roger souhaitait raconter une histoire dans l’esprit des romans maritimes anglais de C.S. Forester, ou Patrick O’Brian. A cette époque l’Angleterre vient de perdre ses colonies en Amérique, elle est en guerre avec le monde entier. Elle possède la marine la plus puissante et la victoire de Trafalgar contre les français et les espagnols la rendra maître des océans pendant tout le XIX ème siècle. Ce sera la clé de l’expansion de ses colonies.
Les marins sur les navires de guerre sont pour la plupart des repris de justice et pour compléter les équipage des commandos de presse font des rafles et enrôlent de force et avec violence tous les hommes valides du littoral.
Avec de telle méthode de recrutement, pourquoi diable la marine anglaise était-elle si redoutable? Comment pouvaient-il s’assurer de la loyauté de leurs marins?
Une discipline de fer, des punitions corporelles. Cette discipline associée à un entraînement rigoureux permettait au navires anglais de faire recharger les canons et de faire feu plus rapidement.
Dans la marine française, l’encadrement était obligatoirement issu de la noblesse. Après 1789 la Royale se retrouve décapitée ce qui accroît l’avantage en faveur des anglais.
N’y avait-il pas de nombreuses mutineries ? Entre repris de justice et enrôlés de force, on se demande franchement comment un tel équipage pouvait tenir la route. Qu’avaient-ils à gagner dans cette galère? Des remises de peines?
Il y a eu des mutineries, la plus connue étant celle du Bounty. Mais les plus importantes ont eu lieu en 1797 à Spithead et à l’encrage « the Nore » à l’estuaire de la Tamise. Les marins revendiquaient de meilleurs conditions de vies. La première s’est bien terminé, les marins ont obtenu le pardon et une amélioration de leur conditions. La seconde plus tragiquement
J’ai découvert dans le premier tome que lors de la mort d'un marin, il était procédé à la vente de ses affaires... sa famille n'avait-elle alors aucun droit?
Au contraire, si vous lisez l’album vous y apprendrez que l’argent ainsi récolté était destiné à la famille du défunt.
Certes, mais je me disais qu’un fils préférerais peut-être avoir un objet ayant appartenu à son géniteur qu’une poignée de sous trop vite dépensés… Mais c’est sans doute une vision un peu trop sentimentale…
Je pense oui !
Que signifient les initiales H.M.S. qui peuvent sembler obscurs à beaucoup?
HMS est le préfixe placé devant le nom des vaisseaux de guerre armés de la Royal Navy. Cela signifie His (ou Her) Majesty’s Ship. La France n’utilise pas ce système de préfixe, mais beaucoup d’autres nations le font comme les Etats Unis par exemple ou les navires ont le préfixe USS pour United States Ship.
Ce premier tome inaugure un diptyque. Peux-tu lever le voile sur un coin de l’intrigue ou sur ses principaux personnages?
HMS est avant tout un récit de type policier dont l’action se déroule à bord d’un navire de guerre. Le personnage principal (on ne peut pas vraiment parler de héros) est un jeune médecin enrôlé de force à bord du HMS Danaë. Je ne voudrais pas en dire plus. Ceux qui veulent satisfaire leur curiosité peuvent lire l’album actuellement en prépublication sur Internet. http://HMSbd.com
Effectivement! Car avant même la sortie du premier tome d’HMS, la série s’est déjà dotée d’un site web où l’on peut même trouver l’intégralité du premier tome. Peux-tu nous expliquer cette démarche?
C’est moi qui ai souhaité faire le site HMSbd.com afin de présenter notre travail. C’est un site que je gère personnellement. Il m’a permis d’entrer en contact avec de nombreuses personnes et de leur présenter notre travail. Il sera enrichi au fur et à mesure et permettra au lecteur de trouver plein d’informations au sujet de la série mais aussi au sujet des navires de cette époque.
Parallèlement à cela l’éditeur a mis en ligne il y a quelques mois un dossier sur le site casterman.com.
L’album sort dans quelques semaines et l’éditeur à choisi de mettre l’ensemble de l’album en prépublication sur le sur son site.
L’angle choisit dans HMS est des plus original puisqu’en lieu et place de combats navals on découvre un huis clos qui nous permet d’appréhender la vie à bord de ces navires… Car des histoires de bateaux, bon nombre de personnes connaissent celles des corsaires et autres flibustiers, popularisés par Hollywood. Mais des navires du XVIIIième, à part Trafalgar, le grand public n’y entend pas grand chose. Peux-t-on rêver à un carnet de croquis présentant ces navires et l’histoire des hommes qui y vécurent, et accompagnant le premier tome?
