Rôlistes, entrez dans le Moyen Age
Véhiculant des images facilement accessibles à tout un chacun, le Moyen Age est un univers de jeu de rôle (JDR) dans lequel il est quasiment immédiat de mettre un pied. Un univers de chevaliers, de châteaux-forts, de troubadours, de joutes, de bandits de petits et grands chemins, d’abbayes opulentes et de cathédrales dressées vers le ciel. Un univers parfois lumineux, parfois sombre. Un univers de belles gestes et de superstitions, de doutes et de magie. Le fertile terreau de mille aventures de jeu de rôle.
Un univers tangible
Cet univers présente aussi l’avantage d’être en partie palpable, presque familier. Tout au moins pour nous, rôlistes européens. Qui d’entre nous n’a pas vu les vestiges, plus ou moins bien conservés, d’un château, d’une tour, d’une abbatiale ? Qui n’a pas entrevu, dans un musée, un heaume à bec de passereau, une épée longue, une tapisserie, une chaise haute en bois sculpté ? Pour les plus chanceux d’entre nous, nous pouvons faire traîner nos pas dans quelque rue « Vieille-Boucherie » dont le tracé n’a pas changé depuis le XIIe siècle.
Et, comme de les autres univers rôlistiques ancrés dans l’histoire, il a un autre avantage, par rapport aux univers de fiction : de nombreuses sources d’information et d’inspiration sont disponibles, soit gratuitement (bibliothèques publiques, internet), soit à des prix bien inférieurs, en proportion, à ceux de supplément de JDR. Et les rayons « jeunesse » des bibliothèques et librairies fournissent plus d’un ouvrage de vulgarisation, généralement très agréablement illustré.
Un univers néanmoins lointain
Mais, tout en étant si proche, et parfois tangible, le Moyen Age est à mille lieues de nous. D’abord parce que nous le voyons, le plus souvent, à travers un filtre de préjugés, d’approximations, en une espèce de nébuleuse obscure coincée entre les brillances de l’antiquité romaine et de la Renaissance. Ensuite, parce que comme pour tout voyage mental dans le temps, il est difficile de nous départir de notre façon de voir d’humains du XXIe siècle. Incarner des personnages dans un jeu de rôle ancré dans le Moyen Age et chercher à être « réaliste » dans les comportements, c’est une illusion. Toutefois, cela ne nous empêche pas d’essayer de garder une certaine « fidélité », par exemple en évitant les anachronismes techniques les plus flagrants.
Un petit jardin
Ce sous-titre au ton un peu provocateur ne veut surtout pas être réducteur. En effet, la lenteur de la plupart des moyens de locomotion, le réseau routier de piètre qualité, ajoutés au fait que peu de gens sont vraiment « mobiles » (si je peux me permettre l’usage de ce qualificatif aux consonances trop actuelles), voilà qui entraîne que, dans le JDR médiéval, il n’est pas forcément besoin d’espaces immenses comme cadre d’aventure. Un maître de jeu (MJ) n’est donc pas acculé, dans la préparation d’une partie, à la cogitation de royaumes démesurés, de galaxies aux étoiles innombrables et toutes différentes. Le MJ peut donc commencer par un décor de taille raisonnable, s’il veut prendre le temps de s’installer : deux ou trois fiefs voisins (pour des interactions entre les seigneurs), des terres agricoles, des bois, des moulins, quelques rivières, des hameaux, peut-être un bourg fortifié, etc.
Un MJ aux goûts plus urbains pourra prendre comme base de départ une petite ville, avec son château et son abbaye, comme Shrewsbury, qui sert de décors aux romans policiers d’Ellis Peters de sa série mettant en scène le frère Cadfael. La coexistence entre les deux types de pouvoirs (le seigneur du château et l’abbé de l’abbaye), les frictions entre ces pouvoirs et la ville qui défend ses propres intérêts, notamment commerciaux, voilà qui peut facilement nourrir quelques parties.
Quelle voie choisir ?
Y a-t-il un JDR médiéval ?
Des JDR d’appellation « médiéval-fantastique », vous en trouverez des wagons. Sans chercher à en donner une définition exacte, je m’avancerais à dire qu’un JDR est « médiéval-fantastique » s’il présente :
■ le niveau technologique du Moyen Age, souvent dans un étrange cocktail où se mêlent aussi bien des références aux Francs qu’au chevalier Bayard ;
■ des capacités magiques accessibles aux personnages, et des créatures féeriques (du gobelin au dragon).
Le JDR médiéval, dans ma perception, couvre une gamme plus étroite : j’y range les jeux dont l’univers est clairement « notre » Moyen Age. Ceci sous-entend que l’univers du jeu doit présenter une certaine fidélité au cadre géographique de « notre » Moyen Age, à son cadre politique, à ses caractéristiques technologiques, et garder une cohérence avec les mœurs, les croyances, et autres contes et légendes. En regardant la production rôlistique à travers ce filtre, la liste des « JDR médiévaux » n’est quand même pas trop étriquée. Mais, tout comme il y a plusieurs types de JDR « space opera », par exemple, il m’apparaît qu’il y a plusieurs types de JDR médiévaux.
Un exercice de typologie des jeux
Loin de moi la prétention de connaître tous les JDR ayant pour cadre le Moyen Age, et donc la tentation d’en dresser un panorama complet. Vous me permettrez donc de tenter une autre sorte d’exercice, celui de la typologie de ces jeux en quatre groupes, illustrée de quelques exemples.
Les
jeux médiévaux non-fantastiques ne sont pas nombreux. Pour tout dire, parmi ceux que je connais, un seul s’inscrit dans cette catégorie : Robin Hood, un supplément pour Rolemaster et Fantasy Hero, qui propose, en fait, deux décors de jeu : la période de guerre civile entre le roi Stephen et l’impératrice Maud (au début du XIIe siècle), la période qui sert de toile de fond au roman Les piliers de la terre de Ken Follet, et la résistance du peuple saxon contre les seigneurs normands, rendue célèbre par les livres et les films mettant en scène Robin des Bois, ou par l’Ivanhoé de Walter Scott.
Dans les
jeux médiévaux historiques merveilleux, je range les jeux dont le décor historique est clairement une époque de notre Moyen Age, mais qui incorporent des éléments surnaturels à plus ou moins haute dose. Par exemple :

