Bonjour ! Tout d’abord un grand merci de te prêter au petit jeu de l’interview…
Pour commencer, peux-tu nous en dire un peu plus sur toi? (Etudes, passions, boulot, numéro de carte bleu et de compte en suisse…)
Hé bien, je suis Belge, j’ai 34 ans, je suis marié et père de deux enfants. Je suis économiste de formation et scénariste « auto-didacte ». En 1995 j’ai remporté un concours de scénario organisé par Spirou, mais à part ça c’est quelque chose que j’ai toujours fait plutôt en dilettante, jusqu’il y a environ 5 ans. A ce moment là, je me suis dit que si je n’essayais pas sérieusement de réaliser quelque chose dans ce domaine, ça risquait de me « hanter » le reste de mes jours ; je me suis donc mis au boulot plus sérieusement et j’ai monté un premier dossier.
Cela a abouti à quelques histoires courtes publiées dans Spirou (il y en a 2 sur le site
http://www.bdamateur.com où j’ai une page de membre), et puis donc à « Pandora Box », ma toute première série. Aujourd’hui je partage mon temps entre un boulot d’économiste, mon activité de scénariste, et ma petite famille. Ca me fait des journées bien remplies
A part la BD, mes autres passions sont (dans le désordre) le cinéma, l’Irlande, les jeux de rôles, les sports de raquette et ma petite famille !
Mon numéro de carte bleue est le 000-4567223-843 et celui de mon compte en Suisse 045-55678210-32 (code secret : « largo w »). (Mais ne le répétez à personne).
Peux-tu nous en dire plus sur ton nom de plume, Alcante ?
Il vient de la contraction de ALexandre et QUENTin, les prénoms de mes deux enfants.
Dans ta prime jeunesse, quel lecteur étais-tu? Quels étaient alors tes auteurs favoris ?
Mes parents étaient abonnés à Spirou quand j’étais petit, et je les dévorais même sans savoir lire ! C’est fou ce qu’un enfant peut comprendre rien qu’avec les images, je le vois bien aujourd’hui avec mes propres enfants.
Mon tout premier souvenir de BD, c’est Papyrus. Le premier est paru dans Spirou quand j’avais 5 ans, et je trouvais ça génial ! « Le maître des 3 portes », le n°2, est un tout grand souvenir : un onyx qui se transforme en femme, un dragon à plusieurs têtes, une cité souterraine, et ces hommes d’or avec un look incroyable, WOW !!!
Quand j’étais gamin, j’aimais aussi beaucoup Le Scrameustache, et Yakari.
Puis j’ai grandi et mes goûts se sont élargis. Parmi les BD que je relis toujours avec beaucoup de plaisir : les Thorgal, Ballade au Bout du Monde, Les Passagers du Vent, Les Sept Vies de l’Epervier, La Guerre Eternelle, La Quête de L’Oiseau du Temps… Je suis aussi un grand fan d’Alan Moore (Watchmen, From Hell,…). Bref, maintenant je lis un peu de tout en BD.
Quels sont tes derniers coups de cœur ? (bd ou autre !)
Cette année j’ai craqué pour deux mangas : « Monster » et « Say Hello To Black Jack ». D’autres mangas excellents : « L’histoire des 3 Adolf », « 20th Century Boys », « La montagne des Dieux »,…
Sinon, je suis aussi un fan absolu de Manu Larcenet. Ce qu’il fait est à 10.000 lieues de ce que je fais, mais je trouve ça génial tout simplement. Dans un style plus classique, je relis aussi régulièrement les albums de Van Hamme et il est quand même très, très, très efficace !
Au cinéma, je citerais deux films qui m’ont marqué en 2004 : « Lost in translation » qui dégage une ambiance incroyable (et pour un scénariste c’est très intéressant car malgré qu’il ne se passe quasiment rien dans ce film, il est passionnant ! Il a d’ailleurs eu l’Oscar du meilleur scénario), et « Old Boy » (mais plus pour la forme que pour le fond).
Nous avions eu la chance de lire dans les pages de notre fanzine quelques une de tes premières créations… Est-ce le jeu de rôle qui t’a donné le l’envie de devenir raconteur d’histoire ?
J’ai justement sur mon bureau « Le Sorcier de la Montagne au Sommet de Feu », le tout premier « livre dont vous êtes le héros » paru en français en 1982 (j’avais 12 ans à l’époque). J’étais fou de ces livres, ma première expérience avec les jeux de rôles. Après « les livres dont vous êtes le héros », il y a eu les bouquins de la collection « l’œil noir » (mon premier véritable jeu de rôles), puis l’Appel de Cthulhu, dont je suis un grand fan.