Il n’est pas prévu de carnet de croquis. Tout au long du récit nous avons essayé de montrer de petites tranches de la vie à bord, comme la vente aux enchères, les repas, le branle-bas (réveil)…ainsi que des petits détails que la plupart des gens ne connaissent pas.
Le moins que l’on puisse dire c’est que c’est réussit, tellement qu’on a envie d’en savoir plus !
Comment organises-tu ton travail avec Roger Seiter? Du synopsis à la planche finalisée, quelles sont les différentes étapes de la création d’une planche? Te fournit-il un découpage ultra détaillé ou le construisez-vous ensemble?
Roger à l’habitude de me fournir un découpage très détaillé vignette par vignette. C’est pour moi un point de départ, mais je ne m’y tiens pas forcément. Souvent au moment de dessiner la scène de nouvelles idées arrivent. Si les modifications sont importantes nous en débattons, mais en général ce ne sont que des points de détail. Nous nous faisons mutuellement confiance et je pense que c’est la clé d’une bonne collaborations. Sur le site HMS je présente dans la rubrique « planches », le cheminement qui mène de la page de scénario découpé à la planche terminée.
Comment élabores-tu l’apparence des personnages d’une intrigue? T’inspires-tu de personnes connus? Roger Seiter t’en donne-t-il une description physique très précise où brosses-tu leur portrait à partir de leurs caractères ou de leurs fonctions?
En général je procède à des recherches de personnages sur la base du scénario. Roger n’en donne pas de description détaillée. Nous en discutons, je fais des propositions sur lesquelles nous nous mettons d’accord. Je ne m’inspire pas particulièrement de personnes existantes.
© Johannes Roussel / Casterman
Quelles techniques de dessin et de mise en couleur utilises-tu pour HMS?
Je dessine de façon tout à fait traditionnelle au crayon et je fais un encrage à la plume. Ensuite je scanne la planche, j’effectue les corrections et je mets en couleur avec l’ordinateur. Ce n’est pas plus rapide, mais ça me donne plus de souplesse.
Plus de Souplesse?
Je peux essayer différentes ambiances, modifier les teintes, les éclairages, retoucher comme je le veux. Avec la mise en couleur classique, une fois la planche terminée, c’est compliqué de faire des changements.
Etant toi même compositeur, utilises-tu la musique pour te plonger dans l’ambiance d’une scène que tu dois dessiner?
Pas du tout, je peux aussi bien écouter de la techno que du Bach pendant que je dessine. Je travaille seul, j’ai donc la possibilité de me faire plaisir en écoutant ce dont j’ai envie. La musique me permet de créer une ambiance dans laquelle je me sens bien pour travailler. Il m’arrive de laisser jouer un disque en boucle pendant toute la journée.
La sortie du premier tome est prévue pour le 10 janvier 2005. As-tu déjà entamé le second tome? Aurons-nous la chance de suivre l’avancée des travaux le site?
Absolument. Le tome 1 est en prépublication sur Internet en attendant sa sortie. Je travaille déjà sur la suite et une nouvelle planche du tome 2 sera mise en ligne chaque mois.
En dehors de HMS, avez vous d’autres projets BD à court ou moyen terme?
Non, HMS me prends 100% de mon temps et si les deux premiers tomes rencontrent le succès que nous espérons, je pense rester concentré sur cette série ces prochaines années.
Qu’est ce qui te passionne dans le métier d’auteur de BD?
Il y a deux choses qui me passionnent dans ce métier.
Premièrement c’est la créativité. Je ne peux pas m’imaginer un travail dans lequel je ne puisse pas créer quelque chose. C’est la même chose pour la musique. Ce qui me passionne c’est de composer et de produire. Interpréter ne m’intéresse pas.
Ensuite, c’est la découverte de nouveaux domaines. Il y a deux ans je ne savais rien des navires du XVIII ème. Aujourd’hui j’en apprends tous les jours et ce n’est pas prêt de s’arrêter, tant ce domaine est riche et passionnant. Tant que j’apprends quelque chose et que je progresse dans mon activité j’y prends du plaisir.
Un grand merci pour le temps que vous nous avez-accordé !