Par quels chemins détournés en êtes vous arrivé à écrire pour la bande dessinée ?
J'ai commencé en 1988, suite à la rencontre avec un jeune dessinateur totalement autodidacte et aussi néophyte que moi: Christophe CARMONA. Je lui ai raconté une page d'histoire de l'Alsace et il m'a proposé de l'adapter en BD. A l'époque, j'étais lecteur et collectionneur de bandes dessinées, mais je n'avais jamais songé à écrire quoi que ce soit ( même pas un mauvais poème ). C'est sans doute à cause et grâce à cette inconscience que nous sommes aller trouver un éditeur pour lui proposer le projet. Il a semblé intéressé et l'a finalement publié en 1990.
L'album ( très mauvais, mais plein de bonnes intentions ) s'est vendu à près
de 10 000 exemplaires, ce qui à l'époque nous a semblé tout à fait normal. Avec le recul, je trouve que nous avons eu pas mal de culot et beaucoup de chance.
Personnellement, je vous ai découvert avec Simplicissimus. J’avais aimé le format novateur de cette bande dessinée dont le personnage principal était subtilement introduit par une nouvelle fort bien écrite. Le héros, un bretteur érudit coureur de jupon, y était plongé dans une intrigue mêlant subtilement action et quête… Un Indiana Jones avant l’heure en quelque sorte… Le scénario qui semblait s’orienter vers le mystère templier semblait plus que prometteur… Mais si l’on sait qu’il a participé au siège du Haut-Koenigsbourg (cf votre album réalisé avec Carmona), la fin de l’histoire reste en suspend… Pourquoi cette série a-t-elle été abandonnée ?
Merci pour Isabelle Mercier, qui a effectivement un vrai talent littéraire ( même si elle est trop modeste pour le reconnaître ). ' Simplicissimus ' était prévu au départ en quatre volumes. A la fin, il retrouvait dans une haute-vallée perdue au coeur de l'Anatolie une cité grecque avec un temple abritant le vrai tombeau d'Alexandre le Grand. Dans un autre bâtiment, il découvre avec ses compagnons une bibliothèque qui est aussi riche que celle qui a brûlé à Alexandrie. Et bien sûr, l'Ordre du Temple se sert de cette cité comme refuge secret pour continuer à intervenir dans le monde... Bref, vraiment du Indiana Jones au XVIIième siècle. Malheureusement, l'album était le troisième d'une nouvelle collection lancée par Glénat: ' Les Indispensables '. Or, c'est l'époque où Glénat connaît de gros problèmes financiers et la collection est la première à passer à la trappe. Dommage ... Le fait de reprendre le personnage de Simplicissimus dans le Haut Koenigsbourg est un simple clin d'oeil.
Jusqu'ou aviez vous rédiger la trame de Simplicissimus? Le projet est il totalement abandonné ou reste t il un espoir de le voir une jour s'achever?
En ce qui concerne ' Simplicissimus ', le projet était prévu en quatre volumes. Le tome 1 a été publié, le scénario détaillé du tome 2 est rédigé et l'ensemble de l'histoire avait été structuré dès le départ. C'était un récit assez sympa, en peu dans l'esprit de ce qu'on trouve actuellement chez Glénat avec le ' Troisième Testament ' ou le ' Triangle Secret '. Mais c'est pour moi une vieille histoire. De toute manière, Frédéric Pillot est définitivement passé à l'illustration et à la pub, Claude Guth fait la carrière de coloriste et maintenant de dessinateur ( avec Laurent Cagniat chez Delcourt ) que l'on sait et il serait très difficile de reconstituer l'équipe pour reprendre le projet. Nous avons tous de ( trop ) nombreux projets et je ne pense pas qu'un retour en arrière soit possible. C'est peut-être dommage ...
Vous semblez passionné par les légendes et la mythologie nordiques qui sont évidemment très présentes dans la Hache du Pouvoir et dans Cœur Sanglant, mais aussi dans les deux premiers tome de Fog où tout commence par la découverte d’un Tumulus. D’où vous vient cette passion ?
