Entretien avec Henri Balczesak
directeur de collection chez Jeux Descartes
Lorsque le JdR est apparu en France dans les années 80, il est longtemps resté un jeu underground. A quel moment peut-on dire qu'il a réellement démaré?
En fait, il a vraiment démarré avec la parution de produits en français. L'Appel de Cthulhu a été un des premiers très grands succès. Il a permis à un grand nombre de joueurs de découvrir et de pratiquer le jeu de rôle. Mais il y a eu aussi d'autres produits. On peut dire que le véritable 'décollage' du marché se situe aux alentours de 84/85. Mais c'est à vérifier.
Les éditions Descartes sont-elles antérieures à l'apparition du JdR?
Jeux Descartes a été créé en 1978. D&D existait déjà, ainsi qu'un certain nombre d'autres jeux de rôle. A cette époque, aucun jdr en français n'existait.
Lorsque j'ai découvert l'Appel de Chtulhu après n'avoir pratiqué que des jeux d'Héroïc Fantasy (dont l'inévitable Donjon), ça a été pour moi comme une révélation... Ce jeu était révolutionnaire et demeure aujourd'hui encore l'un des meilleurs du marché. Comment expliquez vous le phénomène Chtulhu?
L'Apple de Cthulhu doit son succès à la conjonction de plusieurs éléments. En lui-même, c'est un jeu aux règles simples et au thème accrocheur (qui n'aime pas frissonner en se racontant des histoires d'épouvante ?). Il a été l'un des premiers jeux disponibles en français. Il est arrivé à un moment où les joueurs voulaient se tourner vers d'autres thèmes que l'heroic-fantasy. Il avait un vernis de réalisme et de légitimité littéraire.
Les campagnes médiatiques anti-JdR délcenchées notemment par l'affaire Carpentras ont-elles eu un effet sur les ventes? Sur le regard des parents sur les jeux de leur enfants?
Bien sûr. Les parents se sont forcément inquiétés. Les journalistes, toujours en quête de sensationnel, en ont tellement rajouté et ont fait tellement d'amalgames que les élus s'en sont inquiétés aussi et ont commencé à voir d'un oeil moins bienveillant les clubs et autres associations de jeux de rôle. Tout cela a fini par rendre le jeu de rôle suspect aux yeux des néophytes. Et ce n'est pas la parution de jeux au titre aussi évocateur que In Nomine Satanis ou Vampire ou même Kult qui a pu contribuer à faire tomber la pression...
La dessus est arrivé le phénomène Magic qui a attiré de nouveaux joueurs vers les boutiques. Magic a-t-il été une nouvelle porte d'entrée vers le JdR ou, au contraire, le départ d'anciens joueurs vers un nouveau type de jeu?
Le mouvement a été finalement double, mais dans des proportions assez faibles. Les premiers joueurs de Magic ont été les joueurs de jdr et ils ont été quelque peu 'distraits' du jdr pendant quelques temps. Pendant ce temps de nombreux nouveaux joueurs sont venus dans les boutiques, mais uniquement pour y trouver leurs cartes et ils n'étaient pas du tout intéressés par les jdr. Résultat : les boutiques ont mis le paquet sur le distribution des cartes. Aujourd'hui que les joueurs de cartes sont moins nombreux, les joueurs de jdr recommencent à retrouver tout ce qu'ils attendent des boutiques.
Le souffle de la campagne médiatique anti-JdR semble s'être apaisé et les associations de JdR semblent plus actives que jamais. Pourtant, une nouvelle a ébranlé la petite communauté de joueur : Casus Belli suspendait sa parution. Quelles sont d'après vous les causes du recul des ventes du magasine? Un recul du JdR au profit d'autres loisirs tels que les jeux vidéos?
Bien sûr. Le jdr n'est qu'une des activités de loisir qui s'offrent aux jeunes Français. L'attrait de la nouveauté, la modernité des supports, etc. ont forcément attiré beaucoup de joueurs vers les jeux vidéo. Mais ceux-ci montrent vite leurs limites par rapport à des activités vraiment conviviales. Quant à Casus Belli, je ne faisait pas partie de l'équipe et je ne peut qu'émettre quelques conjectures sur les raisons de son insuccès. Il vient de ressortir sous une nouvelle forme, sans doute adoptée en fonction des erreurs du passé et de la nature du marché actuel.