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Entretien avec Jacques Terpant
réalisé en Juin 2005


Tout d’abord, un grand merci de vous prêter au petit jeu de l’interview…
Pouvez-vous nous dire nous en dire un peu plus sur vous?

Je viens d'un petit village du Dauphiné, au pied du Vercors. J'ai fait des études aux arts décoratifs de Grenoble (2 ans ) et aux beaux Arts de Saint Etienne. Là j'ai rencontré des jeunes gens (à l'époque du moins) qui comme moi faisaient de la BD avec le parcours classique publication dans des fanzines etc.. Il s'agissait d'Yves Chaland ,Luc Cornillon, Francis Vallès. En dernière année de beaux arts j'avais placé mes premières planches avec Luc Cornillon à Métal Hurlant.

Quels souvenirs gardez-vous de la glorieuse époque de Métal Hurlant, magazine atypique où se mêlaient rock, ciné et surtout BD?
Pour la période elle est radicalement différente d'aujourd'hui. Métal était vrai journal, découvreur de talent, avec à sa tête un vrai directeur Jean Pierre Dionnet, un formidable patron (Chaland l'appelait toujours patron c'était un jeu entre eux), une énorme culture du livre du cinéma, un talent d'auteur, un type qui aimait les gens qu'il publiait. Et dans l'entourage Moebius, Serge Clerc etc, les auteurs partie intégrante du journal ...Mais je suis arrivé à la fin, et avec la fin de Métal c'était la fin des journaux de BD qui s'annonçaient, je crois l'avoir compris assez vite.

Devenir dessinateur était-il pour vous un rêve d’enfant ?
Oui, je crois. Les gens de ma génération (les quadra) sont arrivé avec le grand boum de la BD. Pour la génération précèdente ce n'était pas vraiment un métier, pour la notre on avait des bouquins "culte" comme le petit Marabout:" comment devient on créateur de BD par Franquin et JIJÉ" il y avait toutes les revues:Pilote métal hurlant , Charlie etc... pour les jeunes gens qui dessinaient de cette période, la BD était un moyen d'expression, on a collé à notre époque.

Quels étaient alors vos dessinateurs favoris et quels sont-ils aujourd’hui ?
J'ai fait tout un parcours : quand j'étais petit, c'était les belges, Franquin etc...La grande claque ce fut Moebius et la couleur directe. J'étais aux beaux arts, et je n'ai plus lâché cette technique (même si je fais aussi du noir et blanc). Aujourd'hui je reste admiratif de la carrière de Giraud cette dualité de style est exceptionnelle! Toujours aussi fort!. Mais j'aime des choses très diverses de grand classique comme Paul Gillon (la dextérité) ou Jean Claude Forest. des américains comme Franck Miller, les gens comme Emmanuel Lepage, ou Michel Plessix, Christian Rossi, Franck PÉ, des Japonais comme Tanigushi etc...

En 1982 sort "Branle bas de Combat", votre première BD… Comment est né cette première aventure?
On est encore étudiant à St Etienne, Chaland et Cornillon ont sorti Captivant. Assez naturellement, Luc Cornillon me propose de faire une histoire (courte, à l'époque c'est la règle) et il réalise en story board la première de ces petites histoires, parodies des histoires de guerre. Dès qu'on l'a proposée, Dionnet nous a commandé le bouquin. Le fait que je dessinais d'après des croquis de Cornillon explique le coté rond et humoristique que je n'ai jamais repris ensuite.

En 1989 paraît le tome 1 du passage de la saison morte, scénarisé par Bonifay.
Comment s'est faite la rencontre avec ce scénariste avec lequel vous allez signer trois séries?

C'est Henri Philippini chez Glénat qui m'a proposé de collaborer avec Bonifay sur une histoire courte pour un Circus Spécial (le bon coté de tous ces journaux permettait à des jeunes gens comme nous de démarrer). Ensuite il nous a demandé de faire un projet de série. J'ai proposé à Bonifay le thème du voyage dans le temps en le situant à cheval sur ces deux périodes.

Philippe a écrit le passage prévu en 3 tomes, le tome 1 n'a pas mal marché du tout mais le tome 2 est sorti en pleine guerre du Golf (la première). On a perdu quelques lecteurs mais on a gardé des tirages qui satisferaient n'importe quel éditeur d'aujourd'hui… Le problème c'est qu'avant de faire le 3, Bonifay (qui a un caractère de cochon) s'est engueulé avec le directeur littéraire sur un travail de commande sans intérêt… Et pour avoir le dernier mot, Philipini a refusé de finir la série...La morale de l'histoire est qu'il est con de s'engueuler avec son éditeur, ou de travailler avec un scénariste qui a le caractère de Bonifay. C'est une regret car c'était je le crois une des meilleures histoires que Bonifay a écrite on nous la demande encore... D'ailleurs on envisage de la reprendre un de ces jours...avis aux éditeurs! (je ne laisserai plus parler Bonifay!)