C’est clair que ces histoires ont nourri mon imaginaire mais mon envie de raconter des histoires remonte encore à bien avant ça. Quand j’avais 6 ans, je faisais des petites BD dont le héros était…notre coq ! Je me souviens aussi qu’au même âge, j’avais persuadé ma mère d’écrire une lettre pour Degieter – l’auteur de « Papyrus » - pour lui suggérer une histoire de Papyrus avec des chats-vampires ( !). Donc cette envie remonte vraiment à très loin.
Si tu devais présenter le JdR à un quelqu’un en deux-trois phrases, comment t’y prendrais-tu ?
C’est très difficile d’expliquer ce que c’est à quelqu’un qui n’a aucune idée de ce que ça représente ! En général, je procède avec un exemple de conversation entre un maître du jeu et un joueur, du style :
- voilà, imagine que tu es un guerrier à la recherche d’un trésor dans une forteresse… Tu avances difficilement dans un long couloir étroit, et tu trouves une porte sur ta gauche. ----- Que fais-tu ?
- Ben euh… j’écoute à la porte. Qu’est-ce que j’entends ?
- Tu n’entends rien !
- Bon, je l’ouvre !
- Elle est fermée à clé !
- Je la crochette alors, j’ai cette compétence.
- OK, la porte s’ouvre. C’est visiblement une cellule. A un mur, il y a une chaîne à laquelle est attachée un squelette. Dans les mains du squelette il y a un coffre, que fais-tu ?
Etc etc etc
Depuis 2002, tu publies régulièrement des récits dans l’hebdomadaire Spirou. Est-ce que ça t’a permis d’affiner tes outils de scénariste?
Oui, ça m’a surtout appris à aller droit à l’essentiel et à essayer d’être le plus visuel possible. Dans Spirou, on ne dispose en effet que de quelques planches pour raconter son histoire, il faut donc aller droit au but. C’est un bon exercice, un bon apprentissage avant de se lancer dans des histoires plus longues, ça permet vraiment de « se faire les dents ».
Les deux premiers tomes de Pandora Box sortent dans quelques jours, inaugurant l’année 2005 de la plus belle des façons… Comment te sens-tu à quelques jours de cet événement?
Un peu comme un gosse qui sait que le Père Noël va bientôt venir déposer ses cadeaux ! Non, c’est vraiment un moment que j’attends avec impatience, il faut savoir que j’ai commencé à réfléchir à ce projet en août 2000 !
©Dupuis / Pagot
Comment est né ce projet ambitieux et prometteur ?
Dans la série « Pandora Box », j’associe dans chacun des sept premiers albums un mythe grec, une technologie (ultra)moderne et un des 7 péchés capitaux. (Le huitième album sera un album de conclusion). L’idée de départ remonte à assez longtemps en fait. Quand j’ai envoyé mon premier dossier de scénarios pour des histoires courtes à Thierry Tinlot (rédacteur en chef de Spirou), il m’avait recontacté pour me dire qu’il aimait bien ce que je faisais mais qu’il cherchait plutôt des histoires plus réalistes (à l’époque mes histoires étaient plutôt « fantastiques », avec des dragons, des vampires,…). Il m’a demandé de garder le même ton mais en étant plus réaliste. Je me suis alors penché vers les technologies qui n’existent pas encore mais qui sont sur le point d’exister, ou en tous cas qui pourraient exister. D’un côté comme elles n’existent pas encore, ça donne directement un petit aspect « fantastique » ; de l’autre comme elles sont sur le point d’exister, il y a un ancrage réaliste.
La première technologie à laquelle j’ai pensé, c’était le clonage humain. J’ai alors fait des tas de recherche sur le sujet et je suis tombé sur une interview d’un psychologue qui disait que le clonage humain était une démarche très narcissique. Je me suis alors dit « tiens et si j’adaptais le mythe de narcisse en faisant une histoire avec un clone humain », et ça a donné l’histoire courte « un homme à son image », qui a été publiée dans Spirou. J’ai ensuite écrit quelques histoires courtes sur le même principe – mêler technologie moderne et mythe ancien – et je trouvais que ça fonctionnait bien, c’est comme ça que j’ai creusé le concept et que ça a donné naissance à « Pandora Box ».
Il faut dire que j’ai toujours été un grand fan de Mythologie. Quand j’étais petit, j’ai dévoré tous les livres « Contes et Légendes de… » (de France, de Grèce, d’Egypte,…). Mes préférés, c’étaient ceux sur les mythes grecs, donc ce n’est vraiment pas un hasard que mes premiers albums y fassent allusion ! Certains enfants ont pour héros Spiderman, d’autres Zorro, moi c’était Thésée, Persée, Ulysse,…
Se lancer dans un tel projet pour sa première BD, c’est impressionnant !
Ben…euh… si tu le dis…
Comment s’est fait le choix des dessinateurs pour les différents albums de la série?