Les Vikings sont vraiment un peuple extraordinaire ( lire les ouvrages de Régis Boyer à ce sujet ). Je m'étais beaucoup documenté sur la question en écrivant les séries parues chez Delcourt. Les Vikings, c'est un sujet sur lequel je peux improviser une conférence de trois heures, alors, on va peut-être passer à la suite ... De toute manière, j'en parle dans ' FOG ' ...
Les personnages principaux et secondaires de Fog ont une certaine épaisseur, pour ne pas dire une épaisseur certaine. Ils ne sont pas simplement au service de l’histoire mais leur passé et leur caractère est le moteur même de l’intrigue. Dès lors une question : comment est né le scénario de la bande dessinée : avez vous créer des personnages en travaillant leur caractères et motivations avant de les faire évoluer et interagir ou avez-vous préalablement imaginé le synopsis autour duquel se sont construits les personnages principaux et secondaires… Autrement dit, comment avez-vous bâtit le scénario?
Quelle question !!! ... Comment y répondre ? ... Un scénario est une aventure étrange et passionnante. Au début, on part d'une simple idée, d'un truc lu dans un article ou un roman. De toute manière, des idées, on en a quinze par jour. Simplement, certaines reviennent, se font récurrentes. C'est alors qu'on se dit qu'elles sont peut-être intéressantes. On leur donne leur chance et le mécanisme se met en route. Le synopsis se construit progressivement, un peu à son insu. L'histoire prend forme et devient envahissante. Ensuite, c'est de l'instinct, du savoir faire. Il n'y a pas de règles. Les personnages s'imposent d'eux-mêmes. Ils apparaissent, prennent forme, se développent et gagnent une certaine forme d'autonomie. Ils deviennent presque réels. On finit par se dire: dans telle circonstance, comme réagirait Ruppert, ou Mary, ou Julian ou tout autre personnage, même secondaire. J'en discute parfois avec d'autres auteurs. Il semblerait qu'il s'agisse là d'une expérience qui nous est un peu commune. En résumé, l'auteur ne décide finalement pas de grand'chose. Il donne vie à des personnages qui vivent ce qu'ils ont à vivre. Il est moins leur créateur que leur accoucheur. En tout cas, pour moi, ça se passe comme ça. Je fait confiance à mon instinct. De toute manière, il n'y a pas l'autre solution. Un auteur est seul. Il ne peut demander conseil à personne. L'avis de quelqu'un qui n'écrit pas ne sert à rien ( un scénario, c'est avant tout un document technique destiné à l'éditeur ou au dessinateur ). Et un autre scénariste ne raconterait de toute manière pas l'histoire de la même façon.
L’intrigue vous permet de peindre un tableau réaliste de la société londonienne élisabéthaine avec ses inégalités et ses clivages sociaux. La grande réussite de Fog est à mon avis d’avoir su utiliser ce background historique pour servir l’histoire et les personnages. Jusqu’où poussez-vous le travail de documentation pour rédiger un scénario ?
La société victorienne est dans ' FOG ' un personnage à part entière. C'est une société très particulière, très cloisonnée, très hypocrite... Sur le continent, les mêmes ingrédients à la même époque ne donneraient pas la même histoire. Je me suis effectivement beaucoup documenté sur la question, J'ai lu et relu des auteurs de l'époque ( Dickens, Jane Austen, Willkie Collins, Jack London, etc ... ) ou des auteurs contemporains traitant du même sujet ( Caleb Carr, Anne Perry, etc ... ). C'est un travail d'imprégnation qui me permet de restituer une certaine forme de langage, un ton qui correspond à la façon de parler de l'époque. En 1874, on ne s'adresse pas de la même manière à un cocher, un majordome, un membre de la classe aisée ou à un homme du peuple. C'est un univers très codifié, dont il faut respecter les règles pour que l'histoire paraissent crédible.
Le troisième tome de Fog, paru il y a peu, laisse sur sa faim, comme le premier d'ailleurs, on brûle de l'envie de lire la suite afin de comprendre les tenants et les aboutissants de cette nouvelle intrigue... Sans en dévoiler le chute, le quatrième opus est il bouclé au niveau écriture? Travaillez vous dors et déjà sur le cinquième? Quel en sera le thème?