Ensuite on a fait les 3 tomes de Messara chez Dargaud, comme souvent avec Philippe j'ai amené le sujet et il a écrit. Pour Pirates c'est un scénario qu'il avait vendu à Casterman. Je crois qu'ils avaient fait un essai ou deux avec d'autres dessinateur. Finalement il a du se résoudre à me le proposer...

Ce serait génial de pouvoir enfin lire la conclusion de cette étrange et captivante série qu'est passage de la saison morte! Un de ces jours? est-ce pour bientôt?
Rien de programmé encore...

Comment organisez-vous ton travail avec Philippe Bonifay? Du synopsis à la planche finalisée, quelles sont les différentes étapes de la création d'une planche?
On discute ensemble du scénario, du synopsis général. Il peut m'arriver c'est le cas de Pirates t4 qui sort, d'écrire un premier jet de scénario, sur lequel Philippe retravaille. Mais ce n'est pas la règle du tout je ne suis pas intervenu sur les 3 premiers tomes.

Ensuite il écrit un découpage précis case par case. A partir de cela je prépare souvent un rough rapide de la planche. Souvent par séquence pour voir comment cela fonctionne. Puis j'attaque le dessin. Mais je fais planche par planche crayon, encrage, couleurs, il est rare que je crayonne plusieurs planche que j'encrerai ensuite etc... Je les termine l'une après l'autre.

Dans quel environnement travaillez-vous? De nombreux dessinateur aiment à dessiner en musique? Et vous?
J'ai un atelier , qui est une petite maison dans mon village. Je dessine assez souvent en musique mais le plus souvent c'est la radio qui fonctionne.

Scénariser une histoire et la mettre en image pour la mettre en scène de bout en bout fait-il partie de vos projets?
Cela en fait partie oui. Mais je prends le temps. Je me méfie du "scénario de dessinateur" prétexte à dessiner ce dont vous avez envie ou ce que vous savez faire. La BD c'est avant tout un scenario. Le dessinateur ne compte pas pour grand chose. On le voit : les grande série à succès sont souvent faite par de bon techniciens, des dessinateurs efficaces, rarement par des auteurs qui ont un graphisme très fort, un univers bien à eux. Ce sont plutôt des dessins classiques et passe partout. Dessins que les scénaristes affectionnent d'ailleurs! Un dessin séduisant, une belle couverture de belles couleurs, vont déclencher un geste d'achat. Mais jamais le dessin ne fera le succès d'une série. C'est pourquoi je prends mon temps.


Qu'évoquent pour vous les pirates? Une période de liberté et d'aventures?
Les Pirates c'est curieux pour quelqu'un qui comme moi est d'origine rurale, voire montagnarde! Cela faisait parti de mon imaginaire d'enfants : l'Ile au Trésor, les mutinés du Bounty (je crois que l'on doit dire "la bounty") mais aussi Moby Dick (traduit par Giono,la mer attire donc les ruraux). Tout ces classiques faisaient parti des livres cultes de mon enfance:lus et relus. Je faisais des maquettes de bateaux… Et lorsque Bonifay m'a proposé Pirates, tout ceci est revenu…


©Casterman / Jacques Terpan


Mettre en images un scénario tel que Pirates a-t-il nécessité de longues recherches documentaires?
Oui effectivement, c'est le problème des Bd à vocation réalistes ! Christophe Blain m'a raconté qu'il a très peu de doc, son dessin n'en a pas besoin. Pourtant il réussit très bien à transmettre le "sentiment "d'une époque.
Moi comme tous les "réalistes" je suis chevillé à la réalité, donc je me documente. De toute manière c'est plus simple de s'appuyer sur quelque chose pour dessiner! Je ne suis pas aussi méticuleux, loin de là d'ailleurs!, que Patrice Pélerin qui fait une reconstitution méthodique de chaque bateau...Moi, il faut que cela paraisse logique et cela me va.

