Par Keenethic(@)free.fr
Nous avons eu l’occasion de rencontrer Sylvère Loyan, de l’association « Les Leus d’Argent ». Cette petite compagnie d’amis et de passionnés se propose de nous faire découvrir leur activité : l’escrime artistique, quelque part entre la voie du glaive et celle des planches.
Utopies : Pouvez-vous vous présenter, et nous introduire votre association ?
Sylvère Loyan : Ok. Je suis donc Sylvère Loyan, ingénieur conseil dans la vie, et président de l’association des « Leus d’Argent ». Cette association a la vocation de faire de l’escrime artistique -à orientation médiévale- afin de pouvoir en présenter des spectacles. Notre activité principale consiste en un entraînement à l’escrime, mais la notion de spectacle nous amène également à faire du théâtre et à aborder aussi bien la mise en scène que la scénarisation. Sans scénario, le combat n’aurait aucun intérêt.
U : D’où vient le nom « Les Leus d’Argent » ?
S.L : Nous étions deux amis au démarrage de l’histoire de l’association, c’est pourquoi il y a deux loups sur le blason.
« Leus » veut dire « loups ». En héraldique, les loups sont le symbole de la récompense pour un travail acharné. Tout cela est lié à la persévérance dans les combats, pour obtenir quelque chose de beau. L’argent rappelle la loyauté. Notre blason représente un peu la philosophie de l’association…
U : Qu’est-ce que l’escrime artistique ?
S.L : C’est l’intersection de trois paramètres : un bon scénario, un bon jeu d’acteurs et de « cascadeurs », et de beaux combats bien réglés. Si on a ces trois aspects, on présentera un beau spectacle. Avec ça, on aura deux choix : soit faire du cinéma si l’on a un peu de chance ; soit faire du théâtre, qui s’organise bien plus facilement. Mais à contrario du cinéma, en théâtre, on doit être bon du début à la fin, en une seule prise. C’est donc bien plus difficile.
Les chorégraphies des combats sont répétées et répétées, jusqu’à pouvoir les exécuter en vitesse réelle sans aucun risque.
U : D’accord. Quelles sont les différences principales entre escrime sportive (de compétition) et escrime artistique ?
S.L : En fait, il y a deux pôles : l’escrime sportive d’une part, qui est ce que l’on peut voir dans les championnats retransmis. C’est, en somme, l’aboutissement de l’art de tuer, même si aujourd’hui on ne blesse plus l’adversaire. Mais la recherche est avant tout celle de l’efficacité et du moindre mal pour soi, donc de la victoire.
« L’escrime artistique et de spectacle », quant à elle, regroupe toutes les escrimes antérieures au 20ème siècle, le but étant de faire du spectacle. On y retrouve l’escrime antique, l’escrime médiévale, et bien sûr le combat à la rapière (renaissance et au-delà). Il y a une dimension esthétique qui n’existe pas vraiment dans la compétition, puisque le but y est l’efficacité.
Pour autant, il existe aussi dans l’escrime artistique des variantes privilégiant « la touche ». C’est ce qu’on appelle le « Freefight » ou « Combat libre », où les adversaires tentent de se toucher en évitant les coups de l’autre, et où l’on effectue un décompte des points à la fin de la rencontre pour voir qui est le gagnant, un peu à la manière de l’escrime de compétition. Bien sûr, les pratiquants sont protégés (en armure) et doivent tout de même retenir leurs frappes. De ce fait, le combat perd un peu en crédibilité puisque les coups ne sont pas vraiment portés.
U : Comment en vient-on à faire de l’escrime artistique ?
S.L : Je pense qu’il s’agit d’opportunités. Je crois que nous avons tous déjà eu envie au moins une fois d’avoir une épée à la main pour s’amuser à combattre. Pour ma part, j’ai toujours eu ça en tête, mais je ne pensais même pas que l’activité puisse exister. Un jour mon oncle m’a dit que c’était le cas, et qu’il en faisait. Et puis voilà, je suis tombé dedans comme Obélix dans la potion magique (rires).
U : Et y a t-il un profil type de l’adhérent ?
S.L : Non, il n’y a pas de profil type. Je crois qu’il faut simplement être motivé, d’autant plus qu’il y a aussi une dimension sportive. Parce que même si ce n’est pas de « l’escrime sportive », c’est sportif quand même… Au bout de trois minutes de combat, on n’en peut plus. Du coup, les femmes préfèreront par exemple l’épée à deux mains, parce qu’elle sera plus facile à porter.
Au sein de l’association, une majorité des membres est largement sensibilisée à la culture de l’imaginaire, et bien entendu à l’Histoire.
U : Quel est l’héritage réel de l’escrime historique dans l’escrime artistique?
S.L : Les techniques de base sont connues et sont les mêmes aujourd’hui. Le plus vieux manuel existant doit être, il me semble, du 15ème siècle, et c’est donc déjà assez tardif. En escrime médiévale à proprement parler, nous n’avons rien. Il a donc fallu retrouver les techniques de base, à partir des descriptions que l’on en avait, et qui nous permettent de recomposer ce que ça pouvait être.