Oui, bien sûr ! ... Les 62 pages du tome 4 sont découpées, rédigées, dialoguées depuis avril 2001... Donner des éléments d'information sur ce volume ne serait pas sympa pour les lecteurs. Tous les événements sont trop liés... A la fin, on retourne en Arizona et toutes les ( nombreuses ) questions que le lecteur se pose trouveront leurs réponses, avec en prime une vraie surprise ( en tout cas, c'est ce qui est prévu ). Cet été , j'ai écrit une troisième histoire ( toujours en deux volumes ) dont le thème sera le vol de mémoire ( pas la perte, mais vraiment le vol... ). Une partie de l'histoire se passera en Ecosse. L'intrigue sera à la fois policière, fantastique et politique... Et toujours bien dans l'univers de ' FOG ' ...
Chaque couple d’auteur (si vous permettez l’expression) a sa façon bien a lui de travailler sur une bande dessinée… Comment-avez vous travaillé avec C. Bonin pour l’apparence des personnages, les décors et le découpage? A partir de quels documents a-t-il réalisé les planches ?
Ce qui est important, c'est surtout de raconter la même histoire. C'est ce qui se passe avec Cyril Actuellement, nous nous voyons assez peu et presque jamais pour travailler. J'ai fini d'écrire ( découpage planche par planche et tous les textes ) les 62 pages du tome 4 depuis avril 2001. Cyril travaille sur ce document et je vois les planches terminées. S'il rencontre un problème, un simple coup de fil suffit. On est totalement sur la même longueur d'onde et je n'ai pas d'exigence particulière pour le dessin. Le dessinateur est au service du scénario, mais pas du scénariste. Penser le contraire serait à mon avis une erreur.
Cyril à un immense talent
et j'aurai bien tort de me mêler de la partie graphique ( sauf cas très particulier ). De la même manière, il se mêle très peu du scénario, sauf tout au début, quand nous en sommes encore à la mise en place de l'histoire.
Serait il possible de voir les documents à partir desquels travaille Cyril Bonin (par exemple pour une planche d'un album donné)? Les personnages ont ils fait l'objet d'un traitement à part : avez vous fourni au dessinateur un portait détaillé, physique et psychologique pour lui permettre d'élaborer la représentation des personnages de l'album?
L'iconographie utilisée par Cyril est assez importante. Pour les décors et également les personnages, il dispose de pas mal de photos d'époque, ainsi que des gravures de Gustave Doré sur Londres. Ces documents donnent une bonne impression d'ensemble de ce que pouvait être l'univers du Londres victorien. On y trouve des détails assez curieux auxquels on ne songerait pas de prime abord. Par exemple, en raison des milliers de chevaux utilisés pour tirer les ' cabs ' et les voitures, la chaussée était entièrement recouverte d'une couche de crottin dont on ne pouvait pratiquement jamais se débarrasser. Imagine ce que ça pouvait donner les jours de pluie (assez nombreux en Angleterre) ou durant l'été. En ce qui concerne les personnages, ils sont soigneusement ( enfin j'espère ) construits sur le plan psychologique. Tous, même les personnages secondaires, sont définis avec un maximum de précision. La cohérence de l'histoire est à ce prix. Le fait de rédiger les deux volumes d'un coup, de savoir exactement d'où je pars et où je vais, me permet de jouer avec les infos distillées aux lecteurs. Voilà pourquoi dans le tome 3, malgré les nombreuses informations données au public, le suspense est maintenu jusqu'au bout. C'est impossible à faire si on se contente de commencer l'histoire, sans savoir si on la termine en trois, quatre ou cinq albums. Mais si je donne beaucoup d'indications sur la psychologie des personnages, je n'ai pas d'exigences particulières pour leur représentation physique. Au contraire, j'aime bien être surpris et découvrir le travail de Cyril comme n'importe quel lecteur.
Vos scénario, tantôt épique (Hache du Pouvoir ou Cœur de Sang), tantôt intimiste (Fog) ont tout pour séduire les joueurs de jeux de rôle. Quelle vision avez-vous de ce loisir ?
Désolé, je ne connais strictement rien au jeu de rôle. Mais ce n'est pas la première fois qu'on me fait cette remarque.
Eh bien nous vous remercions pour cet entretien…