Pour Pirate, quelles sont vos sources documentaires? Quel bouquins conseilleriez-vous à un lecteur désireux d'en apprendre plus sur cette période ?
En fait les sources documentaires sont rares, surtout les sources iconographique. Il y a les classiques : le médecin Oexmelin qui a été embarqué de force et donné un journal de ses aventures passionnantes. L'histoire de la Piraterie de Daniel defoe. Et les auteurs d'aujourd'hui qui ont travaillé sur le sujet: Gilles Lapouje , Michel Lebris , le professeur Jacquin... Le plus difficile ce sont les images: comment étaient les Caraïbes à la fin du 17ème siècle, les bateaux etc.. Là, les sources sont rares. Il faut chercher et trouver par ci par là . Mais je ne suis pas un obsédé de la doc cherchant la reconstitution à tout prix. Il faut avoir une base solide pour s'appuyer et rendre un monde cohérent, c'est tout.


©Casterman / Jacques Terpan



Au fil de vos lectures, y a-t-il une chose que vous ayez appris sur la flibuste qui vous aurez particulièrement étonné?
Oui ses origines sont beaucoup plus diverses que l'on ne le croit.Il y a des origines chez les Croyants Anglais rejetés de l'Angleterre, des patriotes Hollandais oppressés par l'Espagne, des Français exclus du partage du monde par le pape et Charles Quint etc... Ce sont des marginaux, parfois des personnalités très troubles voire malades et aussi des rêveurs qui inventent un monde.


Le 4ième tome de pirate sort au début du moi de juin. Comment vous sentez-vous alors généralement à l'approche d'une nouvelle publication?
C'est terminé pour moi… une BD qui sort ne m 'intéresse plus. C'est un peu comme si on faisait un enfant et à peine né qu'on le colle à la DASS. Le bouquin fait je ne le regarderai quasiment jamais. La lecture même ne marche pas! Je n'arrive pas à lire un truc que j'ai dessiné. Le mécanisme de la lecture BD ne fonctionne pas.


Plus généralement, quel est l'étape de l'élaboration d'une BD que vous aimez le plus?
Contrairement à beaucoup de dessinateurs qui se passionnent pour la narration, ce n'est pas mon cas. C'est franchement l'étape du dessin pur ou tout est calé ou il n'y a plus qu'à exécuter le dessin. Je trouve paradoxalement bien plus de plaisir (et de facilité) à écrire un synopsis et à rechercher des idées de scénario, que dans la mécanique narrative.

Parmi les différents personnages auxquels vous avez donné vie, lequel avez-vous pris le plus de plaisir à mettre en scène?
J'aimais bien dessiner Messara, le personnage me plaisait beaucoup. Dans Pirates El gallio ou Clara sont des personnages agréables...


©Casterman / Jacques Terpan


Qu'est ce qui vous passionne tant dans le métier de dessinateur de BD?
Le dessin ,je crois que comme je l'ai dit au début, les jeunes gens de ma génération qui dessinaient sont allé naturellement vers la BD car c'était là que tout ce passait, que c'était bouillonnant , c'était notre culture , élevé à Tintin ,Spirou et tout le reste. Mais la Bd c'est avant tout du scénario, de l'histoire à raconter, nos raisons n'étaient donc pas toujours les bonnes. En ce qui me concerne, je me borne à faire un album par an, car la BD c'est long et lourd un pensum en terme de dessin. J'aime beaucoup faire de l'affiche de l'illustration etc.. pas seulement de l'album.

En tant que dessinateur, comment vivez-vous les festival de BD?
Les festivals… Il est vrai que le nombre de festivals est énorme et que l'on ne pourrait faire que cela... Il y en a de très sympathiques et de véritables galères... Donc disons qu'après 6 mois d'atelier rivé à la planche, j'en fait quelques uns avec plaisir, et que lorsque j'en en ai enchaîné 4 ou 5 , je n'ai plus envie d'en faire.

Pourriez-vous évoquer un souvenir agréable et un désagréable au sujet des festivals?
Un souvenir agréable c'est surtout de se retrouver entre copains avec le plaisir d'être à table entre amis. On fait des métiers solitaires et certain festival sont ce type d'occasion. J'ai des souvenirs comme cela à Mouscron, à Laval, Senlis un salon du livre d'Histoire etc... Pour le pire ,c'est traverser la France la France en Avion arrivé de nuit dans un aéroport de grande ville. On vient vous chercher en voiture, vous arrivez dans une banlieue inconnue… Et dans cette banlieue à la cantine du collège des lilas ou on vous sert le rata de base. Le lendemain après une mauvaise nuit dans un hôtel improbable vous retournez cette fois au gymnase ou vous passerez le week-end en vous demandant ce que vous êtes venu foutre dans ce bled de merde. Je ne donne pas de nom,ceux qui ressemble à cela se reconnaîtront. Le problème (car il y a souvent là en même temps beaucoup de bonne volonté, de gouts de la BD etc..) c'est que l'on nous demande d'être "au service de la cause "faire exister le festival"… Mais des festivals, il y en a partout. On pourrait faire cela chaque semaine! Et si c'est l'événement de l'année pour les gens qui les organisent, ce n'est pas le cas pour nous.