Comme j’étais vraiment le gars sorti de nulle part – à savoir que Dupuis a accepté mon projet de 8 albums moins d’un an après avoir accepté mes premières histoires courtes – je ne connaissais pas vraiment de dessinateurs, en tous cas pas de dessinateurs réalistes, ce qu’il fallait pour « Pandora Box ». Le directeur éditorial m’a donc demandé de lui faire une liste « idéale » de dessinateurs que je verrais bien pour la série, ce que j’ai fait. Mais ma liste était aussi « utopique » dans le sens où les dessinateurs que je citais ont déjà énormément de succès et n’auraient donc pas été libres avant de nombreuses années (et n’auraient de toutes façons pas forcément eu envie de faire un album avec un « débutant »). Mais ma liste a permis à l’éditeur d’avoir une idée plus précise du style de dessin que je voulais.
Le Directeur de Collection m’a donc proposé d’autres noms « plus accessibles » en me demandant mon avis. La grosse majorité des noms cités me convenaient (enfin, leur travail), l’éditeur les a donc contacté et leur a envoyé le dossier de présentation ainsi que le premier scénario qui était à ce moment là entièrement découpé. En général tous ceux à qui on a proposé le projet l’ont apprécié et ceux qui l’ont décliné l’ont fait plutôt pour des raisons de planning, bref il a été plutôt bien accueilli et l’équipe s’est formée relativement rapidement (mais dans le « désordre » : le premier dessinateur ayant signé étant en effet celui qui va réaliser le 6ème tome et ainsi de suite).
Finalement 7 dessinateurs vont donc se partager 8 albums, le premier et le dernier album étant illustrés par le même dessinateur. Pour la petite histoire, le plus jeune est né en 1973, le plus âgé en 1956 ; il y a quatre français, deux belges et un serbe. Allez hop, je les cite : Didier Pagot (qui a fait FIDES aux Humanoïdes Associés), Vujadin Radovanovic (dont c’est le premier album), Steven Dupré (COMA chez Glénat), Roland Pignault (ARCANES chez Delcourt), Erik Juszezak (OKI chez Glénat), Alain Henriet (JOHN DOE et GOLDEN CUP chez Delcourt) et Sébastien Damour (NASH chez Delcourt). Tous ceux là font vraiment du beau boulot, comme d’ailleurs les deux coloristes Araldi (T1 et T8) et Usagi (tous les autres tomes). Je ne peux vraiment pas me plaindre !
Comment organises-tu ton travail pour élaborer un scénario ? Quelle est la part de recherches documentaires ? Se situe-t-elle en amont ou en aval de l’intrigue ?
En ce qui concerne la première partie de ta question, certains scénaristes se lancent directement dans le découpage et avancent planche par planche. Je serais incapable de procéder comme ça et ce n’est pas une méthode qui me convient. C’est comme si on se lançait dans une construction avant d’en avoir terminé le plan. Pour moi le découpage de la première planche n’intervient qu’une fois que je sais exactement ce que je mettrai sur la dernière planche. Les dessinateurs ont donc systématiquement reçu le scénario complètement fini, intégralement découpé avant même de faire le premier crayonné. Heureusement, ils ont tous été contents du scénario et n’ont donc rien voulu modifier.
En fait j’essaye d’abord d’écrire mon histoire en une ou deux lignes, pour vraiment avoir l’épine dorsale, et puis je développe, je développe, je développe… jusqu’à ce que j’aie un synopsis d’environ 15-20 pages, qui raconte toute l’histoire de A à Z. Une fois arrivé à ce stade, je découpe mon synopsis en 46 planches, case par case.
En ce qui concerne la recherche de documentation, je commence d’abord par rassembler beaucoup de textes sur le sujet traité, je lis tout ça, je visionne pas mal de reportages etc en prenant chaque fois pas mal de notes. Ensuite, une fois que j’estime que j’en connais suffisamment, j’essaie de m’en détacher pour construire mon histoire, puis j’y reviens quand j’ai besoin de renseignements très précis. Mais comme on dit toujours, ce que les lecteurs veulent c’est une bonne histoire, pas un reportage !
Pourrais-t-on avoir quelques exemples de découpage de planches pour mieux comprendre ton métier de scénariste ?
A titre d’exemple, voici le début du découpage de la première petite histoire qui figure sur le site bdamateur.com (à ma page de membre), ça donnera une idée précise de ce que j’envoie au dessinateur.
©Dupuis (paru dans Spirou), dessin de Djief
Case 1. Un inspecteur du FBI, âgé d’environ 55 ans, en imper, monte les marches d’un grand escalier en pierre menant à un édifice public, sous la pluie.
LÉGENDE :
CETTE FOIS, JE SENTAIS QUE MON ENQUÊTE TOUCHAIT À SA FIN.