Mais l’escrime artistique est un peu antinomique de l’escrime historique ; puisque que lorsque l’on est soldat ou chevalier au 13ème siècle, on se fiche du spectateur. L’objectif est de sortir vivant et de tuer l’adversaire. On recherche donc l’efficacité du coup, et surtout pas à ce que le combat dure. C’est exactement le contraire en escrime de spectacle : on veut faire durer le plaisir du spectateur.
Si l’on veut vraiment faire de l’escrime historique sans ennuyer le public, ce sera de la démonstration, par exemple en jouant le chevalier qui explique à son écuyer comment tuer l’adversaire. Mais cela reste très limité au niveau scénaristique.
En escrime artistique, on utilisera surtout les enseignements de l’escrime historique pour finir un combat, ou désarmer quelqu’un. Il faut savoir fusionner la composante historique avec la composante spectaculaire.
U : Quel est l’équipement de l’escrimeur artistique?
S.L : Tout dépend de l’époque jouée. Nous, nous nous situons approximativement au 13ème siècle ; déjà parce que c’est moins onéreux en termes d’équipement (costumes et armes). Par exemple, une cotte de mailles est longue à faire, mais réalisable par un amateur, à moindre frais. Si l’on passe au 14ème-15ème siècle, les armures commencent à apparaître, et ce n’est plus le même investissement…
Les gants sont impératifs, surtout parce que la garde de l’épée finit par abîmer les mains. Les coups sur les doigts sont rares, et rarement assez forts pour faire mal. A part cela, pour l’entraînement, un jogging et des baskets suffisent. Evidemment, un spectacle nécessite des costumes, et c’est pourquoi la confection fait aussi partie de nos activités.
Quant aux épées, il existe des forgerons spécialisés. On trouve une boutique à Paris qui en importe (NDLR : Rêves d’acier), mais elles sont en général fabriquées par des artisans des pays de l’est (NDLR : Jiří Kronďák : Fabri Armorum). Ce sont donc des épées de reconstitution, mais non affûtées en général.
U : Y a-t-il des championnats ? Une fédération ?
S.L : Oui. Il y a une fédération. « L’Académie d’Arme de France » (association Loi 1901 dont les origines remontent à 1567) est liée à la Fédération Française d’Escrime, mais regroupe la plupart des maîtres d’armes enseignants l’escrime artistique. L’Académie organise les championnats de France, tous les deux ans. Il y a aussi des Championnats du Monde, tous les quatre ans, mais la France tient encore le haut de l’affiche dans le domaine. Peu d’autres pays présentent autant de spectacles que le nôtre. Ces championnats sont accessibles aux amateurs, et c’est un fait réellement important. Si les maîtres d’armes peuvent être meilleurs d’un point de vue technique, la dimension scénaristique et théâtrale joue également, et tout est donc possible.
U : Dans quel cadre ou à quelle occasion peut-on assister à des combats d’escrime médiévale ?
S.L : En général, depuis le printemps jusqu’à l’automne, on peut assister à de nombreuses foires médiévales. Provins est l’une des plus connues, mais il y en a beaucoup d’autres, un peu partout. Il suffit de se renseigner.
Il y a aussi des spectacles permanents ou réguliers, dans des châteaux ou des fermes médiévales reconstituées, et bien sûr dans les parcs à thème ou les villes dites « médiévales ». Enfin, on peut en voir en des occasions ponctuelles « sur commande ». Il nous est arrivé de faire une animation pour le mariage d’un ami.
Et puis, bien sûr, on peut en voir au cinéma. Nous avons d’ailleurs déjà failli réaliser une scène pour un film à petit budget. Malheureusement, cela ne s’est pas fait. Il nous en est resté une excellente expérience d’entraînement.
U : Alors, justement, est-ce que vous avez en tête quelques films qui mettent en scène correctement de l’escrime médiévale ?
S.L : Il n’y en a pas beaucoup en escrime médiévale. « Braveheart », bien sûr, pour le réalisme. « Rob Roy » est intéressant, mais s’intéresse déjà à une période plus tardive. « Gladiator », à la limite, mais seulement pour le duel final. Ce n’est pas réellement de l’escrime médiévale mais il y a peu de différences.
En général, les combats sont de toute façon filmés de près. Les acteurs n’étant pas forcément de bons bretteurs, la réalisation compense par des effets de caméra dynamiques et nerveux. Un combat est rarement filmé dans son intégralité.
U : Quelle est la formation nécessaire pour enseigner l’escrime artistique ?
S.L : Ca dépend de ce que l’on entend par là. Pour enseigner à proprement parler, il faut être affilié à la Fédération Française d’Escrime et avoir obtenu le titre de Maître d’Armes en qualité d’escrimeur sportif (fleuret, sabre, épée). On fait ensuite une spécialisation selon l’époque concernée. En France, à ma connaissance, il doit y avoir une douzaine de maître d’armes spécialisés en escrime artistique. Et la plupart (en fait, la totalité) enseigne la rapière, puisque c’est beaucoup plus naturel pour quelqu’un venant de l’escrime sportive.