Vous avez crée un site internet sur lequel vous proposez aux lecteurs de découvrir vos œuvres et vos différents travaux. Pouvez-vous nous expliquer cette démarche que vos lecteurs ne peuvent qu'applaudir à deux mains?
Dès qu'internet est arrivé cela m'a parut une évidence! D'une part parce que j'en étais un utilisateur de base. Mais surtout, il me semble que c'est un bon moyen de faire savoir en permettant aussi le contact. Je n'ai pas été un des pionniers comme Caza ou Bellamy, mais je vais m'y consacrer de plus en plus, étant de surcroît pas mal édité ailleurs, en Italie etc... c'est le moyen de voir ce qui fait réagir les lecteurs ,qui vous référence et pourquoi etc...

On peut dors et déjà le tome 4 de Pirates en prépublication sur le site de votre éditeur. Est-ce un souhait de votre part?
Vous me l'apprenez....

Comment cela? Vous n'étiez pas au courant? Voilà qui est singulier!
Non,pas vraiment la promo se fait souvent sans que l'on nous informe. Et ce n'est pas génant!

Quels sont vos projets présents et à venir?
J'ai un Pirates T5 à faire, un livre d'illustration (un peu carnet de voyage) sur le Vercors et l'idée d'appartenance à un lieu. Et mon éditeur me demande une nouvelle série… Mais je n'ai pas encore lu le texte qui me décidera...


©Casterman / Jacques Terpan


Quel sont vos derniers coups de cœur?
J'ai un lu un roman de Pierre Jourde qui s'appelle "Pays perdu" que je recommande vivement (édition l'esprit des péninsules). Je recommande également ma vie parmi les ombres de Richard millet. Et en BD, Emmanuel Lepage me scotche....

Y-a-t-il une question que je n'aurais pas posé et à laquelle vous souhaiteriez néanmoins répondre?
Non non...on serait face à face on aurait pu boire un coup, mais là...bon je vais au frigo tout seul..

Pour finir et afin de mieux vous connaître et comme le veut la tradition des SdI, voici un petit portrait chinois à la sauce chrysopéenne…

Une créature mythologique : Le Dragon
Un personnage de cinéma : Jérémiah Johnson
Un personnage biblique : Marie Madeleine
Un personnage de roman : Langlois (un roi sans divertissement de Giono)
Un personnage historique : Sitting-Bull (y a bien Géronimo mais manque de plumes)
Un pirate (fictif ou historique) : Flint
Un personnage de BD : Théodore Poussin
Un personnage de théâtre: Antigone
Une œuvre humaine:" le retour des chasseurs dans la neige" de Brueghel l'ancien

Pourquoi Théodore Poussin?
Ha pourquoi Théodore Poussin! C'est vrai que j'aurai pu prendre un des héros de l'enfance, Spirou, Arthur le Fantôme ou Blueberry! Mais si j'ai choisit Poussin c'est que je trouve que c'est un exemple de réussite de personnage. La vallée des roses est un des plus bel album de Bd des 20 dernières années. Il est déjà pas facile de faire gigoter des personnages et leur faire vivre des aventures plus ou moins palpitantes… Mais Legall est allé là ou peu d'auteurs s'aventurent, ou du moins réussissent l'aventure : faire passer l'émotion, la nostalgie. Pratt pouvait le faire, et bien Legall aussi et avec un dessin qui trimballe habituellement tout autre chose. Je pense souvent à Yves Chaland en lisant Poussin. Ce sont des dessinateurs qui avec un dessin inscrit dans une famille bien typée sont allé vers autre chose à raconter. Chaland n'a pas eu le temps, mais je trouve que Legall réussit cela formidablement.

Un grand merci pour ce sympathique entretien et le temps que vous nous avez accordé, sans parler de ces invitations au voyage que sont vos albums!
Merci à vous...allez tu reprends une bière ? je retourne au frigo putain...le virtuel

Avec joie! smiley
Le Korrigan