Case 2. Gros plan sur le regard concentré de l’inspecteur.
LÉGENDE :
TOUT AVAIT COMMENCÉ IL Y A TROIS MOIS ENVIRON…
Case 3. Flash-back : des policiers avec des chiens et des lampes de poche s’affairent dans un café désert, la nuit. Un des policiers fait signe aux autres qu’il a trouvé ce qu’ils cherchaient.
LÉGENDE :
UNE SÉRIE DE MEURTRES SORDIDES, DANS PLUSIEURS ÉTATS.
Et ainsi de suite. Pour un album de 46 planches, j’arrive donc à un document d’une soixantaine de pages.
La série est prévue en huit albums. Le scénario des huit albums est-il dors et déjà écrit ? Quel sera le planning de parution ?
Le scénario des 7 premiers est complètement bouclé. J’entame le dernier scénario.
Le rythme de parution est le suivant :
T1 et T2 le 5 janvier 2005
T3 et T4 début mai 2005
T5 et T6 début septembre 2005
T7 et T8 début janvier 2006.
Le clonage pour l’Orgueil, le dopage pour la Paresse… Quelles technologie seront utilisées pour donner corps aux 5 autres pêchés capitaux et à l’espoir ?
Les combinaisons (péché capital – technologie – mythe) sont les suivantes :
T1 : orgueil – clonage – Narcisse
T2 : paresse – dopage – guerre de Troie
T3 : gourmandise – élevage industriel – Thésée et le minotaure
T4 : luxure – réalité virtuelle – Orphée
T5 : avarice – spéculation boursière – Midas
T6 : envie – intelligence artificielle -Prométhée
T7 : colère – armes bactériologiques – Pandore
T8 : ce tome a pour titre « l’espérance » (qui sortit en dernier lieu de la boîte de Pandore) ; c’est un album de conclusion qui sort donc du cadre de ce « jeu d’associations ».
Ce que je voudrais vraiment, c’est que les lecteurs prennent plaisir à lire les albums pour les histoires en tant que telles, mais qu’ensuite ils les relisent en essayant de retrouver toutes les allusions aux mythes dont je me suis inspiré, c’est comme un jeu de piste
.
Parmi les albums déjà scénarisé, lequel est ton préféré ?
J’ai un faible pour chacun d’eux, mais pour une raison différente. Dans l’un je trouve que j’ai mieux réussi le personnage principal, dans l’autre je suis content de la fin, etc… Ils ont chacun leur personnalité je pense, d’autant plus que c’est chaque fois un dessinateur différent.
As-tu d’autres projets dan tes cartons ?
Oui mais c’est encore trop tôt pour en parler.
Y-a-t-il une question que je n’ai pas posé et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Je voudrais juste préciser que pour moi la base de ce projet ce sont les mythes grecs. Si vous lisez mes histoires, j’espère que vous les apprécierez en tant que telle, mais ce que je voudrais c’est vraiment que les lecteurs les relisent ensuite en essayant de trouver toutes les allusions aux mythes dont je me suis inspiré. Parfois ces allusions sont un peu obscures mais j’ai mis beaucoup de petits indices à droite et à gauche… J’ai conçu ça un peu comme un jeu de piste !
Pour finir et afin de mieux te connaître (et comme le veut la tradition) un petit portrait chinois :
Si tu étais…
(je précise que ce qui suit est plutôt « ce que j’aimerais être »
)
une créature mythologique : j’ai toujours eu un faible pour les dragons !
un personnage biblique : argh… je cale… Joker !
un personnage de roman : Aragorn ! (c’est ma femme qui serait heureuse tiens !)
un personnage historique: je viens de voir « finding neverland » qui raconte comment les événements de la vie privée de l’auteur de Peter Pan l’ont amené à écrire cette œuvre. C’est un très très beau film, alors sous le coup de l’émotion je vais le citer lui tiens !
un personnage de BD : le personnage principal de « say hello to black jack ! »
un personnage de JdR : « Galtor », mon premier personnage, c’était un nain qui été lâchement assassiné par un coup de fouet d’une sorcière cachée derrière une porte ! J’en veux encore au maître de jeu qui m’a fait ce coup, un certain Stéphane dont je tairai le nom de famille par bonté d’âme
un personnage de théâtre : Cyrano de Bergerac (c’est pas très original mais bon…)
une découverte scientifique: le vélo ! un moyen de transport bon marché, convivial et qui ne pollue pas, c’est révolutionnaire non ?
une œuvre humaine : la ville de Venise !
un des 7 péchés capitaux : mon défaut c’est l’envie ! quand je vois que M. Night Shymalan a écrit « The Sixth Sense » à mon âge, ça me rend malade de jalousie !
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