L’autre solution, celle que nous avons choisi pour l’association, est celle de l’ « enseignement » amateur. Ce n’est pas un véritable enseignement au sens où l’entend la Fédération. J’ai personnellement (mais je ne suis pas le seul dans l’association, bien que je sois le responsable de l’enseignement) acquis des bases en suivant les cours d’un maître d’armes pendant plusieurs années, notamment en vue de réaliser ce projet. Nous avons ensuite mis en place une technique, qui rejoint celle du maître d’armes. Il suffit enfin de prendre une assurance qui couvre l’activité.
Cela dit, nous ne pouvons pas participer aux championnats, puisque nous ne sommes pas affiliés à la Fédération Française d’Escrime. Pour cela, il faudrait être affilié à un club comptant un maître d’armes officiel, seul habilité à nous présenter en championnat.
Je trouve d’ailleurs que c’est assez dommage, parce que comme nous le disions, il y a une différence fondamentale entre escrime sportive -d’où proviennent les maîtres d’armes- et escrime artistique. Les escrimeurs sportifs ont acquis des réflexes et des habitudes, notamment celle de toucher, et il leur faut donc désapprendre une partie de leur enseignement. Par exemple, se mettre en garde de profil est complètement proscrit en escrime artistique, parce que cette dernière nécessite des postures spectaculaires et agréables à regarder.
Personnellement, j’aurais apprécié pouvoir suivre une formation spécifiquement artistique de maître d’armes, sans avoir à passer par la compétition sportive, qui a une toute autre philosophie et qui est bien loin de la composante « spectacle », avec tout ce que cela implique.
U : L’escrime médiévale est-elle dangereuse pour ses pratiquants ?
S.L : Oui et non. Si c’est mal fait, si la sécurité n’est pas la priorité, cela peut être dangereux. C’est pourquoi nous bannissons complètement le combat libre dans notre association, sauf dans le cas d’exercices particuliers. En effet, le problème principal auquel nous avons à faire face dans nos chorégraphies est le fait que l’on sait toujours où va frapper le partenaire. Il nous arrive donc d’anticiper trop les coups, ce qui rend la prestation moins réaliste et impressionnante. C’est pourquoi à l’entraînement, parfois, si l’on est sûr de ses bases, nous pouvons faire des séances de combat libre de façon à améliorer la spontanéité des gestes, tout en maîtrisant bien sûr toujours ses coups.
Sinon, la seule chose qui puisse vraiment arriver est un coup sur les doigts, sur une mauvaise parade : une attaque trop basse, une parade trop haute. C’est une erreur des deux partenaires. Au pire, ce sera une petite éraflure, d’où l’importance des gants. Nous n’avons jamais eu de blessures.
Evidemment, certaines associations pratiquent parfois le combat réel. Par exemple, pour la reconstitution de la bataille d’Azincourt, les figurants se battent réellement et il y a systématiquement des blessés ; toujours légers, heureusement.
U : Qu’avez-vous compris de la difficulté réelle de se battre au Moyen-Âge ?
S.L : Alors, à mon avis, ça ne durait pas longtemps. Il suffisait de tomber sur quelqu’un de plus fort que soi, et ce devait être réglé assez vite. Au vu du poids des armes et des armures, au bout de quelques minutes, les adversaires devaient être épuisés. A deux ou trois contre un, un homme est vite mis à terre ; et on lui enfonce sa pointe dans la vue (d’où l’expression : « en mettre plein la vue »), c'est-à-dire dans la fente du heaume, pour l’achever.
Bien sûr, les hommes de l’époque étaient plus robustes et aguerris que nous, mais je pense que dans une grande bataille, l’issue devait être claire assez rapidement (stratégie et renforts mis à part).
U : Que pensez-vous qu’il est utile de rajouter à ce que vous venez de nous dire ?
S.L : Et bien, je pense que le problème principal de l’escrime artistique est la médiatisation. Par exemple, pour les championnats de France, pas une chaîne de télévision (même régionale) n’était présente pour couvrir l’évènement. Il suffirait simplement de retransmettre une heure des meilleurs moments et des plus belles prestations, et le public pourrait savoir ce qu’il est possible de faire dans une association, aussi modeste soit-elle ; et dans une discipline qui pourrait plaire à beaucoup d’amateurs passionnés par l’Histoire, l’imaginaire ou même simplement les expériences nouvelles. C’est une discipline qui réconcilie l’Histoire, l’imagination, le sport et le théâtre.
U : Merci beaucoup.
S.L : De rien. Si vous me demandez de parler de ma passion, c’est plutôt moi qui peut vous remercier.
Adresses
http://sylvere.loyan.free.fr/
http://www.escrime-artistique.com/aaf/
http://cf.geocities.com/revesdacier/
http://www.fabri-armorum.cz/