Avant Charlemagne a pour cadre les royaumes dits « barbares », entre la chute de Rome et l’avènement carolingien. Je l’ai inclus dans le Moyen Age, mais je n’en ferai pas une maladie si vous considérez que ce n’est pas le cas ;

Vikings pour Rolemaster et Fantasy Hero, et Gurps Vikings, nous entraînent dans le monde des hommes du Nord, conquérants et commerçants, de la Scandinavie à l’Irlande, et de Kiev à Byzance ;

Miles Christi et Secretum Templi, chacun à leur manière, nous invitent à revêtir le manteau blanc frappé de la croix rouge de l’ordre des Templiers ;

avec Aquelarre, le jeu démoniaco-médiéval, vous jouez des aventures dans la péninsule ibérique, carrefour instable des trois cultures chrétienne, juive et musulmane. Dans ces contrées de contes et légendes, les zones d’ombre recèlent bien des créatures étranges, pour qui sait y regarder ;

dans Hurlements, un jeu à nul autre pareil, une étrange caravane de bateleurs parcourt la France médiévale, au fil des âges ;

j’ai accordé une place spéciale à un jeu de création amateur, Lo temps dels trobadors. Rédigé en occitan, la langue même des troubadours, et incitant plus que tout à jouer en se racontant de belles histoires, il nous ouvre les portes de l’Occitanie du XIIe siècle, une époque douloureuse, celle de la croisade qui mettra ce pays et ces gens à feu et à sang.
J’appelle
jeux médiévaux merveilleux ceux qui utilisent comme décor non pas « notre » Moyen Age, mais les créations littéraires et les légendes qui avaient cours à ces époques-là. Ce sont notamment les jeux qui nous plongent dans la geste d’Arthur et de ses chevaliers, de la quête du Graal, etc., tels que contées par Chrétien de Troyes ou Thomas Mallory, comme Légendes de la Table ronde ou Pendragon.
Enfin, je qualifie de
jeux médiévalisant des JDR qui utilisent comme univers notre Moyen Age en le passant à une moulinette qui nous en éloigne plus ou moins fortement. Je citerais notamment Ars Magica et Vampire : Dark Ages.
Cette typologie n’a pas vocation à être universelle. Elle reflète simplement ma perception de ces jeux. Je suis donc ouvert à tout autre regard qui serait porté sur cette famille de JDR.
En guise de conclusion
Que vous appréciez les JDR ancrés dans une certaine cohérence historique et culturelle, ou que vous appréciez de courir hors des sentiers battus, vous en trouverez certainement un, parmi les JDR médiévaux, qui sera à votre goût. Certains sont toujours édités aujourd’hui, d’autres ont disparu des rayonnages des boutiques, mais vous trouverez certainement quelqu’un pour vous les faire découvrir, pour vous en vendre un d’occasion, ou pour vous inviter à sa table de jeu. Cherchez ici et là, dans les forums de JDR, il y aura bien quelqu’un pour répondre à votre appel.
Index des jeux cités
Aquelarre (3 éditeurs successifs : Joc International, Caja de Pandora, CROM)
Avant Charlemagne (Robert Laffont)
Hurlements (Bizien)
Légendes de la Table ronde (Jeux Descartes)
Lo temps dels trobadors (Gianni Vacca, 1996-1999)
Miles Christi (SPSR)
Pendragon (Chaosium, Oriflam pour la VF)
Robin Hood (ICE)
Secretum Templi (Dartkam)
Vikings (ICE)
Vikings (Steve Jackson Games)
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